Etrange états des esprits ! Sur le terrain on voit que les têtes ne sont pas, autant que le calendrier le ferait croire, dans les élections régionales et cantonales de juin prochain. Mais assez paradoxalement on note que l’élection présidentielle est présente dans les conversations familiales et les échanges, les rencontres de tractage… de ces élections de juin. Nos baromètres militants le confirment. Tout est à la hausse : les sondages, les créations de groupes d’action, versement de dons, entrées de personnes (nouvelles ou de retour) dans les groupes d’action, nombre d’évènements signalés sur la plateforme « noussommespour.fr ».
Ce n’est pas le flot de fin de campagne, évidemment, mais c’est vraiment davantage que ce que nous avions connu à la même période en 2016. Chaque semaine, plus de trois cents personnes rejoignent ou constituent un groupe d’action dans le pays. Sans doute est-ce parce que l’élection présidentielle est définitivement identifiée comme celle qui fait la décision qui compte. Cela va de soi. Et dans le moment les gens sont nombreux à ressentir la gravité exceptionnelle de la période. Et du coup sans doute se disent-ils que de tels problèmes se règlent au niveau du seul pouvoir qui en soit un dans notre pays. Sans doute aussi les gens voient-ils combien le président Macron, madame Le Pen et moi sommes en campagne. Dès lors, la pagaille de la gauche traditionnelle, avec ses palettes de contradictions et de compétitions internes, même si elles sentent fort le dérisoire, fournissent aussi un bruit de fond propice à piquer l’attention.
Mais surtout, je sens combien l’élection présidentielle a une vertu fédératrice des grandes familles sous-jacentes de la société. Je parle ici des restes des grandes tribus idéologiques mais aussi des filiations de ces types de tempéraments personnel dont on sait combien ils sont si souvent à l’origine des engagements politiques. Il existe une attente de cette possibilité de se rassembler dans un pays explosé par les confinements, le harcèlement des consignes qui individualisent les comportements, et, bien sûr, les angoisses du lendemain. De tout cela je tire des leçons sur ce qu’il faut être capable de faire en ce moment.
La manifestation policière du 19 mai a été un séisme dans la gauche traditionnelle. Toutes les figures visibles de ce monde là ont sombré dans un suivisme clientéliste qui les a assimilés aux catalogues de revendications de l’extrême droite, qu’ils l’aient voulu ou non. Jadot et Hidalgo, Faure et Roussel ont surtout désespéré leurs bases militantes. Et désarçonné leur environnement. Autant de forces qui se perdent pour l’action. Autant de cerveaux embrouillés après que Olivier Faure ait demandé que la police contrôle la Justice. Notre devoir est alors tout tracé. Il ne peut être question de demander à qui que ce soit de se repentir pour les fautes lourdes de leurs dirigeants. Nous sommes, si l’on en croit les sondages, dans un rapport de un à deux, en notre faveur, avec le score respectif d’Hidalgo et de Jadot. 13 % pour moi, 6% pour chacun d’entre eux. Ce n’est donc pas en terme de compétition avec eux qu’il faut caler notre action. Laissons-leur ce terrain sans intérêt.
L’adversaire est ce « bloc bourgeois » que décrit l’économiste Stefano Palombarini. Le bloc bourgeois et ses partis. Face à lui, il faut donc accueillir à bras ouverts tous les résistants, tous ceux qui veulent continuer le combat dans la clarté, qui veulent militer à convaincre des abstentionnistes plutôt qu’à délimiter des factions et des candidatures. Il nous faut réorienter les désorientés, regonfler les nouveaux « aquoibonistes » ! Il faut le faire sans barguigner. Et pour cela mettre en œuvre nos règles de fonctionnement. Qui le veut peut constituer un groupe d’action et le faire enregistrer pour être validé. Tous les gens engagés dans notre campagne ont accès à l’application qui permet le militantisme commun comme dans un réseau social. De semaine en semaine cet instrument politique progresse en efficacité et capacité.
Le pire serait de perdre des énergies et des bonnes volontés de combat au moment où nous sommes en risque d’être submergés par l’extrême droite. Le pire n’est pas certain tant que nous nous battons.
Dans ce sens la mobilisation unitaire pour les libertés le 12 juin est essentielle. Je vous propose de relire l’appel qui a lancé l’idée. Et de vous préparer à descendre dans la rue ce jour-là en comprenant bien que c’est à nos yeux le début du travail pour renverser la pente.
Les événements météo liés au changement climatique n’ont pas fini de percuter l’organisation de la société dans laquelle nous vivons. Le réchauffement des pôles, la fonte des glaces là-bas auront bientôt un effet général sur le reste du climat. Un effet contre-intuitif : il fera de plus en plus froid du fait… du réchauffement. En effet le chaud à un endroit provoque de l’évaporation plus dense de l’eau qui forme des nuages et des pluies que le vent déplace. Faisant obstacle au soleil et refroidissant l’air ambiant, le froid s’installe alors plus vigoureusement. Les scientifiques disent que l’émergence d’une nouvelle ère glaciaire est statistiquement le débouché le plus probable du réchauffement climatique. Dans combien de temps et pour combien de temps ? Mystère. Dans l’intervalle vous allez grogner. Il fait plus chaud : la clim . Il fait plus froid : le chauffage. On ne sait plus faire autrement. Et quoi ? Tout cela a un prix : celui du combustible pour réaliser ces deux opérations. Et notamment, et même surtout, c’est une affaire qui met a contribution lourde la production d’électricité qui sert dans les deux cas à haute dose ! C’est la que ça va coincer…
Le prix de l’électricité a déjà augmenté de 50% en 10 ans. Nous payons dorénavant l’électricité une fois et demi plus cher. J’avais alerté sur le sujet dans un post de blog daté de janvier dernier. Cette fois, une nouvelle étude de l’association UFC-Que Choisir confirme mon analyse. Pour être bref, au cœur du problème se trouve le nucléaire. Les règles définies pour organiser le marché de l’électricité visent à résoudre une équation impossible. D’un côté, l’obstination à vouloir sauver quoiqu’il en coûte le parc nucléaire vieillissant devenu gouffre financier. De l’autre, un mécanisme de prix fixe inventé pour créer une illusion de concurrence. Je vous invite à le lire pour comprendre dans le détail comment nous avons pu en arriver là. En bout de chaîne, le prix de l’électricité explose. Merci qui ?
Mais je voudrais vous parler d’un autre sujet dans ce registre. Il est passé inaperçu. Seul un article du journal L’Humanité a tiré la sonnette d’alarme. Avez-vous entendu parler de la « tarification dynamique » ? Derrière ce petit nom sympathique se cache un principe dévastateur. En clair, le tarif d’une marchandise ou d’un service n’a plus de valeur fixe prédéfinie dans un contrat. Au contraire, il est indexé sur les prix du marché. Plus il y a de demandeurs plus le prix monte. Au final, le tarif facturé dépend des soubresauts de la bourse. Les libéraux sont avides de telles trouvailles. Ils l’ont appliqué a l’eau. Maintenant ils comptent le faire sur l’électricité. C’est déjà le cas au Texas. Si vous pensiez que ce système ne traverserait pas l’Atlantique, vous vous trompez. En France aussi, c’est maintenant devenu possible.
D’abord, l’Union européenne encourage la mise en place d’un marché européen de l’électricité pour organiser une concurrence artificielle. Je dis artificielle car la logique voudrait qu’une entité nationale produise l’énergie, la distribue et la vende. C’est un moyen stable et sûr d’assurer un service essentiel aux besoins d’investissements colossaux. Voilà pourquoi il s’agit d’un monopole naturel évident. Mais ça ne l’est pas pour les libéraux obnubilés par la concurrence et le profit. La Bourse Epex Spot couvre 8 pays européens, dont la France et l’Allemagne. Les producteurs d’électricité comme EDF vendent dans ce cadre l’énergie produite. N’importe qui peut en acheter puis ensuite en vendre. Des fournisseurs alternatifs peuvent donc l’acheter et la revendre au consommateur.
Pour aller encore plus loin, le recours à la « tarification dynamique » a été autorisé. Cela permet aux fournisseurs d’espérer des profits par la différence entre le prix d’achat du kilowattheure sur le marché et le prix de revente au consommateur. Cela a été rendu possible par une directive de l’Union européenne en juin 2019. Celle-ci va même jusqu’à l’imposer « auprès de chaque fournisseur qui a plus de 200 000 clients finals ». Cela signifie qu’EDF aura l’obligation de le proposer. Cette directive a été transposée en droit français sans aucun débat parlementaire. En effet, le gouvernement l’a fait passer discrètement par le biais d’une ordonnance.
Mais celle-ci se veut rassurante ! Elle impose que le fournisseur « informe le client sur les opportunités, les coûts et les risques », « recueille (son) consentement » et mette à sa disposition « un dispositif d’alerte en cas de variation significative du prix de marché ». On a toutes les raisons d’en douter. Dans son rapport annuel, le médiateur français de l’énergie a fait état de la multiplication des abus en tout genre de la part des fournisseurs d’électricité.
Ce système sera d’autant plus profitable en France. En effet, au nom de la concurrence, la Commission européenne oblige depuis plusieurs années EDF à vendre une partie de sa production d’électricité nucléaire à un prix bloqué aux fournisseurs «alternatifs ». Mais rien n’empêche désormais ces derniers d’acheter à prix fixe à EDF et de revendre au consommateur au prix fort du marché. Pour eux c’est la poule aux œufs d’or.
Surtout, le pire reste à venir. Je veux revenir sur le cas du Texas. En effet, ce système de dérégulation absolue a déjà démontré l’ampleur de son inadéquation à la nouvelle donne climatique. Ainsi, en février 2021, le réseau électrique texan a été paralysé par des conditions climatiques extrêmes. Le thermomètre est descendu jusqu’à -18 degrés. Il faut le dire : cet État américain est une caricature du néolibéralisme. La dérégulation de l’énergie y a été amorcée en 2002. Le système de « tarification dynamique » est devenu la norme. Le chaos suit de près.
Or, pour faire face à la vague de froid polaire, les habitants ont augmenté le chauffage, principalement électrique. Cela a provoqué un pic de surconsommation. En même temps, le blizzard a paralysé une grande partie du système énergétique. Du fait de la pénurie, l’électricité est devenue rare et convoitée sur le marché. Les prix de gros du gigawatt-heure sont passés de 50 dollars à près de 9 000 dollars en quelques heures. Mécaniquement, les tarifs non-encadrés de revente au consommateur final ont flambé. Certains habitants ont reçu des factures d’électricité mirobolantes allant jusqu’à 16 000 dollars. Une facture d’électricité de 15 000 euros ça vous dit ? Les libéraux vont vous rendre ca possible.
Les vagues de froid polaire ont à voir avec le changement climatique. Il faut donc s’attendre à ce qu’elles se reproduisent, voire s’accentuent. Nous l’avons d’ailleurs éprouvé en France au mois de janvier dernier. Le gouvernement aurait donc pu tirer les leçons de cet évènement climatique. Mais ils ont fait tout l’inverse. La tarification dynamique a été inscrite en droit français un mois après le blizzard au Texas. Si ce principe se généralise en France, à la prochaine vague de froid, c’est le chaos texan garanti. 2022 c’est vraiment décisif.
733. C’est le nombre de personnes mortes sur leur poste de travail en 2019. Les personnes tuées sur le trajet pour s’y rendre ou en revenir doivent aussi être comptabilisées. Elles étaient 283 en 2019. Enfin, n’oublions pas ceux qui ont été emportés par des maladies directement liées à leur activité professionnelle. Il y en a eu 175 en 2019. En réalité donc 1191 personnes sont donc décédées au et du travail en 2019.
C’est un chiffre considérable. Assez pour y regarder de plus près. D’abord, certains secteurs sont davantage concernés que d’autres. Il faut pour le savoir consulter les tableaux très détaillés de l’Assurance-maladie. Ainsi, en 2019, 176 personnes décédées sur leur lieu de travail étaient des ouvriers du bâtiment. Concrètement, chaque jour travaillé, un ouvrier meurt sur un chantier. On recense aussi 71 chauffeurs-routiers, 69 travailleurs des industries de la métallurgie, 51 intérimaires. Et bien sur 11 policiers et gendarmes. Des progrès ont été réalisés dans le temps long. Ainsi il meurt trois fois moins de policiers qu’il y a trente ans. C’est donc que les techniques d’exercice du métier se sont améliorées. Cet effort doit être poursuivi et on doit l’étendre a toutes les professions. Mais le constat est là : au total, 70% des salariés morts du travail sont des ouvriers et des employés.
Outre les décès, plus de 650 000 accidents sont survenus en 2019. Ce chiffre est en augmentation par rapport à l’année précédente. Ce n’est pas un hasard. En effet, c’est le résultat de conditions de travail harassantes pour un grand nombre. Commençons par dire que les Français comptent parmi les salariés les plus productifs d’Europe. Et en plus, ils travaillent plus que leurs voisins. Ainsi, les Français travaillent 2h30 de plus que les Allemands par semaine. Malgré cela le temps de travail en France continue d’augmenter. On est très loin du mythe des Français feignants et des Allemands travailleurs acharnés. En fait, ces derniers se la coulent douce et profitent des commandes françaises.
Il faut ensuite examiner dans quelles conditions travaillent les Français. Les horaires atypiques sont nombreux. Ainsi, un salarié sur trois est coutumier du travail le dimanche. Un sur cinq est amené à travailler la nuit. La pénibilité se matérialise sous des formes très variées. Elle est subie en premier lieu par les ouvriers et les employés. Par exemple, les deux tiers des employés travaillent debout. Et ils vont et viennent au boulot. Ainsi, chaque jour, une infirmière fait en moyenne 10 kilomètres sur son lieu de travail. Ce n’est pas tout. Les deux tiers des ouvriers portent des charges lourdes. Autant respirent des fumées et des poussières. Enfin, la moitié d’entre eux manipulent ou sont exposés à des produits toxiques. Au total, 4 ouvriers sur 10 doivent être attentifs en permanence pour cause de danger quand ils sont au travail . Au risque sinon, d’être victimes d’un accident. Mais comment l’être quand les cadences sont infernales et le temps de travail toujours plus long ?
Au bout du compte, ces conditions de travail dégradées ont des conséquences très concrètes. Psychiques d’abord. Ainsi, le taux de burn-out a doublé en un an. Le burn-out n’est pas à prendre à la légère car ce sont des gens arrivés à la limite d’eux-mêmes. De fait, le nombre de gens incapables de travailler ou de fournir un travail de qualité croît. Au total, près de la moitié des salariés sont en détresse psychologique. Ainsi dans la police aujourd’hui, il y a davantage de morts par suicide que par n’importe quoi d’autres.
Quand ce n’est pas la tête, c’est le corps qui s’use. La détresse physique, alors n’épargne guère non plus. Ainsi, 50 000 maladies professionnelles ont été reconnues en 2019. Près de 90% d’entre elles sont des « troubles musculo-squelettiques ». C’est-à-dire des douleurs aux articulations, des maux de dos ou des gestes trop répétés devenus impossibles. Tout cela rend le quotidien insupportable.
Pour finir, les cancers d’origine professionnelle se multiplient également. Les cancers liées à une exposition à l’amiante représente 90% des cancers professionnels reconnus. Mais d’autres secteurs sont également concernés. Ainsi, 6 cancers ou maladies liés à l’exposition aux pesticides touchent davantage les agriculteurs : leucémie, cancer de la prostate ou encore maladie de Parkinson. 365 000 travailleurs de la construction et du bâtiment sont exposés à un risque élevé de développer des cancers du poumon et de silicose. 160 000 sous-traitants du nucléaire ne bénéficient pas des mêmes conditions de sécurité que les agents EDF. Ils sont pourtant exposés à de dangereuses radiations. Celles-ci participent du développement de cancers de la thyroïde. Mais la reconnaissance de l’origine professionnelle de ces maladies est un parcours du combattant. Ainsi, plusieurs centaines de substances à l’origine de cancers sont identifiées par le Centre international de recherche sur le cancer. Mais, en France, les tableaux de maladies professionnelles listent seulement 22 substances pouvant être liées à des cancers.
L’hypocrisie est à son comble avec ce gouvernement. Il tue avec le sourire et les mines de la modernité. À peine élu, Emmanuel Macron a dissous par ordonnance les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Il a également supprimé le compte pénibilité pour le transformer en compte de prévention. Ce petit tour de passe-passe a permis de réduire le nombre de facteurs de risque reconnus de 10 à 6. Evidemment, 4 facteurs très importants ont été rayés de la liste : manutentions de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et exposition aux agents chimiques dangereux. Cela concernait notamment les 1,2 millions de travailleurs du bâtiment et de la construction. Je le redis, 176 d’entre eux sont morts sur les chantiers en 2019. Merci qui ?
Auparavant, l’exposition à ces facteurs permettait un départ à la retraite anticipé et la reconnaissance facilitée de maladies professionnelles. Ce n’était pas génial mais du moins ça soulageait plus tôt. Mais Emmanuel Macron n’aime pas le mot « pénibilité ». Car « ça donne le sentiment que le travail serait pénible ». Pourtant, 70% des ouvriers subissent au moins un facteur de pénibilité dans leur métier. Pour ne plus la voir, il a donc fait disparaître les preuves de celle-ci. Mais loin des coups de baguette magique du gouvernement, le travail continue de tuer et de broyer. Or, nous avons besoin de toutes les forces disponibles pour reconstruire le pays et relever le défi écologique. L’amélioration constante des conditions de travail est donc une tâche d’intérêt collectif en plus d’être un devoir de société civilisée.
Député insoumise de l’Ariège, Bénédicte Taurine participait à une action organisée par la confédération paysanne à pôle emploi. En l’apprenant, le cabinet du préfet de police Lallement pris directement en main la conduite des opérations sur le terrain. Un « policier » se senti autorisé à (obligé de ?) brutaliser plus spécialement la députée insoumise en la jetant à terre. Puis d’autres la frappèrent. Impossible pour eux de ne pas avoir su de qui il s’agissait. Au demeurant, elle était ceinte de son écharpe tricolore. C’est un signal parfaitement connu et reconnu. D’ailleurs les commissaires de police en ont l’usage comme les parlementaires et les élus locaux. Le procédé barbare consistant à frapper une député femme pour la jeter à terre ne sera pas davantage enquêté ni suivi d’aucune sanction, si minime soit-elle, comme l’ont été auparavant les 32 éborgnements provoqués par des tirs tendus de grenades policières.
L’impunité de l’antiparlementarisme actif des milieux policiers vient de haut. Interrogé par Eric Coquerel, le garde des Sceaux Dupont-Moretti lui a répondu que les députés n’avaient « aucun droit d’entraver une action de police ». On reconnaît le bravache à ses peurs. Dupont-Moretti craint les organisations policières. Il a d’ailleurs été contraint d’introduire en dernière minute dans sa prétendue loi pour établir la confiance dans la Justice des dispositions directement tirées du catalogue de revendications anti-justice de ces organisations. Il a craqué. Il est vrai que la manifestation des factieux devant l’Assemblée venue là parce qu’il présentait sa loi sur la Justice était glaçante, comme a dit madame Pulvar. Au point de lui faire oublier un point de droit très banal : dans la hiérarchie des normes, un policier n’a aucun droit d’entraver l’action d’un parlementaire. Mais Dupont Moretti fait-il encore du droit ? En a-t-il jamais fait ? Il faut lire l’appréciation qu’en a donné son collègue François Saint-Pierre, avocat depuis 1985, dans une interview au journal Marianne.
Marianne : Quel regard portez-vous sur Éric Dupond-Moretti ?
François Saint-Pierre : (…) En choisissant Éric Dupond-Moretti garde des Sceaux, Emmanuel Macron a fait un choix dangereux et purement politique. Il parie sur le fait que la figure de « beauf » de Dupond séduira les électeurs de Marine Le Pen… Mais le poste de ministre de la Justice est un poste à très haute responsabilité ! Il est le garant de l’indépendance de la Justice, il est celui qui promeut l’institution judiciaire et c’est lui qui défend les droits fondamentaux. Emmanuel Macron aurait dû se poser la question : Éric Dupond-Moretti en est-il capable ? À mon sens, il ne coche aucune des cases pour remplir ces missions…
Quelles « cases » ?
D’abord, il ne coche pas la case « compétence ». Tous les avocats comme moi qui l’ont fréquenté de près le savent bien. Dupond est un bon plaideur d’assises, mais il n’a tout simplement pas le niveau en droit. Il n’y connaît rien en droit public, rien en droit civil… Et finalement pas grand-chose en droit pénal. Il ne coche pas non plus la case « comportement ». Le sien est totalement inapproprié. À mes yeux, sa grossièreté est incompatible avec sa fonction.
Avez-vous un contentieux avec lui ?
Non. Pas plus que d’autres. Quand il était avocat, il faisait ce qu’il voulait, se comportait comme il voulait, cela ne me gênait pas, le métier d’avocat est un métier de liberté. Mais ministre, un tel personnage est impossible. La dernière fois que je me suis retrouvé dans un prétoire avec lui, je défendais des policiers et lui d’autres policiers au procès les opposant à Jean-Luc Mélenchon à la suite de la perquisition mouvementée au siège de la France Insoumise. À la barre, Mélenchon s’est défendu avec vigueur et fermeté. Dupond, lui, s’est emporté. Ses propos m’ont choqué : « mes couilles », « tête de nœud », « pauvre con », disait-il en s’adressant à Mélenchon. À mon sens, un avocat qui se comporte de cette façon ne peut pas devenir ministre de la Justice. C’est aussi simple que cela.
Une erreur de casting…
Oui, le jour de sa nomination, j’ai tout de suite pensé à l’erreur de casting. Je me suis tout de suite dit, le connaissant, c’est une aberration. Dans un premier temps, il a essayé de lisser un peu son image, de faire attention, mais le naturel a très vite repris le dessus. Il est capable de gros dérapages. Au Parlement, rares sont ceux qui osent s’y frotter. Ceux qui s’y sont risqués, comme Laurence Rossignol ou Ugo Bernalicis, ont écopé en retour de propos d’une grossièreté inacceptable. (…) Au fil des années, il a fini par se croire tout permis. Cela a façonné son personnage.
Comment jugez-vous son action de garde des Sceaux ?
Une succession d’échecs. Depuis qu’il a été nommé, tous ses textes ont été recalés. Le Conseil constitutionnel a annulé ses bracelets électroniques pour les terroristes libérés, puis le conseil d’État a rejeté ses propositions de visioconférence pour le procès Charlie Hebdo. Il a aussi touché à la grande loi de 1881 sur la liberté de la presse en voulant faire passer en comparution immédiate les auteurs de propos racistes et homophobes. Si en matière de délits de presse, la loi de 1881 prévoit que ces délits ne doivent pas être jugés en comparution immédiate, c’est qu’il y a de bonnes raisons à cela ! Ce gouvernement porte gravement atteinte aux libertés individuelles. Dupond, reniant tout ce qu’il a toujours dit qu’il était, s’est parfaitement aligné dans l’axe de Darmanin et Lallement… À eux trois, ils font trois bonnes raisons de ne plus voter Macron (…)
La violence contre Bénédicte Taurine est emblématique de l’anti-parlementarisme qui règne désormais dans un large pan de l’opinion policière conditionnées par l’idéologie d’extrême droite. Celle-ci est littéralement droguées aux faits divers à répétition et à la haine instillée par les organisations et les médias qui se font les relais des thèses de l’extrême droite. Les mentalités s’en ressentent au point qu’un geste comme celui de cet homme en uniforme ne semble pas lui avoir coûté la moindre hésitation. Frapper une femme n’est pas un acte banal pour un homme, en général, compte tenu de l’éducation que les femmes (et leurs hommes, y compris d’un point de vue viriliste) donnent à leurs fils en règle très générale. C’est d’ailleurs pourquoi le féminicide est ressenti comme si odieux en plus des dégoûts que le crime suscite en général. Tous les hommes sont donc normalement équipés d’un surmoi qui leur interdit de s’abandonner aux violences qu’ils commettraient pourtant très facilement sur d’autres hommes.
Mais la situation se perturbe quand une femme est investie d’une autorité publique. Dans ce cas certains esprit masculins, frustres et grossiers, se sentent provoqués. Imbus comme un Zemmour de l’idée que les femmes n’ont pas les capacités intellectuelles d’accomplir de telles missions ils se laissent aller à leur violence spontanée. Benedicte Taurine a été confrontée au cerveau reptilien de quelqu’un qui de ce fait ne mérite pas de rester dans la police sauf avec un très sérieux travail psychologique. On devine qu’un tel travail n’aura jamais lieu. Au contraire, toute la hiérarchie et les organisations policières vont s’arc-bouter pour légitimer la violence policière et même incriminer la victime selon un scénario désormais routinier.
D’ailleurs dès les faits connus, le préfet Lallement a aussitôt inventé je ne sais quel policier blessé dans cette affaire. Une diversion qui avait déjà servi contre une infirmière qu’un autre nervi en uniforme avait trainé par les cheveux. Puis il a péroré sur le fait que nul n’avait le droit de s’opposer à une action de police, reprenant la mauvaise sottise du garde des Sceaux. Tout cela avant d’être finalement obligé de saisir l’IGPN pour évaluer les violences constatées. Notons qu’elles le sont grâce à ces images vidéos que la macronie avait tenté d’interdire. On peut être assuré que l’IGFPN fera son boulot habituel : passer l’éponge et accabler la victime. Ainsi avait-il été fait à l’occasion des perquisitions au siège des Insoumis où toutes les violences physiques des policiers avaient été blanchies. Puis leurs auteurs, accablés par des « cauchemars » (sic) expertisés par des psychologues, et accablés par nos cris avaient obtenu d’importantes indemnités. Il va de soi que si je suis bien désolé d’avoir infligé ces terribles souffrances psychiques à ces policiers, je reste définitivement convaincu que l’IGPN (des policiers évaluant des policiers) est une mauvaise blague de république bananière. Ce machin inepte doit être dissous et remplacé par une instance ou les psychologues, les déontologues, les sociologues seront plus nombreux que les policiers. Et cela en même temps que le code de déontologie de 1986 sera rétabli. Et bien sûr, la formation des policiers sera portée à deux ans avec une remise à niveau obligatoire pour tous ceux qui ont été recruté au-dessous de la moyenne au concours d’entrée.
Ce 12 juin aura lieu une démonstration des amis de la liberté en lutte contre les lois indignes de la macronie et les offensives factieuses des organisations policières. Chacun en devine l’importance, je crois bien. C’est pourquoi je crois utile de raconter d’où vient cette initiative après que le PS et le PCF aient si longtemps refusé de s’y joindre. Leurs raisons continuent d’être pour nous un mystère. Voyons la genèse de cette démarche.
Début mars, les groupes parlementaires LFI à l’Assemblée et au Parlement européen proposent par ma voix une réunion à tous les partis de gauche pour réagir ensemble aux attaques haineuses et absurdes de Mme Vidal sur l’islamo-gauchisme. Une première réunion se déroule le 7 mars à notre siège. Un premier appel daté du 13 mars sort, signé des formations de gauche et écologistes (dont LFI, Générations, NPA, GDS, UCL, POI ) proposant aux organisations syndicales, associatives, collectifs d’organiser une mobilisation sur le thème des libertés. Le PS, PC, EELV refusent de signer.
Le 7 avril, suite aux attaques contre l’UNEF puis contre Audrey Pulvar à propos des « groupes de parole » de personnes discriminés, les organisations signataires du premier appel relancent le processus qu’elles avaient engagé. Elles s’adressent de nouveau à toute la gauche. Les mêmes organisations, PS, PCF, EELV refusent de s’y joindre.
Le 15 avril, Thomas Portes (porte-parole de Génération.s), après le nouvel épisode constitué par l’appel des militaires dans Valeurs actuelles et les attaques sur des mosquées, propose à Eric Coquerel, député insoumis de Seine-Saint-Denis et responsable des relations unitaires de LFI de reprendre ce travail. Il s’agit de mettre au point un appel de personnalités en vue d’une marche pour les libertés et contre les idées d’extrême-droite. En partant de personnalités, et non plus d’organisations, l’idée est de faciliter l’adhésion. Il s’agit de rendre plus simple la constitution d’un front politique, syndical, associatif avec ces personnalités de la société civile. Le texte, très largement signé parait en Tribune dans Libération. Il contient les signatures des responsables politiques de LFI, Générations, NPA, des élus de EELV et du PCF, des responsables d’organisations syndicales et associatives ( CGT spectacle, CGT Snj, Sud rail, sud poste, unef) des artistes, des intellectuels, des journalistes. Ce document est un évènement. car c’est le premier appel de ce type depuis tellement longtemps.
Les numéros un des organisations syndicales et associatives composantes du collectif « Plus jamais ça », dont la CGT, Solidaires, Attac, la Ldh n’ont pas signé d’abord. Mais devant l’ampleur de l’arc des signatures, ils proposent de rencontrer ses initiateurs. La réunion se déroule le 7 mai. L’appel est représenté par Eric Coquerel, Thomas Porte, Claire Lejeune (EELV), Taha Bouhafs. Après deux réunions est décidée une journée nationale de manifestations le 12 juin. Elles seront co-organisées par la délégation des personnalités et des organisations qui signent le communiqué
Le 19 mai, jour de la manifestation factieuse des policiers sort le communiqué. Il est signé par plus de 70 organisations et les signataires de l’appel. C’est le premier appel mêlant syndicats, associations, collectifs et organisation politiques depuis très longtemps. Les syndicats de salariés, étudiants, enseignants, magistrats, avocats sont les plus en pointe dans les mobilisations. Côté associations on retrouve celles mobilisées contre le racisme, les violences policières, pour le climat, l’altermondialisme, les droits de l’homme, les luttes féministes, les solidarités internationalistes.
Côté politique, s’ajoutent aux partis des premiers appels du mois de mars (LFI, Generations, NPA…) les nouveaux démocrates de Aurélien Taché et Emilie Carriou, Place Publique, mais aussi les organisations jeunes des écologistes. Puis, au final EELV. Les personnalités de la gauche de EELV (Rousseau, Benbassa, Piolle, Claire Lejeune) avaient devancé leur parti en signant l’appel. Comme Stéphane Peu et Elsa Faucillon) pour le PCF. Mais ni le PCF ni le PS ne signaient malgré des relances. Au contraire, les déclarations malveillantes n’ont pas manqué. Mais le tollé à la suite de leur participation à la manifestation policière a réglé le problème en quelques heures. Sans condition, l’un et l’autre parti ont signé.
Telle est la portée singulière de cet appel à manifester. Il est la réplique à l’ambiance pourrie que l’extrême droite a réussi à imposer au pays sous la bienveillante incitation de la macronie gouvernementale et médiatique. Il est temps que la perche ainsi tendue soit saisie par tous ceux qui ont compris la nature du moment que nous vivons. Comme le 19 mai est un évènement historique pour l’audace factieuse d’extrême droite en France, il faut que le 12 juin soit le premier jour où tous les nôtres se ressaisissent.