Quand ça s’est su que Valls et Hollande appelaient à voter contre l’Insoumise Danielle Simonnet, des équipes de porte-à-porte insoumis et de téléphone ont vu doubler ou tripler le nombre de leurs participants. Sur le terrain, tout semblait électrique. Cette élection législative partielle à Paris aura été un incroyable révélateur de l’état de la gauche traditionnelle, de ses pesanteurs et de ses tensions internes face aux Insoumis et à ce qu’ils représentent dans notre peuple.
Quand je suis allé sur place, puis quand j’ai regardé faire mes collègues députés du groupe Insoumis, j’ai ressenti cette nouveauté radicale : la pérennité du courant d’opinion « insoumis » est une réalité ancrée dans les affects populaires. Les noms des députés, des fois leur seul visage, sont largement connus, les encouragements ont les mêmes mots : « merci », « tenez bon », « ne lâchez rien ». De plus, la conquête de haute lutte de cette présence au deuxième tour de la législative a galvanisé les équipes militantes que Danielle Simonnet a patiemment constituées. Au fil des mois, envers et contre toutes les difficultés du confinement, déconfinement, élection suspendue puis rétablie, ces groupes de filles et garçons se sont constitués comme des commandos de choc débordant d’énergie et de fraternité. Des talents se sont affirmés, des savoir-faire accumulés. Tout utile pour la suite.
L’enjeu politique est bien connu. Entre la candidate du PS et Simonnet au deuxième tour se joue le choix du rapport à la Macronie. Opposition ou girouette ? Le PS est un parti instable et ambigu face à la politique de Macron. Et cela depuis le début du quinquennat. Comment oublier ce 9 mai 2017 quand Olivier Faure déclarait à BFM : « nous voulons la réussite de Macron. Nous souhaitons participer à cette majorité. » ? De fait, au gouvernement depuis le remaniement ministériel de juillet 2020, huit ministres ont été, avant 2017, élus ou ont fait campagne avec l’étiquette PS dont Olivier Dussopt, Florence Parly, Marlène Schiappa, Gabriel Attal, Jean-Yves Le Drian et Olivier Véran. Je cite Dussopt en premier parce que le personnage est sans doute le plus caricatural en opportunisme : en six jours, Dussopt est passé du vote contre le budget 2018 de Macron en tant que député PS avant de devoir le défendre au Sénat en tant que secrétaire d’État chargé de la Fonction publique.
Ces cas lamentables ne sont pas des situations hors sol au PS. Au contraire, ils se contentent d’aller au bout d’une ambiguïté permanente spectaculairement exprimée dans les circonstances graves ou importantes. Ainsi en juillet 2017, à l’occasion du premier vote de confiance à Edouard Philippe, il y aura eu 23 abstentions et même 3 votes pour et seulement 5 deputés PS pour voter contre ! Et de même, à chacune des déclarations générale du Premier ministre macroniste, le PS n’a pas été un parti d’opposition mais plutôt un soutien à Macron. Ainsi, le 27 avril 2020 dans le vote sur la Déclaration du gouvernement sur la crise sanitaire, s’il y a bien eu 20 votes contre il y a quand même eu 10 abstentions soulignant l’incohérence du groupe sur ce rapport essentiel de positionnement dans ou contre la majorité. D’ailleurs, dès le 29 octobre 2020 la situation s’inversait à l’occasion d’une nouvelle déclaration du gouvernement sur la situation sanitaire. La quasi-unanimité du groupe a voté avec le gouvernement : 29 votes pour sous le label ridicule un « oui de colère », et encore une abstention. Pas un vote contre !
Le pire s’est vu chaque fois qu’il a été question de sécurité et de police. Ainsi, en octobre 2017, à l’heure du vote sur la « loi Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme » transposant dans le droit commun les dispositions de l’état d’urgence, tout le groupe PS a voté pour (24) sauf 5 députés qui se sont abstenus. En février 2021, la débandade sécuritaire se confirme à l’occasion de la loi Séparatisme contre les musulmans : un seul vote contre et 28 abstentions ! Pour les votes sur les questions écologiques, ce n’est pas mieux. Je me limite à l’exemple de la loi sur les néonicotinoïdes où 2 députés socialistes trouvent encore le moyen de voter avec le gouvernement. La racine de toutes ces capitulations ou hésitations est dans le fait que le groupe PS à l’Assemblée n’a pas rompu avec la période précédente où il était majoritaire sous Hollande et où Olivier Faure était le président entre décembre 2016 et avril 2018. À l’époque, en décembre 2016, Valls Premier ministre, au moment prorogation de l’état d’urgence, Faure fait voter le groupe PS pour par 119 voix et 8 seulement s’y opposent ! En février 2017, quelques semaines avant la fin du mandat Hollande, Bernard Cazeneuve fait encore voter un projet de loi de sécurité publique qui assouplit les règles de légitime défense pour les policiers et durcit les peines pour outrage aux forces de l’ordre. Il n’y a qu’une abstention et 25 voix pour.
Tous ces votes du passé pèsent sur le présent. Comment ne pas penser qu’ils pèseront aussi sur le futur au cours de cette dernière année de Macron. Car sur l’essentiel des thèmes du programme politique plébiscité par le peuple, la vieille gauche reste contre comme avant. Ainsi quand 9 Français sur 10 sont pour l’augmentation du SMIC, on doit se rappeler : quand ils gouvernaient, les socialistes ne l’ont augmenté que de 0,6%. Et quand 9 Français sur 10 sont pour un grand plan de réinvestissement dans les services publics, on sait comment les socialistes ont fermé 1 école par jour et supprimé 25 000 lits d’hôpitaux. Quand 9 Français sur 10 sont pour le pôle public du médicament, on doit se souvenir comment les sénateurs socialistes se sont abstenus sur une proposition de loi communiste sur le sujet. Et quand 7 Français sur 10 sont pour la retraite à 60 ans ? Le contre-projet du PS de janvier 2020 maintenait l’âge légal à 62 ans alors que le gouvernement PS avait déjà rallongé a 43 annuités les durées de cotisations pour une retraite à taux plein. Je finis avec cette dernière statistique sondagière. Quand 7 Français sur 10 sont pour la sortie du nucléaire, le projet écologie du PS prévoit la prolongation des centrales et juge le nucléaire « indispensable au moins jusqu’en 2050 ».
Tout cela est aussi l’arrière plan du vote de dimanche dans la 15ème circonscription de Paris et permet de comprendre ce que Valls et Hollande viennnet faire dans cette campagne. Il s’agit d’avoir sous la main un groupe PS capable de composer avec Macron le moment venu. Et alors Simonnet est le grain de sable qui a enrayé la belle machine à mentir.
Au Mali, il y a 5 000 militaires français engagés. Nous y avons perdu déjà 50 soldats. Des centaines de civils Maliens y sont morts dans les combats ou comme victimes des actions de guerre en marge des opérations militaires. Aucun responsable politique français ne peut se désintéresser de ce qui se passe dans ce pays. Un seul et unique vote de l’Assemblée nationale depuis sept ans ! Depuis des mois nous, les députés Insoumis, nous réclamons que notre pays dise clairement à quelles conditions politiques les militaires français quitteront le Mali. Nous mettons en cause l’impasse politique dans laquelle nous nous trouvons si ce plan n’est pas connu. Sinon, le risque de guerre sans fin nous menace. Et depuis le début nous disons qu’il ne peut être question de partir sans que ce plan soit connu. Le départ dépend de cela. Hier, soudain, le gouvernement français a annoncé la suspension de la coopération militaire bilatérale de la France avec le Mali. Et cela « à titre conservatoire et temporaire ». Cette décision entraîne l’arrêt automatique des opérations de la force Barkhane avec l’armée malienne.
Elle est étrange, irresponsable face à l’ennemi, et inapplicable en réalité. Que se passe-t-il ? Cette décision est prise par Macron après une déclarations le 30 mai affirmant que les Français se retireraient du Mali si la « légitimité démocratique » du pays n’était pas rétablie. Il condamnait ainsi le nouveau coup d’État qui vient d’avoir lieu le 24 mai. En effet, une nouvelle fois des militaires mécontents ont démis de leurs fonctions un président et un Premier ministre eux-mêmes mis en place par des militaires putschistes. Désormais, le colonel Assimi Goïta a annoncé qu’il s’investirait lui-même président de transition le 7 juin. Et comme il a laissé planer le doute sur la tenue des élections initialement prévues en février 2022, tout le monde a compris qu’il n’y en aurait plus.
Une fois de plus la macronie est prise de court, incapable de prévoir un évènement pourtant préparé de longue main semble-t-il. Aucune alerte ne semble avoir été déclenchée après que Macron ait lui-même personnellement adoubé au Tchad (et en se rendant sur place pour le faire), un autre putschiste, un général fils du maréchal-président tué, Idriss Deby. Personne ne semble avoir prévenu le président français qu’il avait ainsi envoyé un signal singulièrement encourageant pour tous les aventuriers de la région. Personne ne semble s’être soucié de savoir qui était en train de se préparer.
Au Mali, ce nouveau putsch est la suite logique de la séquence ouverte le 18 août 2020, par un coup d’État déjà. Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, au pouvoir depuis 2013 avait été mis en place par le gouvernement français. L’oligarchie corrompue qui entourait IBK détournait aussi les moyens de la lutte contre les groupes armées qui semaient le chaos dans toute la moitié nord du pays. Unanimement rejeté, IBK ne tenait que par le soutien du gouvernement français totalement aveuglé jusqu’à la dernière minute. Des militaires maliens ont alors fait un putsch aux acclamations générales. En réalité les militaires n’avaient fait que détourner à leur profit l’immense insurrection citoyenne portée par une coalition des forces politiques et de la société civile, le M5-RFP. Grâce à des semaines de mobilisation de tout le peuple malien, le M5-RFP était venu à bout de la légitimité d’IBK.
Pris de vitesse, dépassé, le gouvernement français avait alors négocié avec les militaires la nomination des deux dirigeants civils qui viennent d’être à nouveau renversés. Divisé sur la marche à suivre vis-à-vis du nouveau régime de transition, et exclu sur injonction de la France du nouveau gouvernement, le M5-RFP a été affaibli. Mais la mobilisation historique qu’il a initiée en 2020 restera une référence. Et c’est alors un point d’appui majeur pour les mobilisations citoyennes qui rejailliront forcément à court ou moyen terme compte tenu de la situation du pays. Le peuple malien n’est pas une masse amorphe qui passe d’une main à l’autre sans réaction. Car la question du manque de « légitimité démocratique » des autorités maliennes n’est pas nouvelle. Elle a été posée en premier lieu par le seul acteur légitime de cette histoire : le peuple malien lui-même. Ce dernier ne semble pas rentrer dans les équations du gouvernement français. Le constat de la décomposition d’un État malien dont l’incapacité à remplir ses fonctions de base est une des causes majeures de l’insécurité dans le pays, est encore plus ancien.
La décision de Macron de suspendre la coopération militaire, une nouvelle fois prise sans aucune concertation avec la représentation nationale. Elle sent fort l’improvisation et la précipitation, après des années de déni et d’immobilisme des autorités françaises sur la situation réelle du Mali et l’enlisement politique au Sahel. Dès l’entrée en guerre de la France au Mali en janvier 2013 j’avais alerté sur l’absence de stratégie et sur l’irresponsabilité de placer notre armée face à une équation qui paraissait impossible à résoudre. Toutes les « guerres au terrorisme » menées depuis 20 ans, notamment par les États-Unis, ont été des échecs cinglants qui n’ont fait que décupler la menace qu’elles prétendaient éradiquer. La lutte contre les organisations terroristes est avant tout une affaire de renseignement, de police, de justice, de développement économique, de lutte contre la crise écologique, de justice sociale etc. La dimension militaire ne peut y représenter qu’une partie d’un tout cohérent sur le plan stratégique. Et elle doit être l’affaire des armées locales, avec l’aide de l’ONU.
C’est pourquoi ces dernières années j’ai avec mes collègues Insoumis rappelé à de nombreuses reprises la nécessité d’établir, en lien avec les autorités maliennes, un calendrier politique de retrait de l’armée française. En vain. Ainsi fonctionne notre monarchie républicaine, où l’engagement, le maintien, le retrait de notre armée de théâtres de guerre sont décidés par un homme seul.
L’engagement de notre pays au Mali ayant été décidé de manière irréfléchie, je plaide depuis des années pour son retrait. Mais celui-ci ne peut être improvisé. Un retrait immédiat, sans plan, sans calendrier, sans objectifs clairs, pourrait plonger des zones entières du Mali dans l’anarchie ou sous la coupe des djihadistes. Ce retrait doit être organisé sur une période permettant notamment la montée en puissance de la souveraineté populaire des Maliens et celle de l’ONU et des armées locales. Et il ne peut se faire sans tenir compte des aspirations démocratiques du peuple malien. La question de la « légitimité démocratique », au Mali ou ailleurs, n’est pas un gadget à géométrie variable que le président de la France peut brandir ou mettre sous le boisseau au gré des circonstances. Et l’organisation d’élections libres et contrôlées sont la seule issue acceptable aux impasses politiques.
Depuis plus d’un an, tous les insoumis font campagne pour la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid. L’épidémie de coronavirus révèle l’unité de l’Humanité. L’exposition au virus de populations dans quelque point de la surface du globe menace l’ensemble des êtres humains. D’où le fait que l’ère des pandémies comme celle du changement climatique est propice à la prise de conscience de l’existence d’un « peuple humain ». Dans ce contexte, le camp mondial que nous représentons en France pousse pour adopter des solutions collectivistes pour nous sortir de cette situation.
Le vaccin contre la Covid 19 a toutes les raisons d’être mis en liberté d’accès, de production et de diffusion. c’est-à-dire en « licence libre ». C’est la seule méthode efficace pour vacciner en masse et librement, les riches comme les pauvres, les pays du nord comme les pays du sud. Ensuite, le vaccin est un produit global de l’intelligence et du travail humain. Il n’aurait jamais pu être découvert sans le travail de recherche mené par des scientifiques du monde entier depuis janvier 2020 et dont les résultats ont systématiquement été mis en accès libre. Ensuite, les laboratoires privés n’auraient pu le développer sans les subventions qu’ils ont reçues des États.
À nos yeux, les brevets sur les vaccins et les traitements sont des manières pour les entreprises du big pharma d’imposer un tribut au peuple en échange de leur santé. C’est pourquoi la question du vaccin libre était tellement importante pour nous. Les Insoumis ont participé à plusieurs actions au cours de ces derniers mois pour faire avancer cette cause. J’ai commencé à demander des vaccins libres et gratuits dès le mois d’avril 2020. Ainsi, je le proposais en ces termes exacts lors d’un meeting numérique : « La France doit faire une proposition solennelle à toute l’Humanité. Il faut dire que nous sommes partisans du fait que le vaccin contre le coronavirus soit universel, gratuit, distribué à tous sans aucun profit. » C’était le 17 avril. Je recommençais quelques semaines plus tard. Le 14 mai, invité chez RTL, j’ai mis sur la table une méthode simple pour lever les brevets sur les vaccins : émettre une licence d’office. Puis les insoumis ont intégré cette question à la proposition de loi pour un pôle public du médicament, défendue en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 27 mai 2020.
Nous nous sommes aussi inscrits dans un combat international. Le 20 février 2021, l’ancien président du Brésil Lula et moi-même avons été à l’initiative d’une tribune internationale pour suspendre les brevets. Nous l’avons signée avec une soixantaine de personnalités du monde entier dont l’ancien président équatorien Rafael Correa, l’ancien ministre des Finances allemand Oskar Lafontaine, des syndicalistes et responsables d’ONG d’Asie et d’Afrique. Ce texte a circulé et a servi de point d’appui pour la mobilisation des nôtres dans certaines parties du monde. Ainsi, le 23 avril dernier, le Parlement andin a fait sienne notre déclaration, en ma présence, à La Paz, en Bolivie.
Parallèlement à nos propres prises de positions, une demande officielle existait dans les institutions internationales. Il s’agit de l’Inde et de l’Afrique du Sud. Depuis le 2 octobre 2020, ces deux pays ont déposé auprès de l’organisation mondiale du commerce une motion afin de suspendre les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins, traitements et matériel médical utiles dans la lutte contre le Covid. Au fil des mois, de plus en plus de pays ont rejoint cette position. Il se sont heurtés au refus de l’Union européenne et de Macron à deux reprises.
Au niveau européen, les députés insoumis ont été très actifs. Ils ont dénoncé la connivence insupportable entre les dirigeants de l’Union et les laboratoires privés. Ils ont agi sans relâche pour faire avancer l’idée de la levée des brevets. D’abord comme parties prenantes de l’initiative citoyenne européenne « pas de profits sur la pandémie », portée par des médecins de plusieurs États européens, des partis politiques, des syndicats et des associations. Le 28 avril dernier, notre groupe de députés européens a déposé un amendement pour la licence libre. Les députés de droite, les macronistes et même les socialistes l’avaient rejeté.
Mais Joe Biden a changé la donne. En effet, le Président des États-Unis s’est déclaré le 5 mai en faveur de la proposition de suspension des brevets. Jusqu’ici, son pays faisait blocage avec l’Union européenne, occupant son rôle classique de protecteur des profits des multinationales. Il a changé de position. Macron, qui racontait encore la veille le contraire, s’est immédiatement aligné. Il avait pourtant beaucoup bataillé contre cette idée. Par exemple le 19 février 2021 lors d’une interview au Financial Times : « je pense que ce n’est pas le bon débat, que ce n’est un débat utile ». Ou encore devant l’Organisation mondiale de la santé le 23 avril : « Nous entendons beaucoup parler en effet de transfert ou d’absence de propriété intellectuelle. Le sujet, nous le savons aujourd’hui, n’est pas celui-là. »
Victoire ! Le 19 mai, le Parlement européen a voté une résolution reprenant les positions que les insoumis y ont défendu pendant des semaines. Notons que les députés macronistes dans leur grande majorité n’ont fait que s’abstenir mollement. C’est un début. Mais leur retournement, ainsi que celui de Biden, ne s’est pas produit pas magie. C’est le résultat de cette campagne mondiale menée pendant des mois. Elle a maintenu une pression constante, fait connaitre auprès du grand nombre les enjeux et finalement eu raison des gouvernements les plus récalcitrants. La levée des brevets doit encore être décidée. Nul doute que le lobby pharmaceutique et ses gouvernements alliés feront tout pour la retarder. Pour nous c’est une double victoire. D’abord concrète puisqu’elle va permettre à des centaines de millions de personnes d’accéder au vaccin. Ensuite culturelle : même Joe Biden a été obligé d’admettre que les règles du capitalisme sont inefficaces pour régler la pandémie.
Le transport est un secteur clé de la bifurcation écologique. En effet, c’est le secteur le plus polluant. D’une façon ou d’une autre nous avons besoin d’une révolution du transport individuel et du transport de marchandises. La mobilité individuelle en véhicule automobile est une option qu’on devra repenser de fond en comble. Leur forme, leur usage en intelligence artificielle et en autopilotage sont un enjeu du futur immédiat. Quant au transport des marchandises, nous savons qu’il faut un mix de moyens : canaux, dirigeables, et bien sûr surtout le fret ferroviaire. Voilà le cœur de notre conviction sur le sujet : le train a tous les avantages. Sur le plan écologique, un trajet en train pollue 100 fois moins que le même trajet en avion, et jusqu’à 40 fois moins qu’en voiture. C’est aussi valable pour le transport de marchandises. Ainsi, la tonne de marchandise transportée par fret ferroviaire émet 9 fois moins de CO2 que par transport routier. C’est aussi un atout sur le plan social. En effet, le réseau ferré permet une desserte fine de l’ensemble du pays. Il crée par ailleurs de nombreux emplois qui ne sont pas délocalisables. En effet, il est impossible d’entretenir les rails ou de conduire des trains depuis une start-up à l’autre bout du monde
Il faut donc miser sur le ferroviaire pour réduire le plus rapidement et le plus massivement les émissions de gaz à effet de serre. Je veux ici parler de deux usines essentielles à cette tâche. En effet, les usines France Rail Industry d’Hayange (Moselle) et Ascoval de Saint-Saulve (Nord) sont les principaux fournisseurs de rails de la SNCF. Leur destin est lié depuis leur rachat par le groupe britannique Liberty Steel, filiale du groupe GFG Alliance. C’était en juillet 2020. Or, la société Grénille, principal financeur de GFG Alliance, a fait faillite il y a deux mois. Moins d’un an après leur rachat, elles sont donc de nouveau en vente.
Or, le développement du ferroviaire passe par la rénovation des lignes et la mise en service de nouveaux tronçons. La tâche est d’ampleur. Nous avons perdu la moitié de nos lignes depuis 1950 et le fret ferroviaire ne représente plus que 9 % du transport de marchandises contre 89 % pour la route. De plus, le réseau est vétuste. Les voies ont en moyenne 30 ans, les caténaires 40, les appareils de voies 29 et les appareils de signalisation 26.
Il y a donc urgence à faire revenir Ascoval et France Rail Industry dans le giron français. Pour l’heure, trois repreneurs étrangers sont sur les rangs. Fin mars, Bruno Le Maire déclarait : « les salariés d’Hayange, d’Ascoval, de Dunkerque doivent savoir que l’État sera derrière eux ». C’est-à-dire que « s’il y a des difficultés financières, l’État saura faire le pont, trouver des solutions alternatives, mais je ne laisserai pas tomber des salariés que j’ai soutenu depuis 2017 ». Mais l’outil industriel continue d’être balloté d’un investisseur à un autre sans qu’Emmanuel Macron ne bouge le petit doigt.
Ces deux entreprises sont pourtant en bonne santé. Ainsi, ces derniers mois, l’aciérie Asocial a multiplié sa production et son chiffre d’affaires par cinq. Pour sa part, France Rail Industrie présente un bilan positif depuis des années. Elles font travailler tout un écosystème d’entreprises spécialisées et mobilisent des savoir-faire précieux. Par exemple, France Rail Industry fait travailler 450 personnes et pas moins de 40 entreprises locales.
Il faut croire que le gouvernement met un point d’honneur à brader nos industries. En effet, les dégâts ne se limitent pas à ces deux entreprises abandonnées à leur sort. Ainsi, Alstom va devoir se séparer de son usine d’assemblage de TER hybrides à hydrogène située dans le Bas-Rhin. Ils consomment pourtant 20% d’énergie en moins. Les commandes se multiplient. Mais cette cession a été ordonnée par Bruxelles. C’est une condition à l’autorisation du rachat de Bombardier par Alstom. Macron n’a rien fait pour s’y opposer.
Le fret est également coulé un peu plus chaque jour. Le train des primeurs Perpignan-Rungis n’est toujours pas relancé. Cela a remis 25 000 camions supplémentaires sur les routes. La SNCF a aussi décidé de vendre sa filiale ERMEWA de location de wagons de marchandises à des Québécois et des Allemands. Cette filiale aux 100 000 wagons est pourtant un leader européen de la location de wagons industriels. Elle est aussi numéro un mondial de la location de conteneurs-citernes. Elle emploie 1.200 personnes et son activité est florissante. Elle a dégagé en 2020 une marge opérationnelle de 271 millions d’euros. Qu’a dit Macron ? Rien.
Pourtant, la France vise un développement du transport ferroviaire de +27 % d’ici à 2030 et +79 % en 2050. C’est l’objectif fixé par la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Or, pour planifier, il faut investir. Outre la protection d’industries stratégiques, nous avons besoin d’un plan d’investissement sur 10 ans. Selon un rapport de l’association Réseau Action Climat, au total, près de 3 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an jusqu’en 2030 sont nécessaires pour atteindre nos objectifs.
Le rapport entre dans le détail des différents domaines dans lesquels nous devons progresser. Pour entretenir de manière satisfaisante les lignes et les gares les plus importantes, il manque 720 millions d’euros par an. Pour les « petites lignes », moins fréquentées mais indispensables pour désenclaver beaucoup de communes, il faut à nouveau ajouter 700 millions par an de travaux. Ne pas faire cela nous conduirait à fermer 4000 km de voies ferrées d’ici 2030. Le rapport préconise par ailleurs de mettre sur la table 1,5 milliard d’euros par an pour le fret et 150 millions d’euros pour les trains de nuit.
Ce rapport constitue une feuille de route précise de ce que nous devons faire. Cela confirme l’intuition des Insoumis depuis des années : l’énergie populaire est disponible pour réaliser la bifurcation écologique. Les syndicats et les associations ont produit des plans d’action précis et concrets. Les travailleurs du rail et des industries de la métallurgie savent le mettre en œuvre. Il ne manque qu’un chef d’orchestre pour coordonner et gérer le temps long : l’État planificateur.
Le compteur Linky n’en finit pas de faire parler de lui. Mais pas de la meilleure des façons. Ces compteurs « communicants » sont installés par Enedis depuis 2013, quel que soit le fournisseur d’énergie. Ils collectent et communiquent au jour le jour des informations sur la consommation électrique de chacun ! Évidemment, le consentement a été piétiné. Depuis, ils ont été imposés à 32 millions de foyers.
Le but officiel est de favoriser les économies d’énergie. Pour l’heure, cela va surtout permettre à Enedis de supprimer les postes des milliers de techniciens chargés de faire les relevés des compteurs. L’électricité pourra aussi être coupée à distance sans sommation. C’est aussi et surtout la première pierre du rêve libéral en matière d’énergie. J’évoquais dans ma dernière note de blog l’arrivée de la « tarification dynamique » en France. Ces compteurs intelligents en seront sans aucun doute le bras armé. Votre facture pourrait être parfaitement alignée sur les soubresauts de l’électricité en bourse et exploser en temps réel au moindre emballement du marché. On n’arrête pas le progrès !
Mais le scandale ne s’arrête pas là. Il avait été assuré il y a 10 ans qu’il ne coûterait « pas un centime aux particuliers ». Cette promesse était celle de M. Éric Besson, ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie en septembre 2011. 10 ans plus tard, il semble que les Français devront finalement rembourser leur compteur Linky. La question d’Adrien Quatennens adressée au gouvernement était très claire : « qui va payer les compteurs ? ».
Mais la réponse de la ministre Emmanuelle Wargon traduit le malaise. « Les consommateurs ne paieront pas plus au titre de Linky » a-t-elle promis. Un peu plus tard : « Les économies de charges sont bien au rendez-vous et donc incluses dans le tarif ». Et de nouveau : « Je vous le répète, les consommateurs ne paieront pas un coût supplémentaire dû à Linky ». Dire qu’ils « ne paieront pas plus au titre de Linky » ne veut pas dire qu’ils ne paieront pas plus tout court. Il suffit de lire le rapport de la Cour des comptes de 2018 pour mesurer l’ampleur de l’entourloupe.
Ainsi, le déploiement de ces compteurs aurait coûté 5,7 milliards d’euros à Enedis, le gestionnaire du réseau de distribution de l’électricité. C’est l’équivalent de 130 euros par compteur. La majeure partie de cette somme a fait l’objet d’un emprunt auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI). Et il semblerait qu’Enedis s’apprête à mettre les consommateurs à contribution pour le rembourser.
En effet, Enedis a mis en place un mécanisme de « différé tarifaire » sur la facture des usagers. Il s’agit officiellement d’éviter que le prix de la redevance d’acheminement de l’électricité payée par les consommateurs n’augmente d’un coup à cause du déploiement des compteurs Linky. Mais la Cour des comptes est limpide quant à la supercherie : « ce différé constitue donc une avance faite par Enedis, remboursée par les consommateurs à partir de 2021. »
Mais ce n’est pas tout. La Cour des comptes précise que le taux d’intérêt appliqué aux clients serait de 4,6%. Or, l’emprunt auprès de la BEI serait lui de 0,77%. La différence de taux n’échappe à personne. Cela permettra à Enedis de réaliser « une marge de 2,8 % correspondant à un surcoût pour les usagers de 506 millions d’euros ». C’est la Cour des comptes qui le dit.
Je résume la manœuvre. C’est toujours la même chose. On vous promet les yeux dans les yeux que cela ne vous coutera rien. Pour finir, ils font payer aux consommateurs un investissement souhaité par personne… mais à un taux plus cher que celui auquel ils ont emprunté ! Pour Enedis, c’est une opération juteuse. En effet, le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité va faire supporter aux usagers environ 2 milliards de la somme investie. Au passage, il réalisera aussi une belle marge d’un demi-milliard d’euros grâce à la différence des taux.
Pour les usagers, c’est plus cher. Concrètement, tous ceux qui en sont équipés vont le rembourser. Ainsi, le coût du compteur Linky sur les factures devrait représenter entre 8 et 15 euros par an jusqu’en 2030. Alors pourquoi la ministre Emmanuelle Wargon continue-t-elle de dire que les consommateurs ne paieront pas plus cher ? Sans doute espèrent-ils encore que les économies promises grâce à ces compteurs géniaux compensent la manœuvre d’Enedis.
Mais les économies d’énergies sont loin d’être démontrées. Le meilleur moyen de faire baisser la consommation d’électricité dans ce pays est de faire baisser les besoins. Cela doit commencer par la rénovation des 5 millions de passoires thermiques. Mais au rythme actuel, il faudra plus de 30 ans pour y arriver ! Pour finir, il n’y a aucune garantie que les économies réalisées par Enedis en réduction de personnel se répercutent à la baisse sur les factures.
Cette entourloupe de plus est d’autant plus indécente au regard de la situation sociale du pays. En effet, la barre des dix millions de pauvres a été franchie. Un Français sur cinq a subi une perte de revenus entre mars 2020 et mars 2021. De plus, le prix de l’électricité a déjà augmenté de 50% en 10 ans, notamment en raison du coût croissant du nucléaire.
Mais ce n’est pas fini. Le projet Hercule est la cerise sur le gâteau. Il prévoit de placer Enedis dans un « EDF Vert » regroupant les activités jugées rentables. Cette filiale serait ouverte à des investisseurs privés à hauteur de 35 %. Bien sûr, on sait comment cela se finit : en privatisation complète. Les marges réalisées entre temps par Enedis grâce à Linky rempliront encore davantage les poches des actionnaires. Mais les Français ne sont pas dupes. EDF, qui possède la filiale Enedis à 100%, perd des clients à toute vitesse : 150 000 clients par mois optent pour un autre fournisseur. Cela ne fait que fragiliser davantage notre géant public français. Ainsi, le chaos libéral profite sous toutes les coutures au démantèlement du service public de l’électricité. Il est temps d’arrêter l’hémorragie.