On pensait avoir vu le pire avec les élections municipales ! Mais le record d’abstention observé alors est encore battu. C’est le pire niveau de toute l’histoire de la cinquième République. Dorénavant, depuis le début de l’ère Macron, plus de la moitié des électeurs ne se rend plus aux urnes. Ici, à peine un électeur sur trois inscrits a voté. Entre 66% et 68% se sont abstenus. Et ce sont surtout les quartiers populaires qui refusent leur participation. Dans les dix villes les plus pauvres du pays l’abstention atteint des pics jamais observés : Grigny: 81,52%, Aubervilliers: 76,72%, Roubaix: 83,94%, Clichy-sous-Bois: 87,98%, La Courneuve: 76,36%, Creil: 79,83%, Garges-lès-Gonesse: 81,76%, Pierrefitte: 79,52%, Saint-Denis: 78,65%, Stains: 81,75. Ce gouffre d’abstention atteint spécialement la part la plus jeune de la population. 87% des personnes de 18 à 24 ans et 83% des 25 à 34 ans selon le sondeur Ipsos.
Que vaut une démocratie sans électeurs ? Peut-on encore parler de démocratie dans ce contexte ? Que signifient les résultats et la répartition des voix entre les partis politiques quand elle porte sur si peu de monde ? La différence de niveau de mobilisation qui fait l’écart entre les listes est-elle alors significative d’une réalité politique plus profonde et durable ? Oui, claironne le journal « Le Monde » pour qui « les cartes sont rebattues à gauche » par ce résultat. On peut néanmoins penser que ce journal ne vaut pas mieux par ses analyses d’après vote que par ses prédictions d’avant celui-ci.
En réalité le doute contamine tout le champ politique. Mais pour certains, la vie pourrait continuer comme avant. Et même « mieux qu’avant ». En effet, pour Fabien Roussel du PCF, « la gauche est en progression ». Pourtant les résultats disent autre chose par rapport à 2015. Dans les Hauts-de-France : dix points de moins, en Provence moins cinq points. Pas de trace de cette progression non plus en Bourgogne-Franche-Comté, dans le Grand-Est, en Île-de-France, en Bretagne et en AURA. Le contraire. Pourtant, pour Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS claironne : « la preuve est faite que le PS est central à gauche ». Mais en Île-de-France l’appui d’Anne Hidalgo (sa candidate proposée à la présidentielle) n’a pas empêché Audrey Pulvar, tête de liste socialiste de perdre treize points depuis la précédente régionale. Et d’ailleurs, là où ils ne sont pas sortant, les socialistes passent partout nettement derrière EELV ! En fait rien ni personne ne se détache vraiment, tout le monde recule en voix. Alors que veulent dire les pourcentages dans ce cas ?
Voyons le gouvernement. La panne de légitimité est tout aussi totale. Neuf ministres ne passent pas la barre d’accès au deuxième tour. Une ancienne coutume bien ancrée pendant des décennies voulait que tout ministre battu quitte le gouvernement. Rien de tel n’aura lieu cette fois-ci. On peut même penser que les battus en rajouteront en arrogance pour prouver qu’ils ne se sentent pas atteints et ne sont pas discutables. Pourtant la bérézina dans le Nord est davantage qu’une déroute. Face à cinq ministres du premier cercle gouvernemental macroniste, le candidat de droite hors parti, Xavier Bertrand, dame cruellement le pion de cette nouvelle droite que voulait être Macron. Comment croire que des ailes n’aient pas poussé quand d’autres étaient si cruellement rognées ? Comment croire que l’oligarchie n’ait rien vu, rien senti. Xavier Bertrand a un avenir dorénavant tout tracé.
Le seul impact mesurable est celui des erreurs de sondages. En pronostiquant partout des « percées de l’extrême droite », les sondeurs ont fabriqué un réflexe de « vote utile » qui en dit long sur l’état des esprits. Pour finir, le péril brun n’existe qu’en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur ou l’inanité des chefs de la « gauche » locale aura été la meilleure contribution à la décomposition du champ politique. Leur sectarisme, qui les a conduits à expulser les Insoumis de tout accord, annonçait clairement que les intéressés ne visaient pas une seconde de jouer la victoire si peu que ce soit. Le RN s’est donc promené. En Occitanie, Carole Delga a aussi profité à fond du chantage au RN qui l’a installé en vote castor « pour faire barrage ». Du coup, un tiers des maires de cette grande région lui ont donné leur soutien public avant le premier tour. Résultat : encouragée au sectarisme, au deuxième tour elle expulse EELV. L’ancien secrétaire national des Verts se lamente: « L’attitude hégémonique du Parti Socialiste en Occitanie démontre leur incapacité à porter un quelconque leadership de rassemblement large. Décidément, les habitudes ont la vie dure. On a beau ne pas s’attendre à grand-chose de leur part, ils ne se lassent pas de décevoir ». L’excellent personnage oublie comment ses propres camarades occitans, candidats à un « rassemblement large » avec Delga, ont refusé de faire liste commune avec les Insoumis, persuadé qu’ils seraient rachetés au deuxième tour par la divine Carole. « On n’avait pas prévu ça » gémit leur tête de liste. Ce camarade est lui-même tout aussi peu doué pour « le leadership de rassemblement large » alors que nous l’avions accepté comme tête de liste à Toulouse et même pour la liste commune que nous souhaitions en Occitanie. Même sectarisme EELV en Nouvelle-Aquitaine et Bretagne ou expulsés par le PS les Verts récusent néanmoins la fusion avec les Insoumis. En Occitanie, Carole Delga tellement « PS seulement » a dit qu’elle ne voulait pas d’Insoumis chez elle. Sans doute beaucoup d’entre eux vont vouloir éviter de l’encombrer ou de la mettre mal à l’aise avec leurs bulletins de vote.
Quoiqu’il en soit, le RN a pris cher. Pourtant il n’a jamais bénéficié d’un tel soutien médiatique. Rien n’y a fait. Pas même une chaîne de télé en continu et une radio quasi entièrement dédiées. Pas même l’accord unanime des médias pour centraliser les thèmes lepénistes. On interrogera l’absurdité du débat public depuis 6 mois qui a vu l’attention être scotchée sur la sécurité, l’islamo-gauchisme, le séparatisme, le complotisme et autres billevesées. Et pas un mot ou un débat organisé à propos de l’aide sociale qui est pourtant la compétence essentielle des départements dont l’élection allait avoir lieu. Et sans qu’un mot soit dit sur la formation professionnelle ou les transports, qui sont dans la vie quotidienne de chacun et que ce sont les responsabilités essentielles des régions. Après cela, le RN n’a pourtant rien fait de mieux. « Moins haut que prévu » titre « Le Parisien », le quotidien très ancré sur ces thèmes. Pudeur de gazelle ! Non seulement « moins haut » que prévu dans les sondages mais surtout « moins haut » qu’aux régionales précédentes, ce que le journal préfère ignorer. Pourtant les chiffres sont sans appel. Les plus forts reculs du RN par rapport à 2015 sont très visibles sauf pour « Le Parisien ». D’abord en Occitanie : 10.22 points de moins qu’en 2015 ! Hauts-de-France : 16.27 points de moins ; Grand-Est : moins 14.85 points ! Auvergne-Rhône-Alpes : – 13.19 points ; Pays-de-la-Loire: moins 8.82 points ; Bourgogne-Franche-Comté : moins 8.29 points ! Centre-Val-de-Loire : 8.24 points de moins ! Normandie : 7.85 points de moins. Bref tout sauf un détail imperceptible. Même au « Parisien ».
Quand bien même les causes d’une abstention aussi massive sont-elles d’origine très politiques, le gouvernement Macron y a une responsabilité particulière. En dépit de l’annulation puis du report, pas de campagne publique d’appel au vote ou d’explication sur le double vote (départementale et régionale) ni sur les compétences des collectivités concernées. À cela s’est ajoutée une monstrueuse carence dans l’organisation comme on n’en avait jamais vue. Tantôt le matériel électoral n’est jamais arrivé dans les boites aux lettres, tantôt une partie seulement, tantôt les bureaux de vote n’étaient pas ouverts, tantôt la liste d’émargement des procurations n’existait pas. Les associations d’élus de régions, celle des maires, celles des conseils départementaux ont dénoncé l’ampleur des dégâts !
Rien n’est plus inquiétant pour la suite. Parce que l’entreprise qui est censée s’occuper de la distribution des professions de foi et des bulletins de vote pour ces deux élections est la même que celle qui a si gravement défailli à cette occasion. Ensuite parce qu’il est temps de s’interroger puubliquement sur les causes de tels dysfonctionnement. Le bureau de l’Assemblée nationale serait bien inspiré d’ouvrir une commission d’enquête sur les conditions dans lesquelles s’est déroulé le vote de ce dimanche. Le gouvernement s’est contenté de relayer les arguments de l’entreprise. Il affirme que seuls 21 000 électeurs n’auraient pas reçu leur matériel. Ce n’est l’avis de personnes d’autre que lui. L’entreprise avait d’abord joué la comédie en prétendant avoir été victime d’une attaque d’hacker ! La présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale elle-même pourtant macroniste s’en est émue ! « Journaliste : Vous ne fermez pas la porte à une commission d’enquête ? Yaël Braun-Pivet : Non parce que ça pose une vraie difficulté. On sait que nos concitoyens ne vont pas beaucoup aux urnes. Si en plus ils n’ont pas le matériel et l’information qui est nécessaire pour aller voter dans leur boite aux lettres, ça pose une vraie difficulté, donc il faut qu’on fasse toute la lumière sur ces sujets. (…) Pour le moment, d’après ce que je comprends, c’est surtout les deux entreprises qui étaient en charge qui n’ont pas fait leur boulot. » Il est donc temps que revienne dans le giron public toute l’organisation des élections en France.
Mais au total, il serait temps de se demander, et nous ferons une proposition de loi dans ce sens, s’il n’est pas nécessaire qu’il y ait un seuil minimum de participation pour qu’une élection soit déclarée valide. Et dans ce cas, le vote blanc doit être reconnu comme suffrage exprimé. Il est temps aussi que les citoyens soient munis de droits nouveaux à l’égard de ces élections et à l’égard des élus qui en sortent. Bref, la revendication centrale d’une Sixième République portée par les seuls insoumis refait surface ! On a même entendu des journalistes très en vue en faire état. Au total, le résultat électoral n’est certainement pas celui d’une abstention par défaut. C’est plutôt une bombe sous les fondations d’un monde déjà bien miné et très branlant.
Et nous ? Et nos résultats ? Les Insoumis, présents en coalition dans toutes les régions étudieront aussi les résultats des trois régions où ils partaient seuls par refus d’alliance des composantes de la gauche traditionnelle. Ils étudieront avec une fierté particulière leur liste commune PCF -LFI menée par Clémentine Autain en Ile de France. Nous avons été surclassés de si peu !
Pour autant nous avons lancé un appel dès le soir des résultats : « Pour ne pas ajouter à tous les malheurs de notre démocratie une affliction de plus, nous ferons ce qu’il faut pour convaincre chacune et chacun qu’il ne faut pas donner de région au Rassemblement national ! Car c’est une formation politique qui incarne la violence qui s’exprime de plus en plus ces dernières semaines dans l’arène politique. Parce que c’est un parti de ségrégation religieuse et de discriminations sociales. La France doit pouvoir se relever de ce nouveau désastre démocratique à la condition bien-sûr qu’on n’y ajoute pas. »
Ce tour d’horizon ne mentionne donc pas les leçons que je tire pour notre mouvement et pour sa candidature à l’élection présidentielle que je porte. Le deuxième tour des régionales et des départementales reste à faire. Chaque étape doit venir en son temps. Le tableau est évidemment profondément remanié. Mais surement pas comme le croient et le disent les affidés du système. À la semaine prochaine sur ce sujet.