– Par Jean-Luc Mélenchon, président du groupe parlementaire insoumis –
Beaucoup ont remarqué, une fois de plus, à l’occasion du débat sur le pass sanitaire, à quel point le groupe parlementaire insoumis a été bien déployé méthodiquement. On peut dire que dorénavant, nous sommes bien entraînés pour ce genre d’exercice, notamment depuis le débat contre la loi sur les retraites où nous avons dû tenir à 17, nuit et jour, en commission comme en séance plénière. Mais le grand public l’ignore souvent : quand il doit faire face à ce qu’il considère comme une « obstruction parlementaire », le parti majoritaire, LREM, déploie une technique de pression physique : maintenir la discussion sans limite de temps nuit et jour.
Cette fois-ci, il n’y avait pas de notre part la volonté d’imposer de « harcèlement démocratique ». Parfois, nous faisons le choix de le mener avec des centaines d’amendements qui explorent toutes les dimensions du sujet mis en débat. Cette fois-ci, nous nous sommes concentrés sur tout ce qui est lié à la gestion immédiate de la lutte contre l’épidémie. Cela n’a pas empêché LREM de nous accuser le faire de « l’obstruction ». Mais les journalistes, aussi maltraités que nous par la cadence du débat, n’ont guère relayé cette charge. Il faut dire qu’il y avait, un précèdent fameux de fake-News à ce sujet. À l’occasion du débat sur les retraites, le journal « Le Parisien », sous la plume de sa rédactrice en chef Jannick Alimi, intellectuelle de référence de ce journal, a ruiné ce procédé accusatoire en prétendant que nous aurions déposé 700 000 amendements ! Sans jamais rectifier. Depuis lors, l’accusation d’obstruction est aussi ridiculisée que les fameuses armes de destruction massive qui ont servi de prétexte à la guerre d’Irak !
Bien sûr, au cours du déroulement de la commission qui a d’abord examiné le texte, nous avons, comme d’habitude, dû subir des classements d’amendements sans suite ni débat. Quelques beaux paquets d’amendements ont ainsi été considérés comme n’ayant pas de rapport avec le sujet et mis à la poubelle! En tout cas rarement une situation a été aussi difficile à organiser que cette fois-ci. Nous savons que le président comptait sur cette brutalité pour désamorcer la résistance.
Car comme vous le savez, l’inscription à l’ordre du jour de ce texte devant l’Assemblée nationale a été décidée par le président de la République lui-même (ce n’est pourtant pas son pouvoir), par surprise, le 12 juillet dernier. Il a donc fallu réorganiser totalement notre dispositif. En effet d’autres textes étaient prévus, et par conséquent d’autres députés étaient impérativement mobilisés et d’autres envoyés pour des missions les plus diverses, comme le festival d’Avignon ou divers débats en région où mis en disponibilité pour raisons familiales impérieuses. Le coup du président a donc été bien rude à recevoir. C’est le quatrième été en session extraordinaire. En période de vacances, toute modification de l’emploi du temps est douloureuse. Il faut donc aussi en tenir compte au moment de critiquer les groupes LREM ou PS aux deux tiers absents. De notre côté, il a fallu beaucoup de dévouements pour parvenir à être tous présents à tour de rôle au point de parvenir à voter à seize députés insoumis parfois. Et nous avons même réussi à être présents à 11 sur 17 pour le vote à 5 heures 40 du matin.
Ne croyez pas que ce soit simple à réaliser. Nos conjoints ne peuvent pas changer leurs dates de congés au gré des caprices du Président. Les locations ne se transposent pas au dernier moment. Les gardes alternées ne se changent pas sur un claquement de doigts du monarque. Nos enfants et petits-enfants ne comprennent pas, qu’après-avoir promis notre présence, nous soyons de nouveau absents. Et dans la répartition des rôles familiaux, il est inutile que j’insiste sur la différence de ce qui incombe aux femmes et aux hommes. Et ainsi de suite pour tout ce que nous essayons de protéger de notre vie privée, car nous ne sommes ni des robots, ni des esclaves. Et nous ne pouvons accepter d’étaler notre vie privée pour justifier nos choix après une telle année !
Je demande à ceux qui souvent nous jugent, souvent si vite, de se rendre compte de la violence de leurs attaques sur ce point. De même pour ceux qui font des crises d’urticaire pour un mot plus ou moins volontairement mal compris et ne trouvent rien de mieux à faire que de répandre leurs gémissements sur la toile en pleine bataille, pour la plus grande joie de nos adversaires qui s’en régalent aussitôt. Du coup, j’en remercie avec plus de chaleur ceux qui nous soutiennent. Certains sont même restés toute la nuit à l’écoute. Et parfois en riposte sur la toile ou en messages de soutien, de commentaires ou arguments !
Et il y a aussi parfois des engagements politiques pris ici ou là qui retiennent l’un ou l’autre de notre groupe. Parfois, il est impossible d’en changer sans faire l’offense. Surtout quand tout a été préparé pendant des mois par un grand nombre de personnes. Ce fut mon cas. J’ai dû annuler les 2/3 de la tournée prévue en Afrique de l’Ouest. Mais il était impossible de modifier la date de la conférence prévue à l’université de Ouagadougou. Ou pour la rencontre prévue avec le président de la République du Faso et le président de l’Assemblée nationale.
Après les brutalités auxquelles s’était abandonné sur place le président Macron avec ces premiers représentants du peuple burkinabé, il était temps d’en revenir au respect des Français pour nos hôtes sur place. Ce déplacement mobilisait trois d’entre nous. Sur 17, c’est beaucoup. Tout a dû être modifié en dernière minute. Mathilde Panot a honoré son rendez-vous au ministère de l’Eau burkinabé et elle est aussitôt rentrée de Ouagadougou dans la nuit du mardi pour pouvoir être présente à la tribune le mercredi. J’ai pris l’avion le mercredi soir, 3 heures après la fin de ma conférence à l’université, pour être présent dès jeudi dans l’hémicycle. Je n’ai donc raté qu’une journée de débat et pris ensuite une permanence entière sur deux jours, jeudi jour de mon retour et vendredi pour la clôture de la loi séparatisme. Bastien Lachaud a honoré nos rendez-vous au Mali et il est rentré dans la nuit de vendredi pour pouvoir participer aux séances prévues le samedi et le dimanche pour la lecture finale du texte. Ces exemples, que je pourrais donner aussi pour plusieurs autres députés, montrent à quel point nous sommes tenus à une discipline de fer pour tenir notre rôle collectif.
Le deuxième niveau d’organisation est dans l’hémicycle lui-même. Un tour de parole doit y être organisé. Il doit tenir compte des limites que le règlement impose. Par exemple, il n’y a qu’une prise de parole possible par amendement après la réponse du ministre et du rapporteur de la commission. On privilégie donc les députés spécialistes de tel ou tel aspect de la question soulevée. Dès lors, tout le monde n’a pas accès à la prise de parole. Et je vous prie de considérer que ce n’est pas le plus simple à vivre de devoir rester assis, muet à son banc pendant des heures. Pourtant, leur présence est aussi indispensable que celle des autres. Aussi bien pour le nombre des votants que pour l’aide concrète en séance. Car ils ne chôment pas ! Observation du terrain et des adversaires, repérage des arguments oubliés par les amis et de ceux avancés par les adversaires, remplacement à la commande pour l’intervention d’un absent, leur tâche est aussi absorbante que celle des autres qui font les interventions.
Après cela, deux autres norias doivent encore être organisées. Rien ne doit être négligé. D’abord les pauses-pipi. Choix politique du moment. Car elle ne peut être prise impérativement entre les votes par « scrutin public » où il faut être physiquement présent pour appuyer sur le bouton de vote électronique. Ensuite les pauses-cafés. Et les pauses pour les menus ravitaillements à la buvette. Sans oublier les pauses téléphone à la famille, aux enfants le soir à l’heure de se coucher, aux collaborateurs et aux organes du mouvement dont chacun est responsable et enfin les pauses cigarette pour ceux qui fument.
Et encore tout ce que je cite ici ne vous dit rien de la coulisse. Celle où sont mobilisés, à la même cadence, les « collabs » du groupe et ceux des députés eux-mêmes. Pour eux aussi : vigilance, alimentation en arguments, suivis des rumeurs de l’organisation du débat dans le palais et sur les réseaux sociaux, préparation des vidéos de compte-rendu. Pour eux aussi pause-café, cigarettes et téléphone à la famille. Et ensuite les permanents du siège insoumis pour la mise en ligne des images, le suivi du débat sur nos médias. Bref : ce que vous voyez à l’écran n’est qu’un tout petit aspect de l’activité continuelle qui agite nos rangs dans ce type de moment. Autrement dit : rien n’est possible sans un travail d’équipe où l’on doit rester soudés, amicaux pour surmonter l’énervement du débat et l’épuisement. C’est une sacrée mise au pied du mur de l’humanité de chacun vis-à-vis des autres.
Encore un « détail » qui n’en est pas un. Vous ne pouvez pas deviner ce qu’est la frustration du camarade qui se trouve absent de l’hémicycle lorsque, comme par miracle, un amendement est adopté et que tout le monde éclate d’applaudissements… Sans vous ! Même déchirement quand une circonstance vous empêche d’être à temps dans l’hémicycle et qu’un camarade doit prendre votre intervention au débotté !
Enfin les moments de dégoût et d’abattement. Ainsi quand passe la disposition qui permet de licencier quelqu’un qui n’est pas vacciné ! D’abord sidérés, nous attaquons. Comment les députés LREM peuvent-ils accepter une chose pareille ? N’ont-ils ni famille ni amis ? Ne savent-ils rien de ce qu’est la vie au travail quand on n’est pas au sommet de la hiérarchie où l’on dispose des autres ? Ont-ils imaginé ce que représente pour quelqu’un la peur de perdre son emploi dans huit jours même s’il veut se vacciner et quand il ne le peut pas faute de rendez-vous ?
Ne croyez donc pas que nous vivions la bataille du texte et des amendements autrement qu’en pleine conscience de ce qui est engagé par le débat. Et cela, quand bien même nous avons le sentiment souvent que l’opinion ne suit pas toujours ni ne mesure les enjeux.
Et en plus, il faut subir le harcèlement sur les réseaux sociaux non seulement de ceux qui nous sont hostiles (c’est plus simple à encaisser), mais de ceux qui se disent nos amis. Ceux-là se sont les pénibles, les relous de service, une variété particulièrement odieuse de donneurs de leçons qui confinent aux tireurs dans le dos. Ils ne cessent de critiquer, de mettre en cause, comme ce fut le cas après 5 heures du matin et la fin des votes. Sans un merci de leur part. Cela à propos de l’absence de l’un ou de l’autre au moment du vote final, alors même que nous étions le groupe le plus représenté par 70% de ses membres ! Et sans aucun respect pour les contraintes de nos existences de personne humaine. Tristes ignorant qui ne comprennent pas que notre présence en nombre est d’abord un exploit quand tout est fait pour que nous soyons absents ou démotivés ! Bref, la vie sur les bancs est tout ce que vous voulez sauf un long fleuve tranquille.