Les faits fonctionnent comme des mottes d’herbe : chaque brin est singulier, mais le tout se tient par les racines. C’est le cas pour la série des actuelles manifestations hebdomadaires, les innombrables incidents de la mise en œuvre du contrôle généralisé des Pass sanitaires, l’insupportable situation faite aux Dom et Tom aux Antilles et à la Réunion, et les rebonds impréparés de la pandémie. Tout se tient et forme un processus unique.
Dès lors, la crise sanitaire est devenue une question entièrement politique, autant dans les faits que progressivement dans la conscience collective. En atteste le déploiement complet de l’arsenal habituel de la propagande gouvernementale : les manifestants seraient des antisémites, au service politique « des extrêmes », ce seraient des « égoïstes » qui revendiquent le droit de mettre la vie des autres en danger au motif de leur liberté individuelle. Et ainsi de suite. On retrouve quasi mot pour mot le même arsenal que contre les gilets jaunes ou les autres mouvements depuis l’élection de Macron.
C’est contrariant, cela empêche de réfléchir sur des faits et c’est souvent insultant. Mais ce n’est pas sans intérêt. Cela fonctionne aussi comme un vaccin. Car le grand nombre apprend à repérer ce discours type et chaque conscience produit ses anticorps. D’ailleurs, comme on peut l’observer : les marches du samedi ont été en participation croissante. Les chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur lui-même en attestent. Ensuite il y a ce que l’on sait si l’on se renseigne par soi-même. Pour ma part je dispose des informations données par les Insoumis(es) nombreux à être présents dans les marches. Ils voient beaucoup de gens manifestant pour la première fois. Ils les voient venir souvent en famille et les cortèges mêlent vacanciers et gens du cru.
Une autre observation : on voit des groupes de professionnels de santé, des pompiers, des groupes professionnels prendre la tête des cortèges, avec une approbation de tous. Cette présence exprime un message autrement plus significatif que celui des provocateurs antisémites d’extrême droite qu’il vaudrait mieux punir plutôt que de leur faire de la publicité. Cela montre que le lien entre le refus du Pass, la défense des libertés publiques et l’existence d’un service public de santé de bon niveau se fait dans les esprits. Ce ne sont pas des thèmes neutres politiquement.
Certes, même en dehors des épiphénomènes lamentables sur lesquels se focalise la propagande gouvernementale, il y a une très grande diversité des motivations de présence dans ces marches. Ce n’est pas nouveau, ni réservé à ce seul cas. Les raisons d’agir sont toujours très variées dans un mouvement social de masse. Toujours. Les syndicalistes le savent bien. C’est pourquoi ils ont l’habitude d’appeler à l’action sur un mot d’ordre simple, capable de fédérer le plus grand nombre. Mais les marches du samedi ne sont pas des marches syndicales. Les syndicats n’y appellent pas. Je le regrette. Au total, en dépit de toutes les provocations du pouvoir et de ses relais d’expression, le mouvement ne peut être politiquement attribué. À cette étape, c’est sa force et la meilleure garantie pour sa cohésion. C’est pourquoi je prends avec le sourire de l’expérience les curieuses injonctions de ceux qui exigent de la FI qu’elle « appelle à la désobéissance », qu’elle « s’engage dans les marches » et ainsi de suite. Les mêmes souvent crieraient aussitôt à la « récupération » si nous le faisions et tous les micros leur seraient tendus ! En toute hypothèse, il n’en est pas question ! Je suis certain que ce serait nuire au mouvement cela le rétrécissait et donnerait un argument au régime macroniste pour le diviser.
Dans le contexte, notre position est établie de longue main : nous voulons l’abrogation du Pass Sanitaire. Nous ne le croyons pas du tout efficace pour contenir la pandémie – au contraire. Le Pass sanitaire répand l’illusion de l’immunité de ceux qui en sont titulaires, il sert de prétexte au régime macroniste pour ne rien faire d’autre et met en place un système de contrôle généralisé profondément discriminant et socialement insupportable. Nous avons mené la bataille jusqu’au bout à l’Assemblée nationale et au-delà contre ce Pass.
À présent ceux des nôtres qui le veulent et qui le peuvent participent aux marches du samedi. C’est important d’y être. D’abord pour renforcer l’action elle-même. Ensuite pour refuser la logique d’éclatement du mouvement que souhaitent réussir ceux qui veulent entrainer tout le monde dans leur direction exclusive. Nous luttons pour l’abrogation du Pass sanitaire. Voilà la raison de la présence de mes amis dans les cortèges. pour le reste, les insoumis sont aussi bigarrés que le mouvement lui-même. Certains sont pour la vaccination, d’autres dubitatifs sur les vaccins proposés. Certains n’ont confiance qu’en notre plan de la société par roulement, d’autres pensent que l’immunité collective est hors de portée du fait des mutations de ce virus. Et ainsi de suite sur une vaste palette d’analyses et d’appréciations. Mais l’essentiel est le but commun qui nous rassemble dans cette action : l’abrogation du Pass sanitaire.
À mes yeux, la nouvelle étape politique ouverte par cette mise en mouvement populaire ne fait que commencer. Le phénomène que constitue ces marches, comme celles des gilets jaunes à leur commencement, est d’un ordre particulier. On l’observe dans le monde entier depuis maintenant dix ans. En le voyant déboucher dans tous les pays concerné vers des crises politiques marginalisant les pouvoirs en place, nous l’avons appelé « révolution citoyenne ». Cela permet de les distinguer des autres formes traditionnelles de mouvement sociaux dont l’épicentre est l’entreprise et dont l’acteur social reste directement le salariat.
Pour résumer, cela désigne une catégorie de mouvements socio-politiques particuliers. Son acteur est le « peuple », catégorie qui englobe tous ceux qui ont besoin des réseaux collectif pour assurer leur existence (santé, énergie, transports, alimentation, etc). Ces mouvements expriment la volonté de contrôle des personnes sur les décisions qui s’appliquent à elles et leur famille quand le pouvoir politique s’avère impuissant à régler un problème et qu’il devient alors lui-même le problème aux yeux de gens de toutes opinions. De tels mouvements populaires ont des caractéristiques communes désormais toutes clairement répertoriées (je renvoie ceux que cela intéressent à mes textes à ce sujet). En France comme au Liban, en Algérie ou en Tunisie, au Chili et ailleurs ce mouvement se déploie par vagues successives. Chaque étape s’alimente de l’impact des précédentes sur la société dans son ensemble.
La nouveauté pour ce qui nous concerne, c’est que la séquence qui s’ouvre dispose d’un horizon qui peut fonctionner comme un débouché politique : l’élection présidentielle de 2022. Il est donc légitime d’en parler et encore plus de demander à ceux qui sont candidats à la présidentielle ce qu’ils feraient sur ce sujet le moment venu. Et je note le silence à ce propos de tant de figures politiques qui sont en campagne interne, ou qui ont pour activité et pour projet de « se préparer » des mois durant ou qui comme madame Le Pen sont aux abonnés absents depuis des mois pour ne fâcher aucune des tribus composites qui forment son assise. Un vieil adage dit pourtant : on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens…