Pour la reprise des publications de mon blog, j’ai eu une belle matière première à Marseille. Quel Tamtam médiatique ! Un rouleau compresseur. Sur les chaînes gouvernementales, trois jours de Macron à tous les plats, sans nuance, sans recul. Un véritable système de hauts parleurs de gare répétant des annonces officielles.
Il est vrai que l’équipe de communication du président Macron a fait fort. Le cocktail était au point. D’abord une dose de pluie d’infos comme autant de ballons d’essai. Puis des chiffres qui « résument bien » et surtout sont faciles à répéter. Car les prestidigitateurs de la communication du pouvoir savent que personne ne vérifie rien ni ne se souvient de rien. Pour coller les infos au temps de cerveau disponible d’un commentateur submergé, il y avait aussi un bon tapis de confidences en off. Au total, il s’agissait d’asphyxier les commentateurs dans le style inauguré par les communiquants sarkozistes de l’époque. La deuxième couche était plus facilement visible. C’était une dose de pur culot dans le bobard. Ça c’était le style des communiquants de Hollande : phrases creuses, enfumages éhontés, gros pari sur la mémoire de poisson rouge de certains commentateurs. Ainsi a-t-on vu et entendu sur tous les tons le nombre de milliards annoncés des heures durant. Et tout finit par une pauvre écuelle de quelques billets et de propositions idéologiques dans le plus pur style des libéraux.
Voyez plutôt à propos de l’école ! Que promet Macron ? La création d’une société pilotée par l’État pour la réhabilitation des écoles (sans montant de financement). Rien de garanti sauf la rénovation d’une quinzaine d’écoles d’ores et déjà financées sur les 174 écoles que Macron avait lui-même reconnues comme « délabrées ». Mais il y en a 300 dans cet état sur les 500 établissements du primaire dans cette ville. Avec ça des trouvailles fumeuses comme « 10 micro-collèges et 10 micro-lycées dès 2022 ». Et comme si ce n’était pas assez pour la douche froide des illusions perdues, il promet une inquiétante « expérimentation » dans 50 écoles. Il s’agirait d’une « nouvelle méthode » , « l’école du futur » pour la rentrée 2022 à Marseille et pour d’autres territoires. Elle consiste à donner la liberté aux directeurs d’école de recruter leur équipe (enseignants et non enseignants). Ils adapteraient les rythmes scolaires et compteraient des enseignants « qui pensent cette période du CM1 à la 5e » comme un tout. Incroyable baratin sur le thème éculé « plus de liberté contre plus de résultats » !!! Et tout cela pourrait être généralisé après évaluation en… 2023, s’il est réélu. On a compris. C’est la fin du service public de l’Éducation nationale dissout dans l’autonomie des établissements, le statut hiérarchique des directeurs d’école, et la destruction du statut des enseignants du premier et second degré. On comprend le titre du Monde : « immense déception des enseignants de Marseille » !
En fait, sous prétexte de compassion pour Marseille, Macron est venu faire deux choses. D’abord donner l’illusion (sur le dos des Marseillais) au reste de la France qu’il s’occupe personnellement du « concret et du quotidien » pour la rentrée scolaire. Il ne parlait donc pas aux Marseillais. Il était en campagne électorale. Il pouvait d’ailleurs promettre ce qu’il voulait huit mois avant une élection car aucun plan n’est applicable dans ce délai. Ensuite, il est venu annoncer des « marqueurs ». Comme pour les retraites. Il annonce à l’oligarchie, à la Commission européenne et aux think-tank de droite conservatrice la suite de la révolution libérale qu’il a entrepris. Ici pour le domaine de l’Éducation. Au total, vu depuis Marseille cet évènement de campagne présidentielle macroniste est une énorme mystification. Vu en direction de l’élection de 2022 c’est un manifeste libéral contre l’école républicaine.
Les Marseillais ne pouvaient y croire ! Car ils ont l’habitude du pèlerinage des promesses : Sarkozy, Ayrault, Valls (avec Macron dans ses valises) avaient fait exactement la même chose auparavant. En mars 2008 : Gaudin, candidat aux municipales rend public une lettre de Nicolas Sarkozy promettant une série de mesures pour Marseille. En septembre 2012 : Jean-Marc Ayrault est en visite après avoir présenté un plan d’action entouré de 15 ministres avec une annonce de 3 milliards. Dont en réalité l’État ne prenait en charge que 50% déjà. Puis Valls est arrivé en mai 2015, accompagné de 9 ministres dont Macron ! 1,6 milliards de promesses. Depuis, rien n’a changé : le métro a progressé de 900 mètres, les habitants d’Air-Bel ont toujours de l’eau jaune au robinet , le taux de pauvreté est le même (26%) et le nombre de morts dans les règlements de compte reste stable en moyenne depuis 2011 : 18 par an !
Ces trois jours à Marseille ont pris le pire des méthodes de tous ces épisodes. Sur la police, l’école, l’hôpital le logement, tout ce qu’il a annoncé était déjà promis depuis des mois par ses autres ministres. Le président, remplaçant le maire, la présidente de métropole et le Premier ministre, monarque arrogant, s’est moqué du monde.
Je finis sans entrer dans davantage de détails et de chiffres pour montrer comment Macron a promis toute la journée ce qui était déjà promis par ses propres ministres depuis des mois sans effet ni aucune réalisation parfois. Je voudrais pourtant dire comment les Insoumis ont agi dans certains des domaines clefs mis sur le devant de la scène à cette occasion. À Marseille ma permanence parlementaire et l’équipe des Insoumis qui m’entoure sont engagées dans l’action concrète. La santé ? Nous en sommes à trois années de Caravanes Santé passant sur trente points d’arrêt dans les quartiers populaires pour faire de bilans et donner de l’information. Sur l’école ? Lié à tous les mouvements de défense des écoles, l’un des nôtres a lancé une action populaire pour repeindre une école tant elle paraissait délabrée. Nos écrivains publics Insoumis viennent de publier un livre qui raconte leur expérience à la permanence pour accueillir et accompagner les personnes dans leurs démarches administratives depuis quatre ans. Et depuis deux ans ce sont les collectes alimentaires et les collectes de fournitures scolaires que les militants animent avec succès.
Cette autre façon d’être et d’agir, combinée a ma présence constante à l’Assemblée comme président de groupe (également pour l’interpellation du gouvernement sur sa politique à Marseille) déclenche maintes jalousies dans un landernau politique local davantage habitué aux seuls rites du clientélisme et des manœuvres de palais. Ma conclusion à moi qui suis le dernier arrivé dans Marseille politique et qui ne suis entré dans aucun des poisons et dentelles locales est que la patience populaire de cette ville est une énigme. Mais je crois que cette situation dure depuis toujours. Et c’est pourquoi la ville n’a jamais été domptée.
Anne Hidalgo a tenu conférence de presse avec Bernard-Henri Levy sur le futur de l’Afghanistan. Plusieurs personnalités étaient également présentes. Comme cette femme Maire afghane venue témoigner de la situation là-bas, des associations de défense des Droits de l’Homme et de l’accueil des réfugiés, comme la FIDH, Amnesty international, France Terre d’Asile, Emmaüs solidarité, un représentant du Haut-Commissariat aux Nations Unies pour les Réfugiés, etc. Et plusieurs autres personnalités qui ont pu donner des informations et des témoignages, pour certains poignants, sur la situation qui prévaut en Afghanistan.
On notera qu’au moment même où se déroulait cette conférence mettant en avant notamment la nécessité pour la France de respecter ses engagements internationaux à accueillir les réfugiés, 150 Afghans figuraient parmi les 800 exilés occupant le parc André Citroën à Paris pour faire valoir leur droit à l’hébergement, bafoué depuis des mois.
En installant BHL comme référence et quasi ministre des Affaires étrangères, la maire PS de Paris expose le pays et son parti à un tournant belliciste particulièrement discutable. Car Bernard-Henri Levy a déjà un long passé d’initiatives en faveur de diverses guerres particulièrement désastreuses pour la France. Comme par exemple la guerre de Libye qui a déstabilisé toute l’Afrique sub-saharienne pour ne citer que cela. S’agissant de l’Afghanistan, son bilan est particulièrement contre-productif. Il a été un agent direct du désastre à Kaboul après vingt ans de guerre destructrice et ruineuse dans ce pays. Une histoire qui vient de loin.
En effet, dès 1981, BHL est en Afghanistan pour soutenir les islamistes déjà atrocement obscurantistes face aux communistes. Cette période dramatique de l’histoire afghane a constitué la première version opérationnelle du djihadisme actuel (Gilles Kepel, « Le terrorisme islamiste est né en Afghanistan », L’Histoire, n°293, décembre 2004). Al Quaïda est par exemple ainsi née en Afghanistan en 1987 avec l’appui direct des USA et des intellectuels anti-communistes comme Bernard-Henri Levy. Là encore, comme beaucoup d’intellectuels et médias engagés dans la Guerre froide aux côtés des USA et du « monde libre » (« Quand les djihadistes étaient nos amis », Monde diplomatique, février 2016), BHL a appelé à armer les combattants pour la foi (moudjahidine) face au régime communiste afghan et à l’armée rouge. Au journal de TF1 il déclare le 29/12/1981 : « comme tous les résistants du monde entier, les Afghans ne peuvent vaincre que s’ils ont des armes, ils ne pourront vaincre des chars qu’avec des fusils-mitrailleurs, ils ne pourront vaincre les hélicoptères qu’avec des Sam-7. (…) Je vois que nous sommes aujourd’hui dans une situation qui n’est pas très différente de celle de l’époque de la guerre d’Espagne. (…) En Espagne, il y avait un devoir d’intervention, un devoir d’ingérence. (…) Je crois qu’aujourd’hui les Afghans n’ont de chances de triompher que si nous acceptons de nous ingérer dans les affaires intérieures afghanes ».
Comparer les militants communistes, anarchistes trotskistes et socialistes en lutte pour la république sociale en Espagne face aux putschistes de Franco à des islamistes du type Massoud ne manque pas d’audace. Mais le but était de donner à ces islamistes une respectabilité devant la gauche française pour élargir la base de soutien de ce combattant religieux. À partir de cette époque, BHL et d’autres vont, pour se justifier, développer un discours binaire opposant des « musulmans éclairés » (comme Massoud) aux terribles « talibans obscurantistes ». À l’époque, il s’attire les foudres des vrais connaisseurs de l’Afghanistan comme Gilles Dorronsoro qui, dans l’article « BHL en Afghanistan ou “Tintin au Congo” » pointe les « erreurs et, surtout, les complaisances » de BHL. À ses yeux, Massoud, décrit par BHL comme une « musulman des Lumières… », est en réalité selon Dorronsoro « plus sûrement un révolutionnaire islamiste et un homme de guerre de génie qui utilise rationnellement les étrangers pour améliorer son image internationale ».
Et pour cause ! Anne Hidalgo assume-t-elle que Ahmed Chah Massoud ait créé le premier état islamique en Afghanistan à la chute du régime communiste en 1992 ? « L’Alliance du Nord » que Massoud dirigeait a en effet créé « l’État Islamique d’Afghanistan », qui a remplacé la « République Démocratique d’Afghanistan ». Cela a d’ailleurs déclenché une guerre civile entre les diverses factions armées islamistes. Les troupes de Massoud ont occupé Kaboul : « Quand on parle du commandant Massoud aux gens de Kaboul, ils se souviennent surtout des pillages qui ont eu lieu entre 1992 et 1994, lors des affrontements entre ses troupes et celles (de Gulbuddin) Hekmatyar », assure Ariane Quentier (citée dans Libération, « Afghanistan : Bernard-Henri Lévy avait-il appelé́ à «armer les talibans» » ? 1/09/21
À présent, BHL récidive désormais avec le fils du commandant Massoud. Il l’a fait venir à Paris au printemps 2021 pour rencontrer notamment Anne Hidalgo. Elle l’a reçu à l’occasion de l’inauguration d’une Allée des Champs Elysées en l’honneur de son père. Elle a été élevée en retour, par décret présidentiel, dans l’ordre du Héros national d’Afghanistan Commandant Massoud. Allant plus loin dans une tribune au JDD le 16 août intitulée « L’esprit de Massoud ne doit pas disparaître », inspirée par BHL, elle appelle à soutenir la résistance en Afghanistan, « qui commence à s’organiser » selon elle autour du fils de Massoud. Et dit « qu’il nous faudra d’une manière ou d’une autre reprendre le chemin de Kaboul ». Autant de propos irresponsables parce que provocateurs et sans moyens en pleine période d’évacuation. Des propos d’ailleurs lunaires, puisque le fils Massoud n’a aucun soutien dans la population afghane et qu’il reste enfermé dans une vallée peuplée au maximum de 150 000 habitants. Anne Hidalgo est là dans l’ambiance irréelle qu’avait créée BHL le même jour sur BFM. Il prétendait que quelques semaines auparavant « les Talibans n’étaient pas en train de grignoter le pouvoir. Ils se terraient »… un discours délirant quand on sait que les talibans contrôlent des pans entiers du territoires depuis des années. Pourquoi les USA auraient pris la peine de signer en février 2020 un accord de retrait du pays si les Talibans « se terraient… » ?
À aucun moment Anne Hidalgo ou BHL ne se sont posé la question, pourtant essentielle quand on prétend aux plus hautes responsabilités, des causes de l’effondrement quasi instantané du régime mis en place en 2001 par les États-Unis. Comme le rappelait pourtant le 17 août sur France Culture le spécialiste Gilles Dorronsoro « Si aujourd’hui, personne ne s’est battu pour le régime, il y a une raison. Et la raison c’est que pendant vingt ans les pays occidentaux ont fait absolument n’importe quoi en Afghanistan, ils ont même raté leur évacuation ».
Désormais, au terme de 43 ans de guerre civile et d’interventions étrangères, le pouvoir Taliban est un fait incontournable, aussi détestable soit cette idée. Ajoute à leur contrôle du territoire et de l’essentiel de la population le fait que les Talibans ont progressivement mis la main sur l’essentiel des armes dévolues à la reconstruction d’une armée afghane pour une valeur de 85 milliard de dollars selon la presse anglaise. Leur pouvoir ne connaît donc plus aucune concurrence interne crédible. Il faut partir de la réalité. Ce pouvoir n’aura pas de rival à horizon visible en Afghanistan. Les discours sur la résistance qu’incarnerait dans la vallée du Panjshir Ahmad Massoud, le fils du commandant Massoud, sont déconnectés de la réalité. Ce jeune homme, certes courageux, n’a aucun soutien populaire, peu de combattants, et contrairement à l’époque où son père commandait « l’Alliance du Nord », l’essentiel du nord du pays est contrôlé par les Talibans qui ont su s’attacher le ralliement de la grande masse des combattants de cette région.
Au final, il est vrai que BHL a tout intérêt aux envolées lyriques plutôt qu’au froid examen de la réalité. Son parcours résume à lui seul l’essentiel des raisons qui ont conduit l’Afghanistan dans cette situation insupportable pour tous ceux qui partagent la croyance dans l’universalisme des droits humains. Mais Anne Hidalgo en tant que candidate du PS a la présidentielle peut-elle vouloir que notre pays « retrouve le chemin de Kaboul » pour y faire la guerre aux côtés d’un islamiste contre d’autres islamistes ? On devine ma réponse. Mais celle des socialistes qui vont parait-il bientôt l’investir ?
Entretien avec Pierre Joigneaux du site « L’Insoumission »
En septembre 2020 vous vous êtes approprié le concept de créolisation. Est-ce par une découverte des écrits d’Edouard Glissant sur ce thème?
L’euro-député insoumis Younous Omarjee m’a fait redécouvrir le poète martiniquais Édouard Glissant à cette période. Je l’avais déjà lu il y a longtemps mais sans percevoir toute la portée du concept de créolisation. Il décrit à partir de l’histoire singulière des outremers français et de leur mélange forcé de populations, un processus finalement universel. Le mot désigne ce que produit dans une société la créativité de l’invention permanente qui résulte de la rencontre de culture différentes présentes en son sein.
La créolisation, par essence, apporte une nuance à l’universalisme que vous avez longtemps défendu par le passé. Faut-il y voir une évolution de votre pensée ?
Non. La créolisation n’est pas une nuance à l’universalisme. Elle en est au contraire le chaînon manquant entre la diversité du réel et la similitude fondamentale des êtres humains. L’universalisme auquel je me réfère depuis toujours est celui des droits. Les êtres humains sont tous égaux car ils ont tous les mêmes besoins. Ils doivent par conséquent avoir les mêmes droits. Cette revendication d’égalité, je ne l’ai jamais abandonnée. Elle est au cœur du programme L’Avenir en Commun dont je suis le candidat. La créolisation complète cet universalisme sans l’annuler. Elle est l’universalisme culturel. La créolisation est une alternative au modèle de la société segmentée à l’américaine et à celui de la culture dominante qui demande la soumission de toutes les autres.
Tentez-vous, ainsi, de concilier l’universalisme des Lumières et le droit à la différence ? Ou bien actez-vous l’échec de l’universalisme à la française ?
Ma position est claire : pas de droit à la différence s’il s’agit d’une différence de droits. L’universalisme c’est d’abord les mêmes droits et donc la même loi pour tous. Ce n’est aujourd’hui pas le cas comme : la loi laïque qui ne s’applique toujours pas dans les départements alsaciens, en Moselle ou en Guyane. Être Français ne signifie pas adhérer à une religion particulière, être d’une couleur de peau, cuisiner certains plats ou aimer certaines œuvres. Être français en République c’est adhérer au programme « liberté, égalité, fraternité » et respecter la loi. L’universalisme de la Révolution française permet à la France d’être un pays créolisé.
L’électorat LFI est divers, et se compose de Républicains « classiques » et de partisans de la nouvelle pensée antiraciste ? Ne tentez-vous pas d’unir ces deux franges a priori opposées ?
Je refuse cette division absurde. L’antiracisme ne ferait pas parti du corpus républicain « classique » ? Ceux qui se battent davantage contre les militants antiracistes que contre les racistes sont de mon point de vue de faux républicains. Le racisme décrit les êtres humains comme enfermés dans des caractéristiques soi-disant biologiques. La créolisation au contraire les décrit comme des êtres de culture et reconnaît leur capacité permanente d’invention et de création.
Comment rendre concrète la créolisation ? Si elle n’implique ni dilution, ni archipellisation, comment pourrait-elle garantir le progrèss en étant confrontée par exemple à l’islamisme, l’antisémitisme ou l’infériorisation des femmes ?
L’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre l’antisémitisme ou le racisme sont l’affaire de la loi. Elle doit être implacable dans ces domaines. Les racistes, les extrémistes religieux, l’extrême-droite ont tous peur de la créolisation car elle remet en cause leur vision étriquée des sociétés humaines. La créolisation est le contraire de l’uniformisation ou de la ségrégation : c’est un principe de liberté.
La créolisation, enfin, évoque un art de vivre mais ne semble pas imposer un ensemble de règles pour vivre ensemble.
La créolisation est avant tout un état de fait. Elle décrit la vie elle-même. Nous, les êtres humains, nous réinventons sans cesse dans nos relations avec les autres. La créolisation n’est pas autre chose. Qui veut combattre la créolisation comme monsieur Zemmour perd son temps. Interdira-t-il aux gens de s’aimer ? Aux Français de manger du couscous et de la pizza ? Aux musiciens de créer à partir d’influences du monde entier ? La France est créolisée et n’a pas à avoir honte d’elle-même.
Dans un article du Parisien, François-Xavier Bellamy conteste votre formule sur la francophonie selon laquelle « la langue appartient à ceux qui la parlent ». Il défend une vision de l’identité culturelle selon laquelle « nous héritons d’une culture et il nous incombe de la transmettre ». Qu’avez-vous à lui répondre ?
En ancien français (mais approximatif) : Si il voloit voir trametre un hereditage ne ja le changeler, il parlereit alsifaitierement (« s’il voulait vraiment transmettre un héritage sans jamais le changer, il parlerait ainsi »).
Ou en latin : Si majori solum aeterna praecepta tradidissent, Franciscus Amicus Pulcher non aliter quam latine sermonem contulisset (« si les anciens n’avaient transmis que des vérités immuables aux suivants, François Bellamy se serait exprimé en latin »)
Vous ne comprenez pas ? Monsieur Bellamy non plus probablement. C’est la façon dont on parlait français au moyen-âge. Si toutes les générations de francophones s’étaient contentés de transmettre un héritage, nous parlerions toujours comme cela. Évidemment ce n’est pas le cas. La langue est en permanence transformée par ceux qui l’utilisent. Monsieur Bellamy sait-il que le lexique français tel que décrit par le dictionnaire comprend 850 mots empruntés à l’italien, 400 mots empruntés à l’espagnol, 400 mots empruntés à l’arabe, 100 mots empruntés au russe ainsi que des mots hébreux, persans, chinois ou hindi ? Dans l’espace francophone d’aujourd’hui, la langue française est en contact avec bien d’autres langues, particulièrement en Afrique. Cela produira une nouvelle créolisation de notre langue commune à 29 pays et peuples. Rejeter ce processus par obsession du passé serait une erreur tragique pour la France. Cela nous couperait de la possibilité de construire un espace culturel en commun avec des centaines de millions de personnes.
Votre discours sur la créolisation fait-il de vous un partisan de « la déconstruction de la société française » comme vous en accuse M. Bellamy dans ce même article ?
La créolisation ne détruit pas, elle construit. Personne, et surtout pas moi, n’a proposé de faire table rase de Victor Hugo, de nos fromages ou de la baguette de pain pour les remplacer par autre chose ! Tout ceci relève du fantasme. Je vois bien une « déconstruction de la société française » mais qui tient à bien d’autres choses. Le peuple français est construit autour de son État, de son unité sociale et de son contrat politique inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Aujourd’hui, le libéralisme disloque en effet la société française dans la société des privilèges, le démantèlement de l’État et l’autoritarisme. Pour vraiment lutter contre la « déconstruction de la société », il faut s’attaquer à ces maux. La créolisation, au contraire, nous unit. Elle nous rapproche, nous empêche de rester enfermés dans des cases hermétiques.
La rentrée des insoumis aux AMFIS de Valence a été un formidable encouragement pour les Insoumis. Non seulement pour le déploiement par les bénévoles et les animateurs insoumis de cet évènement mêlant bouillonnement intellectuel, mobilisation et cette convivialité particulière des grands rassemblements populaires. Mais aussi pour sa démonstration politique. À 8 mois de l’élection présidentielle, nous sommes en ordre d’action : nous avons un candidat, un programme, une équipe et une stratégie. Celle-ci, nous la nommons : « Union Populaire ». Elle signifie : union à la base tous azimuts autour d’un programme capable d’être majoritaire. Dans quelques semaines, nous mettrons sur pied la structure d’incarnation de ce rassemblement d’un type nouveau : le parlement de l’Union Populaire. J’en explique ici la démarche en commençant par présenter les constats politiques qui y mènent.
L’union au sommet est impossible. Ceux-là même qui l’ont chantée sur tous les tons pendant des mois ont d’ailleurs renoncé à en jouer la comédie. EELV organise seul sa primaire. La direction du PS a déjà choisi sa candidate. Il suffit de comparer les discours d’aujourd’hui et d’hier pour constater l’effondrement de cette option. Le 1er mars dernier, par exemple, Yannick Jadot déclarait, sûr de lui : « il y aura une candidature commune entre Mélenchon et Macron ». Quelques semaines plus tard, il organisait une rencontre entre grands chefs EELV et PS. Insoumis et communistes furent conviés pour la forme. À sa sortie, devant les caméras, Olivier Faure se réjouissait : « il y aura un candidat et un projet commun ».
Mais en cette fin d’été, les déclarations de l’un et de l’autre contredisent toute possibilité de rassemblement des états-majors de la gauche sociale-libérale. Dans Le JDD du 14 août, à la question de savoir si un retrait du candidat écologiste était possible, Yannick Jadot répondait sans laisser l’ombre d’un doute : « c’est inenvisageable ». Quant au premier secrétaire du parti de François Hollande, dans son discours de clôture des université d’été, il fanfaronnait : « aujourd’hui, la principale force à gauche, ce sont les socialistes (…) Je suis fondé à revendiquer le rassemblement derrière un socialiste ». Ils voulaient tous un collier de logo, oui, mais chacun veut le sien en tête. Évidemment, il n’en sera rien : PS et EELV s’apprêtent chacun à avoir leur propre candidat. Dont acte.
L’union au sommet est donc définitivement enterrée. Elle ne fut même pas possible entre les représentants, pourtant proches idéologiquement, de la gauche d’accompagnement du système. Quant à nous, bien sûr il n’a jamais été sérieusement question pour le PS et Jadot de nous inclure dans un rassemblement. On se souvient de leurs réactions muettes ou méprisantes lorsque j’ai proposé en 2018 dans le quotidien Libération de travailler à une fédération populaire. D’une certaine façon : tant mieux. Leur sectarisme sert la stratégie d’union populaire. Celle-ci n’existe qu’avec un programme capable de fédérer largement. L’Avenir en Commun est capable de réaliser ce rassemblement. Eux non puisqu’ils ne veulent de presque rien de ce que veut la majorité populaire du pays. Quand ils ne veulent pas le contraire !
Nous pouvons désormais le dire objectivement. En effet nous avons fait réaliser un sondage sur 42 mesures issues de ce programme. Ses résultats nous montrent ce hiatus entre ce qui peut unir à la base et ce qui peut unir au sommet. Prenons l’exemple des retraites. Le retour à la retraite à 60 ans est soutenu par 7 Français sur 10. C’est un mot d’ordre qui rassemble. Mais le Parti Socialiste, lui a reculé de fait l’âge de la retraite quand il était au pouvoir, en imposant 43 années pour avoir le droit à une pension complète. Plus récemment, le contre-projet retraites des députés PS paru en janvier 2020 maintenait l’âge légal de la retraite à 62 ans. Quant à Yannick Jadot, en 2017, il déclarait : « il ne peut y avoir d’âge unique de départ à la retraite ». Depuis, c’est silence radio sur le sujet. Ce n’est pas le seul exemple. La 6ème République, mesure clé de l’Avenir en Commun soutenue par 6 Français 10 est absente du projet du PS qui n’en veut pas. Les premièrse propositions de Yannick Jadot de même.
L’union au sommet aurait donc été un obstacle pour atteindre le véritable objectif pour gagner l’élection : l’union à la base. Elle est possible. En 2017, les ONG, les syndicats et les associations écologistes lui avaient décerné leurs meilleures notes. Depuis, nous avons mis en ligne sur notre comparateur de programmes des analyses détaillées des propositions de la convention citoyenne pour le climat, des « directives du peuple » éditées en 2018 par des gilets jaunes ou encore les propositions du collectif « Plus jamais ça » qui réunit la CGT, Solidaires, ATTAC ou encore Greenpeace. Elles montrent une compatibilité à chaque fois supérieure à 90% ou plus avec les mesures proposées dans L’Avenir en Commun. Ce niveau de cohésion entre un programme politique et les propositions des forces vives de la société n’est pas un pur hasard. Il vient de la façon dont L’Avenir en Commun a été rédigé. Ni technocrates ni communiquants pour le mettre au point. Notre travail a été celui d’une synthèse des propositions venues de l’expertise associative ou syndicale et d’une mise en cohérence des multiples propositions venue de la société mobilisée.
Notre but n’est donc pas de réunir les chefferies des partis politiques. En revanche, ma campagne présidentielle a clairement vocation à rassembler des syndicalistes, des intellectuels, des responsables associatifs, des meneurs de luttes qui reconnaissent dans L’Avenir en Commun leurs revendications et leur vision du monde. Encore faut-il s’en donner les moyens. La première condition est de laisser de côté les étiquettes. Les mouvements sociaux et notamment les gilets jaunes nous ont appris cela ces dernières années. L’Union Populaire s’y réalisait à condition que chacun laisse logos et drapeaux chez lui. Nous le faisons. L’Union Populaire s’affiche sans le « phi » des insoumis. Cela ne signifie pas, bien sûr, la disparition de l’identité insoumise ! Au contraire, elle se met au service de l’Union Populaire. Mais elle ne veut pas la réduire à notre mouvement. Tous peuvent y participer du moment qu’ils adhèrent au programme et s’astreignent le temps de la campagne à renoncer à la compétition mutuelle.
Il faut donc un organe capable de donner corps à cette fédération. Ce sera le « Parlement de l’Union Populaire ». Il agrégera les personnalités volontaires qui, dans la société, veulent faire gagner le camp de la rupture écologique et sociale. Il n’appartiendra à aucune étiquette particulière ou collection de logos. Il aura un rôle central dans la campagne pour mobiliser les différents secteurs intéressés au changement dans la société et sera consulté sur les grandes étapes stratégiques. On a souvent vu dans les révolutions citoyennes dans le monde s’installer une dynamique féconde entre le mouvement de l’auto-organisation permanente et des grandes coalitions de représentants des différentes branches de l’action populaire. Au Chili, pour ne citer que cet exemple, cette formule a permis au peuple de conquérir son assemblée constituante pour faire changer le régime. En France, ce sera celle de ma campagne qui permettra cet aboutissement comme celui des principales revendications commune du peuple. Puisque son objectif est le même. Et que le programme le prévoit. Entrer dans l’union populaire est un engagement individuel ou collectif. Mais c’est un engagement conscient, libre et une volonté de se fédérer par le programme commun. Et surtout c’est un engagement à l’action.