Progressivement, le tableau de la présidentielle se met en place. Sur la gauche tout est en place. À droite et à l’extrême droite, la poussière n’est toujours pas retombée sur une scène encore pleine de convulsions. Entre Macron, Les Républicains, Zemmour et Le Pen c’est manœuvres et contre manœuvres, agitation et fébrilité. Macron y a la main. Mais la percée d’Édouard Philippe va aussi commencer à déstabiliser les jeux délicats des stratèges de l’Élysée. Alors quand, dans le même temps, le centre-gauche se reprend à multiplier sans vergogne les appels du pieds aux déçus du macronisme et à ses renégats dans la majorité LREM, une faille apparait dans la construction si laborieusement assemblée par Macron. Et par les temps qui courent, il y a peu d’une faille à une voie d’eau comme l’a prouvé le sort sondagier de madame Le Pen.
En tous cas, il est temps d’avoir un peu de stabilité six mois avant l’élection. Mais quelle volatilité ! N’est-il pas extraordinaire que les deux anciens partis qui ont surplombé la scène pendant quarante ans et qui ont explosé en 2017 soient toujours titubant sur le bord du ring où ils veulent boxer ? Qu’ils soient sans programme, sans candidature stabilisée, sans identification à quelque projet que ce soit ?
Cette sorte d’indétermination à la surface de la scène a son substrat dans la profondeur du pays. La campagne présidentielle commence seulement à entrer dans les préoccupations . L’essentiel des préoccupations est ailleurs. Dans les prix à payer ce qui est vital, dans les salaires insuffisant, dans les droits acquis qui se dérobent sous les pas de la vie quotidienne, dans tous ces ascenseurs bloqués et cet avenir qui semble se fermer dans tous les compartiments. L’énormité de la propagande gouvernementale, la violence de ses mensonges, finissent de creuser un décalage béant entre ce qui est réellement vécu et ressenti d’un côté et de l’autre la version officielle de ce que sont en train de vivre des millions de gens. Dans cet écart se forment des errances de toutes sortes, des déconstructions, et des nouveaux assemblages imprévus. L’ancienne France, l’ancienne façon de voir et de se penser, s’évapore au fil des secousses qui agitent toute la société avec ou sans bruit. La nouvelle se cherche à tâtons.
Mardi 12 octobre, Emmanuel Macron a présenté en grandes pompes son plan « France 2030 ». Cet exercice de communication grossier était censé présenter les grandes orientations d’investissement de l’État. Vu de très près, il s’agissait davantage d’un exercice de propagande électorale que d’un discours de Président de la République. Un saupoudrage épars, sans direction particulière ni planification. Et pour cause, Macron l’a dit : pour lui, l’arbitre au final c’est toujours le marché.
L’annonce avait d’ailleurs un air de déjà vu. Un an après l’annonce du plan « France relance », Macron recycle la même méthode pour annoncer cette fois-ci le plan « France 2030 ». Là encore, un chiffre spectaculaire : 30 milliards d’euros sur cinq ans. Reste plus qu’a compter sérieusement. Cela ne fait donc en moyenne que 6 milliards d’euros par an. C’est là un ordre de grandeur qui n’a rien d’exceptionnel. Pour 2022, cela devrait se traduire par un simple amendement pour renforcer de 3 ou 4 milliards d’euros les crédits du Programme d’Investissements Avenir 4 (PIA4), jusqu’à présent doté de 20 milliards d’euros. Pas de quoi décoiffer.
Pour rappel, en 2010, le premier plan d’investissement d’avenir lancé par Sarkozy était doté de 35 milliards d’euros, en 2014, le deuxième de 12 milliards d’euros, et en 2017, le troisième de 10 milliards d’euros. Soit, plus de 60 milliards d’euros de crédits de soutien à l’investissement du privé sur 10 ans, ce qui fait donc une moyenne de 6 milliards d’euros par an. Avec le lancement de ce « nouveau » plan, Macron ne fait que reconduire sa politique habituelle en matière d’investissement. Mais il accompagne cela d’annonces fracassantes et d’une intense préparation d’artillerie médiatique reprenant comme d’habitude sans recul ni critique la parole et les infographies officielles.
Sur ces 30 milliards, combien de dépenses supplémentaires et combien de prêts ? Quel calendrier de mise en œuvre ? On n’en sait rien. Seule certitude : la poursuite d’une politique de l’offre archaïque, de cadeaux sans contreparties aux entreprises, largement captés par les secteurs les plus polluants. Et la poursuite des baisses de moyens de la recherche publique et de l’enseignement supérieur, véritables clefs de la souveraineté industrielle pour l’avenir. Pour citer Les Echos : «Plus qu’une question de chiffre, c’est une philosophie.» Une jolie façon de reconnaître qu’une fois de plus, le lancement de ce plan n’est qu’un exercice de communication, un roman dans lequel il prétend formuler le récit enchanteur d’une «Industrie française, porteuse de valeurs d’humanisme».
«Notre pays doit continuer de faire des réformes pour produire plus et produire davantage (…) les Chinois sont en train de le faire, mais pas avec le même modèle sur le respect des libertés individuelles, l’agriculture. Avec les Américains, nous avons des valeurs communes, mais pas la même vision de la société, sur la solidarité». En d’autres termes, face au méchant capitalisme étranger, Macron propose un gentil capitalisme avec une baguette sous le bras et un béret. Il ajoute ainsi : «je l’ai plusieurs fois dit, assumant moi-même de l’être ; je suis le premier des Gaulois réfractaires». Macron ferait presque passer son mépris de classe pour une manie affectueuse. Mais la haine des pauvres et les délires néolibéraux ne sont jamais bien loin. Le dénigrement des travailleurs français n’est jamais loin dans sa bouche.
Ainsi, lors de son allocution, il affirme que La France est «un pays qui travaille moins que les autres». C’est faux. «Les Français travaillaient 37,3 h/semaine en 2018» et font partie des plus productifs d’Europe, selon Eurostat. C’est encore plus criant sur la productivité : près de 15 points au-dessus de la moyenne européenne et devant l’Allemagne. Le Financial Times avait même écrit que les Français pourraient s’arrêter de travailler le jeudi soir et produire autant que les Britanniques. Alors que de nombreux économistes appellent comme nous à baisser le temps de travail, Macron recycle les vieilles rengaines mensongères de ceux pour qui le burnous ne sue jamais assez. À la fable des Français fainéants, il ajoute celle des pauvres petits actionnaires. La faible compétitivité de l’industrie serait due entre autres, à la faiblesse de la rémunération du capital. Quel culot ! La France est championne du monde des dividendes. Et le moins-disant fiscal n’est pas l’Alpha et l’Omega pour attirer les investissements. Même les États-Unis l’ont compris. Les facteurs opérationnels (taille et nature du marché, niveau de qualification, qualité des infrastructures…) sont beaucoup plus déterminants, comme l’indique le Conseil des prélèvements obligatoires.
Dans le détail, le plan de Macron est surtout anti-écologique. Quand il parle de grands fonds marins, c’est immédiatement pour évoquer les métaux rares. Il ne dit rien de la négociation qui a lieu en ce moment à l’ONU précisément pour créer un traité international pour éviter leur exploitation sauvage. Il veut enfermer davantage la France dans le choix du nucléaire. telle est sa dernière trouvaille, les «mini-réacteurs». Les SMR (Small Modular Reactor) ne pourront pas répondre à l’urgence climatique, malgré ce qu’affirme Macron. D’après Yves Marignac, le porte-parole de NégaWatt, le modèle de SMR d’EDF ne seront pas commercialisables avant 2035 au mieux et coûtent plus chers que les énergies renouvelables. Toutes les impasses du nucléaire se posent également pour ces SMR : déchets, dépendance pour l’approvisionnement en uranium, accidents : tout est là, en plus grand nombre, et en modèle géant. Et une fois de plus, on doit souligner l’absence de tout débat démocratique sur le nucléaire. Macron a décidé seul. Tout seul. C’est du grand bluff. Car les énergies renouvelables sont reléguées au moment où elles servent de prétexte au discours officiel. Elles se voient affecter deux fois moins d’investissements : cinq cents millions d’euros contre un milliard pour l’atome.
Le reste est à l’avenant. Pas un mot sur la nécessaire réduction du transport aérien. Au contraire il veut développer un avion «bas-carbone». Et bien sûr il se montre plus optimiste que les professionnels du secteur. En effet il annonce ses vols en 2030. mais le PDG d’Airbus parle du développement d’un avion neutre en carbone pas avant 2035. De leur côté, trois cents compagnies aériennes regroupées dans l’association du transport aérien international ne visent la neutralité qu’en 2050. La date n’est pas tout. Au-delà des questions d’échéance, il est nécessaire de rappeler que l’avion neutre en carbone est pour le moment un mythe. Car son fonctionnement nécessite des biocarburants qui concourent à la déforestation importée ou s’appuie sur des techniques de compensation carbone. Pour finir avec le transport, notons que Macron n’alloue aucun budget pour développer les infrastructures ferroviaires. Il n’y a donc rien non plus pour organiser le report du transport routier vers le train.
Et pour finir, rien non plus dans le domaine crucial des investissements nécessaires pour économiser de l’énergie. Tous les spécialistes de la question savent que c’est dans ce domaine que gisent les plus grandes ressources pour faire bifurquer le système. La priorité est bien de mettre en place des politiques de sobriété et d’efficacité énergétiques. Avec la rénovation thermique de l’ensemble du parc immobilier, par exemple. Une question bien urgente pourtant. En effet la politique de Macron jusqu’à présent est un échec : la baisse des émissions de gaz à effet de serre en France est insuffisante pour atteindre les objectifs climatiques fixés pour 2030. Le Haut Conseil pour le Climat précise qu’«en raison du retard accumulé par la France, le rythme actuel de réduction annuelle devra pratiquement doubler, pour atteindre au moins 3,0 % dès 2021 (-13 Mt éqCO2) et 3,3 % en moyenne sur la période du troisième budget carbone (2024-2028)». Sur le prochain quinquennat, l’institut de l’économie pour le climat (I4CE) estime qu’il faudra atteindre 200 milliards d’euros d’investissements écologiques. Ca n’en prend pas le chemin avec les gesticulations du plan France 2030. Donc il faut dégager Macron dès 2022.
La décision de la Cour constitutionnelle polonaise contre la primauté du droit européen fait parler. À juste titre. Il y a dans les commentaires un méli-mélo de refrains bien connus. Je pense qu’il ne sont pas toujours vraiment adaptés au cas dont il est question. Zemmour, Le Pen et Montebourg se sont précipités pour dire leur approbation de la décision polonaise. Je le comprend des deux premiers et bien moins du troisième.
En effet pour moi, toute les mises à distance des impératifs de l’Union européenne ne se valent pas. J’ai protesté quand le Royaume Uni a demandé l’opt-out des clauses sur le temps de travail maximum à quarante-huit heures par semaine. Pourtant, je trouvais que 48 heures c’était trop. Pourtant aussi je n’approuvais pas la nouvelle charte sociale européenne. L’essentiel à mes yeux est de juger des affaires dans leur contexte et dans leur portée réelle. Permettre à un État de faire travailler ses salariés plus de 48 heures par semaine, c’est manquer de solidarité avec ces travailleurs. Et c’est aussi permettre une forme de dumping social. Pourquoi aurais-je dis «chacun fait ce qu’il veut» alors que je dis le contraire à toute occasion en matière de droits de l’homme et de droits sociaux ? Bref, lutter pour la liberté n’exempte pas d’apprécier à quel sujet s’applique la liberté réclamée !
Quel genre de liberté réclame le gouvernement de Pologne face à la Commission européenne ? Il s’agit d’une réforme de la justice qui, selon la Cour de justice européenne, entrave l’indépendance des juges polonais. Comme le régime polonais est très réactionnaire et de plus en plus méprisant des principes fondamentaux auxquels nous sommes attachés comme Insoumis, il ne peut être question d’encourager un tel régime dans son action. Notamment à propos de justice, d’immigration et d’environnement comme c’est le cas à cette occasion. C’est là un enjeu aussi important que le droit de ce pays à s’administrer comme le veut sa majorité politique. Ce n’est pas tout. Notre critique du néolibéralisme institutionnel de l’Union européenne n’est pas confinée à la seule sphère économique. Elle inclut tous les aspects de violation des droits sociaux et politiques que cette orientation contient. Il ne peut donc être question d’accepter la tolérance d’État autoritaires qui seraient dans l’Union et participeraient aux décisions qui s’imposent à tous les autres comme à nous.
À mes yeux, la meilleure manière de plaider la sortie des traités actuels n’est pas de soutenir la Pologne mais de combattre sa politique sans se laisser entrainer dans sa diversion. Car la Pologne ne réclame pas la sortie des traités qui régissent Union mais leur application stricte sans ce qu’elle considère comme des débordements hors du champ de compétence de l’Union ! Si nous acceptions ce raisonnement, que ferions-nous dans une Union qui accepterait des pratiques contraires aux principes démocratiques fondamentaux à nos yeux imprescriptibles, traités ou pas ? N’avons-nous pas attendu la chute de Franco pour proposer l’entrée de l’Espagne dans l’Europe des 12 ? La Commission européenne a beau jeu de dire qu’elle «ne permettra pas que les citoyens polonais soient privés des droits que l’union garanti». Cela quand elle les prive des acquis sociaux dont ils jouissaient auparavant comme nous le voyons a toute occasion sur les retraites par exemple !
Cependant, ce raisonnement ne suffit pas pour analyser la situation qui résulte de la décision polonaise. En effet c’est la deuxième fois qu’une cour Constitutionnelle nationale remet en cause l’autorité supra-nationale du droit européen. La fois précédente, ce fut celle de l’Allemagne à propos de la politique de la banque centrale européenne. La décision polonaise monte le ton d’un cran. Dans ces conditions, nous nous rapprochons du moment où ces oppositions remettront en cause l’Union elle-même. Et sinon, au minimum, sa logique interne depuis plus de trente ans. Le processus d’intégration toujours plus étroite dans le cadre des traités essentiellement était voué à construire et protéger un marché unique. Et seulement cela. Cette réalité est mise à nu par ces mises en cause allemande et polonaise. Rien d’autre n’est en cause pour ces deux pays. Les désobéissants actuels ne veulent pas d’une autre Europe que celle du marché unique. L’Europe des droits ne les intéresse pas. Ils n’en veulent pas. C’est de l’ordo-libéralisme pur. Et c’est eux qui ont la position forte. En effet ils réclament l’application des traités et des traités seulement. Mais «les-traités-seulement» c’est une construction globale où l’exclusion des droits sociaux et démocratiques du champ d’application fait partie de leur raison d’être. Ce que les chantres du droit européen font mine de découvrir.
Mon point de vue est qu’il faut acter la situation de blocage. Le cas polonais est le résultat de la nature de l’Union et non sa contradiction. Pour autant, nous ne devons pas approuver les motivations polonaises car elles nous interdiraient demain de nous prononcer contre d’autres évolutions autoritaires chez nos « partenaires » dans l’Union, que nous soyons au pouvoir ou dans l’opposition. Ce n’est pas tout. Un traité se distingue d’un autre document signé à échelle internationale dans la mesure ou par définition il s’impose à la loi nationale. Il y a une expression latine en usage courant sur ce point : «Pacta sunt servanda». Cela signifie qu’une fois signé, un contrat doit être respecté de bonne foi par les parties qui l’ont signé. Ce principe a valeur constitutionnelle en France depuis 1992 et une décision qui avait fait couler beaucoup d’encre… Il remonte à la lettre même de la Convention de Vienne de 1969 où il est dit sans détour qu’aucun obstacle juridique du droit interne ne peut être opposé à l’application d’un traité. Et c’est bien ce que nous faisons tous les jours par exemple avec la Charte des nations Unies.
Si nous gouvernons le pays, nous devrons donc respecter la parole donnée dans de très nombreux domaines, sauf à rompre les accords qui nous engagent à leur sujet. Et c’est bien notre intérêt que les parties liées à nous en fassent autant. C’est pourquoi nous devons annoncer sans détour avant l’élection quels traités nous comptons rompre et sur quels points. Par exemple celui de l’organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Pour ce qui est de l’Union européenne, dire que la loi nationale s’impose face aux décisions européenne n’a pas de sens. Ou plus exactement il faut dire soit ce que l’on ne veut plus appliquer et observer ce qui reste alors des traités conclus, soit ce que l’on fera et qui n’est pas conforme aux traités. C’est ce dernier choix le nôtre. Nous disons que nous désobéirons sur tous les sujets qui auront été adoptés avec notre programme. Nous le feront en appliquant la clause « opt-out ». Cela ne fait pas de nous des sortistes de l’Union européenne. En effet nous sommes conscients que l’Union sans la France c’est le règne de l’Allemagne sur le continent. On a déjà connu il y a longtemps, au temps du Saint-Empire romain-germanique, au temps des Habsbourg comme Charles Quint enserrant la France de François 1er. J’en passe…
Dans ces conditions la logique de notre position (désobéissance, plan A plan B) est fondée sur la construction de rapport de force dans le but de rendre absolu des principes communs favorables aux peuples. Par exemple (je dis bien «par exemple») la règle suivante qui pourrait être adoptée par tous : aucune décision ne s’applique quand elle est de moindre avantage que l’ordre juridique national. Comme cela se comprend, cette clause de non régression sociale ou démocratique n’a rien à voir avec un chèque en blanc ni, à plus forte raison, avec une autorisation de déroger aux principes fondateurs de la démocratie.
J’invite donc à se méfier des solidarités sans conditions avec les régimes autoritaires de l’Europe de l’Est comme la Pologne et la Hongrie. Dans la réplique à leur faire, je crois que les Français ne doivent rien faire qui ne puisse valoir aussi (s’ils le souhaitent) pour toutes les autres parties prenantes de nos accords actuels. Notre choix n’est ni le chaos, ni le Frexit de principe, ni la soumission aux traités actuels, ni la fumeuse attente résignée d’une renégociation générale. C’est l’application des décisions du vote populaire et donc l’opt-out pour tout ce qui lui fait obstacle.
Rappeler notre intention de désobéir si l’Union nous imposait de renoncer à l’application de notre programme. Comme on le sait, pour chaque cas concernés nous demanderions la clause « opt-out ». Notre revendication de la sortie des traités peut alors prendre la forme d’une discussion générale sur leur contenu et la force de leur application
Depuis plusieurs semaines, les sujets sociaux reviennent sur les plateaux de télé. Peut-être un effet de notre campagne intense pour que cela soit le cas. Plus sûrement un impact de l’énormité des chiffres qui se publient sur l’extension de la pauvreté et de la misère dans le pays en même temps que se fortifient au-delà du jamais vu les grandes fortunes du pays. Mais mes propositions dans Le JDD, puis dans Libération, puis dans L’opinion, sur l’augmentation du SMIC et le blocage des prix, la crise alimentaire et les accidents du travail ont peut-être aussi fait mouche. Elles ont impacté, comme j’ai pu le constater au nombre des messages que j’ai reçus sur le sujet. Elles sont entrées en résonnance avec le quotidien de la population à petits revenus, soumise à la hausse brutale du prix des carburants, du gaz, des produits alimentaires. Le gouvernement et l’extrême-droite, qui avaient prévu de faire campagne sur l’immigration et la sécurité, se retrouvent avec la question de la vie chère comme caillou dans leur chaussure. Aussitôt, la contre-propagande macroniste s’est lancée. Cette semaine, elle a consisté à répéter sur tous les tons deux chiffres censés faire taire tout le monde. C’était l’annonce d’un résumé des résultats spectaculaires du quinquennat Macron
Cette propagande m’a été servie sans recul sur France 2 lors de mon dernier passage avec un très gros coup de clairon de Caroline Roux sur « la baisse du chômage ». Pour le dire, elle s’appuyait sur « les chiffres de l’INSEE » montrant que « le chômage n’a jamais été aussi bas depuis 2008 ». Rien que ça ! Etonnée que je ne saute pas de joie sur le champ, elle insiste « vous contestez les chiffres de l’INSEE ???». C’est vrai quoi ! « Nooooon », ai-je aussitôt répliqué pour ne pas me taper deux jours de boucles sur « Melenchon dénonce un complot de l’Insee ». N’oublions pas que nous sommes sur la chaîne gouvernementale de Saint-Cricq et du « Printemps républicain ».
Mais la lecture des chiffres du chômage, « au sens du BIT » comme l’a répété caroline Roux, se discute pourtant. Car voyons de plus près ce qu’il en est. La définition du chômage par le BIT est la plus restrictive qui existe. En effet sont uniquement comptabilisées les personnes qui ne travaillent pas du tout et cherchent activement un emploi et sont immédiatement disponibles pour le prendre. Toutes les personnes qui font quelques heures ici et là mais voudraient travailler plus, tous les chômeurs en formation, tous les chômeurs de longue durée découragés sont exclus de cette définition. Aux yeux du BIT, ce ne sont pas des personnes sous-employées.
Le chômage « au sens du BIT » ne permet donc pas du tout d’avoir une vision correcte du tableau social. Il faut alors regarder d’autres chiffres. Ceux des « inscrits à pôle emploi » racontent une autre histoire. Les différentes catégories A,B, C et D incluent justement les chômeurs qui travaillent occasionnellement, ou ceux en formation. Ils sont 5,7 millions. C’est 200 000 de plus qu’avant mars 2020 et le premier confinement. On est bien loin de la situation idyllique qui m’a été présentée sur France 2. D’ailleurs, cela pourrait s’aggraver encore. En un an, entre mars 2020 et mars 2021, 1000 plans sociaux ont été déclenchés. Soit 5 fois plus que l’année précédente. Comme ils sont en train d’être mis en œuvre, leurs effets ne sont pas encore tous sensibles dans les chiffres du chômage.
En définitive, la question sociale mérite davantage que des chiffres. Mais le fait que les macronistes n’aient que des chiffres pour répondre à l’angoisse des salariés montre encore une fois comment ils confondent le gouvernement des êtres humains avec l’administration des choses. Mais s’il faut donner des chiffres pour que ces thèmes percent le mur du silence, finissons cette note avec eux.
Il y a dans notre pays 10 millions de pauvres. C’est 1 million de plus qu’avant le premier confinement. 8 millions de personnes dépendent de l’aide alimentaire. 5 millions de ménages ont du mal à payer leur facture de chauffage. C’est ce que j’ai préféré dire à l’emporte-pièce plutôt que de comparer des méthodes statistiques avec Caroline roux et, du coup, être empêché de parler des sujets convenus à l’avance pour l’entretien. Rien de tel qu’un bon bain de chiffres accablants pour ramener la réalité dans la lumière de la conscience.
Yannick Jadot a gagné la primaire d’EELV. Le feuilleton médiatique permanent n’a pas pu s’empêcher d’attacher un adjectif à chacun des deux candidats en lice. Il y aurait eu d’un côté la « radicale », de l’autre le « pragmatique ». Mais la radicalité, c’est agir réellement au sens grec du mot « pragmatikos » : être dans l’action. Je pose ça pour la réflexion… Au final, les résultats ont été plutôt serrés. EELV reste donc partagé comme le sont les catégories sociales sensibles au centre-gauche. Elles hésitent entre rupture et accompagnement du système. Car dans la sphère politique, tout le monde est devenu écologiste. On doit donc désormais s’intéresser de près au contenu programmatique sur le sujet . Car il faut savoir de quelle écologie on parle. De l’écologie néolibérale mâtinée de bons sentiments écologistes ? De l’écologie « progressive » des petits pas qui valent « mieux que rien ». Ou de celle du pôle populaire dont le prisme écologique est fondamentalement social ?
Pour nous insoumis, la racine du désastre écologique c’est le capitalisme financier. Dès lors, les positionnements écologistes se font à partir d’une seule question : quelle rupture avec la logique d’accumulation productiviste ? C’est de celle-ci que vient la destruction environnementale et sociale. Ici, être radical c’est aller à la racine des problèmes comme c’est le sens du mot radical. L’action (pragmatikos) écologiste ne peut être que radicale. Aussi, je guette les pas de chacun. À vrai dire d’une façon générale je suis optimiste. Certes, nos concurrents m’ont fait l’effet d’être moins préparés que nous le sommes depuis désormais tant de temps ! Alors je suis prêt à parier : à moins de six mois avant l’élection, faute de temps, notre programme va être beaucoup imité et recopié. Je crois même que celui des autres se présentera comme un nuancier du notre. Tant mieux.
D’ailleurs, notre comparateur de programme montre que Yannick Jadot a fait d’importants bougés dans notre direction. Je l’ai vivement ressenti lors de son premier déplacement de candidat officiel. Il a rendu visite aux travailleurs de Ferropem comme je l’avais fait il y a deux mois. Moi aussi, j’avais choisi en 2012 et 2016 de commencer par une visite d’usine en lutte. Je comprends et j’approuve le message implicite. Jadot veut dire que la condition ouvrière ne lui indiffère pas. Ceux-là produisent le silicium, indispensable au fonctionnement des panneaux solaires et de tous les appareils électroniques. Or, deux usines sont menacées de fermeture par la maison-mère espagnole. De fait, Yannick Jadot a raison d’affirmer qu’il s’agit d’un enjeu de souveraineté nationale. Mot nouveau dans le vocabulaire écolo traditionnel. Et il a réclamé la nationalisation. Autre coup de barre collectiviste. Qu’il la souhaite « temporaire » n’est pas un obstacle entre nous. C’est déjà un premier pas vers l’idée de la méthode des réquisitions « dans l’intérêt général » et donc vers la planification. Au demeurant Jadot après avoir eu des mots assez durs contre nous sur le sujet a évolué et il fait sien un concept de planification ou « l’État donne l’orientation ». Ce n’est pas notre position, certes. Nous ne sommes pas pour que « l’État donne l’orientation ». La planification est un processus démocratique largement transversal dans sa définition et dans sa mise en œuvre. Les communes entre autres y jouent un très grand rôle.
Les premières grandes annonces programmatiques de Jadot ont été occultées par d’autres sujets médiatiques. C’est bien dommage, car elles méritent d’être commentées. J’en cite ici quelques-unes. Mais le détail est disponible sur notre comparateur de programme. En tous cas j’ai noté les efforts sur le volet social. Les convergences existent. Ainsi, Yannick Jadot fait de la sortie du modèle agro-industriel et de la malbouffe sa priorité numéro 1. C’est une convergence bienvenue avec le plan de sécurité alimentaire que je propose et dont j’ai donné des aperçus dans mon interview au journal « Libération ».
Je note aussi la proposition désormais commune de gratuité des premières quantités d’énergie indispensables et la tarification progressive. Ce n’était pas dans ses 10 premiers « chantiers » présentés sur son blog. Mais la flambée des prix de l’énergie et la situation d’urgence sociale du pays lui ont fait comprendre l’importance de ces questions. Les insoumis défendent cette mesure depuis la première version du programme « L’avenir en commun de 2016. Dans le contexte ce n’est pour autant pas suffisant. Voilà pourquoi je propose le blocage des prix des produits de première nécessité.
D’autres sujets restent à éclaircir. Ainsi, dans une précédente note de blog, j’alertais déjà au sujet d’une de ses propositions. Yannick Jadot projette de fusionner les minimas sociaux pour créer un revenu minimum à 660 euros. Soit 400 euros en dessous du seuil de pauvreté ! Au JDD, il précise qu’il sera porté « au niveau du seuil de pauvreté d’ici cinq ans ». Il prévoit aussi d’augmenter le SMIC « à hauteur de 10% sur le quinquennat ». Là, ça coince. 120 euros de plus dans cinq ans. C’est vraiment peu. 24 euros par an. Deux par mois… Avec ou sans l’ajustement inflation ? Augmenter les salaires et les minimas sociaux est pourtant une mesure écologique. Pas de recours massif aux produits de l’agriculture bio sans ces hausses des salaires pour permettre des prix dignes pour les producteurs. Et quand 8 millions de Français sont en insécurité alimentaire, cela devient vital.
Mais le plus intéressant d’une interview comme celle que Jadot a donnée au JDD réside parfois dans ce qui n’est pas ou peu évoqué. Finalement, celle-ci s’avère très consensuelle. Il n’y est pas question de blocage des prix, d’interdiction des pesticides ni des super profits des actionnaires du CAC40. Le rôle de l’État et le rapport de force à engager avec l’Union européenne restent donc flous. Pourtant, il ne pourra y avoir de bifurcation écologique sans relocalisation ni protectionnisme. 9 Français sur 10 y sont favorables. Mais cela est impossible sans remise en cause des traités européens.
Par exemple, le plan d’investissement de Jadot ne peut voir le jour sans passer outre les règles budgétaires de l’Union européenne. Or, tout vainqueur de la primaire des verts s’engage à défendre une Europe fédérale. Jadot revendiquait dès septembre 2020 dans l’Obs porter une candidature « proeuropéenne ». Ce n’est donc pas un petit sujet. Mécaniquement, cela amène sur la table la question de la dette. Jadot affirme qu’ « aujourd’hui il n’y a pas de problème de financement de la dette. » Bon. Et alors ? Ça ne dit pas ce qu’il faut en faire. Compte-t-il l’annuler, l’ignorer, la payer ? On ne sait pas. Et ce n’est pas une petite question.
La politique étrangère n’est pas non plus une mince affaire. Le moment est celui de ruptures et recompositions de l’ordre international. Les conséquences du changement climatique vont aussi bouleverser les équilibres entre les Nations et les peuples. Pour affronter ces défis, Yannick Jadot prône une « autonomie européenne de défense ». Contre qui ? Cela signifie-t-il sortir de l’OTAN ou y rester? On ne sait pas.
Par ailleurs personne ne lui a demandé de s’expliquer sur son projet d’« union d’action franco-allemande », listé dans ses dix premiers chantiers. En matière de défense aussi ? Cela a de quoi inquiéter. En effet, le projet commun d’avion de patrouille maritime vient d’être enterré par les Allemands. L’assemblage du moteur français de la fusée Ariane va être délocalisé en Allemagne. Le prix à payer est connu d’avance. C’est le renoncement à l’indépendance industrielle stratégique de notre pays. Je ne suis pas d’accord.
Pour finir, je mets sur la table un sujet que je crois fondamental. Pourtant, Yannick Jadot l’élude toujours. Je parle du passage à une 6ème République. C’est la condition d’un profond changement du fonctionnement de la démocratie en France qui est aujourd’hui toute en panne. Sans cela aussi, pas de règle verte ni de nationalisation des biens communs. La convocation d’une Assemblée constituante est le moyen d’y parvenir. C’est un élément central dans la stratégie de révolution citoyenne présente dans le programme l’Avenir en commun. Mais dans l’interview au JDD, une petite phrase de Yannick Jadot m’interpelle : « la priorité de l’Assemblée nationale ne sera pas d’être une assemblée constituante ». Faut-il considérer qu’il n’en veut pas ?
Cette semaine, j’ai répondu de manière claire aux étudiants de Sciences Po. Céder à la sempiternelle ritournelle de l’Union c’est accepter de ne parler de rien. Surtout pas de ce qui fâche ! Mais cela ne dupera jamais personne. Au contraire, c’est un repoussoir. La clarté des positions est essentielle. Je tiens donc les miennes. En effet, sans cela, nous ne pourrons pas résoudre le principal problème posé : vaincre l’abstention. Je le redis : la mobilisation populaire est la clef du scrutin. Celle-ci dépend évidemment du programme. Et il ne se décide pas au moins-disant.