Tribune de Jean-Luc Mélenchon publiée le 17 septembre dans l’Opinion.2817
L’annulation par l’Australie de l’accord d’achat de douze sous-marins français est un camouflet venu des USA. La portée économique sera lourde. Mais la signification géopolitique est décisive. La décision a été officialisée par Biden et les Premiers ministres britannique et australien. Ils ont annoncé une nouvelle alliance militaire tripartite (AUKUS) pour contrer la Chine dans la zone dite « indopacifique ». Au cœur de cette alliance : le futur déploiement par l’Australie des sous-marins à propulsion nucléaire, désormais fournis par les Etats-Unis. La priorité des USA est de renforcer leur présence militaire et celle de leurs affidés face à la Chine, pointée comme une « menace stratégique » par l’Otan.
Humilié, notre pays est prié de s’aligner : Biden a déjà testé son « allié » français. Il peut être rassuré ! La France a aussitôt obtempéré : elle honorera son engagement dans la zone indopacifique, tout en misant sur une « stratégie européenne » dans la région. Une mauvaise blague ! L’UE est liée à l’Otan ! Pour moi, il est temps de cesser de s’illusionner. Temps de retrouver l’indépendance. Le tournant « indopacifique » auquel les gouvernements français ont emboîté le pas est absurde.
Dépenses militaires. La Chine est-elle une menace pour nous ? Non. En 2019, les dépenses militaires cumulées des pays de l’Otan représentaient plus de la moitié des dépenses militaires du monde : 1 035 milliards de dollars, dont 731 pour les seuls USA. Menacée, la Chine a augmenté ses capacités. A une vitesse « inquiétante » selon le Pentagone. C’est faux. Le budget militaire chinois est 3,5 fois moins élevé que celui des Etats-Unis. Elle a une base militaire à l’étranger, contre cinq cents pour les USA. Elle a deux porte-avions, bientôt trois, contre onze. Elle déploie 350 ogives nucléaires, contre 1 600 (280 côté français). Bref, la Chine a les moyens de sa défense, mais n’est pas une menace militaire pour la France et le monde. Elle ne veut pas faire l’erreur de l’URSS, autodétruite dans la course aux armements. Au demeurant, il lui faudrait des décennies pour ne serait-ce qu’égaler les moyens des USA.
Mais, dit l’Otan, la Chine coopère avec la Russie. Face aux méchants, les gentils doivent faire bloc. Ce rapprochement s’est en effet accéléré du fait du traitement dont ils font l’objet par les USA et leurs suppôts. Russie et Chine ont ainsi convenu de « s’éloigner du dollar américain dans le commerce » pour réduire les risques de sanctions extraterritoriales. Les Etats-Unis craignent cette menace plus que tout. Si le dollar cesse d’être la première monnaie d’échange et de réserve, sa valeur sera ramenée à l’étalon de la gigantesque dette des Etats-Unis. La France et l’Europe, régulièrement victimes indirectes des sanctions extraterritoriales étasuniennes, partagent donc les intérêts de la Chine et de la Russie.
Coopérations exigeantes. La France ne doit pas attendre. L’humiliation ici infligée à notre pays rappelle que la compétition militaire avec la Chine ne sert que les intérêts des USA. Ils veulent conserver leur suprématie. Et c’est là une grave menace, car cette confrontation renforcera, en Chine et en Russie, les tendances nationalistes et autoritaires. La recherche d’un ennemi extérieur accompagne souvent celle d’un ennemi intérieur. Ces constats s’appliquent à la France et l’Europe, où la relation avec la Chine est présentée comme un conflit de « valeurs » ou de « civilisations ». Là où il n’y a que compétition géopolitique.
L’esprit de guerre froide nuit aux intérêts des peuples. L’heure est à des coopérations exigeantes face aux défis communs de l’humanité : changement climatique, pandémies, surarmement, épuisement des ressources. La France doit renouer avec une diplomatie non-alignée. Il ne s’agit pas de s’isoler mais de choisir souverainement les termes de notre interdépendance avec le monde. Sans renoncer aux moyens de notre indépendance militaire, qui doit servir une doctrine de défense tous azimuts, à commencer par l’espace.
Quoi qu’en disaient les bellicistes de l’époque, Charles de Gaulle n’est pas devenu maoïste quand il a fait de la France le premier pays « de l’ouest » à reconnaître la République populaire de Chine en 1964. Ni bolchevique quand la France a quitté le commandement intégré de l’Otan. Mon engagement pour un retour à l’indépendance et à une diplomatie altermondialiste est dicté par l’idée que l’urgence pour la civilisation humaine est écologique et sociale. Et non militaire.