Tribune de Jean-Luc Mélenchon publiée dans le HuffPost le 22 octobre 2021.
Le tir d’Ariane V en ce mois d’octobre rappelle notre rôle sur la nouvelle frontière franchie par l’humanité : l’espace. Grâce à une volonté politique claire et constante, et grâce au travail acharné de ses ouvriers, ingénieurs et scientifiques, la France s’est hissée au premier rang des puissances spatiales. Kourou en Guyane est le troisième port spatial mondial.
La contribution de chaque Français pour l’espace est la deuxième du monde. Comme toutes les prouesses scientifiques et techniques réalisées par notre pays, celle-ci le fut grâce à la mobilisation de son État dans une direction d’intérêt général. Depuis, nous maîtrisons tous les savoir-faire nécessaires à la production et au lancement des satellites, au voyage habité et à l’exploration scientifique interplanétaire. C’est un atout majeur puisque tout dans le monde ou presque se fait désormais en impliquant les technologies spatiales: télécommunications, transport de marchandises et de personnes, observation de l’environnement et des espèces, applications numériques.
Mais alerte: dans le domaine spatial aussi, l’Humanité arrive à un point de bifurcation. Une direction est proposée, celle du “new space”. Elle correspond à une vision libérale anglo-saxonne. Ses maîtres sont des milliardaires sans scrupules qui rêvent de faire de l’espace leur nouveau terrain de jeu et surtout une belle source de profits. Grassement subventionnés par les budgets des États-Unis, ils agitent des rêves ineptes de tourisme spatial ou de publicité lumineuse dans l’espace. Cela avant d’obstruer l’orbite de la Terre de “constellations de “mini-satellites”. Ainsi sont-ils déjà prêts à reproduire dans le ciel tous leurs saccages terrestres. Ils préparent même l’appropriation et l’exploitation minière des astres.
En effet, les États-Unis ont rendu légale cette privatisation de l’espace depuis 2015. Le Luxembourg, jamais en retard pour les bonnes affaires financières leur a emboîté le pas en 2016. Ils ont unilatéralement déchiré le traité sur l’espace de 1967. Celui-ci prévoyait que tous les corps célestes étaient res nullius: réputés n’appartenir à personne. Qu’a dit la France pour contrer cette folle fuite en avant? Rien. Sous l’effet des présidences Hollande et Macron, elle s’est vautrée dans un suivisme servile.
L’Humanité est-elle allée dans l’espace pour faire la publicité de quelques milliardaires et des multinationales qu’ils possèdent? Ou l’a-t-elle fait pour étendre le champ de ses connaissances scientifiques et améliorer la vie du peuple humain ? Si les Français le décident lors de la prochaine élection présidentielle, notre pays peut devenir le fer de lance d’un modèle spatial d’intérêt général humain. À elle de faire vivre une francophonie scientifique et spatiale en créant une université internationale de l’espace. Créons une filière des métiers liés à l’espace. Ces capacités techniques à l’heure de l’incertitude écologique sont bien plus indispensables que “l’internet des objets” que visent les projets d’Elon Musk. Proposons une mission internationale de dépollution de l’orbite basse pour éviter les collisions de satellites qui sinon deviendront inévitables et lourdes de conséquences sur Terre. Soyons à la manœuvre pour relancer l’idée d’une exploration internationale de l’Espace, notamment les missions robotiques martiennes, sous l’égide de l’ONU et des grandes associations scientifiques internationales.
Pour faire tout cela, la France doit éviter à tout prix le déclassement spatial. Il menace à cause de l’inconséquence de nos dirigeants. Ils ont laissé se dégrader notre autonomie au sein de l’Europe de l’espace dont la France a pourtant été la créatrice. L’Allemagne a déchiré l’accord sur les satellites que nous avions avec elle en 2017. Emmanuel Macron a signé un accord qui entérine la délocalisation de la construction d’un moteur de la fusée Ariane outre-Rhin. Pendant ce temps, en partenaire déloyal, le gouvernement allemand veut développer sa propre filière pour les mini-lanceurs et utiliser un site de lancement en Norvège plutôt que celui de Kourou en Guyane. Cela après avoir refusé de réserver au lanceur européen Ariane l’exclusivité de ses satellisations.
Il est temps de renforcer le Centre National des Études Spatiales (CNES) et de lui redonner sa place première dans notre politique spatiale. De même, il est aberrant d’avoir accepté sans même une discussion au parlement l’installation d’un centre spatial de l’OTAN à Toulouse malgré l’histoire récente des États-Unis en matière d’espionnage et de tromperies contre nous. Ce centre devra être fermé.
La France doit être capable de se défendre seule. Mais elle doit refuser à la course à l’armement de l’espace dans laquelle les États-Unis sont engagés. Si je remporte l’élection présidentielle, elle proposera un nouveau traité de démilitarisation de l’espace. Elle amplifiera sa coopération spatiale avec la Russie et l’Italie. Elle poursuivra sa coopération efficace avec la Chine. La France a en effet envoyé une caméra sur le rover martien chinois. L’horizon spatial contient une certaine vision de l’Humanité. Celle qui a le regard tourné ensemble vers les étoiles plutôt que clouée sur ses conflits. Quel autre chemin pour notre pays ?