Chers journalistes du plateau de France 2 de jeudi dernier,
Plusieurs d’entre vous m’ont dit à la fin de l’émission attendre avec intérêt ce que j’en dirai sur mon blog. C’est un grand honneur pour ce blog et moi que cette attente impatiente. Je tiens ce blog depuis 2004… En fait j’y transcris en mots ordinaires toutes mes fiches argumentaires pour mieux les mémoriser en vue d’émission comme la vôtre où il faut être capable d’intervenir sur 14 sujets à la file et sans pause. Cela forme donc une masse considérable de textes. Sa production représente l’équivalent d’un petit livre tous les deux mois. Si un jour quelqu’un veut entreprendre une intégrale de mon « œuvre politique écrite » il dispose là d’une mine durable…
Je commence ici par ce blog parce qu’il fut cité par Patrick Cohen affirmant que j’y aurai déclaré, il y a douze ans, en octobre 2010, la religion catholique « plus dangereuse que la musulmane ». J’ai répliqué spontanément : « c’est faux ». Non parce que je me souviendrai de ce texte (comment le pourrais-je après dix ans et l’écriture de plus d’un million de signes !!!). Mais parce que je me connais. Je sais que je n’analyse pas les religions dans leur relation mutuelle de dangerosité. Toutes sont des dogmes et considèrent les autres comme des hérésies. Non, j’ai répondu aussi en citant l’engagement d’une partie de ma famille dans la religion catholique, ce qui m’interdirait des propos aussi offensant pour eux. J’ai également cité la théologie de la libération affirmée par tant de mes camarades en Amérique du sud. Heureusement que je n’ai pas vu madame Saint-Cricq dans les coulisses à ce moment car les témoins m’ont raconté qu’elle se moquait de moi en faisant des signes de croix. Je crois que j’aurai mal réagi. Je n’aime pas cette façon de se moquer de la religion des gens. Je la trouve grossière et très stupidement insultante. Mais l’interpellation de Patrick Cohen, tout en restant dans un registre maitrisé, n’en est pas mieux acceptable. En effet en lisant le post de blog dont il est question et que nous avons facilement retrouvé, l’affirmation de Cohen n’en est pas moins un gros bobard. Vous vous ferez votre opinion vous-même. Voici le lien pour consulter ce texte.
Mais bien sûr, une telle méthode me permet aussi de mettre mes distances plus vite et plus fort avec celui qui l’utilise. Car Patrick Cohen cependant n’en est pas à son coup d’essai avec moi. Dans le passé, il y a cinq ans, il m’avait déjà sorti de ses chaussettes la carte du « document fatal » censé prouver quelque chose sans échappatoire possible. Flop ! C’était déjà un doc bidon. Un tract de l’UNEF ou de Sud Solidaire je crois. En préparant l’émission, au chapitre des coups tordus prévisibles compte tenu de la biographie de chacun, mon équipe avait pointé la possibilité qu’il récidive. Et c’est pourquoi vous aurez pu voir combien je n’étais nullement pris au dépourvu ni hésitant.
J’en reviens au cadre général. L’émission était un évènement pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’elle commence le cycle des émissions de la présidentielle sur le service public. Ensuite en raison du changement de format. Il s’imposait compte tenu des déboires du passé et de l’usure de la formule du traquenard qui n’est plus supportée par le public. N’ai-je pas moi-même refusé à deux reprises de participer ? L’invention d’un panel n’est pas la meilleure idée d’après moi car l’échantillon comportera toujours un biais sans parler des questions posées. En moyenne, le sondage donna des reposes plus conservatrices que la moyenne des Français. Et parfois la question était très visiblement biaisée elle-même. Comme quand 71 % des Français se déclarent partisans de la retraite à 60 ans et que la question posée au panel est : « Le retour de la retraite à 60 ans est-il selon vous… 1) possible / 2) pas possible »… Car on peut être « pour » et penser que cela ne se fera jamais.
Après, les questions des journalistes se répartissaient selon les générations de mode journalistique. La vieille génération reste sur les attitudes faussement naïves, amies du piège à loup, visibles à un kilomètre, destinées non à la qualité de l’entretien mais à la réputation du journaliste. Ainsi pour résumer la crise de l’Ukraine : « Poutine est-il un tyran ou un démocrate ? » culminant aux alentours du zéro absolu de la pertinence. Ou bien « vous étiez contre le mot islamophobie ? ». Retournable plus vite qu’une crêpe avec n’importe quel nom de religion. Ou bien « vous êtes prêt à renoncer à votre programme sur le nucléaire pour un accord avec le PCF ? ». Certes couteux en temps de paroles pour remettre dans son contexte réel. Mais finalement malaisant pour qui pose une question aussi manifestement tordue. Sans oublier « le blocage des prix va provoquer la pénurie de biens » à laquelle j’ai répondu trois jours avant sur TF1. De l’autre côté, Clément et Chazal qui donnent le sentiment de s’intéresser aux sujets qu’ils abordent et chercher à comprendre. Mais je ne veux pas nuire à leur carrière sur « France 2 » en donnant l’impression de les avoir appréciés. Reste qu’il serait donc injuste de réduire l’émission à sa composante atlantiste et macroniste même si elle était assez pesante. Car il faut reconnaitre qu’il n’était pas si difficile d’avoir des moments de virtuosité pédagogique. Bref l’émission me fut favorable de l’avis général ensuite.
Mais pour moi le clou d’or était le dialogue avec Roux de Bézieux. Il ne faut pas m’en vouloir de cette préférence. C’était un tel évènement ! D’abord pour la beauté du moment où se font face à face le patron des patrons (même s’il n’aime pas l’expression) et le candidat dit « de la gauche radicale ». Il n’y a qu’en France qu’une telle rencontre et un échange de ce type sont possibles. Cocorico sans réserve. Ensuite la décontraction du gars est absolument époustouflante. Il n’a pas une seconde d’hésitation sur quoi que ce soit. Et quand on blague sur son dos, il démonte l’effet en étant le premier à rire. Trop fort ! J’ai appris un ou deux tours que je ne connaissais pas en le voyant faire. L’essentiel cependant reste ce qui fut dit par lui : qu’un compromis est possible s’il est nécessaire. Du coup Nathalie Arthaud (lutte ouvrière) en déduit finement que je lui ai « vendu » mon programme. Révolutionnaire en peau de lapin qui n’a jamais eu à se soucier d’un pays qui change de trajectoire dans un régime d’économie mixte ! A-t-elle lu le livre de Roux de Bézieux ? On lit du pas banal. Par exemple : « Il est un domaine majeur pour l’économie du 21ème siècle ou la planification est absolument nécessaire (…) : c’est celui de la transition climatique (…) le problème simplifié de la transition climatique et environnementale c’est que les ressources naturelles qui sont utilisées par les entreprises et les citoyens sont en quelque sorte gratuites, en tout cas ne pèsent pas sur le compte d’exploitation, et donc sur le prix payé par le consommateur final. Les économistes disent que les externalités ne sont pas ‘pricées’. (…) C’est pourquoi il faut que chaque filière puisse planifier ses changements technologiques pour aller vers une production décarbonée. » Et résume : « Parce que nous parlons d’un bien commun de l’humanité́, le marché́ ne suffira pas sans une forme de planification ». C’est aussi pourquoi j’en ai déduit que ce moment de télé, était hors du commun, non à cause de moi qui suis dans ma tranchée, mais plutôt de lui qui se montre capable d’en sortir pour s’approcher, si l’on y réfléchit un instant. Je trouve ça plutôt rassurant pour notre démocratie.