Je crois que dans le débat sur la publication de Mein Kampf chacun va au bout de ses arguments, et donc, d’une certaine façon, au bout de lui-même. Je ne m’étonne donc pas que Laurent Joffrin, se sente obligé de manière étrange sur un tel sujet de m’insulter et de conclure que je serai cette fois-ci encore dans « l’outrance » (laquelle ?) et surtout dans « l’outrance contre la vérité ». « La vérité » de Mein Kampf ? Je suppose que non. La phrase est incompréhensible. Je n’en retiens qu’une chose : l’envie d’insulter, pavlovienne chez ce soldat perdu du PS.
Cependant, je voudrais prendre au vol ce que je crois avoir compris quand on me dit que cette publication n’est pas illicite et que du coup je devrais juste me taire et subir sans broncher. Je n’ai jamais dit qu’elle l’était. Je pense cependant qu’elle devrait l’être. J’ai argumenté mon propos. Je crois donc mériter mieux que des injures en réponse. Sont-elles destinées aussi à tous ceux qui pensent comme moi sur le sujet ? Jusque dans la rédaction dont Joffrin est le chef ? Car pour ma part, je ne polémique pas contre des personnes mais à propos d’un acte éditorial. Aujourd’hui, je veux prendre le problème sous l’angle de la responsabilité personnelle de celui qui décide d’éditer ou d’approuver cette édition. C’est elle que j’interpelle.
Mais avant cela, je viens sur deux objections que j’ai souvent rencontrées. Ainsi quand on me dit que le document est déjà disponible sur internet, je suis stupéfait : des dizaines de choses glauques ou nauséabondes sont présentes sur internet. Faut-il donc les publier sans autre précaution qu’un « appareil critique » ? Mais si tel est le cas pourquoi alors ne pas demander que soit aussi publié gratuitement « l’appareil critique » dont on prétend faire le prétexte de cette réédition ? On me dit il s’agit d’un document historique. Dans ce cas, La France juive, de Drumont, par exemple, l’est tout autant car elle explique la violence des adversaires de l’innocence du capitaine Dreyfus. Des dizaines d’autres livres de cette sorte peuvent être considérés comme des « documents historiques ». Doit-on tous les laisser rééditer et recréer l’ambiance qu’ils créèrent déjà dans le passé ? Est-il possible d’ignorer que Mein Kampf est un succès en Turquie en parallèle avec la montée de l’extrême droite d’Erdogan ?
J’ai dit que j’interpellais le sens moral de la décision de réédition. Cette interpellation ne contient aucune volonté d’offense comme le montre ma lettre à mon éditrice. Je crois que la discussion sur la morale à l’œuvre dans les actes de ceux qui ont des responsabilités a de l’importance, et peut-être surtout en ce moment. Je rappelle que c’est continuellement le cas à l’endroit des élus politiques, ce qui est bien normal. En interpellant j’agis dans ce cas en accord avec ce que la méditation des leçons du nazisme nous a enseigné. Hannah Arendt nous a appris à reconnaître cette méthode de banalisation du mal. Elle consiste à découper l’acte criminel en segments qui permettent à chacun d’y collaborer sans sentir de responsabilité personnelle dans le crime qui résulte à la fin de la chaîne des actes ainsi posés. Éditer, ce ne serait rien, même si c’est diffuser ? Diffuser un texte écrit pour convaincre, ce ne serait rien parce que le texte est indigeste ? Et à partir de là tout le reste.
– Voir la lettre aux éditions Fayard
– Lire l’article « D’autres arguments contre la réédition de Mein Kampf »