La demande de Luc Ferry pour que les policiers et l’armée tirent sur les «gilets jaunes» est symptomatique de l’état de délire auquel poussent les escalades verbales du pouvoir en matière d’autorité. Le harcèlement par des ministres comme Griveaux, Denormandie ou des députés comme Bergé contre la France Insoumise fonctionne comme un appel à la haine et à l’incident. En nous accusant contre toute raison d’appeler « à casser du flic » ou à « organiser l’insurrection », ces gens arment le bras des fous et des violents. Certes, souvent ce genre d’effort tourne à la contreperformance. Exemple : quelle pouvait bien être la fonction de l’intervention du Premier ministre sur TF1 ? Faire l’annonce de nouvelles mesures liberticides ? Certes. Elles sont dans la lignée de ce qui s’est fait jusque-là. En plus grotesque. Car placer sur le même plan le droit de manifester ou non et celui de regarder ou non un match de foot est quand même un très fort signal d’avachissement de la pensée. Ici est confondu un droit constitutionnel avec un code de bonne conduite.
Quoi qu’il en soit, les trouvailles du pouvoir ne peuvent entrer en vigueur pour samedi prochain ni pour le suivant. Comme il faut en passer par le Parlement pour limiter la liberté, pas de créneau parlementaire avant février. Les décrets d’application ne seront pas possibles avant au mieux début mars. Donc c’était un effet d’annonce, de la com’ pour rouler des mécaniques. Le journaliste Bouleau a d’ailleurs bien insisté au nom de toutes les personnes qui veulent de la matraque et de la prison encore et encore, tout de suite et maintenant. Incroyable moment de télé où le journaliste proteste parce que sur 5000 interpellations seules 140 ont débouché sur une procédure judiciaire. La question aurait dû être de savoir pourquoi 4860 personnes ont été interpellées sans motifs. Mais tel est le journalisme de notre époque.
Mais, à voir Edouard Philippe et à l’écouter, on sentait qu’il était venu au nom d’une stratégie à laquelle il donnait le sentiment de ne pas croire lui-même vraiment. Édouard Phillipe a été élu local, et parlementaire. Au contraire de Macron, il sait qui sont les Français dans leur diversité. Il sait donc que politiquement les carottes sont cuites. Le redémarrage de la mobilisation des gilets jaunes bloque tout le dispositif macronien qui pariait sur le reflux. Voilà donc Édouard Phillipe entraîné dans une escalade de conflictualité qui n’est pas dans son caractère. Il sait que cela ne peut mener nulle part. La stratégie de rassemblement derrière Macron du « parti de l’ordre » voulue par les grands stratèges de l’Élysée est extrêmement dangereuse pour le pays. Elle parie sur une montée en tension permanente dans des termes de plus en plus violents (« foule haineuse » etc., de plus en plus socialement ségrégationniste. Ce genre de film est difficile à rembobiner et laisse des blessures profondes et souvent irréductibles.
Le plus grave est que dans des sociétés en impasse comme la nôtre, plus le fossé s’approfondit entre l’officialité et le peuple profond, plus les violents et les apeurés se font écho dans une surenchère générant des vocations de violents. La macronie use et abuse de toutes les ficelles dans ce domaine, poussant à la roue d’une manière irresponsable. Car le parti de l’ordre finit toujours en parti autoritaire.
Pour ma part, ici, sur mes post Facebook, sur mon blog, dans les « revues de la semaine » j’ai déjà longuement expliqué, à l’oral et à l’écrit, l’impasse que sont à mes yeux les stratégies de violence. Je n’ai pas changé d’avis. Mon point de vue est fondé sur l’expérience et l’observation des situations de ce type partout dans le monde. Une fois de plus il est prouvé que la violence ne sert exclusivement que nos adversaires. Si je le répète aujourd’hui, c’est parce que je crains les conséquences du choix du pire que fait la Macronie. Ces gens provoquent ! Les macronistes sont peu républicains. D’ailleurs, les sondages montrent qu’en France comme à l’étranger, les libéraux sont les plus friand de méthodes autoritaires et les moins attachés aux procédures démocratiques. Avec les libéraux, c’est toujours moins de liberté toujours davantage d’autoritarisme. Cela vaut contre les libertés individuelles comme contre la liberté des peuples, comme on l’a vu en Grèce et ailleurs. Ce code génétique joue à fond quand le contexte politique ou social se tend.
Au total, le but du pouvoir est d’obtenir, par la peur, la démobilisation du mouvement « gilets jaunes ». Son objectif est de préparer la manifestation de soutien au pouvoir le 27 janvier, à laquelle a appelé le ministre Blanquer, par une séquence de violences médiatiquement exploitées. Il me semble que la réplique devrait être d’élargir la base de la mobilisation pour chercher à submerger les rues plutôt qu’à affronter des rangées de policiers. Et dans tous les cas refuser les logiques de guerre civile à laquelle poussent certains secteurs de la droite macroniste. Car il est peu probable que Luc Ferry ait décidé tout seul de lancer un ballon d’essai d’une telle violence. Le propos lui ressemble si peu qu’on peut s’interroger sur l’origine de la commande. Reste du passage du Premier ministre que la situation est pire après qu’avant. Et il le savait sans doute avant d’ouvrir la bouche. Car il devine qu’une prise de parole pour rien, une de plus, ne fait qu’affaiblir davantage l’autorité de celui qui parle.