Cet article a été publié par « Les Décodeurs » du journal Le Monde le lundi 14 janvier à 15h18.
Rappel : tout le monde peut consulter la déclaration de patrimoine de Jean-Luc Mélenchon sur le site de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP)
Une vieille rumeur, qui a refait surface ces jours derniers, prête au chef de file de La France insoumise une fortune qu’il n’a pas. Explications.
Jean-Luc Mélenchon cacherait-il une fortune colossale et des revenus de l’ordre de « 36 000 euros » par mois ? C’est ce qu’affirme une rumeur malveillante partagée des milliers de fois sur Facebook au cours de ces derniers jours, prêtant notamment au député de La France insoumise (LFI) une « chaumière en Dordogne » et un « studio à Deauville ». Mais loin de dévoiler le « vrai visage » de M. Mélenchon, ces messages diffusent toute une série de fausses informations à son encontre. Explications.
Ce que dit la rumeur
Un long message publié sur Facebook par une internaute, Manuela Bianchi, énumère une longue liste de supposés privilèges dont Jean-Luc Mélenchon et son entourage auraient bénéficié, sous le titre « D’où vient Mélenchon ? »
A en croire cette publication, partagée plus de 20 000 fois sur le réseau social depuis le 9 janvier, le candidat de LFI à la présidentielle de 2017 aurait été « piégé par Le Canard enchaîné », qui aurait fait des révélations sur son train de vie, alors que le candidat aurait été « contre la publication de son patrimoine par Europe 1 ». « Voilà, le masque est levé ! Mélenchon le chantre des sans-culottes et des sans-papiers, l’anticapitaliste ne veut pas que l’on sache comment il vit, ni quels sont ses revenus ! C’est bien un homme public qui vit avec de l’argent public », affirme la rumeur.
Le texte énumère ensuite tout un tas d’affirmations à propos du responsable politique, dont voici les principales :
- « actuel député européen », il bénéficierait de 6 200 euros de salaire net mensuel et de 4 300 euros d’indemnités ;
- ancien sénateur de l’Essonne, il toucherait une « retraite de sénateur à 65 ans pour dix-neuf ans de travail » de 4 467 euros net par mois ;
- il posséderait un appartement de 218 mètres carrés dans le 15e arrondissement de Paris, estimé à 1,5 million d’euros ;
- il a hérité d’une « chaumière en Dordogne sur un terrain de 1,4 hectare de 9 pièces et dépendances évaluée à 710 000 euros » ainsi que d’un studio à Deauville « pour aller se faire bronzer », évalué à 220 000 euros ;
- il aurait trois voitures, dont une Citroën C6 à « 44 000 euros ».
Au total, Jean-Luc Mélenchon aurait accumulé un patrimoine de près de 2,5 millions d’euros et vivrait avec « 36 000 euros par mois d’argent public […]. Pas mal pour quelqu’un qui se dit anticapitaliste et qui n’aime pas les riches ! », conclut la rumeur.
POURQUOI C’EST FAUX
1. Des faits et des chiffres erronés
Cette rumeur court en réalité depuis des années. Elle remonte au moins à 2013, et avait déjà refait surface au début de 2017, en pleine campagne présidentielle, notamment sur le site d’extrême droite Résistance républicaine, qui est coutumier de la diffusion de fausses informations. Mais vérification faite, la quasi-totalité des affirmations de ce message sont, au mieux, approximatives ; au pire, complètement mensongères.
- D’abord, Jean-Luc Mélenchon n’est plus député européen. Il l’a été de 2009 à 2017, mais a abandonné ce mandat lorsqu’il a été élu député français en juin 2017 (le cumul des deux fonctions est interdit) ;
- ancien sénateur de l’Essonne, il a assuré à plusieurs reprises ne pas toucher de retraite à ce titre. « Je ne touche aucune retraite sur mes activités passées, quoi que j’en aie l’âge, car j’estime avoir un revenu suffisant et que je suis solidaire », écrivait-il ainsi sur son blog en 2013 ;
- en ce qui concerne l’immobilier, il a bien un appartement à Paris, mais deux fois moins grand et moins cher que ne l’annonce la rumeur. Il est ainsi d’une surface de 110 mètres carrés (et pas 218) et d’une valeur estimée à 837 000 euros en 2017 (et pas 1,5 million). Cet appartement, situé dans le 10e arrondissement de Paris (et pas le 15e), apparaissait dans la déclaration de patrimoine du candidat Mélenchon pour la dernière présidentielle ;
- Jean-Luc Mélenchon ne déclare par ailleurs ni chaumière en Dordogne ni studio à Deauville, mais une maison près de Montargis (Loiret), dont la valeur est estimée à 190 000 euros ;
- l’intéressé ne déclarait enfin aucune voiture, pas plus qu’il n’indiquait posséder de bien mobilier d’une valeur supérieure à 10 000 euros.
2. Au total, un patrimoine bien inférieur à celui que lui prête la rumeur
Emprunts déduits, le patrimoine net de Jean-Luc Mélenchon était de « 965 000 euros » en 2017, résumait-il sur son blog. Il avait déclaré un patrimoine total de 720 000 euros lors de l’élection présidentielle précédente, en 2012.
Une somme loin des quelque 2,5 millions d’euros que lui prête la rumeur, et qui souligne en creux que si Jean-Luc Mélenchon a multiplié fonctions politiques et mandats divers depuis les années 1980, il est fallacieux d’affirmer qu’il en aurait tiré des revenus démesurés (bien que confortables, l’intéressé reconnaissant lui-même être « très bien payé »).
3. Le prétendu article du « Canard enchaîné » n’a jamais existé
Autre point trompeur : alors que la rumeur prétend se fonder sur un article du Canard enchaîné, il s’avère que l’hebdomadaire satirique n’a jamais fait état de telles allégations concernant le patrimoine du leader de La France insoumise.
Quant à l’affirmation selon laquelle Jean-Luc Mélenchon se serait opposé à la publication de son patrimoine par Europe 1, elle semble en réalité faire référence à un article du site de la radio intitulé : « Mélenchon contre la publication de son patrimoine ».
Sauf que cet article était en réalité une reprise d’une interview de l’intéressé à La Croix, où il se disait « favorable à 100 % au contrôle du patrimoine des élus par un organisme indépendant », mais plutôt hostile à l’idée qu’il soit communiqué ensuite au public. Ce qui ne l’a pas empêché de se plier aux règles en vigueur en 2017, l’obligeant à faire une déclaration de patrimoine rendue publique dans la foulée.