Le dixième samedi des « gilets jaunes » produit son effet politique : le grand débat s’enterre d’un côté, la vie passe de l’autre. Et la vie est toujours plus forte que les éteignoirs du monde officiel. Le succès de la mobilisation de rue a mis en échec une manœuvre de grande ampleur. Il s’agissait pour le pouvoir macroniste d’éviter de dissoudre l’Assemblée nationale en tentant de dissoudre le mouvement populaire dans des bavardages officiels. C’est un échec.
La suite, pour ce qui concerne cette trouvaille, est donc écrite d’avance. La tournée bavarde du Président va devenir un rituel assommant. Elle est déjà bien mal vécue par les participants qui se sentent convoqués davantage qu’invités. Les téléspectateurs, de leur côté, restent abasourdis par des heures de grand oral télévisuel. Et puis il y a aussi les gens du cru. Ceux qui vivent aux alentours de l’auguste visite. Le grand déploiement de gendarmes et d’interdictions de circuler de toutes sortes les crispent plus que jamais : le pouvoir qui les importune à domicile. Les maires de tous bords, déjà hautement réfractaires comme on l’a vu dans l’Hérault, vont devenir moins disponibles pour faire tapisserie. Ou sans doute plus incisifs et intrusifs une fois parqués ensemble. Que les deux messages les plus vus sur YouTube après le rendez-vous du Lot soient ceux de deux maires protestataires en est le signal certain.
Je doute que le spectacle de ces salles hautement masculines, grisonnantes, bardée de bleu blanc rouge, écoutant sagement les faveurs du Prince, réduisent la fracture entre les institutions et le peuple. Je doute que ce spectacle soit reçu comme autre chose qu’un durcissement intrusif de la monarchie présidentielle. Pour finir, les conclusions du grand débat étant connues d’avance, elles aussi, l’effet d’éteignoir du mouvement populaire ne peut venir de là. L’impasse politique s’approfondit donc
Mais de son côté, le mouvement doit tirer profit de sa force reconfirmée. Il est frappant de constater que les mots d’ordre essentiels peuvent fluctuer d’une semaine à l’autre passant du terrain du référendum d’initiative citoyenne au rétablissement de l’ISF. Mais pour l’essentiel, ce qui ne change pas et ponctue tous les cortèges, c’est bien « Macron démission ». C’est une signature hautement politique de ce qui se déroule. Le mouvement en cours n’est donc pas seulement un « mouvement social » dans le sens que l’on donnait à ce terme jusqu’à une date récente. Comme quand on parlait des grandes mobilisations sur les contrats de travail, la défense de la retraite par répartition ou des services publics locaux. C’est pour cela que j’ai employé ici à plusieurs reprises le terme « d’insurrection citoyenne » pour nommer cet évènement au long cours depuis dix semaines.
Observons que la réplique gouvernementale porte aussi un message politique. Le pouvoir a compris qu’il est mis en cause dans sa légitimité même. Telle est bien la compréhension qu’en ont les autorités de l’État. Et cela explique l’extrême dérive autoritaire du pouvoir que l’on constate. Elle est faite d’escalades judiciaires et de répressions de plus en plus sanglantes. C’est là aussi un fait d’une qualité nouvelle. Ce que nous voyons est ce qui s’est fait de pire dans ce domaine depuis 60 ans au moins. Et cela va aller de mal en pis. La loi de répression générale et de réduction des libertés individuelles dictée par Nicole Belloubet vient à peine d’être adoptée la semaine passée. Elle va pourtant être bientôt durcie par la loi de grande répression voulue par Edouard Phillipe.
Il en est ainsi parce que les macronistes ont acquis la certitude qu’ils n’ont pas de sortie ailleurs que dans le siphonnage de l’électorat de la droite. Et de fait, depuis décembre, tous ses progrès sondagiers viennent du glissement de ces électeurs de Fillon vers une approbation de l’autoritarisme de Macron. Évidemment, cela provoque un effondrement désormais visible de la droite traditionnelle réservant au pouvoir l’espoir de deuxièmes tours féconds pour ses candidats en cas de dissolution.
Manœuvre parallèle : sataniser « La France insoumise » (LFI) pour préparer les seconds tours très probable avec elle. Il bénéficie pour cette manœuvre de l’appui de toute la gauche traditionnelle qui n’existe plus désormais que dans les outrances contre LFI (et contre moi cela va de soi). Divers groupuscules anciens ou nouveaux se joignent à la meute de la hargne, impatients de retourner à l’impuissance et aux scores inoffensifs qui prévalaient jusqu’à l’émergence de « La France insoumise ». Le système médiatique donne la parole avec gourmandise aux plus vulgaires tireurs dans le dos disponibles pour un moment de lumière. On se le tient pour dit. Mais le résultat est effrayant.
Car ce gouvernement aura été celui d’une transition autoritaire des institutions qui, progressivement, change le type de société politique dans laquelle nous vivons. Depuis quelques jours, un certain nombre de médias semblent prendre conscience du phénomène. Enfin il est question de la violence disproportionnée du « maintien de l’ordre ». Mais leur dépendance au système est trop grande pour qu’ils puissent aller plus loin. Ce n’en est pas moins utile. Cela peut conduire certains secteurs de la société à comprendre ce qui est vraiment en jeu au-delà de leur peur du peuple et leurs préventions de caste ou de classe.
Ceux qui ont ricané parce que je « laissais éclater ma colère » dans l’affaire des perquisitions abusives peuvent finir par comprendre que ce qui était exorbitant du droit des libertés devient dorénavant la règle depuis la loi Belloubet. Ceux qui stigmatisaient ma protestation contre l’usage politique de la police se sont eux-mêmes désarmés à l’heure où cet usage est devenu la norme hebdomadaire et se retourne contre eux. Ceux qui ont banalisé l’agression dont je faisais l’objet sont bien seuls à l’heure où les violences contre eux se généralisent stupidement contre eux. Ceux qui ont insulté ma protestation contre le front uni médiatique aux côtés du pouvoir dans cette circonstance n’ont pas venu monter la réprobation unanime que ce type de comportement suscite depuis des années dans le grand public qui la perçoit clairement.
Depuis, ils se trouvent pris entre deux feux, celui de « la rue » qu’ils ont tant offensée et celui des violences d’État qu’ils masquaient par leur silence remarqué pendant des semaines. Ils nous appellent au secours. Et, bien sûr, nous avons multiplié les mises en garde contre la violence. Ce qui n’empêche pas les plateaux de continuer à jacter comme si c’était l’inverse. Se rendent-ils compte qu’ils encouragent de cette façon ce qu’ils redoutent ? Je ne dis tout cela que pour souligner ma mise en garde. Il est largement temps de se rendre compte de l’exceptionnelle gravité de ce que comporte la dérive autoritaire de ce régime. Les petits jeux du passé, politiciens ou médiatiques, dans ce nouveau contexte, aggravent le danger que la démocratie est en train de courir.
C’est d’ailleurs pourquoi les Insoumis ont pris à bras le corps cette question de la lutte contre la dérive autoritaire du régime macroniste. Une plainte contre le ministre de l’Intérieur Castaner et ses menaces illégales contre les manifestants, une proposition de loi pour suspendre immédiatement l’usage des armes utilisées contre eux, des amendements de suppression et d’interdiction des abus dans la loi liberticide qui arrive en débat une table ronde, des tribunes de presse, un meeting en vue : nous sommes à l’offensive. Tel est le meilleur appui que nous puissions apporter au mouvement des gilets jaunes. Les droits exorbitants que se donne, dans les faits et par la loi, ce pouvoir violent, une équipe gouvernementale plus violente pourrait en user tout aussi légalement. C’est donc dès à présent qu’il faut défendre les libertés individuelles et collectives. Car le macronisme contient leur mise en cause sans que personne ne puisse dire jusqu’à quel point.
Mardi 22 janvier, Emmanuel Macron signera à Aix-la-Chapelle un traité engageant la France avec l’Allemagne. Pourtant, ce texte n’a été débattu par personne en France, ni à l’Assemblée nationale ni où que ce soit dans le pays. À ce jour, le contenu du traité n’a toujours pas été communiqué aux députés. Si nous avons pu en prendre connaissance, une semaine avant l’échéance, c’est parce qu’un site internet l’a publié. On déduit de cette situation au moins un élément de calendrier : pendant que Macron organisait déjà un grand débat, les « consultations citoyennes sur l’Europe », il négociait secrètement avec Merkel. Tenons-le-nous pour dit. Car dorénavant nous savons que le cynisme officiel n’a pas de limite.
Souvenons-nous ! Cet homme dit regretter aujourd’hui le viol de la démocratie entre 2005 et 2007 à propos du Traité constitutionnel européen. Cet homme prétendait rénover l’Europe en donnant aux citoyens le moyen de participer à son avenir. Et pourtant cet homme a accepté que les accords de libre-échange signé par l’Union européenne puissent désormais s’appliquer sans débat ni ratification par les Parlements nationaux. Au-delà des bavardages, plus que jamais, l’Europe de Macron se fait sans les peuples.
Inacceptable dans sa méthode, ce traité est nocif sur le fond. Il confirme l’obsession des libéraux français pour un tête-à-tête solitaire avec l’Allemagne comme politique européenne exclusive. Le traité d’Aix-la-Chapelle prévoit que la France et l’Allemagne doivent élaborer des « positions communes » et des « prises de paroles coordonnées » dans les institutions européennes.
Coller à l’Allemagne en toutes circonstances, Emmanuel Macron le fait depuis le début du quinquennat. Cela a valu plusieurs déconvenues à la France. Sur l’autorisation du glyphosate pour 5 années supplémentaires, c’est le vote de l’Allemagne qui a mis notre pays en minorité. De même, après avoir laissé Macron parler pendant des mois, madame Merkel lui a refusé son incompréhensible « budget de la zone euro ». Il a ridiculisé notre pays. Il a dû remballer piteusement sa trouvaille. Pourtant, il continue dans cette voie. Il ne cherche pas un jour à se tourner vers d’autres pays européens, comme ceux de l’Europe du Sud. Ainsi, le sommet organisé à Rome le 10 février 2018 entre la France, l’Italie, le Portugal et la Grèce n’a donné lieu à la signature d’aucun traité avec aucun de ces pays. La bêtise qui consiste à se ligoter avec des Allemands amusés par la situation tourne à l’offense pour ceux qu’on dédaigne. Pour finir, le spectacle d’un directoire franco-allemand est de plus un acte bien peu « européen » vu de Varsovie ou de Lisbonne. Il se retourne contre la France, car les autres savent qui avec qui il est devenu impossible de se fâcher.
Le second chapitre du traité aborde les questions de défense et de relations internationales. Les deux États y disent leur attachement à l’Europe de la Défense. Nous ne pouvons pas l’accepter. Notre doctrine est celle de l’indépendantisme français. Le texte qu’il signe fait référence explicitement à l’OTAN. En son temps, le général de Gaulle s’était battu pour exclure toute référence à l’alliance américaine du traité de l’Élysée qu’il signait en 1963 avec l’Allemagne. Les députés au Bundestag avaient rajouté au moment de la ratification un préambule incluant l’OTAN, provoquant la colère du général. Avec Macron, il n’y a aucune résistance à l’atlantisme. Mais le comble pour la France est sûrement ce passage où les deux parties se prononcent pour « la coopération la plus étroite possible entre leurs industries de défense ». Cette coopération signifie dans la réalité le transfert des technologies française à une Allemagne qui par ailleurs ne respecte pas ses accords. L’Allemagne a privilégié du matériel israélien plutôt que l’hélicoptère Tigre européen. Elle a trahi les accords sur le domaine spatial. Son gouvernement n’accorde pas de priorité aux tirs spatiaux de la fusée commune. Mais Macron a quand même signé un accord en juin dernier pour la production d’un char franco-allemand.
Sur les Nations-Unies, il n’est plus question de partager notre siège permanent au Conseil de sécurité, comme il en avait été un moment question, et comme un ministre allemand s’était permis de le demander. Le traité affirme cependant que nous sommes désormais favorables à ce que l’Allemagne devienne membre permanent du Conseil de sécurité. C’est-à-dire avec un droit de véto sur l’adoption des résolutions de l’ONU. Personne en France n’a été prévenu que nous défendrions l’entrée de l’Allemagne dans le saint des saints de l’ONU. C’est pourtant une orientation stratégique importante pour la France. Mais décidée apparemment par une seule personne, le monarque présidentiel. Pourquoi l’Allemagne donc ? On ne le saura pas. Actuellement, les membres permanents du Conseil de sécurité sont la Chine, la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Il semblerait plus cohérent de faire rentrer l’Inde, pays qui compte un milliard d’habitant. Ou bien un État africain ou sud-américain, continents qui n’y sont pas représentés pour l’instant.
Le traité vient ensuite sur la question des régions transfrontalières. Il plaide pour une unification des normes et des règles dans les départements français et les Länders allemands qui bordent la frontière. Mais les règles qui s’appliquent dans les départements français sont votées par l’Assemblée nationale française et les mêmes que celles qui s’appliquent dans le reste des départements. C’est le principe d’unité de la loi et d’égalité de tous les citoyens devant celle-ci qui est un fondement de l’ordre républicain français. Or, le traité prévoit « des dispositions juridiques et administratives adaptées, notamment des dérogations, peuvent également être accordées. ». C’est-à-dire la fin du principe d’égalité devant la loi pour les départements frontaliers avec l’Allemagne. Début de partie. Car quel sera le statut des départements frontaliers de départements frontaliers ?
Enfin, le dernier chapitre du traité est celui de la soumission à l’ordolibéralisme. Il institue un « conseil économique franco-allemand » qui est censé « coordonner » les politiques économiques de nos deux pays. Son objectif est précisé : ce n’est pas le progrès social ou la transition écologique mais la « compétitivité ». En plus de la Commission européenne, désormais, un « conseil d’experts franco-allemands » formulera lui aussi des recommandations au peuple français sur ce qu’il convient de faire. Ces recommandations, on les connaît : moins de services publics et d’investissements publics, des baisses de salaire, la chasse des chômeurs. Le recul de notre indépendance et de notre souveraineté marche ici avec le recul social et écologique.
Madame Le Pen a remporté au moins un grand succès. Elle est parvenue à dédiaboliser totalement son mouvement et sa personne. Symbole de cette admission au club approuvé par le système, l’actualité de ce dimanche douze janvier là. Elle tenait le meeting de lancement de sa campagne européenne. Mais l’hebdomadaire Macroniste JDD me désignait comme le danger public numéro un. Une pleine page sombre de une. Le lendemain, le gratuit 20 Minutes affichait à son tour une pleine « une » avec la dame au sourire dans une photo et un slogan flatteurs. Puis Le Monde et Libération revinrent à la charge contre moi, en pleine page et à la « une », pour montrer du doigt « l’autocrate », comme dit Le Monde, qui dirige selon eux le mouvement des Insoumis « d’une main de fer » ,comme précise l’éditorialiste de Slate. Ce « journalisme » de ragots ne se soucie naturellement pas de vérifier les accusations qu’il relaie. À l’avenir, un bouton « partage » devrait suffire là où de couteux copistes pérorent aujourd’hui. L’algorithme qui a fait les commentaires de résultat électoraux au Monde trouverait là un autre bon usage.
Bref : du « centre gauche » à la droite extrême, Le Pen bénéficie dorénavant de la bienveillance qui se transforme à mon sujet en une inépuisable hargne. Il est loin le temps où la récusation du lepénisme mobilisait tous les bons esprits de ce pays. Il n’en est que plus curieux de nous voir accusés de pencher du côté de quelqu’un que plus personne ne combat, à part nous. Qui a vu madame Lapix sur France 2 passer les plats en tremblant devantLe Pen puis me faire ses questions corpos ou embrouillées a eu un tableau significatif de la situation. Dans le même temps, évidemment, le PS et Hamon faisaient de leur côté le service d’accompagnement du dénigrement permanent. « Dérive populiste rouge brun » a même dit Olivier Faure (le chef du PS). La mode est donc que chacun apporte sa bûche à mon bûcher. Et comme le statut « d’ex-proche » de moi est devenu une étiquette médiatiquement appréciée, les vocations au tir dans le dos s’encouragent. Rien ne me sera épargné. Je le sais. Car la stratégie du pouvoir est limpide. Elle construit méthodiquement les deuxièmes tours d’élections dont il a besoin : Le Pen plutôt que la droite d’un côté, des insoumis confinés dans la léproserie de l’autre. Tout ce qui concours à construire ce paysage est encouragé.
Mais il s’y ajoute une donnée nouvelle. Sorti des traditionnelles stigmatisations, le pouvoir et ses amis de tous bords sont dorénavant gênés aux entournures. Car si madame Le Pen bénéficie de cette tendresse des élites du « cercle de la raison » c’est que ses détracteurs d’hier ont du mal pour la contredire sitôt qu’on entre dans les détails. En effet, ils lui empruntent trop de sa politique. Les macronistes en particulier avec les dispositions sur les délais de rétention des migrants, les abrogations de cotisations sociales, les mesures de criminalisation de l’action revendicative. À présent qu’elle récuse l’augmentation du SMIC, la retraite à soixante ans, prône le maintien de la cinquième République et admet l’Union Européenne, madame Le Pen est acceptée dans le beau monde. Et les Insoumis deviennent alors la cible commune. Et les attaques que nous porte l’extrême droite viennent nourrir le discours de ces nouveaux partenaires sur les mêmes sujets. Ainsi quand elle nous accuse « d’islamo gauchisme », reprenant les mots de Valls et de quelques autres au PS, chez la République en Marche et dans l’extrême droite communautariste. Ou quand elle prend à son compte les arguments affirmant que j’aurais « exclu les partisans de la laïcité et de la souveraineté » de nos rangs. Lapix en est restée coite et remplie d’autosatisfaction : elle a bien joué son rôle de passe-plat.
Marine Le Pen affiche son soutien aux gilets jaunes. Elle le fait sans en rajouter, non par peur de la récupération mais parce que le parti d’extrême droite a beaucoup de mal à être celui des gens qui « créent le désordre », et « font des violences ». Les contradictions ne s’arrêtent pas là. Ainsi quand elle fait mine de critiquer le gouvernement pour avoir « choisi la répression » et « criminaliser le mouvement ». Il se trouve que, dans le cadre de son activité de députée, madame Le Pen a voté avec le gouvernement pour ce qui concerne l’aggravation des mesures sécuritaires contre les libertés publiques. Ainsi quand les députés de la France insoumise ont voulu supprimer la possibilité d’imposer des fouilles arbitraires et obligatoires autour des rassemblements comme les manifestations. Elle comme les autres députés lepénistes ont rejeté cette proposition. De même que celle où nous proposions l’accès au dossier de la part de la défense dès le stade de la garde à vue ou de l’audition. Aujourd’hui, ces mesures répressives sont largement utilisées par le pouvoir contre les gilets jaunes.
Elle feint de s’indigner de la « désespérance sociale » des Français engagés dans le mouvement mais ne dit aucun mot de leurs revendications. Et pour cause : son programme comprend beaucoup de dispositions anti-sociales totalement contradictoires avec les revendications des gilets jaunes. Par exemple, elle proposait de pouvoir allonger le temps de travail par des accords de branches. Pour les salariés, c’est du salaire perdu puisque le déclenchement des heures supplémentaire recule. Depuis la présidentielle, Macron l’a fait. Comme le Président des riches, l’héritière de Montretout est contre la hausse du SMIC. Elle l’a rappelé en plein mouvement des gilets jaunes, le 26 novembre, répondant à une question de Jean-Jacques Bourdin : « j’ai toujours dit que l’augmentation du SMIC entrainerait une charge supplémentaire pour les entreprises qu’elles ne peuvent pas assumer ». Un langage que ne renierait surement pas Bruno Le Maire. Sur la retraite à 60 ans, elle s’est dit un temps favorable. Puis elle a vite fait machine arrière, en précisant dans un entretien à Valeurs actuelles que « s’il apparaît que l’on ne peut pas maintenir notre système de retraite et accorder un départ à 60 ans (…) les Français accepteront les sacrifices qu’on leur demandera. ».
On vérifie le fossé entre les positions réelles du Rassemblement national et des gilets jaunes en examinant le vote des députés FN à l’Assemblée. Sur la démocratie et l’intervention du peuple dans les institutions, ils ont clairement marqué une distance avec nous lorsqu’ils ont voté contre notre amendement proposant d’instaurer le référendum révocatoire pour les parlementaires. Ils ont également voté contre la convocation d’une Assemblée constituante. Une confirmation supplémentaire de leur nouveau ralliement au régime actuel de la cinquième République. Quand les députés insoumis sont à la pointe contre l’irresponsabilité écologique et sociale du gouvernement, la bande de Le Pen est absente. Impossible de les trouver lors des deux votes que nous avons imposé pour l’interdiction du glyphosate. Nous avons proposé l’interdiction de l’épandage de certains pesticides reconnus dangereux pour la santé dans un rayon de 200 mètres autour de lieux de vie. Ils ont voté contre. Lorsque nous avons bataillé pour que l’interdiction de vendre la SNCF au privé soit inscrite dans la loi, les trois députés du Rassemblement national présents se sont abstenus sur notre amendement.
Tel est à présent le « Rassemblement National ». Mais sur tous ces sujets, on le voit les positions de Le Pen rejoignent celles de la majorité parlementaire « La République en marche », de nombre de LR et de pas mal de PS.
Sur l’Union européenne, le discours de Marine Le Pen est devenu des plus conciliants pour ses traités et ses institutions. Elle explique que son but est d’être une « alternance en Europe » : il n’est donc pas question de changer le cadre. Au fil du discours, elle confirme que son parti, contrairement à la « France Insoumise », n’a pas l’objectif de sortir des traités européens. « Tout se fera dans la négociation, dans le respect des règles juridiques, institutionnelles et diplomatiques » précise-t-elle pour que chacun comprenne que son nouvel objectif est de s’inscrire dans le cadre européen actuel. Faut-il comprendre qu’avec elle au pouvoir, la France ne désobéira pas unilatéralement pour cesser d’appliquer la directive travailleurs détachés ? Qu’elle accepterait l’autorisation du glyphosate pour 5 ans supplémentaires ? Le Pen débite donc une version liftée de « l’autre Europe », proposée à chaque élection depuis 30 ans par le Parti socialiste. Ce tournant européiste est confirmé par l’inclusion sur sa liste, à la troisième place, de Thierry Mariani. Cet ancien député a notamment voté en 2008 pour le Traité de Lisbonne que le peuple avait rejeté par référendum deux ans plus tôt. À l’extrême-droite, on peut donc afficher sur la scène d’un meeting le slogan « le pouvoir au peuple » et mettre en avant une personnalité qui a trahit sans difficulté une décision populaire aussi importante.
Pour donner corps à cette nouvelle ligne, elle met en avant ses alliés qui gouvernent dans d’autres États européens. Matteo Salvini, vice Premier ministre italien, est cité plusieurs fois. Drôle d’exemple. Le gouvernement auquel il participe a fini par capituler face à la Commission européenne sur son budget, après avoir fait mine de résister. Pour rentrer dans les clous des traités budgétaires, il a sacrifié les mesures les plus redistributives, qui venaient du mouvement 5 étoiles : le projet de revenu minimum a été divisé par six, les retraites ont été désindexés de l’inflation et les investissements publics ont été divisés par trois.
L’allié autrichien, le FPÖ, qui gouverne en coalition avec la droite, est aussi pris comme modèle. Sur le plan social, le principal fait d’arme de ce gouvernement est d’avoir augmenté le temps de travail autorisé à 12 heures par jour et 60 heures par semaine. Quant à Orban, en Hongrie, il fait face à un mouvement de contestation d’ampleur contre une loi surnommée par les ouvriers hongrois « loi esclavage ». Elle augmente le nombre d’heures supplémentaires autorisées par an de 250 à 400. Cela représente l’équivalent de 50 journées de travail en plus par an, soit la suppression de fait d’une journée de repos hebdomadaire. Surtout, elle permet de payer ces heures de travail trois ans après qu’elles aient été effectuées. Le tout est fait pour satisfaire les demandes de l’industrie automobile allemande, fortement implantée en Hongrie.
Dans ces conditions, comment croire, nonobstant quelques phrases creuses sur les règles budgétaires ou le libre-échange, que le Rassemblement National et madame Le Pen représentent le débouché logique des gilets jaunes aux élections européennes ? Ne sachant que dire des sujets mis sur la table par ces derniers, Marine Le Pen est revenue dans son discours à ses fondamentaux : une vision ethnique de la communauté politique et paranoïaque de l’immigration. Elle déclare : « Notre Europe est multimillénaire. Elle est riche de son héritage chrétien ». Elle entre donc en contradiction totale avec la tradition française de défense d’une identité politique fondée uniquement sur la citoyenneté et absolument laïque.
Les passages les plus applaudis de son discours sont ceux les plus grossièrement anti-migrants. Ses enthousiastes sont peu regardant. Car si elle dit vouloir rétablir les frontières nationales elle affirme aussi vouloir conserver en même temps Frontex, l’agence européenne de garde-frontières. Cette Europe-là lui convient. Elle prévient : « avec nous, l’Aquarius n’abordera pas les côtes européennes », confirmant que sa politique migratoire consiste à laisser les gens se noyer. Voilà qui devrait faire réfléchir les commentateurs qui croient voir des convergences entre nous et l’extrême-droite. Nous avons toujours défendu l’honneur de l’Aquarius. Lors du débat sur le budget à l’Assemblée nationale, nous avons défendu un amendement pour que l’État français débloque les fonds qui lui manquaient. Ce jour-là, les députés lepénistes et macroniens furent coalisés pour empêcher notre proposition d’être votée. Le tandem fait mine de s’affronter pour mieux se compléter.