Le gouvernement français fait un usage ouvertement violent des forces de répression. On le voit bien au terrible bilan du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner : 2000 blessés, 18 éborgnés et 5 mains arrachées. Mais la répression est un tout. Aux violences policières s’ajoute désormais encore la violence judiciaire. Celle-ci résulte d’un instrumentalisation politique de la justice, ne serait-ce que par la façon avec laquelle elle se combine à l’ambiance de violences physiques et politiques que le mouvement gilets jaunes subit. Cette conjonction est voulue et ordonnée au plus haut niveau. Et là aussi, il faut bien nommer la responsable. Elle est ministre de la Justice et s’appelle Nicole Belloubet. Elle n’a cessé d’appeler à une ferme répression, totale sévérité et autre coups de fouet verbaux.
Mais elle écrit aussi. Le 22 novembre 2018, elle a adressé aux tribunaux une circulaire sur le traitement à réserver aux gilets jaunes. Les magistrats du parquet, sous son autorité hiérarchique y sont invités à autoriser les policiers à contrôler et fouiller tout individu dans les manifestations, de façon à multiplier les interpellations, souvent pour des motifs aussi fallacieux que la possession sur soi de sérum physiologique, ou de masques de piscine destinés à se protéger des gaz lacrymogènes. Drôle de conception de la justice qui consiste à ramasser le plus de gilets jaunes possible. Conception reprise par le Premier ministre qui, devant l’Assemblée nationale a présenté avec fierté les chiffres de sa répression : 8000 gardes-à-vue, 1796 condamnations et 316 mandats de dépôt. Comme si l’objectif de la justice n’était plus d’être juste mais simplement de condamner le plus possible.
Dans sa circulaire, Nicole Belloubet recommande aux magistrats l’utilisation de délits larges et mal définis. Ainsi, on a noté un grand nombre d’inculpation de gilets jaunes au motif du délit de « participation à un groupement en vue de la préparation de violences et de destructions ». Ce qui, dans une interprétation large peut conduire à condamner toute personne présente lors d’une manifestation où il y a eu des troubles. Cette technique a été éprouvée par le système judiciaire dans la répression de mouvements écologistes. La circulaire Belloubet fait d’ailleurs référence à celle qu’elle avait édité sur le cas de l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Des centaines de peines complémentaires d’interdiction de manifester ont aussi été prononcées. Entre sa création, en 1995 et octobre 2018, cette peine n’avait été prononcée que 33 fois. L’utilisation massives de peines visant à faire condamner des gens sans se soucier particulièrement des faits ou de la proportionnalité de la réponse a fait dire au syndicat des avocats de France qu’il se pratique en ce moment à l’égard des gilets jaunes « un droit d’exception ».
Justice d’exception, donc, rendue dans des conditions exceptionnelles. L’afflux de prévenus est tel que beaucoup de tribunaux ont mis en place des audiences réservées pour les gilets jaunes. Au détriment, bien sûr des autres affaires. À Bordeaux, on accuse déjà trois mois de délais supplémentaires pour les affaires de droit commun. C’est le résultat d’une obsession pour la comparution immédiate en ce qui concerne les gilets jaunes. À Paris, depuis le début du mouvement, on a doublé le nombre d’audiences en comparution immédiates depuis le début du mouvement. Et alors qu’en temps normal, on ne juge pas plus de 15 personnes dans une audience de comparutions immédiates, le seuil a été relevé à 19 personnes. Résultat : on juge à la chaîne, toute la journée et toute la nuit jusqu’au petit matin six heures. Ces conditions sont évidemment bien loin de ce que l’on attendrait d’une justice qui respecte le principe de procès équitable, les droits de la défense et la dignité des personnes. À un condamné qui s’insurgeait « je n’ai même pas eu d’avocat » le juge réplique : « qu’est ce que cela aurait changé ? ». Tout est dit.
À l’appui de cette description, on peut citer les cas connus de Christophe Dettinger ou d’Éric Drouet, hommes sans antécédents judiciaires contre lesquels ont été requises de lourdes peines. Mais il y a aussi tous ceux qui restent dans l’anonymat et sur lesquels s’abat cette violence. Par exemple cet ouvrier breton, dont le cas est raconté par Le Monde Diplomatique. Il a été interpellé le 8 décembre sur un parking loin de la manifestation parisienne qu’il n’atteindra jamais. Son crime : avoir, dans le coffre de sa voiture du matériel de protection. Deux jours plus tard, il est condamné à 6 mois de prison avec sursis. Traumatisé par cette expérience de garde-à-vue puis d’humiliation judiciaire, il renonce à faire appel. Voilà pour quel genre de brutalités le gouvernement instrumentalise la justice contre le peuple. On notera pour finir une particularité qu’il faudra bien vite documenter plus que nous ne le pouvons à cette heure. Ce sont les condamnations « assorties » à la peine principale. La mode est à l’interdiction des droits civiques des condamnés. Ils sont ainsi privés du droit de réplique politique que la démocratie leur donne.