Yannick Jadot retourne officiellement à ses convictions libérales bien connues des adhérents d’EELV et surtout de ceux qui ont quitté cette formation à cause de cela, comme notre candidat aux européennes, l’ex député EELV Sergio Coronado. L’épisode de soutien à Hamon et les simagrées de compétition à gauche avec les Insoumis, c’était de la comédie. Les grandes protestations des dirigeants d’EELV en faveur de l’unité de la gauche, c’était du pipeau. En effet, dans un entretien donné au « Point » le 1er mars, Jadot annonce que les élus de sa liste EELV pourraient rejoindre la grande coalition qui commande en Europe depuis toujours. En effet, systématiquement, après les élections européennes, les socialistes et la droite européenne, s’entendent pour choisir le président de la Commission et se répartissent les postes au Parlement. C’est ce qui a conduit les socialistes à voter la dernière fois pour Jean-Claude Juncker, l’homme qu’ils avaient pourtant vilipendé pendant toute la campagne. De cette façon, l’Europe libérale est verrouillée d’une élection à l’autre.
Jusqu’ici, les Verts n’étaient pas invités dans cette combine. Mais la tête de liste d’Europe Ecologie/ les Verts veut désormais être de la partie. Au journaliste qui lui demande « dans le futur Parlement européen, les Verts feront-ils partie de la majorité quadripartite avec le PPE, les libéraux et les sociaux-démocrates ? », il répond sans détours. « Si on nous propose un programme qui améliore substantiellement le fonctionnement de l’Union et les politiques européennes, alors, EELV y apporteront leur soutien ». On peine à y croire : trois mois avant les élections, il annonce que les élus EELV feront une alliance avec le parti de Merkel et Orban, le parti de Macron et la social-démocratie en déroute. C’est d’autant plus étonnant que, dans la même interview, il critique, à raison, les accords de libre-échange signés tous azimuts par l’Union européenne. Mais la coalition qu’il se propose de rejoindre est précisément celle qui promeut depuis des années le grand déménagement du monde, vote ces accords et, quand c’est possible, s’arrange pour que les parlements nationaux n’aient pas leur mot à dire.
Yannick Jadot va plus loin encore vers les libéraux. Probablement pour montrer patte blanche auprès de ses futurs alliés, il propose un président de la Commission européenne bien éloigné de l’écologie. Il s’agit de Michel Barnier : « Tout le monde pense à Michel Barnier. Il a démontré sa compétence. Il est droit. ». Aujourd’hui négociateur en chef des négociations sur le Brexit, c’est un vieux routier de la droite française. Il a été plusieurs fois membre de gouvernements et même ministre de l’agriculture pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il était alors plus proche de la puissante organisation productiviste FNSEA que de la transition vers l’agriculture biologique dont on pensait qu’elle était pourtant centrale dans le programme politique des Verts. Et il a été le rédacteur de l’Union bancaire européenne ainsi que des directives six packs et two packs qui codifient l’application de la règle d’or et autres carcans austéritaires. Bon appétit les électeurs d’EELV !
À la lumière de ce spectaculaire revirement, on regarde d’un autre œil un évènement survenu le 16 janvier dernier au Parlement européen. Ce jour-là, le député insoumis Younous Omarjee avait déposé un amendement à un rapport co-écrit entre les Verts et la droite sur les pesticides pour interdire le glyphosate. Cet amendement était la clef du vote car, pour le reste, le rapport en question ne contenait que des considérations générales sans traduction législative. Pourtant, le groupe européen Verts avait choisi de voter contre l’interdiction du glyphosate pour préserver l’accord qu’ils avaient avec la droite pour voter en commun leur rapport creux et verbeux. Certes, cette fois, les EELV français avaient voté avec nous. Mais Yannick Jadot est prévenu. Voilà à quel genre de compromis pourris l’amènera l’alliance qu’il veut.
Cette position étrange de la part des EELV traduit en fait une profonde erreur d’analyse. Yannick Jadot semble vouloir concilier écologie et libéralisme. Il se dit favorable « à la libre entreprise et à l’économie de marché ». Dans son interview pour l’hebdo « Le Point », il déclare « bien entendu, les écologistes sont pour le commerce, la libre-entreprise et l’innovation ». Il va à l’encontre de la prise de conscience générale du lien entre le modèle économique actuel et la destruction de notre écosystème. Il le fait avec l’objectif électoraliste de récupérer une partie des électeurs de Macron de la présidentielle. Cela sonne comme un signe de ralliement au dogme de la « concurrence libre et non faussée » qui domine la construction juridique de l’Union européenne.
Il n’y a pas de politique écologique ambitieuse possible dans le cadre des traités européens. Pour changer nos modes de production, de consommation et d’échanges, il faut que la puissance publique réalise d’importants investissements que le secteur privé ne fait pas. Or, elle ne le peut pas, précisément à cause des règles budgétaires imposées par les traités européens qui nous condamnent à l’austérité à perpétuité. Ainsi, chaque année nous prenons un retard de 30 milliards d’euros sur les sommes que nous devrions dépenser pour respecter nos engagements pris dans le cadre des accords de Paris. Depuis 2016, le retard accumulé représente 90 milliards d’euros. Pour réaliser la transition écologique, il faut désobéir à la règle des 3%. Nicolas Hulot, qui l’avait compris, citait la contrainte de ces traités au nombre des raisons qui l’ont conduit à démissionner du gouvernement. Rejoindre la grande coalition, c’est rejoindre le cercle des défenseurs des traités. C’est s’allier avec ceux qui pensent, comme monsieur Juncker qu’il « n’y a pas de choix démocratique possible en dehors des traités ». Au final, c’est un choix qui conduirait EELV à abandonner la logique de rupture avec le modèle économique dominant qui conduit à la catastrophe climatique et à l’extinction accélérée de la biodiversité.