Cet article a été publié par Daniel Schneidermann sur Arrêts sur images
Pour tout vous dire, notre émission avec François Ruffin étant déjà tournée, je comptais m’octroyer un week-end anticipé, et voilà que l’oiseau bleu m’envoie cette vidéo.
Mon grand-père ce matin :
– "L'#ONU est de mèche avec la #FI"
– "Tu délires ? T'as vu ça où ?"
– "Sur @24hPujadas. Le rapport de l'ONU sur les violences des #giletsjaunes est un complot. Tout le monde le dit"Je vais donc voir. J'en suis resté sans voix😱 ! pic.twitter.com/wkxkcLbEBv
— Sam 🛑 (@Sam_Arrive_Pas) 7 mars 2019
Elle me laisse sans voix, cette vidéo. Que s’est-il passé ? Ancienne présidente du Chili, et depuis l’automne dernier Haut commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet a « urgemment »
réclamé au gouvernement français, le 6 mars, une « enquête approfondie »
après les violences policières lors du mouvement des Gilets jaunes. Pour mémoire, sur le remarquable recensement des blessés hébergé par Mediapart, sur la base des signalements de David Dufresne (notre invité ici), on compte aujourd’hui 206 blessures à la tête, 22 éborgnements, 5 mains arrachées, etc.
Donc Bachelet réclame une enquête. « Le monde a-t-il perdu sa boussole ? »
demande d’entrée Pujadas, avant de donner la parole à ses quatre invités : Serge Raffy de L’Obs
, Sophie Coignard du Point
, Ivan Rioufol du Figaro
, et Laurence Marchand Tailhade, de « Forces laïques » (?) Et se déchaine donc l’unanimité dont vous avez un condensé ci-dessus (pour ceux qui voudraient vérifier si ce montage est fidèle à l’émission intégrale, c’est là).
Je vais tenter de dire les choses avec pondération. On a le droit de penser que la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU (ancienne torturée de la dictature de Pinochet, soit dit en passant, même si ça n’a pas de rapport direct avec le sujet) formule, à l’égard de la France, des reproches exagérés. On a le droit, de la trouver trop sévère envers la France, et pas assez envers le Venezuela.
Je vais plus loin. On a le droit de justifier la rigueur du maintien de l’ordre en France depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, si l’on estime que le régime français a vraiment craint, craint peut-être encore, pour son existence même. Encore plus loin : il me paraitrait juste, comme le demande le Premier ministre, que soit médiatisé aussi le chiffre, effrayant lui aussi (1400 !, comme indiqué en tout petit sur le recensement de Mediapart linké ci-dessus) des blessés parmi les forces de l’ordre -même si j’aimerais bien avoir le détail des blessures ainsi comptabilisées.
On a tous ces droits. Tous les débats sont autorisés. Reste que cette émission, survenant quelques jours après les sarcasmes de l’indéfectible Jean-Michel Aphatie désignant Bachelet comme « une sous-secrétaire désoeuvrée »
(lire ici ses « explications ») produit un inévitable, un étouffant, un insupportable effet de propagande.
L’unanimité d’abord, bien entendu, cette unanimité « au-delà-des-clivages-partisans » (pensez donc, Le Figaro
et L’Obs
sont d’accord !) tissée de ricanements et de grognements approbateurs. Mais aussi la supposition, sans aucune preuve, que la déclaration de Bachelet serait orchestrée par un sombre complot de Mélenchon et du gouvernement vénézuelien.
La mise en scène d’une unanimité nationale, fondée sur un « pluralisme » en carton-pâte, contre des critiques provenant d’institutions internationales ; l’évocation désordonnée d’un vaste complot étranger, avec complicités internes ; le discrédit jeté sans preuve sur toutes les accusateurs : j’imagine que la télé hongroise, la télé russe, la télé publique vénézuelienne, en ce moment, doivent ressembler à ça. La France n’est ni la Hongrie, ni la Russie, ni le Venezuela, mais pourquoi ses medias dominants font-ils autant d’efforts pour montrer le visage d’une propagande totalitaire (totalement contre-productive au total, mais c’est une autre histoire) ?
Je prendrais bien d’autres exemples encore de propagandes totalitaires, empruntés au siècle dernier, que je me trouve avoir étudiés de près récemment, mais je ne voudrais pas déclencher une polémique parasitante. Restons calmes et mesurés.