En Espagne, on vient d’apprendre que la police avait fabriqué de toutes pièces un roman sur les liens entre le gouvernement du Venezuela et Podemos. Pour produire leurs « documents » les policiers espagnols avaient utilisé le contenu d’un téléphone volé à l’un des dirigeants de Podemos. Dans la révélation de ce scandale, les pièces tombent une à une. À présent, on apprend que les caméras de vidéo-surveillance autour du domicile de Pablo Iglesias ont été piratées. L’énormité de ce type d’action n’est guère évoquée en France. Chez nous, les médias d’État et de l’officialité restent évidemment toujours branché sur le refrain anti-Venezuela. Ils ne sauraient mettre en avant une telle manipulation sans casse pour eux-mêmes.
Car un jour ou l’autre on finira par savoir qui a lancé l’opération de propagande de la dernière semaine de campagne présidentielle contre l’Alba. On se souvient peu de cette grossière fable tant elle était stupéfiante de bêtise. Elle a été énoncée en premier par Jean-Michel Aphatie sur les médias d’État. Elle a servi à nous taper dessus pendant les dix derniers jours de la campagne présidentielle. Il s’agissait de faire croire que je proposais de quitter l’Union européenne pour adhérer à L’Alba, coalition de pays des Caraïbes, dont le Venezuela. Il est peu probable que Jean-Michel Aphatie ait trouvé tout seul cette idée. Aujourd’hui, disons que les délires d’Aphatie ont cessé d’être un sujet pour qui que ce soit depuis ses numéros de postillonages éructant contre les gilets jaunes. Mais à l’époque, il avait encore une crédibilité. Il a pris depuis dans les médias la figure caricaturale d’un adversaire résolu des aspirations populaires.
Le contexte me rend inquiet à propos de l’itinérance du contenu des ordinateurs vidés au cours de perquisitions chez onze de mes ex-collaborateurs comme chez moi. Agendas, contacts, photos : tout a été capturé sans discernement. Il est plus que probable qu’une bonne partie de toutes ces procédures seront invalidées tant elles ont été conduites en dépit du bon sens juridique le plus élémentaire. Pour autant, le danger de provocation est réel. On sait que toutes les pièces de la procédure ont été données (ou vendues) aux médias qui les voulaient ou qui ont leur rond de serviette dans les hautes sphères où ces pièces se trouvent. Ils disposent donc tous d’amples moyens de mise en scène du type de celle opérée par L’Obs. Comme il n’y a jamais aucune poursuite contre les violeurs du secret de l’instruction, leur impunité est donc garantie avec la complicité active de ceux qui sont pourtant censé protéger les droits de la défense. Ceux-ci ne sont garantis que quand ce sont les membres de la corporations qui sont concernés.
On a pu le voir avec la dénonciation d’un groupe de harceleurs au plus niveau de la hiérarchie de France Info. Nulle liste de noms, ni enquête publique, seulement des initiales. Sans doute la prétendue « cellule investigation » de la chaine d’État n’est-elle ni au courant ni concernée… Pour autant, encore une fois, la violence que les deux réseaux de harceleurs, celui dénoncé par « Libération » et celui de la chaine d’État montre de quels abominations sont capables de tels gens entre eux et donc avec les autres. On comprend mieux la mentalité de pilonnage et de harcèlement qu’ils pratiquent dans d’autres domaines et notamment contre nous en général et contre moi en particulier. Je comprends mieux aussi à présent l’ahurissante campagne contre Sophia Chikirou à laquelle nous avons assisté pendant des semaines, notamment par France Info, berceau des harceleurs. N’a-t-elle pas en effet le double tort pour ces violents d’être une femme, une insoumise, et d’avoir mené une campagne électorale qui a passablement ringardisé pas mal de ces beaux esprits mondains qu’elle ne fréquente pas.
Le cas espagnol me met donc en alerte. Je crains donc la reconstitution d’une de ces boucles police/médias/justice dont nous avons subi les effets récemment. Ainsi quand les images de l’émission « Quotidien » ont fourni au Parquet les moyens d’engager ses nombreuses incriminations contre nos comportements dans la perquisition hors norme judiciaire du siège de la « France insoumise ». Comment oublier que les images de la Contrescarpe diffusées par l’Élysée ont été remises par la police à Benalla, que quelqu’un les trafiquées et qu’elles ont été diffusées ensuite partout sur les chaines de l’État et de l’officialité sans aucun recul critique ni mise en distance. De même qu’ont été validées par les mêmes la thèse selon laquelle Jérôme Rodrigues n’aurait pas été visé par un flash-ball. Puis que Geneviève Legay aurait heurté un poteau. Et que Loïc Prud’homme, député insoumis de la Gironde, « affirmerait avoir été matraqué » ? Ces concordances récentes du récit d’un secteur médiatique avec des affirmations mensongères officielles nourrissent une ambiance étouffante.
Les activités de renseignement policier de « Quotidien » d’une part et les interpellations de journalistes ayant couvert les décrochages de portrait du président d’autre part font deviner un contexte de pressions diverses qui renforcent cette ambiance. L’interpellation des journalistes fait comprendre qu’ils sont considérés comme des auxiliaires de l’étouffement des mouvements sociaux qui ne sauraient se dérober. Tout cela participe à une évolution autoritaire du pouvoir qui alerte désormais sérieusement d’amples secteurs de la société civile. Raison pour laquelle CGT et LDH ont appelé en commun avec le collectif de quarante organisations de défense des droits de l’homme à une marche dans les rues de Paris le 13 avril prochain, en défense des libertés publiques menacées. Le groupe parlementaire de « La France insoumise », qui avait proposé la rencontre initiale s’est réjoui d’avoir pu se rendre utile dans un domaine aussi crucial. Car l’évolution des libéraux partout dans le monde est de réduire les libertés. De les réduire brutalement. Ce qui se passe en France dans ce domaine est un évènement a part entière dans l’histoire politique du vieux continent. Cela est plus inquiétant que les frasques liberticides d’un Orban en Hongrie. Car il s’agit d’une puissance du centre du système mondial.
J’y pense parce que ce dimanche, je suis allé au rassemblement au Trocadéro en défense de Lula, l’ancien président du Brésil. Accusé d’avoir bénéficié du cadeau d’un appartement jamais prouvé, il a d’abord été condamné à douze ans de prison par un juge qui a été nommé depuis ministre de la Justice du fascistoïde Bolsonaro. Il va de soi que les médias brésiliens avaient accompagné avec enthousiasme la procédure contre le seul homme qui était en situation d’être élu contre la droite brésilienne. Aucune des « cellules d’investigation » de cette masse de médias « libres et indépendants » ne se souciant de savoir où pouvait bien être cet appartement ni comment s’établissaient les liens entre le juge futur ministre et le candidat d’extrème droite. Lula a payé cher. Très cher ce traquenard. Non seulement sa détention actuelle, mais avant cela de la destruction d’une bonne partie de sa famille foudroyée par le choc psychologique du harcèlement médiatico-judiciaire. Son frère, sa femme, un de ses fils : c’est beaucoup. Bolsonaro a conclu : « il crèvera en prison ». Vous chercherez en vain dans les colonnes des redresseurs de tort médiatique français quoi que ce soit sur le sujet. Cela montre la densité de la connivence avec les organisateurs de ce type de traquenards qui se répètent d’un pays à l’autre avec les mêmes mots, les mêmes méthodes, dans le monde, là ou notre famille politique représente une menace pour l’ordre établi. Et cela s’insère dans une actualité en France terriblement aggravée.