Le 30 avril, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu une décision à propos des tribunaux d’arbitrage prévus dans le cadre de l’accord de libre-échange avec le Canada, le trop fameux CETA. Ces tribunaux d’arbitrage forment une justice d’exception pour les multinationales. Ils leur permettent de passer outre les cours de justices nationales et donc de ne pas être tributaires des lois en vigueur dans les pays qui accueillent leurs activités. Ces tribunaux ne jugent que sur la base des accords commerciaux et sur la base de leur propre jurisprudence. Ainsi, les États et les peuples se retrouvent privés de leur souveraineté. Ils se trouvent placés à la merci du chantage d’entreprises privées rendues toutes puissantes. En effet les multinationales obtiennent de cette façon le droit de poursuivre les États en cas de changement de la législation et obtenir des indemnisations financières pour les bénéfices que les changements de la loi peuvent provoquer. C’est ainsi qu’une multinationale cigaretière a obtenu la condamnation et les indemnités du gouvernement australien du fait d’une loi contre le tabagisme. L’Australie a ainsi payé pour les cigarettes qu’elle n’a pas pu fumer…
Ce mécanisme de confiscation de la souveraineté populaire a pourtant été jugé compatible avec les traités européens par la cour de justice. C’est une nouvelle raison de sortir de ces traités. Par conséquent, le CETA sera bel et bien assorti d’un tribunal d’arbitrage. Cela donne beaucoup de pouvoir aux entreprises canadiennes et européennes. Mais pas uniquement. En effet, 81% des entreprises américaines présentes dans l’Union européenne ont une filiale au Canada. Elles auront donc elles aussi accès à ce tribunal d’arbitrage pour imposer leur volonté aux États européens. Cette décision est aussi un nouveau cadeau fait au capitalisme états-unien.
Le 15 avril dernier, le Conseil européen a autorisé la Commission à ouvrir des négociations commerciales avec les États-Unis. Deux ans après l’échec du TAFTA, ils veulent de nouveau conclure un accord de libre-échange. Le principal moteur dans cette relance des négociations est l’Allemagne. En effet, Trump menace toujours de rétablir des droits de douane importants sur les importations de voitures européennes. Or, le secteur automobile représente 20% de l’activité industrielle de l’Allemagne et 25% des exportations allemandes aux États-Unis. 90% du marché américain des automobiles de luxe est occupé par des constructeurs allemands. Alors que son économie subit un sérieux ralentissement, il est indispensable pour le gouvernement allemand de protéger à n’importe quel prix son industrie automobile destinée essentiellement à l’export.
Le pouvoir français, lui, s’est gargarisé d’avoir voté au Conseil européen contre l’attribution à la Commission européenne d’un mandat de négociations. Mais il a perdu le vote. Ce qui signifie donc que l’Allemagne a une nouvelle fois humilié le gouvernement français en le mettant volontairement en minorité. Elle n’a pas cherché une position de conciliation. Le « couple » n’existe plus dès lors que les intérêts du patronat allemand sont en jeu. On l’avait déjà vu dans l’affaire du glyphosate. Le vote de l’Allemagne avait été décisif pour faire perdre la position défendue par les Français.
Dans la même période le géant allemand de la chimie Bayer rachetait le premier producteur de glyphosate l’américain Monsanto. On connait le discours officiel anti-glyphosate tenu d’abord par Macron qui avait promis son interdiction en trois ans avant de se dédire. Sa majorité parlementaire a rejeté la proposition de loi des députés Insoumis pour interdire ce poison. Il en est ainsi parce que, entretemps le conseil européen a décidé de prolonger pour cinq ans supplémentaires l’usage de ce pesticide en Europe. Il l’a décidé parce que les allemands l’ont imposé aux français une fois de plus.
Il en va de même cette fois-ci. Ce qui reste à évaluer c’est la dose de cynisme du président français sur ce dossier. Car le processus de reprise de la discussion avec les USA n’a pas commencé le 15 avril. Dès cette été, Jean-Claude Juncker a signé une déclaration avec le département du commerce américain pour une relance des négociations commerciales. Cette déclaration était même accompagnée d’une levée des restrictions d’importation sur le sol européen du soja et du gaz de schiste américains. Depuis, les importations de ces deux produits chez nous ont bondi respectivement de 112% et de 181%. Ils font partie des productions les plus destructrices pour la planète et dangereuses pour le climat. Mais à l’époque, Macron n’a rien dit. Le « champion de la terre » a accepté comme les autres eurocrates les hydrocarbures les plus sales et le soja OGM !
On peut donc soupçonner qu’il sait combien son opposition n’aura, en bout de course, aucun effet. Le traité de libre-échange s’appliquera quel que soit son avis. D’ailleurs, il a lui-même validé son impuissance. En effet, le 22 mai 2018, les ministres des Affaires étrangères ont entériné une nouvelle procédure d’adoption des accords commerciaux. Cette procédure prive les Parlements nationaux de tout rôle. Ils n’ont plus aucun droit de regard ou de vote à leur sujet. Le gouvernement français était représenté le jour où cette décision a été prise. Il n’a pas vu d’inconvénient à renoncer à notre souveraineté. Depuis, cette nouvelle procédure a été utilisée pour entériner le plus grand accord de libre-échange jamais signé : le JEFTA, avec le Japon. Le Parlement français ne votera jamais sur sa ratification. La position du gouvernement français au conseil européen est donc une posture gesticulatoire. Macron ne cherche pas à empêcher un nouvel accord avec les États-Unis. Il veut juste s’en dédouaner. Il le peut sans bruit puisque personne n’en parle en France et puisque la cour de justice européenne a décidé que l’aspect le plus inadmissible aux yeux de qui croit à la souveraineté populaire est compatible avec les traités européens.