Un incident de transmission m’a fait publier une version « brouillon » du post suivant, désormais dans sa version définitive. Que mes lecteurs veuillent bien m’en excuser.
La canicule n’est pas seulement un fait écologiquement nuisible. C’est un fait social. Elle accable et menace dans leur existence d’abord ceux qui ont le moins de moyens de se protéger d’elle. Ce sont ces pauvres gens abandonnés dans la rue sans accès à l’eau, prisonniers empilés dans des cellules exiguës, milliers de travailleurs en plein air ou dans des bâtiments inadaptés à de telles températures, personnes âgées dans des structures en surnombre, habitants des quartiers vers lesquels le vent pousse les mauvaises émanations dont la composition chimique s’aggrave pour les êtres humains avec la chaleur. Quand nous avons commencé à la France insoumise à parler « d’écologie populaire », nous sentions bien que nous touchions à une nécessité dont l’évidence paraîtrait bientôt plus étendue peut-être que nous l’avions d’abord imaginé. Nous y sommes.
Pour le reste, en ce qui concerne le travail parlementaire, enfin, la pause est à l’horizon ! L’ordre du jour de la session extraordinaire ne devrait pas nous conduire plus loin qu’à la fin juillet. L’élection à l’unanimité comme vice-présidente du groupe des députés la France insoumise de Mathilde Panot est un signe de bonne santé de notre équipe. En deux ans, alors que 127 textes ont été présentés à l’Assemblée nationale, nous avons toujours tous voté de la même manière sur tous les sujets et amendements. Ce n’est pas sans mérite car on ne doit jamais oublier que « la France insoumise » est d’abord un label commun. Notre groupe à l’Assemblée nationale est fondamentalement composite entre députés qui n’ont pas d’appartenance politique et ceux membre du Parti de Gauche, du PC, d’Ensemble, de « Picardie debout » ou de « Résistance-Réunion ». À côté de cela, la déstabilisation après le mauvais résultat des élections européennes est achevée. Bien sûr, l’un ou l’autre des médias obsessionnellement hostiles à la France insoumise comme Le Parisien ou Le Monde trouvera toujours, ici ou là, un(e) tireur(e) dans le dos pour nous nuire. Mais quelle importance ? C’est un jeu de rôle. N’achetez pas ces journaux et voilà tout.
Et bien sûr, le système au pouvoir ne nous lâche pas. Il nous fait renvoyer en correctionnelle pour notre comportement pendant les perquisitions. Ses agents jubilent. Ils dénoncent notre comportement non respectueux de la loi qu’ils brutalisaient. Mais eux n’hésitent pas à la violer publiquement dans la circonstance. Ils avaient déjà vendu des procès-verbaux sur nos auditions en pleine campagne électorale des européennes. À présent, agents de justice ou de police ont vendu à L’Express la liste de ceux d’entre nous qui serait déférés en correctionnelle pour leur comportement pendant les perquisitions. C’est un feuilleton. Cette liste, pieusement, a été recopiée et reproduite sur toutes les ondes sans que personne ne s’étonne du procédé. Chacun faisant évidemment l’effort d’oublier que ces perquisitions étaient elle-même déjà autant d’abus de pouvoir et d’instrumentalisation politique de la justice et de la police.
Dans le même délai, la même « justice » distribue à la chaîne des non-lieux dans toutes les affaires qui entourent le président de la République : financement de sa campagne électorale, déclarations devant les commissions d’enquête parlementaire et ainsi de suite. Mais pour l’instant, la boucle police/justice/médias reste solide et mouline sans état d’âme les plans du pouvoir contre l’opposition.
Il est vrai qu’elle a tourné à plein régime pour invisibiliser les milliers de condamnations de gilets jaunes ainsi que les violences et les abus de toutes sortes qui ont émaillé les derniers mois. Mais tous ceux qui trouvaient alors si plaisant de nous voir en mauvaise posture et protester doivent aujourd’hui constater que les pires mauvaises habitudes ont été prises. Un syndicat de police venait manifester devant notre siège ? Les « observateurs » se léchaient les babines. Dorénavant, un syndicat de police peut menacer les juges eux-mêmes sans qu’on leur demande de compte sur rien. Nous étions abusivement perquisitionnés dans des opérations d’habitude réservées au grand banditisme ? Les « observateurs » se gaussaient.
Dorénavant les perquisitions et les gardes à vue sont devenues le mode ordinaire d’intimidation des opposants écologique, syndicaux ou jeunes. Qu’on se souvienne de Bertolt Brecht : « d’abord ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit car je ne suis pas communiste… à la fin ils sont venus me chercher et personne ne m’a défendu car j’étais tout seul ». Nous voici rendu au point où quand quelqu’un tire sur des gens devant une mosquée et où un juge peut considérer que ce n’est pas un attentat. La vérité est qu’avec le réseau des ex-PS dans la magistrature sous la houlette de Nicole Belloubet, perpétuellement hébétée, et l’incurie de l’ex-PS Christophe Castaner dans la police, quelques fondamentaux de l’État sont partis en roue libre dans l’abîme du corporatisme et des règlements de comptes politiques.
J’ai géré du mieux que j’ai pu avec tous ceux qui m’entourent les suites du résultat des élections européennes. Les coups pleuvaient de tous côtés. Nous avons mené gagner la bataille de la stabilisation. Car après avoir obtenu en quelques heures la démission de leurs responsabilités de plusieurs opposants, certains médias se sont concentrés sur moi. Toujours les mêmes. Ceux qui ne se soucient pas d’informer mais de dire ce que l’on doit penser. Pour plusieurs d’entre eux, la haine et la jubilation de me voir en difficulté leur a fait perdre toute mesure. Ce sont devenus de purs militants anti-FI consacrant toute leur énergie à me diaboliser. Des éditorialistes, des rubriquards agissant en militants politiques, la guirlande habituelle des pseudos-experts de plateaux de télévision se sont donc mobilisés pour exiger mon départ. Départ de quoi ? Voilà la question. Comme ils ne peuvent ignorer que je n’exerce aucune responsabilité au Mouvement, leur exigence était donc que je me retire purement et simplement de la scène politique !
Car c’est ainsi que fonctionne dorénavant la sphère médiatique : quand le pouvoir perd une élection, c’est aux oppositions qu’on demande des démissions ! Il était alors évident que ce pilonnage avait pour objet de provoquer l’effondrement du Mouvement « La France insoumise ». Cela fut dit comme ça dans certaines rédactions. C’était d’ailleurs aussi l’objectif ouvertement annoncé dans le JDD par une tribune des tireurs dans le dos de ce moment si pénible. En effet, la difficulté pour encaisser le choc du mauvais résultat a été aggravée par les gesticulations de quelques responsables internes particulièrement indélicats.
Je veux ici immédiatement distinguer deux cas totalement différents. Celui de Clémentine Autain d’un côté et la queue de comète des fractions de Djordje Kuzmanovic, Kotarac, François Cocq, Thomas Guénolé et compagnie. En effet, le choix de Clémentine Autain est une prise de position politique au sens le plus classique du terme. Je suis en désaccord complet avec sa proposition de retour aux formules politiques du passé qui ont échoué. Mais je respecte son opinion et je pourrais même lui souhaiter bonne chance si je ne craignais pas de faire rire mes lecteurs qui savent comme moi quel sera le destin de cette formule politique archaïque. Comme j’ai eu connaissance de son texte qui circulait plusieurs jours avant le résultat des élections, je n’avais pas été surpris par son contenu. Et comme celui-ci fut présenté à la télévision un quart d’heure après l’annonce des résultats sans que j’en ai été prévenu d’aucune façon, j’avais dit qu’un peu d’élégance n’aurait pas été de trop. Je n’avais encore rien vu ! Car depuis le record de violence personnelle a été battu par l’annonce du départ de Charlotte Girard sans un coup de téléphone, un mail, un SMS ou quoi que ce soit qui tienne compte de ce que je prenais pour une amitié de longue date scellée dans de terribles épreuves communes. Tant pis pour moi. J’en tire la leçon et je passe à la suite.
Dorénavant, je voyage dans la vie avec des bagages moins lourds : le dégoût pèse moins lourd que l’amertume. Et cela vaut pour tous ces prétendus « démocrates » qui ont profité de leur position interne (acquise comment ?) pour dénigrer le Mouvement, insulter le travail de ceux qui le font vivre dans un effort ridicule pour se rendre intéressant. Un billet d’Antoine Léaument résume bien la frustration des militants, ces petites mains qui s’étaient mises au service de ces personnages qui n’ont même pas pris le temps de leur dire merci. Élus par personne, n’ayant jamais rendu aucun compte sur leurs activités, directement liés à des gens qui agissent déjà depuis l’extérieur contre le mouvement qu’ils ont déjà quitté, ils étaient certains de trouver dans la presse des interlocuteurs attentifs à leurs postures et jérémiades.
En effet, personne n’est allé vérifier qui avait bien pu nommer ces personnes dans leur fonction ni quel était leur bilan réel. Je n’admets pas ces comportements. Il vise à transformer le mouvement « La France insoumise » à une imitation de ces groupuscules condamnés pour toujours à l’impuissance des mêmes sempiternels « débats internes » étalés sur la place publique. Pourquoi ces personnes ne s’organisent-elles pas elles-mêmes en parti ou mouvement pour faire la preuve de la validité de leurs idées, de leur formidable stratégie et de leur pratique démocratique ? Qu’ils soient certains que si elles réussissaient à mobiliser mieux et davantage que nous les milieux populaires nous les aiderions alors par tous les moyens.
Mais de grâce : assez de coups tordus, de ruptures de relations personnelles sans crier gare, de tribunes absconses et de critiques sans fondement pour le seul bonheur de voir son nom dans le journal. C’est la raison pour laquelle j’ai pris une décision très importante avant de transmettre publiquement les clés de la maison à la coordination des secteurs qui la composent et qui ont désigné Adrien Quatennens comme coordinateur. J’ai abrogé la totalité de la liste des responsabilités que j’avais construite empiriquement avec Manuel Bompard au fil de trois campagnes électorales et de deux ans de vie du mouvement. Ainsi ai-je dit que les « nommés sont dénommés ». Plus de 50 personnes sont ainsi concernées. La nouvelle structure qui va animer le mouvement sera donc totalement maîtresse de son organisation et de la répartition des tâches pour la période qui arrive. La période de la présidentielle des législatives et des européennes est close !
Puis la tactique de ce tout petit groupe de tireurs dans le dos a consisté à étaler la confiture de leur départ pour nuire aussi profondément que possible à l’image de l’immense collectif humain que nous formons. Que dans le même temps, c’est-à-dire le week-end, il y ait eu cent adhésions supplémentaires à « La France insoumise », avec un pic pendant mon discours, cela n’aura été relevé par aucun de ces « commentateurs ». Il est vrai que certains ne s’étaient même pas donné la peine de venir sur place parler avec ceux qui s’y trouvaient. Tout cela n’a naturellement plus rien à voir avec de l’information.
Au demeurant, le pire n’est pas que de telles pratiques « journalistiques » aient lieu. Après tout, on connaît le niveau de ces médias et l’idée méprisante qu’ils se font des capacités intellectuelles de leurs lecteurs ou auditeurs. La baisse permanente des ventes des journaux papier, le mépris dont attestent les enquêtes d’opinion pour les journalistes et l’écrasante majorité qui affirme que la presse ment sont les symptômes éclatants de cette nécrose. Non, le pire n’est pas que cette presse soit inapte à informer et se complaise dans un journalisme de provocation qui lasse même ceux à qui il s’adresse. Le pire est le genre de mœurs auquel cette façon de faire accoutume. Quand Le Monde se vante « d’avoir pu se procurer » une « note interne », il rend impossible toute discussion « interne » puisqu’il est certain de la retrouver dans la presse et d’être de la sorte envenimée par la notoriété qui est ainsi provisoirement conférée à ses auteurs.
Cette façon de faire est une arme d’implosion massive de n’importe quel regroupement humain. On notera que si on appliquait au fonctionnement des rédactions concernées il est certain que les gens en seraient déjà à se tuer car l’ambiance y dépasse en vilenies, complots et rumeurs, mille fois tout ce qui peut se faire dans le plus délabré des partis. Ce viol de la vie interne permet ensuite aux mêmes, au-delà de toute déontologie journalistique, de conclure à l’issue d’un week-end auquel ils n’ont pas participé personnellement que « le compte n’y est pas » comme l’a fait le rubricard du journal Le Monde dans une ingérence militante absolument incroyable. Le même s’est contenté en toutes circonstances de reproduire les documents et les commentaires souvent anonymes contre l’avis du mouvement sans jamais vérifier s’ils étaient fondés, ni quelle autorité pouvaient avoir ceux qui les proféraient. Rien ne montre mieux que, dans cette circonstance, l’objectif n’est pas de savoir et d’informer mais de créer un spectacle, de préférence destructeur, qui s’adresse aux émotions les plus aveuglés plutôt qu’à la raison.
Au total, le déroulement de la séquence qui a suivi la publication du résultat des élections européennes aura été extrêmement instructif. Que je me sois exprimé publiquement et clairement sur le moment politique face au Premier ministre à la tribune de l’Assemblée nationale dans un discours retransmis par deux chaînes d’information n’a pas été considérée comme le fait que j’ai « parlé ». On ne saurait mieux dire. Dans ce pays, pour les journalistes, la scène de l’affrontement politique réel, la tribune de l’Assemblée nationale, ne signifie strictement rien. Je me suis ensuite exprimé à trois reprises dans cette même Assemblée et cela n’a eu non plus aucune signification à leurs yeux. Ce qui comptait, c’était de savoir si j’allais faire amende honorable, un mea culpa, peut-être même, oh divine surprise, si j’allais démissionner ou me « mettre en retrait ». Le lamentable numéro psychologisation de la vie politique continue sans trêve ni pause.
De mon côté j’ai voulu montrer que si nous avons perdu ce n’est pas, comme le voudraient certains, parce que nous n’aurions pas fait le choix de bonnes couleurs d’affiches ni du ton qu’il convient de donner pour être entendu par la petite bourgeoisie mondaine des villes. Nous avons été battus parce que nos adversaires ont été plus forts que nous et qu’ils ont réussi à nous porter des coups extrêmement sévères, que ce soit dans la violence des abus de pouvoir judiciaire et policier ou dans la campagne permanente de dénigrement dont nous avons fait l’objet quand on nous a attribué les violences des gilets jaunes, l’antisémitisme de quelques énergumènes et ainsi de suite, quand en plein milieu de la campagne européenne L’Express et Le Monde peuvent publier des pages entières de relevés de procès-verbaux d’audition de nos députés par les policiers et ainsi de suite.
Mais par-dessus tout, j’estime que nous avons payé l’échec du mouvement social. La séparation entre le mouvement des gilets jaunes et le mouvement syndical, trop tardivement et trop vaguement réparé, nous ont coûté cher. Le retrait des intellectuels loin de la scène du conflit, leur condamnation parfois, tout cela a creusé comme jamais le fossé entre classes populaires et classes moyennes, tuant toute possibilité de regroupement ou de sentiments de cause commune face au pouvoir. Je suis stupéfait que personne n’intègre dans son analyse le nombre des défaites que nous avons subies en deux ans faute de Front populaire de résistance comme nous n’avons cessé de le demander. Le code du travail, le statut de la fonction publique, l’organisation de l’école, le budget de la santé, et combien d’autres des piliers de l’ancien ordre social ont été abattus sans aucun dommage pour le pouvoir ni mobilisation populaire à la hauteur des événements.
Là est la racine du désintérêt populaire et du recul qu’ont subit l’ensemble de ceux qui se sont opposés sans succès à ces mesures. Telles sont les explications de fonds qui permettent de comprendre non seulement ce qui s’est passé réellement mais pourquoi cela s’est passé. Ce serait une très lourde erreur de ne pas le prendre en compte. C’est se rassurer à bon compte de croire que des fautes de communication seraient à l’origine de nos déboires. Et ce serait rendre un nouveau service à l’adversaire que de préférer se déchirer, salir ce qui existe, faire semblant que tout doit être recommencé à zéro comme si tout ce que nous avons entrepris, comme si tout ce que nous avons appris dans le cours de ces événements ne comptait pour rien.
Je suis heureux de savoir que Philippe Martinez doit venir apporter son témoignage au cirque Romanes pour contribuer au big-bang qu’on y annonce. Sans doute fera-t-il le bilan de sa propre participation à la situation que nous vivons, à son refus d’opérer la jonction entre le politique et le syndical, à la distance mise avec le mouvement des gilets jaunes et au fait qu’à partir du moment où la CGT n’est plus la première force syndicale il est évident que cela signifie aussi quelque chose dans le rapport de force idéologique du mouvement populaire. J’invite donc ceux qui me rendent personnellement responsable de cette situation politique d’ensemble à respecter davantage leur propre intelligence. La dégradation du lien qui unit les populations à des représentations politiques est dans la situation matérielle, culturelle, affective dans laquelle se trouve placés ces milieux sociaux. J’invite ceux qui s’en sont réclamés naguère, à revenir aux méthodes du matérialisme pour analyser le mouvement des idées et des rapports de force idéologiques.
À partir du 25 juin, l’Assemblée nationale examine le projet de loi énergie-climat. Elle le fait une semaine après que le Conseil européen a échoué à adopter un renforcement de ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En effet, la Hongrie, la Pologne, la République Tchèque et l’Estonie s’y sont opposés. Leur grossier calcul : la cause de la lutte contre le réchauffement climatique serait un bon levier à utiliser dans un rapport de force pour obtenir certains fonds européens. Dans cette guignolade, le gouvernement français tient son rang : il justifie son refus de taxer normalement le kérosène des avions parce qu’il promet de mener la bataille au niveau européen. Fin de la récréation une fois plus pour Macron.
Dans le projet de loi qu’il présente au Parlement, il propose de remplacer les objectifs de division par quatre des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 par celui d’une « neutralité carbone » à la même date. Les objectifs à horizon 2050 sont louables. Comme tous les objectifs. Mais même de ce point de vue, ici ils ne sont vraiment pas à la hauteur de l’urgence. Le dernier rapport du GIEC sur le sujet nous a appris qu’il nous restait 12 ans pour engager les transformations profondes de nos modes de production, de consommation et d’échange pour limiter le réchauffement dans des proportions acceptables. C’est donc d’actions concrètes immédiates dont nous avons besoin, pas d’objectifs lointains sans contenu. Et le passage de la « baisse des émissions » à la « neutralité carbone » peut contribuer à les retarder. Car ce concept n’implique pas nécessairement un niveau bas d’émissions. Il s’agit seulement d’un équilibre entre les émissions et les capacités d’absorption et de stockage du carbone. De fait, il encourage la croyance dans l’apparition d’une solution technique pour capter en quantité suffisante le CO2 plutôt que la sobriété.
Ce projet de loi est aussi celui du choix de l’énergie nucléaire. Il reporte l’objectif de réduire la production d’énergie nucléaire à 50 % du total de l’énergie consommée en France. C’était déjà une décision pas très brillante du gouvernement Hollande car elle revenait à dire quand même que la consommation pouvait continuer à croître et le nucléaire lui aussi à condition de ne jamais dépasser les 50 % du total. Une arnaque dans le plus pur style de Hollande. En tout cas, ce mix à 50 % était planifié pour l’année 2025. Macron a décidé de repousser cet objectif de dix ans, à 2035. C’est donc clairement une mauvaise décision. Elle est plus affligeante encore qu’elle en a l’air.
En effet, 17 réacteurs vont arriver à la fin de leur durée de vie d’ici la fin du mandat. Le nouveau calendrier signifie donc qu’il va falloir le moment venu financer la rénovation des centrales qui seront parvenues au terme de leur existence. Il en coûterait 150 milliards si l’on en croit les experts. Il est peu probable qu’après avoir financé une telle somme, il reste encore quelque chose pour assurer la transition des méthodes de production de l’énergie dans notre pays. Et si l’on prend au sérieux les calendriers, alors on voit qu’il y a une autre arnaque. Comment croire qu’on décide de fermer des centrales qu’on viendrait juste de rénover ? Au total tous ces micmacs ont un sens : continuer dans le nucléaire. Notons enfin, sans vouloir noircir excessivement le tableau, que la valeur des estimations du coût du grand carénage des centrales nucléaires actuelles pour les remettre à niveau pourrait se révéler sujet à caution. Ce ne serait pas la première fois. Il suffit de voir ce qui se passe avec les prévisions concernant l’EPR de Flamanville. Il sera livré dans le meilleur des cas avec 10 ans de retard et un coût trois fois supérieur aux prévisions initiales…
En même temps que ce projet de loi est présenté à l’Assemblée nationale, on apprend qu’un plan de réorganisation d’EDF serait en préparation. Il vise essentiellement et une fois de plus, à nationaliser les pertes et privatiser les profits. Il s’agirait de séparer les activités de l’entreprise nationale publique en deux filiales. La première contiendrait les centrales nucléaires, qui vont devenir de plus en plus coûteuses et serait à 100% à capitaux publics. Dans la deuxième filiale, il y aurait les activités de commercialisation d’EDF ainsi que les énergies renouvelables. Et cette filiale-là, beaucoup plus rentable dans l’avenir, serait ouverte aux capitaux privés. Après Aéroports de Paris, il s’agit encore d’une nouvelle part du patrimoine de la Nation, un réseau très rentable que Macron veut offrir à la finance.
Encore une fois, Macron va priver le pays d’un outil industriel essentiel pour faire la planification écologique. Le développement des énergies renouvelables va être entièrement soumis aux critères fous de la rentabilité du capitalisme financier. Si Macron réussit son projet, nous en rabattons encore sur les capacités à faire bifurquer notre production énergétique. Il a déjà vendu Alstom et sa production des meilleures turbines pour produire de l’électricité du monde à General Electric. Laquelle ferme les unités de production françaises les unes après les autres comme à Grenoble ou Belfort. La vente d’EDF est une autre étape dans le dépeçage de notre industrie, le démantèlement de notre souveraineté sur l’autel de son idéologie financiariste. Décidément, ce que Macron n’a pas compris, c’est qu’il ne suffit pas de poser une pile de billets de banque en face d’une pile de tôles pour que cela produise spontanément des automobiles, des turbines ou ce que l’on voudra. Pour y parvenir, il faut des usines, une culture industrielle, des machines et un savoir-faire humain qui rende le tout possible. C’est tout cela que la vision financière de l’économie telle que la porte Monsieur Macron ignore absolument. Elle ne peut donc que produire des désastres.
Les épreuves du brevet des collèges, qui devaient se tenir cette semaine, vont être reportées en raison de l’épisode caniculaire qui touche l’hexagone, a annoncé le ministre Blanquer. Ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres de la façon dont les conséquences du réchauffement climatique vont venir perturber l’organisation de nos sociétés. La canicule actuelle est inédite pour le mois de juin depuis 1947. En raison du taux d’humidité dans l’air, la chaleur ressentie est supérieure à l’épisode de l’été 2003, qui avait provoqué la mort de 15 000 personnes. Ce genre d’épisode de chaleur est de plus fréquent et répandu. Dans un climat régulé, une canicule de ce type ne devrait arriver en France qu’une fois tous les 10 000 étés. Mais à 4 degrés de réchauffement, elle se répètera une fois tous les deux ans.
L’inaction du gouvernement Macron nous rapproche de cet abîme. Aucun des facteurs qui accélèrent le réchauffement n’est stoppé. Les députés insoumis ont demandé que l’état d’urgence climatique soit solennellement déclaré par l’Assemblée nationale, comme l’ont fait les députés britanniques et irlandais. Au lieu d’inscrire cette résolution à l’ordre du jour, les députés macronistes ont refusé dans les quinze derniers jours des amendements insoumis pour taxer davantage le kérosène des avions, étendre la gratuité dans les transports en commun ou donner le pouvoir aux préfets d’interdire dans certaines zones les paquebots de croisière polluants. L’exécutif, quant à lui, a décidé qu’il était urgent d’inscrire à l’ordre du jour du mois de juillet la ratification du CETA, l’accord commercial avec le Canada. Celui-ci ne respecte pourtant pas les engagements pris par les États signataires lors des accords de Paris en 2015. Pour faire face au défi climatique, il faudrait sortir du système formé par le libre-échange, la finance, les règles de l’Union européenne.
Les épisodes de grande chaleur sont dangereux pour la santé et même meurtriers. Mais ils ne frappent pas de manière uniforme toute la population. Une étude avait montré qu’en 2003, la mortalité du fait de la canicule avait été trois fois supérieure chez les ouvriers que chez les cadres. La raison tient souvent aux caractéristiques des quartiers populaires. Ils sont souvent plus exposés aux pollutions qui s’aggravent en période de canicule. C’est très visible à Marseille où les rejets des paquebots de tourisme de croisière équivalent à un million de voitures par jour et touchent d’abord les quartiers nord. Ensuite, les logements des pauvres sont moins bien isolés, ce qui les rend bien plus difficile à maintenir à des températures viables. Enfin, la présence en ville de végétation joue un grand rôle pour rafraichir l’atmosphère dans ces périodes. Elle répond et contre l’effet « îlot de chaleur urbain » créé par les revêtements artificiels qui conservent la chaleur. Or, il y a justement moins d’espaces verts dans les quartiers les plus pauvres. Ces exemples donnent tout son sens à notre concept d’écologie populaire.
Cette année, les conséquences de l’épisode caniculaire risquent d’être renforcées parce qu’il intervient après une décennie de démantèlement de l’État français. En ce moment même, un nombre record de services d’urgence sont en grève pour contester contre le délabrement des conditions de travail et d’accueil et revendiquer un plan d’investissement d’urgence. 100 000 lits ont été fermés dans nos hôpitaux depuis 20 ans. Dimanche 23 juin, ce sont sept syndicats de sapeurs-pompiers professionnels qui ont déposé un préavis de grève courant sur tout l’été. Eux aussi dénoncent les incessantes économies réalisées sur le dos du service public dont ils ont la charge. Depuis 2005, 5500 postes de pompiers volontaires ou professionnels ont disparu, 2200 centres de secours ont disparu et les dépenses d’investissement dans le matériel ont été réduites de 26%. Mais comment faire face à une canicule, son lot de risques sanitaires et d’incendies potentiels, sans un service de pompiers et des hôpitaux de qualité ?
Sans l’État, c’est la loi du plus fort qui s’imposera. L’oligarchie fera sécession d’avec le reste de la population. Elle paiera le prix qu’il faudra pour être à l’abri des dangers tandis que tous les autres ne pourront compter que sur des services publics délabrés. Cela a déjà commencé. En ce moment, l’Inde connait une des pires sécheresses de son histoire, à cause du retard de la mousson, causé par le réchauffement climatique. Le prix de l’eau explose : que font les hôpitaux ? Ils le répercutent sur le prix de leurs lits. Le combat des insoumis pour la sauvegarde de notre État est directement lié à la catastrophe climatique à laquelle il répond concrètement. Dans les périodes de crise qui mettent en cause l’existence même du groupe humain, l’observation montre que c’est en principe la solidarité qui l’emporte sur les autres considérations. Mais le dressage à l’individualisme, la permanence de l’idéologie libérale et sa domination notamment sur les médias qui en récitent les mantras, fonctionnent comme une machine à introduire dans les esprits les mauvais réflexes. Dans son livre L‘entraide, l’autre loi de la jungle, Pablo Servigne montre que si l’humanité entre dans la crise climatique et ses dégâts avec les principes courants que lui a inculqué le discours libéral dominant, alors la situation sera pire que si les gens pouvaient réagir librement d’après ce que leur instinct leur suggérerait. Le libéralisme n’est pas seulement mauvais par le déchaînement productiviste qu’il implique. Il l’est tout autant par les justifications qu’il a inculquées pour pousser tout être à l’égoïsme du chacun pour soi.