J’avais été tout entier absorbé par le retour dans l’arène du procès politique et le commencement de la session parlementaire extraordinaire. Sorti du procès de Bobigny, je ne savais où donner de la tête dans la foule des dossiers qui se présentaient. Heureusement, le mouvement des Insoumis a pris son rythme de croisière autonome. Cette semaine-là il réunissait trois cent assemblées communales pour mettre en œuvre son document d’orientation en vue des prochaines élections municipales.
Je ne me suis pas mêlé d’une seule d’entre elles. Mais la session parlementaire incluait le début de la discussion sur la loi bioéthique. Je m’y suis impliqué. Arrive le projet de budget de l’État pour l’année courante. Eric Coquerel et Sabine Rubin y sont jusqu’au cou. Mais il faut suivre, car au fil des rapports et des votes c’est la mise en œuvre de notre propre programme qui se dessine.
Bref, de tous côtés la France Insoumise est dans l’action, elle améliore ses vues, elle affine ses propositions. C’est une activité foisonnante. À l’heure de venir à mon rendez vous avec ce clavier il m’a fallu choisir de quoi je traiterai non seulement pour mes lecteurs mais tout autant pour moi qui apprends en écrivant. Car c’est de cette façon que je fixe mes connaissances pour les avoir en tête dans les prochaines occasions ou je devrai m’exprimer.
Le traditionnel traquenard médiatique de la semaine est arrivé sur un mot de moi pris dans la rue à l’occasion d’un conseil de prudence à un manifestant choqué par les violences qu’il avait subi la semaine précédente. Trois jours et une manif factieuse plus tard, il disparut aussi soudainement qu’il était apparu. De nouvelles diversions étaient devenues possibles. La mort de Chirac fournit une de ces matières submersives dont raffole la meute quand il faut fermer les yeux sur tout le reste. Ici, « tout le reste » c’était l’incendie de Rouen et une nouvelle vague de violences policières aussi gratuite qu’impunie. Sans oublier les urgences en grève, les manif retraites et toutes ces choses qui contrarient le pouvoir et sa suite dorée.
Le 25 Septembre, le Giec a produit pour la première fois un rapport sur les conséquences du réchauffement climatique pour l’océan et la cryosphère, c’est-à-dire les eaux gelées et glacées. J’attendais ce travail avec impatience après avoir fait avec le député Son-Forget un rapport sur le défi des mers et des océans pour notre pays. Je fais donc ici un résumé de ce que ce rapport confirme. Et je rappelle ce que nous avons proposé sur le sujet.
Le grand océan mondial couvre 71% de la surface de la planète et il représente 90% de l’habitat disponible pour le vivant. Le réchauffement climatique déclenché par les émissions de gaz à effet de serre est en train de perturber da façon majeure son fonctionnement. Tout d’abord, l’océan lui-même se réchauffe. En effet, il joue le rôle d’un régulateur du climat. Sans l’absorption de chaleur par l’océan, la température dans l’atmosphère terrestre serait de 35 degrés supérieurs. D’après les 104 scientifiques du Giec qui cosignent ce rapport, il a absorbé depuis 1970, les neufs-dixièmes de la chaleur excédentaire du système climatique. Ce qui explique son réchauffement accéléré.
Ce changement brutal de température des eaux marines entraine à son tour des dérèglements climatiques. Le rythme de l’évaporation change et donc celui des nuages et des précipitations aussi. La première conséquence pour nous de la hausse de la température des eaux océaniques sera toujours davantage de pluies. Et celles-ci seront toujours plus diluviennes.
En plus de la chaleur, l’océan capte aussi 20 à 30% du dioxyde de carbone que l’activité humaine émet. L’augmentation de ces émissions provoque donc des changements dans la composition chimique des océans qui les absorbent. La mer est de plus en plus acide et de moins en moins vivable pour les espèces qui s’y trouvent. La concentration totale de l’océan en oxygène a baissé de 2% dans les 60 dernières décennies. Les « zones mortes », où aucune vie n’est plus présente ont augmenté de 10%.
Partout, les experts du Giec constatent une baisse des populations d’êtres vivants. Les plus touchés sont les zones tropicales. Chaque décennie, les espèces migrent environ de 30 à 50 km en direction des pôles. Evidemment, la conséquence de ce déplacement forcé pour un grand nombre d’entre elles est qu’elles ne trouvent plus leurs conditions d’habitat et disparaissent. La disparition de la biodiversité marine est une catastrophe globale. L’océan est de loin l’écosystème le plus riche de la terre et celui que nous connaissons le moins.
Dans le rapport parlementaire co-écrit avec le député Son Forget, nous alertons aussi sur ce péril et multiplions les propositions pour sauver la vie marine. Nous plaidons par exemple pour la création de nombreuses aires marines protégées. Nous faisons le lien entre les rejets de l’agriculture chimique les « zones mortes en mer ». Evidemment la clef de tout c’est la planification écologique de la production et des échanges car les mesures a prendre pour changer de cap exige de maitriser le temps long pour que les changements soient effectifs.
La conséquence peut-être la plus spectaculaire que nous allons devoir subir est celle de la montée du niveau des mers. Son rythme est aujourd’hui deux fois plus élevé qu’il y a 10 ans. Les glaciers vont perdre dans de nombreuses régions 80% de leur volume d’ici 2100. D’ici là, le Giec prévoit une augmentation minimale globale de 0,6 mètre et jusqu’à plus de 1 mètre. Il souligne dans son rapport que 680 millions de personnes vivent dans des régions où l’altitude ne dépasse pas 10 mètres. Pour eux, les conséquences seront très directes. Parmi les plus grandes villes du monde sont côtières : Shanghaï et ses 24 millions d’habitants, Lagos et ses 21 millions d’habitants ou encore New-York et Jakarta, chacune comptant 8 millions d’habitants. Ces espaces très densément peuplés devront faire face à l’avancée des eaux.
Mais ce n’est pas tout. Un autre problème va être posé aux grands deltas agricoles. Les eaux qui s’y trouvent vont devenir, par la force des choses, plus salées. C’est le cas du delta du Mékong, l’un des greniers à riz de l’Asie du Sud-Est. Sa salinisation risque de le rendre infertile.
Ce ne sont pas là des hypothèses. Comme le rappelle Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du Giec : « réduire les émissions de gaz à effet de serre permettrait de gagner du temps pour nous adapter aux risques, dont certains, comme la montée du niveau des mers, sont inéluctables ». La première urgence reste donc de freiner le réchauffement climatique. L’inverse de ce que fait Macron malgré tout ce qu’il peut dire à l’ONU. Les objectifs de la loi énergie climat, votée ce mois de septembre à l’Assemblée nationale sont inférieurs à nos engagements internationaux. Et en relançant tous azimuts le libre-échange, il pousse à l’augmentation du transport de marchandises, donc d’émission de dioxyde de carbone. Ensuite, il faudra se préparer aux conséquences, aux évènements climatiques extrêmes, aux inondations, à l’érosion des côtes, au recul des terres arables.
Je soutiens que pour faire face, nous avons besoin de mécanismes de solidarité puissants et notamment d’un État fort et fonctionnel. Ce que Macron est en train de détruire aussi. La question du changement climatique met donc à l’ordre du jour un changement radical dans les objectifs de gouvernement des sociétés humaines. Le temps que la prise de conscience se fasse nous laissera-t-il le délai suffisant pour maitriser la situation ? Ou bien faut-il penser que nous ne pourrons faire mieux que d’accompagner l’effondrement de tout que nous avons connu ? Ce qui est certain c’est que les scénarios politiques du passé ont vécu.
À l’assemblée nationale, les députés insoumis, sont profondément conscients du fait que le débat sur la PMA n’est pas strictement politique. Bien sûr, il le devient par la force des choses, puisque c’est une assemblée politique qui va délibérer et décider. Mais c’est d’abord un débat philosophique.
Les députés hostiles au texte ont souvent présenté leur hostilité au projet comme une volonté de « protéger l’enfant ». Mais de quoi ? De l’absence de référence à un père ! C’est un préjugé : la filiation n’a jamais été autre chose qu’un fait social et culturel. C’est un homme qui vous parle : la paternité a toujours été une présomption. Les hommes s’en sont assurés par des moyens de contrôle du corps des femmes qui ont brutalisé la condition féminine pendant des siècles. Jusqu’à ce que la science prétende pouvoir affirmer qu’une preuve définitive de la paternité pouvait être établie. Et du coup, c’est comme si tout tenait à cette « vérité biologique ». Puisqu’on peut prouver qui est le père avec certitude, c’est donc que la paternité elle-même est une vérité biologique.
C’est d’ailleurs l’argument de Mme Le Pen pour condamner un nouveau système de filiation dont le géniteur biologique serait absent. Mais en dépit des apparences les plus fortes, il n’y a pas de vérité biologique dans la filiation. Bien sûr, il faut un mélange de deux personnes pour obtenir un être humain. Mais cela ne crée pas de vérité à propos de la filiation. Le rapport entre parents et enfants est un rapport social. Il change avec le temps, le lieux, les circonstances.
La seule chose dont nous soyons sûrs et certains sur le plan biologique, à propos de la protection de l’enfant, c’est que, faute d’amour, il dépérira. Cette réalité ne vient pas seulement d’intuitions romanesques ou de rapport culturel à l’enfant. C’est une certitude scientifique : les enfants privés d’amour sont entravés dans leur développement, ils se développent moins et mal. Mais quelle loi obligera tous les parents à donner de l’amour a leurs enfants ? Cela n’est pas possible ! Tout ce que nous pouvons faire, c’est empêcher les ravages de la cruauté. Nous savons tous qu’il existe des familles biologiques avec un père et une mère qui sont des bourreaux d’enfants, tandis que d’autres familles composées d’un seul parent ou de deux parents du même sexe sont, à l’inverse, des nids d’amour.
Contrairement à ce que racontent certains partisans du transhumanisme, l’humanisme ne vise pas du tout à dépasser la limite physique de l’humain. Rappelez-vous la légende : après avoir distribué des dons à tous les animaux, Épiméthée s’aperçoit qu’il a oublié l’homme. Arrive alors Prométhée, qui donne à l’être humain le savoir, lui permettant de devenir l’auteur conscient de son existence. Nous ne sommes pas sortis de cela : l’être humain est perfectible. Qu’allons-nous donc perfectionner en nous ? Aujourd’hui avec cette loi, nous affirmons que la filiation n’est rien d’autre qu’un acte d’amour des parents en direction d’une petite personne sur le développement de laquelle il veille.
Je suis d’accord avec Mme Le Pen sur un point : le sujet dont nous discutons n’est pas à proprement parler un sujet de bioéthique. Je l’assume : nous opérons une révolution des règles de la filiation. Elle proclame que le patriarcat est fini. Nous abolissons le principe selon lequel les hommes seraient propriétaires du corps des femmes ou de leurs enfants, qui a, comme je l’ai dit, prévalu pendant des millénaires. Ce qui est vrai, ce n’est pas ce qui procède du biologique, mais ce qui vient du fait social et culturel dans lequel nous vivons et qui s’impose à nous. C’est-à-dire de ce dont nous sommes capables de définir la charge et d’en délibérer collectivement.
Ce débat nous invite donc à un beau moment de progrès de la raison humaine. Que la filiation soit un fait culturel et social nous libère de l’entrave qu’aurait constituée l’existence d’une vérité biologique. Mme Le Pen a dit que c’était une question angoissante : « Qui suis-je ? » Son opinion est très cohérente, je lui réponds que « je » n’est pas le résultat d’une histoire antérieure à l’existence de chacun. Comment imaginer que l’identité d’un être précède son existence, autrement dit qu’elle réside dans l’identité de son père et de sa mère. La réalité d’un être surgira toujours de son existence propre. Et le passé que nous agrégeons par la connaissance que nous en avons sera lui aussi retravaillé par la lumière du présent que chacun affronte et qui le transforme. Le processus de construction du jeune être humain est un processus de culture cumulative – point final.
À la question « qui suis-je ? », on ne peut pas trouver de réponse dans le passé. L’humanisme proclame que la réponse est dans le futur, dans ce que je ferai, dans mes œuvres, dans ma contribution au bonheur des autres, au travail commun, à ce qui améliorera l’humanité. J’admets que ce soit un préjugé. Qu’est-ce qui ne l’est pas dans ce domaine ? Mais je voudrais en souligner la splendeur. Nous n’avons pas à nous excuser – du reste, nous ne voulons pas le faire – de dire qu’il est grand et magnifique de se construire par le futur que nous souhaitons. Et au cas particulier de cette loi d’accepter la filiation comme un résultat de notre volonté, de notre culture, et non d’un improbable état de nature. Nous n’avons pas à en protéger qui que ce soit. Au contraire, nous invitons nos enfants à en assumer toute la grandeur.
Oui, c’est la fin du patriarcat. Des femmes mettront des enfants au monde sans l’autorisation ni la volonté des hommes. Pour ma part je me suis toujours opposé à ce qu’on proclame d’une façon ou d’une autre une vérité biologique à propos de l’être humain. J’ai protesté de toutes mes forces contre la possibilité qu’une femme ayant accouché sous X soit tenue de répondre, quarante ans après, à quelqu’un qui viendrait lui demander si elle assume l’acte qu’elle a posé. Pour la première fois, vous prétendez soumettre les hommes à une telle exigence. Je suis contre ! Ce serait une façon de faire revenir la thèse d’une vérité biologique dans la parenté là où il n’y a qu’une vérité sociale et culturelle provisoire dans le temps.
J’admets que dans l’idée de la parenté « l’évidence » plaide pour affirmer qu’il y a un père et une mère, personnages à la fois biologiques et sociaux. Nous sommes les héritiers d’une longue tradition dans ce domaine. Pour autant, si nous examinons cette situation, devons-nous conclure à son caractère indépassable ? C’est tout le sujet. C’est la question même du progrès – je ne parle pas du progrès matériel ou du progrès technique, qui sont d’un autre ordre, quoiqu’ils viennent souvent bousculer notre perception du progrès humain.
Ce progrès humain existe bel et bien. Son existence se mesure à l’évolution des lois – qui sont parfois régressives et parfois progressistes. Et, en la matière, que de chemin parcouru ! Même si elle est aujourd’hui remise en cause, la règle de la présomption de paternité consacrée par l’état civil napoléonien était simple : lorsque votre épouse donne naissance à un enfant, c’est le vôtre. C’est votre épouse, c’est donc votre enfant ! Disons que c’est un credo socialement stabilisateur. Les remises en cause au nom de la vérification génétique apportent-elles quoi que ce soit d’utile ? À mon avis non. C’est même le contraire ! le seul fait que j’en parle montre qu’il peut y avoir débat et que la vérité biologique est un fait daté au moins par le fait qu’on puisse l’établir par la science.
Je peux prendre un exemple plus évidemment lié aux conditions culturelles d’une époque. Dans la Rome antique, le pater familias avait le choix de façon bien autrement radicale: il pouvait prendre le nouveau-né dans ses bras et prononcer la formule sacrée « c’est à moi ! », et c’était alors son enfant. Mais il pouvait tout aussi légalement le mettre à la poubelle. Personne ne se souciait de la vérité biologique que constituait la femme qui l’avait bel et bien mis au monde.
Laissant de côté l’aspect biologique, nombreux sont ceux qui ont rappelé la nécessité d’une présence masculine dans la vie et la construction de la psyché des enfants. Ce n’est pas un homme qui dira que cela n’a aucune sorte d’importance ! Je suis moi-même père et grand-père et je crois jouer un rôle dans cette filiation. À vrai dire, j’ai fait ce que j’ai pu, comme beaucoup d’entre nous. Il reste que je veux récuser l’argument selon lequel la situation prévue par la nouvelle règle de filiation exclurait la présence des hommes. Ce sera certes le cas du père, y compris de manière formelle pour l’état civil. Mais ce ne sera pas pour autant une exclusion des hommes. Car celles qui forment un couple de femmes ont des frères, des pères, et peut-être parfois déjà des fils. Des hommes seront donc bien présents à l’avenir autant qu’aujourd’hui dans la vie de ces enfants. Les hommes, tels qu’ils sont.
Mais bien malin qui peut dire ce qu’est « être un homme ». Parce que ça change aussi d’une génération à l’autre : le genre masculin est aussi une construction culturelle et sociale. J’ai souvent eu l’impression qu’on le présentait comme une essence. Or, ce n’est pas du tout le cas ! On évoque souvent la dictature des modèles culturels sur les femmes, mais l’équivalent existe pour les hommes. Les hommes doivent être comme cela, se comporter de telle manière ou de telle autre. Et cela change d’une génération à l’autre. Une seule de mes collègues de la nouvelle génération éduquerait-elle aujourd’hui son fils en lui donnant une gifle parce qu’il a les larmes aux yeux ? Lui dirait-elle : « Tu n’es pas une femme ; au moins maintenant, tu sais pourquoi tu pleures ! ». Dans ma génération, c’était courant. Quand on était un garçon, on ne devait pas pleurer. Du coup, nous gardions nos sentiments pour nous. On nous apprenait cela : nous étions dressés pour cela… Le genre masculin est une construction, comme le genre féminin.
On ne saurait se plaindre de l’abscence de la figure du père sans s’obliger à la définir et dans ce cas il est probable que nous ne serions pas d’accord sur ce que nous attendons de ce rôle !
Je ne l’évoque que pour montrer combien les rapports de filiation, de paternité et de maternité sont des faits sociaux et culturels. Et il faut s’en réjouir, car cela signifie qu’ils sont à portée de nos décisions collectives. La thèse de départ de l’humanisme est que les êtres humains auto-produisent ce qu’ils sont, au contraire des autres êtres vivants qui agissent par instinct et s’accomplissent par lui. Eux reproduisent un passé, nous accomplissons un futur. f
Alors c’était juste ça le syndicat Alliance ? Un groupuscule de 40 personnes recroquevillées sur un trottoir au bord du boulevard Magenta. Des mines piteuses surveillées par autant de gendarmes et même de CRS un peu plus loin. Pour la manif des policiers contre le siège des insoumis, il y avait davantage de journalistes et davantage encore de gilets jaunes. Ces derniers les ont vigoureusement (mais pacifiquement) nargués et même raccompagnés à la Gare du Nord en chantant « ce n’est qu’un au revoir barbare… ». Dès que la nouvelle du décès du président Chirac est arrivée le prétexte à plier bagage fut saisi avec soulagement. Car la débande pure et simple menaçait. « Alliance », les fiers à bras qui menaçaient les juges, traitait de « sous-êtres humain » les manifestants, j’en passe et des meilleures, n’est même pas suivi par ses propres adhérents. Sans doute parce que la police est davantage républicaine que ses dirigeants syndicaux.
Et moi ? Puis-je encore sortir et participer à une manif ou quoi que ce soit de public ? Parler avec des gens ? Je crois que c’est non. Cette fois là on avait pourtant fait un cordon pour empêcher que les caméras m’approchent. Mais il restait les téléphones. Et d’un mot, hors contexte, hors cadre, présenté comme une « déclaration », la caste médiatique a montré qu’elle pouvait faire encore un de ces buzz de dénigrement que nos pensions éviter en les tenant à distance. Saint-Cricq, la toupie PS de France 2, a résumé l’objectif sur je ne sais plus quel plateau : « est-ce que le problème ce n’est pas Mélenchon ? » C’est la conclusion à laquelle tout ce réseau voudrait conduire l’opinion.
En vain. Le jour ou les influents bavards annoncent que je m’effondre dans leur sondage, celui-ci me crédite pourtant de huit point de progression en deux mois. Comme le procès a tourné au ridicule des accusateurs, il y avait urgence à me ramener dans l’égout médiatique. Une autre hypothèse est qu’il s’agit pour ces bavards surpayés, haïs de la base de la profession, méprisés par une majorité de Français, de meubler l’espace médiatique sans faire d’efforts, le cul dans sa chaise bien au chaud.
Car le bavardage occupe de plus en plus de place sur ces plateaux. Et il y a une raison : ça coûte moins cher que le terrain. Et comme de plus en plus de sujets sont interdits d’antenne parce que trop risqués face aux contrôleurs politiques du prince, le bavardage est une occupation moins risquée. Avec un nouveau samedi d’omerta sur les violences policières et sur l’incendie de Rouen, le niveau d’estime pour ce système médiatique va faire un bond dans le pays. Et la suite est annoncée : la manif contre la poubelle nucléaire de Bures va subir une violence judiciaire annoncée avant même l’évènement. Mais, dans ce pays, selon la télé d’État, « le problème c’est Mélenchon ».
Du 24 au 27 septembre se tenait le procès de Jean-Jacques Urvoas. Ce socialiste a été ministre de la justice de François Hollande en 2016 et 2017. En mai 2017, entre les deux tours de la présidentielle, il est accusé d’avoir envoyé à Thierry Solère des informations sur une enquête préliminaire déclenchée contre lui. Solère était à l’époque député LR. Il avait été porte-parole de François Fillon dans la campagne présidentielle. La cour de justice de la République, le tribunal qui juge des actes commis par un ministre, s’est réunie pour juger de ces faits. Précisément, il s’agissait pour la cour de déterminer si Jean-Jacques Urvoas en transmettant ce document à Thierry Solère, brisait un secret professionnel auquel il était astreint. En l’occurrence il s’agit de ce secret de l’instruction que tout le monde viole impunément dans la justice et dans la police. Autrement dit : la loi qui ne s’applique pas aux autres s’applique-t-elle à Urvoas du seul fait qu’il est militant politique ?
Mais pour nous, l’intérêt de ce procès est au-delà de ce seul débat juridique. Les faits mêmes, qui ne sont contestés par personne, mettent à mal les mensonges de Nicole Belloubet à notre égard. En effet, elle prétend n’avoir rien à voir dans les perquisitions montées contre nous en octobre 2018. Elle dit même qu’elle n’était pas au courant, et que le garde des sceaux n’est pas mis au courant d’enquêtes en cours. Jean-Jacques Urvoas, lui, était pourtant au courant de l’enquête préliminaire menée par le parquet sur Thierry Solère. Dans son bref rappel des faits au début de l’audience, le président de la cour a décrit la fiche transmise par Urvoas à Solère comme « un document rendant compte de l’état d’avancement et des perspectives d’évolution de l’enquête préliminaire ». C’est l’aveu de l’exact contraire de ce qu’avait déclaré la procureure Champrenault à notre sujet.
Pendant quatre jours se sont succédés à la barre des témoins appartenant à toute la chaine hiérarchique de l’administration judiciaire. Ceux qui expliquent d’habitude à longueur de plateaux que la justice est indépendante et que contester cette thèse est forcément complotiste ont cette fois, et sous serment, décrit en détail la façon dont les informations sur les enquêtes remontent jusqu’au ministre. Ainsi, la procureur de Nanterre, qui avait sous sa responsabilité l’enquête sur Thierry Solère, a raconté qu’elle avait produit de son initiative quatre rapports remis à sa hiérarchie sur l’enquête. Elle l’avait fait car selon elle, le cas de Solère rentrait dans les critères du genre d’enquête pour laquelle elle se sentait tenue de faire remonter les informations, du fait qu’il était parlementaire.
Elle ne fut pas la seule à être de cet avis. Les deux directeurs des « affaires criminelles et des grâces », direction effective du ministère de la Justice, en ont fait autant. Ces deux personnes ont servi sous Jean-Jacques Urvoas. Elles ont confirmé dans leurs dépositions que les remontées d’informations sur des enquêtes en cours sont courantes. L’un d’entre eux a même précisé qu’il s’agissait selon lui d’une « obligation légale » pour une affaire médiatisée. Le directeur de cabinet qui officiait au moment des faits n’a pas dit autre chose. Pour lui, la remontée d’informations spontanée jusqu’au ministre est « naturelle » s’agissant d’une enquête concernant un élu de la nation. Il n’est donc pas vrai, comme le prétend Belloubet dans notre cas, que le ministre de la Justice soit tenu dans le noir quand une enquête menée par ses subordonnés concerne un parlementaire. À plus forte raison quand il s’agit de mener des perquisitions contre le président d’un groupe parlementaire d’opposition et ancien candidat à l’élection présidentielle. Belloubet et Champrenault ont donc menti, délibérement.
Mais les témoignages ne s’arrêtent pas là. Plusieurs magistrats, y compris ceux ayant dirigé l’administration centrale des affaires criminelles et des grâces et le cabinet de M. Urvoas ont affirmé que le ministre de la Justice partage généralement les informations les plus sensibles avec le premier ministre et le président de la République. L’un des témoins précise qu’il le sait de première main puisqu’il a eu l’occasion de travailler dans le cabinet du Premier ministre. Par ailleurs, ils sont aussi plusieurs à préciser que cette pratique des remontées d’informations jusqu’au ministre ne concerne pas que l’administration judiciaire. Ce sont des pratiques courantes également au ministère de l’Intérieur. Pour mémoire, lorsque nous avons été perquisitionnés le 16 octobre 2018, le ministre de l’Intérieur par intérim était aussi le Premier ministre, Édouard Philippe. Belloubet a donc menti en prétendant le contraire.
Cette description du fonctionnement d’une administration consubstantielle à l’État a été faite à peu près dans les mêmes termes par plusieurs fonctionnaires, ayant servi à des échelons différents et qui avaient juré de dire la vérité devant la cour. Ainsi, quand j’affirme que Belloubet ment et qu’elle savait l’opération qui se préparait contre nous, ce ne sont pas des suppositions. Ce sont des faits : les plus hautes autorités de l’État ne sont pas étrangères à une opération de police menée contre le président d’un groupe parlementaire d’opposition. C’est la leçon du procès d’Urvoas. Ce n’est pas le « journalisme d’investigation » qui peut le révéler. Lui se contente de recopier ce que lui donnent les cabinets ministériels ou les étages intermédiaires dans l’administration judiciaire qui les leur « vend ». Une enquête aurait pu le montrer. Elle aurait tué le business de feuilletons politico-judiciaires. Mais cette fois-ci il suffisait de se rendre au procès, d’écouter et de prendre des notes. Ce qu’aucun des chroniqueurs judiciaires n’a eu l’audace de faire. Ou trouveraient-ils ensuite matière pour leur copié-collé.