On peut dire que la séquence vient de prouver le pouvoir de nuisance du Parlement européen. Il peut retoquer les propositions de Commissaires. Ça n’ajoute rien à ce qu’il est, puisqu’il reste interdit de proposition de loi, interdit de délibérer sur le social et le marché unique et ainsi de suite. Mais on peut dire que, du moins, il peut empêcher des gens déclarés immoraux par lui d’accéder à des responsabilités européennes. Certes, il n’a rien prouvé de semblable, par exemple, quand Juncker a été élu puis réélu. Mais fi du passé. Malheureusement, on ne pourra pas dire que ce qui vient de se passer soit autre chose qu’une démonstration de l’état de dislocation politique de l’Europe des puissants qui viennent de se faire quelques beaux croche-pieds. En cela, ce qui vient de se passer est un indice de crise globale.
Au point de départ, on trouve la bataille énergique de Manon Aubry et de ses amis du groupe la GUE contre la nomination de commissaires peu acceptables. La délégation de la France Insoumise a voté contre la désignation de Sylvie Goulard, parce qu’elle ne partage ni sa vision du marché commun qu’elle souhaite construire, ni l’Europe de la défense rattachée à l’OTAN pour laquelle elle ambitionnait d’œuvrer. Elle a aussi voté contre car ses liens avec le think-tank Berggruen rendaient plus que floue sa capacité d’indépendance et d’impartialité. Pendant son mandat de députée européenne, Sylvie Goulard s’est faite rémunérer 12 000€ par mois par le think-tank du milliardaire américain Berggruen pour organiser des réunions, gérer un agenda et rédiger des comptes-rendus de rencontres. Dans le même temps, elle bâclait son travail législatif en signant les amendements que lui envoyaient les lobbies bancaires. Pour se défendre, Sylvie Goulard dit n’avoir transgressé aucune règle.
Nous attendons d’un Commissaire européen suffisamment de conscience éthique pour reconnaître que la rémunération exorbitante par des intérêts privés n’est pas compatibles avec les exigences des citoyens envers leurs dirigeants. Nous nous battrons pour que ces exigences soient ancrées dans des règles européennes encadrant les rémunérations externes des députés. Leur application sans concession doit être garantie par la mise en place d’une autorité indépendante de contrôle des conflits d’intérêts au sein des institutions. Les insoumis étaient donc dans leur rôle. Mais, très rapidement, ils se sont vus entourés soudainement de soutiens imprévus venant du groupe de droite, d’une partie des socialistes et même des Verts qui parlaient pourtant juste avant de soutenir la nouvelle Commission. Ces brusques revirements étaient certes bienvenus mais ils attestaient d’un grand règlement de compte en cours. En voici une explication possible.
Les amis de Macron avaient aidé à faire rejeter la candidature de la Commissaire roumaine socialiste, puis du Commissaire hongrois de droite orbaniste. Or les gouvernementaux français étaient censés être liés par l’accord global conclu quand la nouvelle présidente de la Commission avait été désignée. C’était un tout. Ils n’ont pas tenu parole. Le boomerang leur est revenu dans la figure. Il faut se rappeler que la proposition initiale des Allemands était d’élire président de la Commission Manfred Weber, le président du groupe de droite PPE. Macron l’a récusé comme Allemand de droite. Avant de devoir céder et de devoir accepter une autre candidature, Allemande encore et de droite : Ursula Van der Layen. On peut imaginer que Manfred Weber, redevenu président de son groupe, n’a pas été malheureux de renvoyer la monnaie de sa pièce à Macron en faisant voter tout son groupe pour retoquer la candidate du président français.
Et de même les socialistes qui ont perdu dans le vote pour leur Commissaire roumaine se sont fait un bonheur pour la moitié d’entre eux de ne tenir aucun compte des consignes de vote données par leur groupe et de renvoyer aux gouvernementaux français leur vote hostile. Pour finir, ce qui a commencé comme une opération de nettoyage éthique s’est prolongé dans une opération de revanche politique anti-macroniste teintée d’un poil d’anti-France traditionnel en Europe. Vu de haut, la France est humiliée. Si cette Commission survit, la position du Commissaire français, quel qu’il soit, sera faible.
Pourquoi la Commission pourrait-elle ne pas survivre a cet épisode ? Voyons la chaîne des évènements. L’actuelle nouvelle présidente de la Commission n’a été élue qu’avec neuf voix d’avance parmi lesquelles quelques unes de la droite extrème. Elle est donc faible. Elle s’est fait retoquer trois propositions de Commissaires au total. Elle est donc affaiblie. Il lui faut faire une nouvelle proposition de trois Commissaires. Le gouvernement français est très fâché. Il peut décider que l’accord est un tout. Et il peut donc exiger que la Commission soit présentée en paquet complet par la présidente devant le Parlement. Un paquet dans la composition prévue dans l’accord initial. Le Hongrois et la Roumaine seraient donc remis en place et la Française, Sylivie Goulard, de même. Chaque groupe politique serait alors mis au pied du mur : confirmer l’accord ou faire tomber la Commission et sa présidente Ursula Von der layen. Mais si cela ne se fait pas, on sait que c’est le Français qui devra manger son chapeau et soumettre un autre nom avant de se faire infliger une nouvelle tournée d’enquêtes et d’auditions. Dans tous les cas, la France vient de prendre un rude coup et elle se prépare à se rattraper de piteuse manière.
Mais tout cela doit être replacé dans son contexte global de crises politiques en chaîne d’un bout à l’autre de l’Europe où les gouvernements nationaux sont souvent en impasse comme en Espagne, en Italie et tant d’autres, sans oublier l’Angleterre sans majorité au Parlement qui inflige de surcroit un Brexit chaotique à l’Europe. Autant de signes d’une crise globale dont aucun des dirigeants n’a l’air de prendre en compte le caractère continental. Et bien sûr, personne n’accepte ni ne propose d’en remettre en cause les racines dans les politiques néo libérales qui détruisent les sociétés.