Les annonces d’Edouard Phillippe samedi vont aller tout droit à la poubelle bien encombrée où gisent déjà les trouvailles de dernière minute des précédents gouvernements « droits dans leurs bottes » qui finissent en capilotade. Il faut tenir bon. Les embrouilles de dernières minutes ne changent rien au fond ni même à la forme du projet gouvernemental. Ces gens surestiment leur pouvoir et sous-estiment l’exaspération populaire.
Cette semaine, nous enchaînons plusieurs journées d’actions interprofessionnelles. C’est un moment décisif. Pas à cause des médias qui ont déjà écrit d’avance leur commentaire « à chaud » : « le mouvement faiblit, etc. ». Ni du pouvoir qui n’écoute plus rien ni personne à part son chef un peu perché, il faut bien le dire. Ni des bandes a Castaner et à Lallement qui se préparent à tabasser en barbares tout ce qui leur semble possible à capturer dans une manifestation. Ni bien sûr de Belloubet, leur bagage accompagné judiciaire. L’effet attendu est sur le patronat et tous les secteurs économiques qui ont soutenu ce régime jusqu’à ce jour sans rien dire mais en pleurnichant. À eux de se demander si ça en vaut la peine compte tenu du résultat. À eux de se demander si ça vaut la peine. Sont-ils prêts à payer si chères les faveurs que la réforme des retraites réservent au secteur de la finance qui leur ponctionne déjà un impôt privé sur chaque paiement en carte bleue !
Ce qui est en cause désormais implique toute la société, toutes ses composantes sociales. C’est cela qui se met en place sous nos yeux. Avec notre implication. Tenons-bon ! Le reste nous sera donné par surcroît.
Cette semaine aura été celle d’un bras de fer d’une exceptionnelle intensité entre le gouvernement et la société. La grève reconductible continue et s’étend à de nouveaux secteurs inhabituels. Une jonction entre classes moyennes et milieux populaires s’opère dans une revendication sociale commune. Les pratiques et rencontres interprofessionnelles se multiplient sur le terrain. Ce sont alors des mots et des pratiques partagés qui en résultent et font culture commune. La jeune classe salariée est celle des « 80% d’une classe d’âge au bac ». Ça s’entend ça se constate. C’est la génération qui se sait sans avenir professionnel dans ce modèle économique. Ce sont aussi bien des fois les premières générations clairement et irréversiblement déclassées par rapport à leurs parents. Les premiers qui ont une claire conscience des discriminations dont ils font souvent l’objet.
L’œil de l’expérience voit tout cela. Une nouvelle France est là, bigarrée socialement et métissée culturellement. Elle est faite des enfants de ce pays urbanisé que nous sommes devenus. Un pays où la répartition spatiale des populations ne distingue plus les métiers mais les motifs de relégation. Car le pays est devenu un patchwork de ghettos sociaux. Un « archipel » comme dit ce chaman sondeur. Et dans cette répartition, la masse est bannie des centres villes. Elle se trouve repoussé à distances de tous les réseaux collectifs qui permettent l’existence contemporaine. Elle a d’abord rugi en gilet jaune. Elle surgit en brassard syndical.
Le processus est celui qui s’observe dans le monde entier, partout où les révolutions citoyennes sont en cours et ne désarment pas. Comme au Chili, en Irak, en Algérie, passant sous les radars des médias de l’officialité qui dans tous les pays sont arcs-boutés dans la défense de « l’ordre » établi. Reconnaissons que désormais des brèches se sont ouvertes dans ce domaine aussi. Après des mois de dénis, d’insultes et mise en cause contre nous, les Insoumis qui protestions, certains médias font amende honorable et s’effraient même du niveau atteint par les violences policières. Beaucoup comprennent enfin que la situation ne peut se résumer à des « bavures », même à répétition. C’est un système de gestion de la société que cette machine à violences qui se déchaine chaque semaine sous la férule du préfet Lallement avec la couverture du ministre Castaner et sous la protection judiciaire de la ministre de l’Injustice Belloubet.
C’est pourquoi j’ai décidé de publier ici le texte intégral d’un édito du Monde qui devrait retentir dans les milieux sociaux qu’incarne cette « bourgeoisie faite journal » dont se moquait déjà Léon Trotski. Pas sûr que le patronat des entreprises « non financières », les secteurs de la classe moyenne supérieure drapée dans ses discours moralisants apprécie la sauvagerie d’État qu’elle voit se déployer. Quand Le Monde parle de violences policières en précisant qu’il faut le faire sans s’encombrer de guillemets, notre victoire morale et sémantique est totale. Que cela fasse méditer ceux qui m’ont tant de fois condamné sans appel pour un mot jugé alors inconvenant avec ou sans guillemet. Je reproduis donc sur ce blog un éditorial du Monde sur le sujet. Bien sûr, j’en critiquerai volontiers de nombreux aspects. Mais comme je suis moins sectaire que sa rédaction, moins aveuglé de haine que ses rubricards, je crois utile de vous signaler le doute moral et politique qui s’installe dans les milieux de la bonne société dont ce journal est le bulletin paroissial. Je vous invite à diffuser ce texte dans ces milieux où nos textes n’entrent jamais du fait de leur aveuglement de classe. La bonne conscience doit changer de camp.
De tout cela, je vais conclure par une anecdote. Diriez-vous qu’il y a beaucoup de curés en France ? Non. Pourtant j’en ai rencontré deux en manif cette semaine qui sont venus me saluer avec humour et fraternité. Et je les ai bien remerciés pour leur présence. Eux aussi ne supportent plus l’obscène égoïsme de la société que ce régime installe en France.
La France s’ébroue. Au-delà du moment, c’est une nouvelle conscience politique collective, un nouveau peuple politique qui émergent de cette lutte. Ce sont évidemment les médias qui prennent le plus cher dans la mentalité collective. Comme les porte-paroles d’En Marche sont mauvais, incultes, ignorant de tout à propos de la Sécurité sociale et des acquis sociaux du fait de leur milieux, ce sont les plateaux d’experts et de journalistes qui font le sale boulot de propagande. Il faut se rendre compte du niveau d’effondrement de la machine politique LREM dans cette bataille. Chacun a en mémoire une stupidité proférée à la télé par l’un ou l’autre des rares qui acceptent d’aller sur les plateaux. Le ridicule qui les accable ne les lâche plus. À la base c’est pire. Un exemple. À Toulouse, l’eurodéputé insoumis Manuel Bompard propose un débat sur la réforme aux députés LREM. France Bleu pense que c’est une bonne idée utile pour les auditeurs qui se questionnent. Résultat ? Aucun LREM n’accepte. Seul Bompard sera sur le plateau… Obligeant les journalistes à jouer seuls le nécessaire rôle de l’avocat du diable.
Hors de cet exemple local, disons que les médias inspirent désormais une méfiance très bien ancrée. Et c’est vital pour nous. Une fois que cet émetteur est neutralisé, nous n’avons plus rien en face de nous. C’est bien la raison pour laquelle a commencé pour nous froidement et méthodiquement il y a désormais plus de dix ans une lutte idéologique sans faiblesse. François Delapierre et moi, nous demandions d’identifier comme un « parti médiatique » répétant des slogans, des éléments de langage et des campagnes de diabolisation. Le « Parti médiatique » selon l’expression d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, les théoriciens du populisme a évidemment mené sa propre bataille de dénigrement contre les insoumis et leur porte-parole mais aussi contre tout ce qui bouge dans le pays contre le libéralisme. Il s’est arc-bouté pour introduire sans cesse des débats venimeux et sans issue. On ne doit pas sous-estimer le mal qu’ils ont fait dans ce domaine, ni les digues qu’ils ont rompues sciemment ! Qui peut oublier les accusations la semaine dernières contre les « islamo-syndicalistes », les accusations de « terrorisme » contre les grévistes. Sans oublier naturellement le sketch sans fin de l’accusation d’antisémitisme à tout propos, balayant tout et n’importe qui. Rien de tout ça n’est devenu possible sans que les médias aient auparavant banalisé le pire vocabulaire sur la scène publique.
Texte intégral de l’éditorial du journal Le Monde paru en ligne sous le titre : « Les violences policières sont le reflet d’un echec »
« Editorial. Mort d’un homme lors d’un simple contrôle routier, manifestants frappés au sol, tir à bout portant au LBD… L’Etat doit revenir à sa mission de base : donner à la police les moyens de ses actions et en assurer en retour un contrôle nécessaire.
Editorial du Monde. La manifestation intersyndicale contre la réforme des retraites, jeudi 9 janvier, a été émaillée à nouveau par ce qu’il faut bien appeler, sans s’encombrer de guillemets, des violences policières. Les multiples vidéos montrant des manifestants frappés au sol par des fonctionnaires, ou encore celle où l’on voit un agent tirant à bout portant au LBD – le parquet de Paris a ouvert une enquête sur ce geste extrêmement dangereux – suffiraient à révulser n’importe quel citoyen.
Elles viennent malheureusement s’ajouter à la nouvelle du décès de Cédric Chouviat, dimanche 5 janvier, victime d’une crise cardiaque pendant une interpellation sur les quais de Seine, à Paris, et à la stupeur d’apprendre deux jours plus tard que cet homme de 42 ans, livreur de profession, père de cinq enfants, a subi une asphyxie avec fracture du larynx après avoir été plaqué au sol par plusieurs policiers. Dénouement inacceptable pour un simple contrôle routier, quels que soient les torts et le comportement du conducteur.
L’année 2019 avait été marquée par un débat récurrent sur la question des violences policières. 2020 démarre sur les mêmes bases délétères. Jusqu’à présent, les autorités ont adopté deux attitudes. En nier d’abord farouchement l’existence, malgré le travail documenté de plusieurs médias, dont Le Monde, sur la question. Emmanuel Macron a fait un timide pas en avant en août 2019, en reconnaissant « les blessures inacceptables » de certains manifestants.
Dysfonctionnements de la chaîne hiérarchique
Le deuxième argument consiste à brandir comme une excuse la grande brutalité – qui est réelle – d’une partie des manifestants. Cette rhétorique a ceci de dangereux qu’elle crée un parallèle entre la violence des uns et des autres, quand les forces de l’ordre devraient en avoir le monopole, certes, mais également la maîtrise. C’est accepter une logique du camp contre camp, à laquelle ne peut souscrire une police républicaine défenseuse de l’intérêt de tous. C’est oublier la doctrine exprimée par Maurice Grimaud, préfet de police de Paris en 1968, – « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. » C’est enfin concéder un échec stratégique face à l’évolution des formes de protestation dans le pays.
Dans un entretien accordé à L’Opinion, Éric Morvan, le directeur général de la police nationale, qui prend une retraite anticipée, reste bloqué dans cette impasse. Il rejette les termes de « violences policières », leur préférant ceux de « violences de policiers ». Nuance sémantique qui individualise l’erreur, fait peser la responsabilité sur les seuls fonctionnaires et jette un voile pudique sur les raisons systémiques de ces agissements. A commencer par l’état général d’épuisement des troupes, le manque de moyens, la perte de sens du métier, la faiblesse de la formation ou encore les dysfonctionnements de la chaîne hiérarchique.
Dénoncer les violences policières, ce n’est pas oublier les bataillons de fonctionnaires qui au quotidien font honneur à leur uniforme, avec un sens remarquable du devoir. Ce n’est pas faire l’impasse sur le comportement admirable de milliers de policiers, y compris dans les manifestations, qui subissent avanies et quolibets, risquent leur vie, et protègent les Français. C’est au contraire rendre hommage à ces agents, nombreux, qui ne dévient pas de leur mission. Et rappeler à l’Etat la sienne : donner à la police les moyens de ses actions et en assurer en retour un contrôle nécessaire, dans le strict respect des principes républicains. »
CQFD
Cet article traite des incendies en Australie. Il est destiné à mettre en mots comment nous lions les faits écologiques et les faits économiques et sociaux. En ce sens, il peut être diffusé séparément à destination de ceux qui seraient intéressés à une telle mise en mots.
L’anthropocène, cette ère géologique où les êtres humains sont la principale force qui modifie l’écosystème, n’est pas une abstraction. C’est un fait physique qui s’incarne dans de très grandes perturbations environnementales et des évènements qui nous paraissent catastrophiques par rapport à ce que nous connaissions jusqu’ici. Les feux qui ravagent l’Australie en ce moment en sont l’exemple récent le plus spectaculaire. Il faut en prendre la mesure pour réaliser que le changement climatique n’est pas un processus progressif et linéaire. Il est fait d’emballements soudains et de modifications brusques. Et il faut comprendre que les phénomènes de cette nature ont aussi un contenu politique immédiat. Je vais dire comment.
Habituellement, la saison des feux de brousse en Australie commence en décembre et dure jusqu’à mars. Mais cette année, elle a débuté dès le mois de septembre et les incendies vont en s’amplifiant depuis. 6 millions d’hectares sont partis en flammes soit une surface plus grande que la Belgique et équivalente à l’Irlande. Et c’est trois fois plus que la zone touchée par les incendies en Amazonie cet été. Pour la biodiversité, les conséquences pourraient être irréversibles. Des chercheurs de l’université de Sidney estiment à un milliard le nombre d’animaux qui ont été affectés. Dans l’Etat de Nouvelle-Galle du Sud, un tiers de Koala sont morts.
Et surtout, le « bush » australien, la base d’un écosystème forestier unique au monde est entièrement détruite sur de larges zones, jusqu’à la racine. Pour certaines espèces, qui ne vivent nulle part ailleurs sur la planète, la combinaison entre une mortalité très élevée et la destruction de leur habitat pourrait mener à leur extinction rapide. C’est le cas des grenouilles vertes australiennes ou du perroquet vert de Western Ground. Par ailleurs, ces incendies ont à eux seuls relâché 250 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. On peut déjà dire qu’ils accélèrent et le réchauffement climatique et la 6ème extinction des espèces. C’est-à-dire que l’évènement catastrophique a pour conséquences d’aggraver les causes qui l’ont provoqué.
L’Australie ne sera plus le même endroit après ces feux. Certaines espèces animales n’y survivront pas quand ce ne sont pas des forêts entières qui sont rasées de la carte. Qu’est-ce qui, à l’origine, aura provoqué cette modification radicale de l’île ? C’est le changement du climat. L’année 2019 a été pour ce pays la 2ème la plus sèche et la plus chaude jamais observée. L’augmentation de la température a pour conséquence de faire commencer la saison des feux plus tôt et de la faire durer plus longtemps. Quant à l’absence de pluies, elle rend des zones vulnérables aux incendies qui ne l’étaient pas auparavant. Des forêts considérées jusqu’ici comme tempérées s’embrasent en ce moment après une année de sécheresse. Les feux sont donc susceptibles de durer plus longtemps et de couvrir une surface plus étendue.
L’année 2019, exceptionnelle, s’inscrit dans une période plus longue. Ainsi, depuis les années 1990 la température moyenne en Australie s’est accrue de 1°C et les précipitations ont diminué de 10%. Résultat : alors qu’au 20ème siècle, les météorologues recensaient en moyenne un « méga-feu » tous les 30 ans, ils ont pu en compter 6 dans au cours des 20 dernières années. On est ici face à une illustration typique du fait que le changement climatique est bien une bifurcation. La modification d’un nombre limité de paramètres de l’écosystème, en l’occurrence la température et la pluviométrie, entraine une série de conséquences incommensurables au départ, comme la destruction par le feu de 6 millions d’hectares. On ne peut pas parler de crise car ces conséquences sont irréversibles, sans retour à l’ordre antérieur et accélèrent elles-mêmes le changement.
Mais l’anthropocène n’est pas qu’un fait physique. C’est aussi un fait social. L’organisation des sociétés a un effet sur la dureté avec laquelle ses conséquences se manifestent et il produit lui-même des défis auxquels les sociétés doivent répondre. Bien sûr, on pense aux faits générateurs initiaux : les émissions de gaz à effet de serre encouragées par le capitalisme financiarisé et l’agriculture productiviste. Pour l’Australie, c’est particulièrement parlant. C’est le 5ème producteur et 2ème exportateur mondial de charbon. Et son modèle agricole est fondé sur le pompage des nappes phréatiques et le drainage des cours d’eau pour irriguer de vastes champs produisant pour l’exportation.
Mais il y a plus. La gestion de la ressource en eau aggrave la sécheresse et rend des réservoirs indisponibles quand il s’agit de lutter contre le feu comme en ce moment. Car les droits d’usages de l’eau sont en Australie l’objet d’un marché et d’échanges totalement libres entre opérateurs privés. Ainsi, dans un pays qui en manque et où les habitants subissent régulièrement des restrictions, beaucoup d’eau est détourné de l’intérêt général. Un exemple récent montre la folie de ce système. Alors que les incendies faisaient rage, début décembre, une entreprise singapourienne a réalisé un beau « deal » à 490 millions de dollars. Elle a vendu 89 milliards de litres d’eau douce australienne à un fond de pension canadien. Celui-ci compte utiliser l’eau pour irriguer des plantations d’amandiers dont il est propriétaires dans le pays. L’eau douce australienne, au lieu de jouer son rôle de régulateur de l’écosystème australien ou d’être utilisée pour combattre les incendies, sert ici à produire des rentes suffisantes pour payer des retraites par capitalisation canadiennes.
La globalisation financière joue donc un rôle dans la catastrophe australienne. Elle met naturellement en avant la revendication des biens communs. Dans le contexte du réchauffement climatique, les conséquences de la privatisation de l’eau apparaissent clairement comme catastrophiques. Les circuits improbables de la mondialisation financière détachent cette ressource de son écosystème immédiat où elle joue pourtant un rôle essentiel. De plus en plus, sa marchandisation va apparaître comme incompatible avec la survie des sociétés humaines. Et sa réappropriation comme bien commun et non commercial va devenir une composante centrale dans le programme de l’intérêt général humain.
Un exemple similaire est celui de la santé. Les fumées toxiques des incendies australiens ont propulsé la ville de Canberra au premier rang mondiale des villes les plus polluées. Le taux de pollution atmosphérique y dépasse de 20 fois le seuil d’alerte de l’OMS. En décembre, la fréquentation des urgences de la ville pour des problèmes respiratoires a augmenté de 80%. Comment imaginer qu’une société puisse encaisser un tel choc si elle n’a pas construit un solide système de solidarité pour prendre en charge la santé ? Dans un système où il faut sortir sa carte bleue pour être soigné ou dans un pays où les hôpitaux publics ont subi des coupes budgétaires tous les ans, il n’est pas possible de faire face à un évènement comme celui-ci. La catastrophe est alors aggravée par l’incapacité de la société à en prendre en charge les conséquences.
L’évènement australien n’est pas exceptionnel. Dans de nombreuses régions du monde, les incendies sont de plus en plus fréquents et intenses. Nous en avons déjà eu l’exemple dans les six derniers mois en Amazonie, en Afrique tropicale ou en Californie. Les inondations, les tempêtes et les canicules vont aussi aller en augmentant. Ces faits rendent à mes yeux la logique de l’entraide de plus en plus essentielle dans l’ère du peuple.
Au moment où je commence ces lignes, je ne peux oublier ce que disaient les Verts quand je protestais contre le statut de travailleurs détachés. Drapés dans les grands principes, d’éminents porte-paroles m’accusèrent de xénophobie et d’autres tares pires encore que je répugne à rappeler. Depuis, le statut des travailleurs détachés n’est plus soutenu avec le même enthousiasme. Mais l’évolution des Verts en Europe prend une pente souvent stupéfiante. On connaissait le modèle forgé par les Verts allemands. Ils gouvernent actuellement trois Landers dans des coalitions avec la CDU/CSU : le Schleswig-Holstein, le Bade-Wurtemberg et le Hesse. Le parti Vert allemand est le fer de lance d’une ligne de comptabilité avec le néolibéralisme. La ligne Jadot en est l’écho en France.
Cet alignement est compatible avec les versions les plus autoritaires qui a ses défenseurs partout en Europe. Mais c’est la première fois que l’on voit cette ligne accéder à un gouvernement national. Un évènement et un symbole. Car l’année 2020 commence en Europe par la formation d’une coalition de gouvernement en Autriche entre les Verts et le parti conservateur (OVP) de Sebastian Kurz. Cette alliance ancre le parti vert autrichien très à droite. Il fait tomber une digue. En effet, le précédent partenaire de coalition de Kurz était le parti d’extrême-droite FPÖ, créé après la seconde guerre mondiale par des nazis. En tant que chancelier et dirigeant de la droite autrichienne il a fait faire à sa famille idéologique le même chemin que Orban en Hongrie. Lors de la précédente mandature, il a notamment mis en place un système de préférence nationale, réduit les droits des demandeurs d’asile et multiplié les expulsions. Sur le plan social, il est aussi l’inventeur de la journée de 12 heures de travail et de la semaine de 60 heures.
Ce serait du passé ? Voyons donc le contenu de l’accord de gouvernement signé par les Verts autrichiens. Sur le plan des droits humains, il est désastreux. Il prévoit de nouvelles mesures de stigmatisation des musulmans. Les Verts ont aussi cédé sur le projet de Sebastian Kurz d’instaurer une détention préventive pour les demandeurs d’asile, qui pourront donc être enfermé sans même être suspectés d’avoir commis un crime ou un délit – et encore moins en ayant été jugés. Le programme de gouvernement comporte aussi de nouvelles réductions des aides sociales pour les étrangers.
On pensait que la défense des libertés publiques et une forme d’anti-autoritarisme étaient contenus dans l’ADN politique des verts européens. On découvre que ça n’est plus le cas. C’est une chose. La priorité écologique est-elle mieux traitée ? Les Verts autrichiens se vantent d’avoir obtenu le portefeuille du ministère de l’environnement, l’objectif de neutralité carbone d’ici 2040 et un déploiement ambitieux d’énergies renouvelables. Mais le cadre économique et financier auquel ils ont souscrit en même temps interdit de prendre aux sérieux ces engagements. Car l’OVP reste l’un des partis les plus libéral économiquement du continent.
Ainsi, sur le plan budgétaire, l’accord prévoit qu’il ne peut jamais y avoir de déficit « quelles que soient les conditions conjoncturelles ». Quant aux excédents ils devront être utilisés pour réduire la dette publique et la faire passer en dessous de 60% du PIB, exigé par les traités européens. Impossible, dans ce cadre, de faire le plan d’investissements publics pour l’isolation thermique des logements ou le développement des transports en commun indispensable pour respecter l’objectif de neutralité carbone. Impossible également d’envisager le moindre soutien de l’Etat pour développer la filière des énergies renouvelables.
D’autant plus qu’en même temps, les cadeaux pour les actionnaires et les riches vont pleuvoir : baisse de l’impôt sur les sociétés, baisse de l’impôt sur le revenu et baisse de la taxe sur les revenus du capital. C’est ça la priorité budgétaire du gouvernement autrichien, et pas l’écologie. Le texte programmatique signé par les Verts autrichiens compte en fait sur une financiarisation accrue pour réaliser la conversion écologique de l’économie. La règlementation des produits financiers va être allégée lorsqu’ils contiennent des investissements dans les énergies renouvelables. C’est très dangereux cela met les investissements dans les énergies renouvelables à la merci du prochain krach financier.
Au final, c’est bien la vision de l’écologie libérale qui triomphe en Autriche. Elle compte sur le marché pour transformer la société dans un sens compatible avec l’intérêt général humain. Elle se fourvoie sur la trajectoire du capitalisme financiarisé de notre époque. Son intérêt est divergent avec l’intérêt général. Ses exigences de rentabilité à très court terme sont strictement incompatibles avec la baisse des émissions de gaz à effet de serre, la sortie du libre-échange, le passage à une agriculture biologique, etc. Et les niveaux d’inégalités qu’il créé ne permettent pas la cohésion nécessaire des sociétés pour affronter les conséquences du réchauffement climatique. La seule écologie qui vaille est l’écologie populaire appuyée sur l’anticapitalisme et les politiques sociales d’entraide. Je ne conclurai pas sans rappeler comment la morale politique a pris un étrange chemin en Europe. Dans les années 2000 déjà les Autrichiens de droite avaient choisi de faire un gouvernement commun avec l’extrême droite. Ce fut un tollé. Aujourd’hui n’importe qui peut s’allier avec n’importe qui sans problème dans la « goche » officielle.
Je veux marquer le coup. Mardi 7 janvier, mon collègue insoumis Loïc Prud’homme a interpellé Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et Didier Guillaume, le ministre de l’agriculture. Il s’agissait de montrer du doigt leur politique si amie des pesticides, alignée sur l’industrie chimique. La réponse fut le traditionnel flot de mensonges auto-satisfaits faisant hurler de joie les députés Playmobil de LREM que la mauvaise conscience tenaillait un peu. C’est pourquoi j’y reviens ici. Car le soir même, le ministère de l’agriculture publiait ses derniers chiffres de consommation de pesticides en France. Ils datent de 2018. Pour cette année, l’utilisation des produits phytosanitaires a augmenté de 24%. C’est l’augmentation la plus forte depuis une décennie. En 2008, suite au Grenelle de l’environnement, un objectif de baisse de moitié de la consommation de pesticide dans notre pays avait été fixé. Depuis, un premier plan a été adopté par Sarkozy, puis un deuxième pour Hollande et un troisième par Macron. Le résultat est une débandade générale : la consommation de pesticides a augmenté d’un quart sur la période.
Depuis qu’il est au pouvoir, Macron n’a pas posé un acte qui puisse inverser la tendance. Ses paroles sont le maximum dont il est capable. En février 2019, les insoumis ont proposé une loi pour interdire le glyphosate sur le territoire français à partir de novembre 2020. C’était conforme à ce que le président avait annoncé après avoir perdu le vote sur le sujet au niveau européen au profit de la position allemande. Mais les députés marcheurs ont en chœur et en cadence voté contre. Lors de la lecture de la loi agriculture et alimentation, la majorité a rejeté les amendements défendus par les Insoumis visant à introduire des zones tampons entre la pulvérisation de pesticides et les habitations. De même, les préfets de Castaner ont systématiquement attaqué devant le tribunal administratif les arrêtés des maires instaurant de telles zones tampons.
Depuis, il a clarifié sa position. Entre Noël et le jour de l’an, un arrêté ministériel a été publié sur l’interdiction de pulvérisation de pesticides autour des habitations. C’est une obligation règlementaire du droit européen depuis 2011 mais qui n’a jamais été transposée en France. Mais le contenu de l’arrêté ressemble à une mauvaise blague. Le gouvernement a d’abord communiqué sur une zone tampon de 20 mètres – c’est-à-dire 10 fois moins que ce que proposait la France Insoumise ou les maires. Mais cette disposition ne s’applique qu’aux produits considérés comme « les plus dangereux », soit 0,3% des pesticides. Pour les 99,7% restant la distance à respecter entre des habitations et l’épandage de pesticides est de 5 mètres et même de 3 mètres lorsqu’une « charte départementale d’engagements » existe. Trois petits mètres ! Autant dire rien.
Les ministres concernés ont prétendu que cette décision indigne était « la ligne de la science ». C’est une reprise grossière de la propagande de Bayer-Monsanto. En guise de science, il s’agit de l’agence européenne de sécurité alimentaire. Cette institution de l’Union européenne s’est déjà illustrée en recopiant consciencieusement des études de Monsanto sur le glyphosate et en publiant cela comme « étude indépendante ». Cette fois, l’étude qu’elle a produite et qu’adopte le gouvernement se base sur des données des années 1980. Elle est évidemment très critiquée par la communauté scientifique.
Mais des scientifiques sérieux et vraiment indépendants pour établir la dangerosité des pesticides de synthèse, il y en a ! Et non des moindres. L’Organisation Mondiale de la Santé a classé depuis 2015 le glyphosate comme un cancérigène. En 2013, l’Inserm a publié une étude dans qui concluait que la proximité des pesticides sur la population rurale avait pour effet de développer la maladie de Parkinson et le cancer de la prostate. Sur les femmes enceintes, la proximité d’exploitations agricoles chimiques augmente les risques de malformations cardiaques et du système nerveux chez les nouveaux nés. En 2018, une autre étude, cette fois menée conjointement par l’Inserm et l’Inra se concentrait sur la consommation de pesticides via l’alimentation. Elle a conclu que cela renforçait les risques d’obésité et de diabète, deux épidémies en plein développement en France.
Il faut sortir des pesticides par des interdictions progressives. La compétitivité de notre agriculture n’est pas le bon angle par lequel prendre le problème. C’est un problème de santé publique. Si notre modèle agricole a besoin d’empoisonner les paysans, les populations rurales et les consommateurs pour fonctionner, alors il faut en changer d’urgence.
Il est tard dans l’après-midi de ce mardi à l’Assemblée nationale. Vient en débat un projet de résolution déposé par la droite « Les Républicains ». Il va recevoir l’appui de la majorité LREM. Il s’agit d’une question apparemment super technique. La résolution propose de refuser la mise en œuvre de l’accord Bâle III. Nom mystérieux. C’est celui d’un accord international concernant les banques. Il fait suite aux méditations des puissants sur les causes de la crise de 2008 dans la finance. Ça concerne le stock d’argent que les banques doivent avoir réellement en caisse par rapport à la masse de leurs prêts. Car si les prêts s’écroulent parce que l’emprunteur fait faillite, la banque à son tour est menacée de faillite. Alors qui vous rendra les sous que vous y avez déposé ? La banque évidemment. Le croyez-vous ? Pour cela il faut qu’elle ait en réserve de l’argent vaillant et réel en réserve disponible immédiatement. Actuellement cette réserve représente entre 3 et 5 % des encours de la banque.
C’est peu. Très peu. Mais les banquiers disent : il n’y a pas besoin de plus. Car tous nos engagements ne sont pas pourris, tout de même ! Les banquiers européens disent : « il ne faut évaluer ces réserves que par rapport au engagements incertains ou malsains ». Ah ! Admettons. Mais qui va procéder à l’évaluation pour décider ce qui est risqué ou pas ? La Banque elle-même… On comprend sans mal que les banques n’auront jamais la tentation d’en déclarer trop… On a vu ce que cela a donné aux USA avec les titres de dette dit « subprime » qui se sont effondrés en 2008 ! L’accord Bâle III prévoit que les banques devront constituer 9% de réserve pour garantir leur stabilité. « C’est trop », hurlent en cœur les banquiers européens, relayés par les groupes « Les Républicains » et LREM à l’assemblée nationale.
Pourquoi trouvent-ils que c’est trop ? Parce que ces réserves, ce serait autant d’argent qui ne circulerait plus et qui ne pourrait être consacré à la spéculation. Et, ce qui est pire à leurs yeux, cet argent bloqué devrait être mis « en pension », c’est-à-dire déposé à la Banque centrale européenne. Mais voilà que cette banque a mis en place un dispositif qui rend négatifs les taux de rémunération de cet argent. Autrement dit cet argent non seulement ne sera plus rémunéré mais il perdra de la valeur à mesure que le temps passera. Le cauchemar du rentier ! Le rapporteur du projet de résolution, le député « Républicain » de Courson, s’est donc plaint des taux négatifs, arguant qu’ils ruinent l’économie. Au contraire : si le banquier central n’avait pas distribué chaque mois 85 milliards d’euros à taux zéro pour racheter les titres pourris des banques privées, nous serions dans la crise financière ! Voilà la vérité ! Monsieur de Courson, s’est désolé pour 140 milliards manquants aux banques pour tenir les impératifs de l’accord de Bâle. Cela alors même que la Banque centrale européenne a prêté 2 800 milliards d’euros aux banques privées, sans garantie ni contrepartie.
Les insoumis sont peu attendus sur de tels thèmes. Ils ont pourtant quelque chose à dire. Interréssés et concernés par tout ce qui concerne l’économie de notre époque nous n’avons jamais accepté la dictature du capital financier sous toute ses formes. Nous avons une théorie matérialiste de la monnaie et nous réservons notre appui à l’économie productive réelle. Nous nous sommes opposés à la proposition de résolution, pour des raisons de fond. Ce refus fonctionne comme une dénonciation du moment économique et financier, dont j’aimerais rappeler le contexte. Il ne date pas de 2008.
Depuis le 15 août 1971, les États-Unis d’Amérique se sont donné le droit d’imprimer autant de papier-monnaie qu’ils le veulent, sans aucune contrepartie matérielle permettant d’en assurer la réalisation. Depuis cette date, nous assistons au développement d’une économie totalement artificielle, purement financière, dans le sens où elle est dépourvue d’objet matériel permettant d’en assurer la contrepartie. Car contrairement à ce que suggère l’intuition, la monnaie ne peut être autre chose qu’un intermédiaire qui doit représenter des biens matériels réels.
Un univers économique particulier s’est donc développé. C’est celui de la bulle financière. On y réalise des taux de profit et d’accumulation certes particulièrement excitants, mais dépourvus de réalité s’ils devaient être confirmé par des achats dans le monde matériel. L’artificialisation de l’économie que cette bulle met en lumière est démontrée par le rapport que l’on observe entre la progression des valeurs boursières et celle de la production réelle. Les valeurs boursières ont progressé de près de 30 % sur une année, au moment précis où l’économie mondiale est à son niveau le plus bas, présentant une croissance globale de 2,9 % à peine. Et pour couronner le tout à l’heure actuelle, la dette privée mondiale s’élève à 250 000 milliards de dollars, soit 320 % du PIB mondial ! C’est un facteur d’instabilité et de risque sans précédent.
Ce sont là autant de signaux implacables du découplage de l’économie réelle et de l’économie financière.
Les chiffres de la bulle financière sont accablants. À l’heure actuelle, les marchés financiers représentent 150 fois les échanges réels. La capitalisation boursière mondiale atteint 70 000 milliards de dollars. Or le pic atteint avant la crise de 2008 était de 63 000 milliards de dollars. Comme la progression de la production offrant les contreparties matérielles ne s’est pas présentée, cela signifie que le déséquilibre général entre le signe monétaire et la valeur réelle s’est aggravé. Donc les possibilités d’explosion de la bulle financière sont aujourd’hui plus fortes que jamais.
Cette situation est aggravée par des facteurs de fragilisation liés au fonctionnement matériel du système financier lui-même. Je vise ici notamment le « trading à haute fréquence » c’est-à-dire les échanges que réalise les ordinateurs programmés pour faire des achats et vente a conditions fixées d’avance (vendre les valeurs en baisse et acheter celles qui augmentent). Résultat : la durée moyenne de détention d’une action à la Bourse de New York, qui était autrefois de plusieurs années, puis de plusieurs mois, est à présent – on peine à le croire – de vingt-deux secondes ! À ce niveau de fonctionnement et d’excitation des échanges, il est clair que ceux-ci n’ont plus de rapport avec la réalité matérielle des actifs boursiers. Ils sont donc à la merci de n’importe quel événement soudain ou à n’importe quel effet de système informatique…
Si nous nous penchions sur le fond des échanges réels, nous nous apercevrions mieux encore de la difficulté de la situation. On a autorisé, sans prévoir aucun contrôle, la titrisation des dettes des entreprises. Cela signifie que les entreprises ou les banques ont le droit de découper un titre de la dette qu’ils ont contracté ou qu’ils ont acheté. Ils peuvent circuler comme des moyens de paiements ou de spéculation. Mais ils peuvent aussi être découpés en petits morceaux, en parts. Ces parts sont alors introduites dans des paquets de parts de diverses origines. Ce type de paquet prend un nom spécifique et annonce un rendement calculé en additionnant le revenu produit par chaque part. Inutile de dire que si des parts pourries sont introduites dans le paquet, celui-ci est susceptible de s’effondrer avec elles. Combien y en a-t-il en circulation ? Quelle valeur totale cela représente-t-il ? Quelle est leur solidité ? La réponse est simple : personne n’en sait rien. Les génies de la finance européenne ont autorisé ce micmac en Europe alors même que l’on sait qu’elle constitue l’une des causes des faillite en cascade dans la crise de 2008.
C’est cela le contexte. Et c’est le moment où l’on nous demande de renoncer à l’accord de Bâle. Peut-être s’agit-il, pour ceux qui écoutent d’une oreille distraite, de débats très techniques et très lointains. De sorte que beaucoup de députés ont fait confiance, les yeux fermés. Tel n’est pas mon cas, ni celui des Insoumis.
Résumons-nous. L’accord Bâle III exige des banques qu’elles disposent d’une assurance en fonds propres, représentant 9 % de leurs actifs. Cela signifie que 91 % de leurs actifs circulent sans qu’aucune contrepartie n’existe dans leurs caisses. Le refuser n’est pas raisonnable. D’autant plus que les banques européennes, à l’heure actuelle, ne sont pas à 9 % de garantie mais plutôt entre 3 % et 5 %. Pour finir : si tout s’écroule, les banques européennes s’engagent à rendre leurs dépôts aux citoyens. Mais pas au-delà de 100 000 euros !