Une sorte de marathon commence pour nous. Il y a devant nous au moins trois semaines sans pause ni de nuit ni de jour, ni samedi ni dimanche pour traiter le projet de loi sur les retraites. Naturellement, le gouvernement finira par interrompre le débat d’une manière ou d’une autre. 49.3, votes bloqués, on ne sait. Tout cela est écrit d’avance pour qui sait écouter ou lire la novlangue des responsables de « La République en Marche » (LREM) quand ils récitent leurs éléments de langage. Dans l’intervalle, il faudra tenir une noria bien ajustée, chacun à son poste, chacun à son tour. La vie de famille va encore payer sévèrement l’addition. C’est notre tour. On ne se plaindra pas. Des milliers de gens ont sacrifié tant de choses depuis que la lutte est engagée.
Les premières heures de cette loi devant l’hémicycle ont été très dévalorisantes pour la majorité LREM. Sauvée de justesse par la droite parlementaire incapable de se mobiliser sur sa propre motion de rejet de la loi, la majorité s’est ensuite enlisée dans une tactique hasardeuse contre le droit d’amendement des oppositions. Richard Ferrand, à la manœuvre de cette désastreuse tactique, a réussi à mobiliser en un front unique cinq présidents de groupe sur sept. Résultat : pour gagner une heure de débat, le président de l’Assemblée Richard Ferrand a fait perdre trois heures de débat de procédure. Précisons que dans le moment on se demandait quelle était la tactique suivie car l’hystérisation des bancs côté députés marcheurs semblait constante et frontale. Pour quoi faire ? Impossible de répondre. On en a déduit que l’objectif des marcheurs était de créer une ambiance justifiant le recours au 49/3 « contre l’obstruction ».
Ce fut le règne des éléments de langage. De bons soldats lisant des feuilles récapitulant des arguments dont ils ne savent pas que nous les avons déjà démontés dix fois en commission et dans nos meetings. D’autres sont venus jouer leur rôle favori, celui de spadassins à chaussures cloutées comme l’ex-socialiste devenu le « questeur-mangeoire » des LREM comme le disent ses ennemis de l’intérieur. Une autre hypothèse est que le poste de pilotage ait été disloqué par les épisodes calamiteux de la semaine précédente depuis le vote en faveur des handicapés au désastre parisien suivi depuis des déclarations ignobles de Castaner sur les divorces d’Olivier Faure, et ainsi de suite. Ce que nous avons vécu dans l’hémicycle serait alors un feu de paille. Au demeurant, les propos de couloirs montraient un vrai embarras des marcheurs convoqués en séance pour se taire des heures durant qui finissent par exploser en vociférations et déclarations sur le mode de ma mise en cause comme « dictateur » par un pauvre diable qui avait trop lu ses éléments de langage à la buvette.
Cet enlisement du débat finit comme un naufrage. Le retrait de Richard Ferrand à la tribune présidentielle en attesterait : incapable de faire vivre la ligne dure qu’il impulsait contre les oppositions, il a préféré passer son tour à une vice-présidence LR plus apaisante et respectueuse de ses collègues. L’épisode de sa brutalité à la présidence du débat clef du quinquennat prolonge l’absurde refus de la minute de silence proposée par l’insoumise Caroline Fiat à la mémoire de l’infirmière assassinée. C’est à mes yeux la leçon politique du moment. Les marcheurs sont dans la phase ou ils se sont piégés par leur arrogance. Le reproche d’inhumanité prononcé par Emmanuel Macron contre ses propres députés leur colle désormais à la peau. On fera ce qu’il faut pour qu’ils ne s’en débarrassent pas de sitôt. Les images les montrant vociférant et huant, applaudissant comme des robots pour nous faire taire sont d’excellentes démonstrations. J’espère que les vidéastes sauront les mettre en scène.
Dans le pays, la situation est à l’identique. La République en marche a disparu comme force de terrain et reste aussi muette que le RN sur les grands sujets. Les diversions du président au Mont-Blanc puis en Moselle se sont diluées dans le sable du mépris et de l’indifférence. C’est heureux. Les couacs de communication n’en sont que plus risibles. Un discours sur la laïcité depuis un territoire concordataire c’est aussi nul qu’un sketch au Montblanc le jour où ses députés européens votent 25 projets gaziers et la veille de la signature d’une concession d’autoroute dans la région par son Premier ministre. La vérité est que si les médias en continu ne fabriquaient pas une cohérence aux tribulations du régime sous les pas de son fondateur, on dirait que le véhicule est parti dans le décor la semaine passée et qu’on ne voit pas comment il compte se remettre sur la route.
Car l’émiettement social de la majorité LREM continue. La stupéfiante ministre de l’Injustice est notre meilleure alliée. Elle a réussi à se mettre à dos les magistrats et les huissiers en essayant de les séparer d’avec les avocats. Résultat : tout ce secteur social est désormais aussi hostile au macronisme qu’une AG de la RATP ! Les abus de pouvoirs ne passent plus si facilement. On le voit jusque dans le cas Pavlansky où l’esprit de vengeance macroniste s’étale grossièrement en lieu et place de la justice comme il faudrait en effet qu’elle fonctionne. Le juge d’instruction n’a pas suivi les demandes du parquet lié au pouvoir. C’est un signe fort. La peur recule dans ce milieu aussi. La sortie répugnante de Castaner contre son ancien ami au PS Olivier Faure termine le tableau d’un mouvement politique qui affiche des postures à rebours des valeurs et coutumes de ses bases sociales. Là est la clef de la déroute qu’il est possible de leur infliger.
Drôle de lundi. Le démarrage dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale de la bataille parlementaire sur la réforme des retraites s’est engagé de manière curieuse. D’abord, pas moyen d’avoir les signatures des socialistes pour pouvoir déposer la motion de censure. D’un autre côté les communistes avaient obtenu les motions référendaire et de rejet. On était convenu de partager. Bref, rien ne se passe comme prévu pour nous. Je ne m’attarde pas à dire ce que j’en pense.
On a donc changé notre dispositif de prise de parole. C’est notre avantage : on réagit vite et on est capable de tout changer. Nouveau schéma. Les députés pivots, de permanence dans la bataille, ont été désigné pour la discussion générale : Autain, Quatennens, Panot. Ils sont chargés du cadre argumentaire. Coquerel, Ruffin et moi on prend les trois pauvres deux minutes d’explication de vote sur les trois motions qui passent en début de séance. Notre tâche : être dans le contexte, crépiter, donner le ton comme un appel au combat. Le plan a fonctionné. À nous six, on a bien tenu le rôle : trois escarmouches nourries et trois pilonnages de fond. On se donne le point en terme de présence oratoire. Mais ce n’est pas l’essentiel.
Ce jour-là, un évènement immense est passé à portée de main. Car le plus marquant de cette journée, ce furent les votes de la première séance. En effet, trois débats préalables étaient organisés avant le début de la discussion proprement dite sur le projet de loi. Deux motions dites « de rejet préalable » étaient présentées l’une par le groupe de la droite « Les Républicains » et l’autre par les députés communistes. Avant la lecture d’un texte proposé par le gouvernement, les parlementaires de l’opposition peuvent présenter de telles motions. Leur attribution est tirée au sort. La motion de rejet préalable permet de proposer de repousser un texte avant même son examen article par article en raison d’un risque important d’inconstitutionnalité. C’est largement le cas ici, aux dires mêmes du Conseil d’État. Et parce que la commission spéciale n’est pas allée au bout de son travail.
Généralement, de telles motions de rejet sont repoussées facilement par le groupe majoritaire. Mais cette fois, c’était différent. Les oppositions auraient pu être majoritaires. En effet, si la droite avait mobilisé ses députés pour voter sa propre motion de rejet du texte, celle-ci aurait été adoptée et la réforme était enterrée. En effet, les communistes comme les Insoumis ont voté cette motion. Ils ont apporté de cette façon 31 voix. Incroyable: c’est plus que le total des voix apportée par les députés LR ! En effet, lamentablement seuls 22 députés de droite ont voté pour leur propre motion contre le projet de loi retraites. Compte tenu de la démobilisation des macronistes, avec seulement 50 de plus, moins de la moitié du groupe LR qui compte 104 députés, le projet de loi macroniste était rejeté !
Car à ce moment-là, les députés marcheurs n’étaient que 141 présents sur 300. Cela signifie qu’il y avait 50% d’absentéisme dans la majorité macroniste le jour du démarrage de la réforme la plus importante du quinquennat ! Les commentateurs n’ont pas relevé. Ce n’est pas la première fois dans la période récente. La semaine précédente, ils s’étaient fait mettre en minorité à quatre reprises lors des votes sur les propositions de loi du groupe « Liberté et Territoire ». Cette fois encore, ils étaient minoritaires.
Soyons bref : les députés LR ont sauvé le gouvernement Macron. Imaginons le tableau s’ils étaient venus en nombre : nous aurions donc rejeté le texte des retraites. On peut dire que la face du quinquennat était changée. Et la bataille des retraites gagnée ! LR a sauvé Macron. LR a sauvé la réforme à laquelle ce parti dit pourtant qu’il s’oppose !
C’était le coup de propagande du macronisme la semaine dernière : la baisse du chômage. Le 13 février, l’INSEE a publié, comme tous les trimestres, ses principaux chiffres sur l’emploi en France. Cette publication porte sur plusieurs données, qui prises ensemble permettent de se faire une idée assez bonne de la situation de l’emploi en France. Leur lecture n’est pas rassurante. Mais bien sûr, les porte-paroles gouvernementaux relayés par des journalistes trop paresseux pour lire l’étude complète ont répété en boucle que ces chiffres étaient une bonne nouvelle. En effet, le taux de chômage au sens strict baisse de 8,5 à 8,1% de la population active.
Commençons par dire qu’un taux de chômage à 8,1% est encore supérieur d’un point à ce qu’il était au début de l’année 2008, avant le déclenchement de la grande crise financière. Concrètement, cela signifie que les effets de l’explosion de la bulle financière cette année là n’ont toujours pas été effacés 12 ans plus tard. Le plus marquant est que le capitalisme financier a suivi une trajectoire totalement inverse pendant ce temps. Ce secteur a rapidement retrouvé son niveau d’avant la crise et l’a maintenant largement dépassé. Les dividendes versés aux actionnaires dans le monde ont par exemple doublé. Quant à la capitalisation totale des bourses du monde, elle a dépassé en dollars dès 2017 son niveau d’avant la crise.
La décennie qui vient de s’écouler est celle d’une envolée des marchés financiers payée par une dégradation des conditions dans l’économie réelle. L’année 2019 ne marque pas d’inversion de tendance. En effet, si le taux de chômage baisse, c’est parce que la politique Macron depuis 2017 porte ses fruits. Mais pas ceux qu’il revendique. Elle a produit une augmentation de la précarité qui remplace le chômage. Pour être compté par l’INSEE comme chômeur, il faut être immédiatement disponible, rechercher activement et n’avoir pas travaillé du tout la semaine précédente, ne serait-ce qu’une heure dans la semaine.
Évidemment, beaucoup de gens ne sont pas dans cette catégorie bien qu’ils soient chômeurs en réalité. Par exemple une personne découragée qui ne recherche plus d’emploi, un chômeur malade et donc indisponible immédiatement ou bien quelqu’un qui a faut un extra de quelques heures dans la restauration. Tous ces gens forment ce que l’INSEE appelle le « halo du chômage ». En 2019, il a explosé : +10 % en un an. Et depuis 2008, ce « halo » qui n’est qu’une façon de sortir des gens artificiellement des chiffres officiels du chômage a bondi de 35%.
Par ailleurs, il faut bien regarder quels types d’emplois ont effectivement été créés dans la dernières années. La loi Macron en 2015, la loi El Khomry en 2016 puis les ordonnances sur le code du travail en 2017 ont totalement lâché les vannes de l’utilisation des contrats précaires. Selon une étude du ministère du Travail, 87% des embauches sont des CDD. Et même un tiers sont des contrats de moins d’un jour.
La vérité est même encore plus effrayante lorsque l’on regarde les chiffres des travailleurs indépendants. La part de la population active qui travaille sous ce statut est en augmentation constante depuis 2 ans. En fait, cette augmentation explique même 70% de la baisse du taux de chômeurs depuis début 2018. Cela s’explique par l’essor du statut d’auto-entrepreneur lié aux plateformes de chauffeurs, de livreurs, de véhicules en libre-service dans les grandes villes. Or, ces statuts sont du salariat déguisé, très mal payé et sans aucune sécurité pour les accidents. C’est un retour au 19ème siècle. Leur salaire moyen est inférieur à 500 euros, en dessous du seuil de pauvreté et même du RSA.
Voilà où nous conduit Macron : dans le monde des jobs payés 500 euros par mois, où l’on peut vous désactiver du jour au lendemain, sans autre forme de justification. La baisse apparente du chômage cache une dégradation sans précédent des conditions de vie et de travail des Français.