À peine le 9ème groupe à l’Assemblée nationale a-t-il finit de choisir son nom, voici le 10ème qui s’avance. Cette fois-ci, c’est la nuance Édouard Philippe qui s’organise distinctement. Ca sent le sapin. Les alentours du pouvoir présidentiel sont aussi agités que le maître du château. Agités, fébriles, vibrionnant, tirant à hue et à dia, poussant, tirant dans tous les sens. Le corps politique macroniste semble n’être plus que spasmes et contractions. Le voilà ensablé sous les confettis qui le compose. Les macronistes, cet agrégat improbable de carriéristes, d’opportunistes et de renégats peuvent encore beaucoup nuire au pays. Car pour finir, au centre des bancs de l’Assemblée, c’est le radeau de la méduse. Le navire a coulé, les naufragés, les rats et les meilleurs nageurs auront bientôt chacun leur propre embarcation.
La 4ème République est de retour. Le grenouillement des factions des cliques et des claques peut commencer. Les négociations pour le vote des lois, des amendements, des petites et grandes choses vont occuper bien du monde. Chacun pour sa petite part est maître du royaume : il peut le déséquilibrer ou lui tenir la dragée haute. Le maître suprême de tous les équilibres reste évidemment François Bayrou et son groupe de 40 députés. Peut-être les jaloux n’ont-ils pas supporté qu’il dispose seul de ce délicieux pouvoir de nuisance. Pourtant, Bayrou a promis de ne pas en abuser. Je ris. Qui décidera de ce qui est un abus ? L’abuseur lui-même, a tous les coups. Un pouvoir qui s’auto-limite est un sujet aussi rare qu’un alcoolique sobre.
Bien de mes amis disent qu’une dissolution s’impose. Sur le plan formel, si nous étions dans une démocratie normale c’est une évidence. Les fabricants de groupes ont tout simplement renié le vote de leurs électeurs. Mais en monarchie présidentielle, rien ne va comme ailleurs. Nous allons vivre le pire de la Quatrième République sous la pire des Cinquième.
La semaine prochaine, le groupe parlementaire Insoumis va présenter une proposition de loi à propos de la crise alimentaire en France. Il le fera dans le cadre de la journée dont il dispose pour avoir un texte inscrit d’office au vote de l’Assemblée. Il est clair que notre motivation vient de la situation de détresse constatée sur le terrain. Si choquant que le mot paraisse il décrit un fait hélas bien réel. La famine est là. Comment est-ce possible ? Dans la brochure « L’Engrenage », j’ai fait le point en partant de l’angle le plus large. J’y reviens ici pour que ce blog continue d’être le témoin éclairé de son temps.
L’épisode coronavirus était au point de départ un fait biologique : une nouvelle maladie pour l’être humain. Mais il est en même temps un fait social. Il se déploie à l’intérieur d’une organisation particulière des sociétés humaines : le capitalisme globalisé et financiarisé. La globalisation agit comme un agent propagateur de l’onde de choc sanitaire dans tous les autres compartiments de la société. Elle s’est déjà muée en crise économique et en krach financier avec la chute des cours du pétrole. Elle pourrait aussi se transformer en crise alimentaire mondiale. Trois organisations internationales ont lancé l’alerte. Le 1er avril, l’Organisation pour l’Agriculture et l’Alimentation des Nations Unies, l’Organisation Mondiale du Commerce et l’Organisation Mondiale de la Santé ont publié un communiqué commun s’inquiétant de la menace pour l’approvisionnement alimentaire de l’Humanité que représente le confinement de la moitié du monde. Elles constatent que cette crise arriverait au pire moment. Pour l’année 2019, l’ONU recensait 135 millions de personnes dans 55 pays du monde au bord de la famine. C’est le chiffre le plus élevé pour les quatre dernières années. Le programme alimentaire mondial a prévu qu’il allait doubler en 2020.
Ce risque n’est pas créé par des mauvaises récoltes, ou des conditions climatiques dégradées. C’est plutôt le mode d’organisation de l’agriculture et de l’alimentation au niveau mondial qui est en cause. L’approvisionnement des populations en nourriture dépend de chaînes d’interdépendance très longues et complexes. Or, le coronavirus affecte plusieurs maillons de cette chaîne. D’abord, la notion d’autosuffisance alimentaire n’existe plus dans notre monde. Ni au niveau local, ni au niveau national, ni même au niveau continental. Chaque pays, chaque région dépend du monde entier pour pouvoir manger. Il s’agit d’une situation très instable pour la sécurité alimentaire. Si des pays arrêtent leurs échanges internationaux agricoles pour une raison ou une autre, cela peut engendrer des pénuries sur toute la planète. C’est déjà ce qui est en train de se passer. Des grands États exportateurs reconstituent des stocks qui avaient disparu. Sur décision de son gouvernement, plus un épi de blé ne quitte le Kazakhstan, qui en est le premier exportateur mondial. Le Vietnam a suspendu provisoirement tous ses contrats internationaux sur le riz, dont il est le troisième exportateur. Le problème peut venir plus simplement d’un ralentissement du commerce. C’est le cas en ce moment puisque de nombreux pays ont renforcé des contrôles douaniers à leurs frontières. Ce qui peut laisser le temps pour certaines denrées de pourrir dans les camions ou les conteneurs.
La France est-elle épargnée par cette dépendance aux marchés mondiaux ? Non. Bien que nous soyons une puissance agricole, nous ne sommes pas autosuffisants pour notre alimentation. Nous en aurions sûrement les moyens mais une grande partie de nos productions sont pour l’export et non la consommation nationale. Celle-ci dépend donc pour une partie importante de l’importation. Par exemple, 40% à 60% des fruits et légumes consommés en France sont produits à l’étranger. On peut aussi citer le cas extrême de la région Ile de France. 49% des terres franciliennes sont consacrées à l’agriculture. Pourtant, cette région importe 90% de son alimentation. De manière globale, les aliments que nous achetons ont parcouru en moyenne 3000 kilomètres avant d’être dans les rayons. C’est aussi dû au fait que des matières premières récoltées ici sont ensuite envoyées dans des usines à l’étranger pour revenir ensuite en France comme produits finis. Ainsi, beaucoup de gens ont constaté ces dernières semaines le vide dans les étals pour la farine. La France est pourtant le premier producteur de l’Union européenne de blé. Mais plus de la moitié des sachets de farines vendus au grand public sont importés.
Depuis le début du confinement, le ministre de l’agriculture, la FNSEA et l’industrie agro-alimentaire se veulent rassurant : il n’y a pas de risque de pénurie en France. Il y a des stocks. Des stocks ? Pas des stocks gérés par l’État comme c’était encore le cas dans les années 1970 et 1980. Cette prudence a été abandonnée avec l’idée d’autosuffisance. Ce ne sont pas ceux de la grande distribution non plus. Elle fonctionne totalement à flux-tendu et considère généralement les stocks comme une perte d’argent. Il reste donc les stocks des coopératives d’agriculteurs et des entrepôts des usines. Espérons qu’ils soient suffisants et surtout qu’ils ne deviennent pas une source de spéculation pour les entreprises privées qui en sont propriétaires. Mais même si nous admettons que c’est bien le cas, il reste d’autres problèmes, d’autres compartiments de la chaîne qui peuvent se gripper. Par exemple, la main d’œuvre pour les récoltes. L’agriculture est une activité qui nécessite beaucoup de main d’œuvre à certains moments de l’année pour faire les récoltes. Or, dans beaucoup de pays européens, cette main d’œuvre vient de pays étrangers. En France, où il y a besoin de 200 000 travailleurs supplémentaires d’ici juin, ce sont principalement des marocains et des espagnols qui viennent. Mais en Espagne, ce sont des Roumains ou des Marocains qui font les récoltes, vu que les Espagnols sont pendant ce temps en France. Ces déplacements de population sont rendus impossibles par le confinement. Ainsi, en Espagne, principal pourvoyeur de fruits et légumes au niveau européen, certaines récoltes sont déjà gâchées. L’Allemagne, elle, a décidé d’autoriser la venue de travailleurs détachés roumains pour ramasser les fraises et les asperges. Ce qui a conduit à la ruée vers les aéroports roumains de 100 000 personnes. Pas terrible sur le plan sanitaire pour un pays en confinement généralisé.
Mais le problème de la main-d’œuvre ne se pose pas que pour la récolte. La globalisation agricole repose sur un ample système de transport et de logistique. Même si les produits de base sont récoltés, que les usines tournent et que les supermarchés sont ouverts, il faut assurer leur circulation d’un bout à l’autre des pays et de la planète. En France, les sociétés de transport ont dû faire avec moins de chauffeurs que d’habitude. Certains sont en arrêt maladie pour suspicion de coronavirus. D’autres ont exercé leur droit de retrait, estimant que les conditions de leur sécurité sanitaire n’étaient pas remplies. Et la circulation des routiers sur des milliers de kilomètres repose sur les stations-services au bord des routes. Sans elles, ils n’ont pas d’endroit où se reposer, se restaurer et assurer leur hygiène. Or, en ce moment, difficile de trouver assez de salariés pour les maintenir ouvertes. Ces difficultés ont déjà entrainé une augmentation des prix du transport routier de 25%. Augmentation qui se répercute tout au long de la chaîne jusqu’aux rayons des supermarchés.
L’élément déstabilisateur du système alimentaire mondial pourrait aussi venir de la finance. Les échanges agricoles sont déterminés par les marchés financiers. Depuis le début des années 2000, les échanges sur les produits dérivés agricoles ont été multipliés par 16. Et seulement 2% des transactions sur les bourses agricoles correspondent à une livraison physique de denrées. La plupart des récoltes sont achetées et vendues plusieurs fois avant même d’avoir été semées. Nous savons que cette configuration a le pouvoir de provoquer une flambée des prix. En 2006-2008, une bulle spéculative sur les marchés agricoles avait fait s’envoler le cours du blé de 164%, celui du soja de 124% et du maïs de 178%. Cette bulle financière avait engendré des émeutes de la faim dans de nombreux pays. Le chef économiste de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation a rappelé récemment : « il suffit d’un gros trader pour prendre une décision qui perturbera toute la chaîne d’approvisionnement des denrées ». En ce moment, on voit bien les raisons pour lesquelles certains peuvent être tenté de parier sur une hausse des prix, leur pari suffisant à la créer. Avec la chute des cours du pétrole, beaucoup de banques, de fonds d’investissements vont tenter de faire migrer leur argent vers une nouvelle valeur « refuge ».
Voilà pour la chaîne de l’offre. Mais il y a l’autre bout : la consommation. De ce côté-là, on est déjà en situation de détresse alimentaire, y compris en France pour beaucoup de familles. Dans les milieux populaires, le confinement rend difficile de nourrir toute la famille pour plein de raisons. D’abord, l’offre s’est réduite. Les marchés ouverts, qui procuraient parfois les produits frais les moins chers, sont fermés. On ne peut plus faire des kilomètres et plusieurs magasins pour chercher le moins cher, comme le font beaucoup de gens en temps normal. La grande distribution est en situation de monopole complet, ce qui l’incite à augmenter les prix. Par ailleurs, le confinement a fait perdre a beaucoup de gens ses revenus. Notamment les précaires, les intérimaires, les auto-entrepreneurs. Les cantines scolaires et leurs tarifs avantageux sont fermés. Résultat : les files d’attente s’allongent devant les distributions gratuites de nourriture. On y croise beaucoup de personnes qui n’y allaient jamais avant. Le préfet de Seine-Saint-Denis estime que dans son département, entre 15 000 et 20 000 personnes vont avoir de graves difficultés à s’alimenter dans les prochaines semaines.
Cette situation est aggravée par la très grande fragilité du réseau d’aide alimentaire dans le pays. Cette tâche est complètement délaissée par l’État et repose totalement sur les associations, que ce soient les réseaux nationaux comme les Resto du Cœur, la Croix Rouge ou le Secours Populaire ou bien les associations locales. Qui dit associations, dit bénévoles. Et les bénévoles, en France, sont pour beaucoup des retraités. Problème : on dit aux personnes âgées de surtout rester confinées. De nombreuses association ont dû diminuer leur activité dans la période à cause du manque de bénévoles disponibles. Alors même que la demande est plus forte que jamais. Par ailleurs, elles ne sont pas sur la liste prioritaire des secteurs pour l’approvisionnement en masques et en gel hydroalcoolique. Et la « ramasse » des invendus des supermarchés est rendue bien difficile par les règles de distanciation sociale. Il est impératif de revoir ce fonctionnement qui fait reposer une mission de service public uniquement sur le bénévolat.
Dans l’urgence, il faut imposer un encadrement des prix pour les denrées alimentaires de base pour la grande distribution. Cet encadrement pourrait se faire sur la base d’un prix d’achat au producteur et d’une marge maximale pour la vente au consommateur. C’est ce qu’on déjà proposé les insoumis à l’Assemblée nationale dans les années passées. Par ailleurs, il faut briser le monopole de la grande distribution. La Confédération paysanne propose d’utiliser les cuisines centrales de la restauration collective, fermées, pour développer des circuits directs du producteur au consommateur. Très vite, il faut engager une nouvelle révolution agricole afin de disposer d’une agriculture locale, biologique et autosuffisante pour notre pays.
Le 20 mai, est paru dans Le Monde un texte signé par les cinq grandes centrales syndicales françaises, CFDT, CGT, FO, CFTC et Unsa et la principale confédération syndicale allemande, la DGB. L’importance des signataires de cette tribune est considérable. Les signataires sont de premier niveau. Et il s’agit de la majorité des organisations syndicales des deux premières économies de l’Union européenne. Tout cela exige que l’on prenne en considération ce texte puisqu’il est la principale réponse sociale au plan du condominium germano-français.
Pour ce qui me concerne, je voudrais exposer les raisons de mon désaccord avec son contenu. En effet, cette tribune affiche son soutien à la proposition de Macron et Merkel concernant le mal-nommé « fond de relance » européen. « Nous ne pouvons que nous en féliciter » écrivent les représentants de ces six syndicats français et allemands. Selon moi, il n’y a aucune raison de se féliciter de quoi que ce soit. Au demeurant, le mouvement syndical n’ayant pas été consulté avant la publication de ce plan ni depuis dans quelque Parlement que ce soit, il est risqué de donner des satisfecit à de tels exercices solitaires des pouvoirs dans de tels domaines.
Au cas précis, pourquoi se réjouirait-on d’un plan qui valide les règles de traités européens dont la vie a prouvé tout à la fois l’obsolescence et la dangerosité ? D’autant que tous les syndicats signataires ont déjà largement pris position dans les textes et dans l’action contre l’austérité à perpétuité, la concurrence sauvage et le rétrécissement des assurances sociales organisés par ces règles. Ils le font d’ailleurs de nouveau dans ce texte : « la relance économique doit être solidaire et sociale (…) rompant finalement avec les politiques d’austérité ».
Hélas ! L’accord entre les gouvernements français et allemand dit l’inverse. Lors de la conférence de presse commune des deux chefs d’État, Angela Merkel a tenu à préciser que l’argent accordé dans le cadre de ce plan devrait être « en accord avec les traités européens et les règles budgétaires ». Le document écrit est lui aussi tout à fait clair. Les aides seront soumises à des conditions. En l’occurrence « des politiques économiques saines et un programme de réformes ambitieux ». Quiconque a suivi les épisodes précédents des dix dernières années en Europe comprend ce que signifie cette langue de bois : coupes dans les services publics, destruction des protections des travailleurs, privatisation des biens communs.
C’est la première erreur des auteurs de ce texte. Il y en a une autre. Ils ne voient pas que la proposition de Macron et Merkel ne règlera absolument pas le problème de la dette publique. Il va même l’aggraver. Pour le texte syndical, le mécanisme proposé permettrait « d’éviter de faire payer la dette aux salariés ». Mais en quoi consiste ce mécanisme ? La Commission européenne va emprunter 500 milliards d’euros sur les marchés financiers. Cette dette sera contractée auprès de prêteurs privés, avec des échéances de remboursement à court terme et des taux d’intérêts déterminés par le marché.
C’est un autre point sur lequel Angela Merkel a voulu insister lors de la conférence de presse commune : « cette dette devra être remboursée ». Par qui ? Par le budget européen, c’est-à-dire par les États membres, puisque ce sont eux qui l’abondent. On remboursera à proportion de sa contribution au budget commun. Or la France, l’Italie et l’Espagne sont respectivement 2ème, 3ème et 4ème contributeurs. La dette contractée sera donc remboursée en majorité par l’Europe du Sud. L’initiative Macron / Merkel vient donc ajouter plus de dette à la montagne déjà accumulée du passé. Il existe une proposition alternative : transformer la dette détenue par la banque centrale européenne en dette perpétuelle à taux nul. De plus en plus de personnes soutiennent cette idée en Europe jusqu’à l’ancien président de la banque centrale Mario Draghi. Dans l’immédiat, les deux co-présidents français et allemand et groupe Gauche Unitaire Européenne au Parlement européen soutiennent eux aussi ce projet ! Le renfort du mouvement syndical devrait aller de soi. Car les salariés sont aussi des citoyens. Et comme tels c’est eux qui paieront par leurs impôts et les destructions de services publics les conséquences du plan Merkel-Macron. La dette en plus sera de la commande publique et des salaires en moins. Les salariés paieront donc par de l’activité et des rémunérations en moins.
Je comprends pourquoi les syndicats français et allemands ont pris cette position commune. D’abord, elle est un point de compromis entre des visions différentes du syndicalisme et de la société entre syndicalistes français et allemands et à l’intérieur de chaque pays. Ensuite, elle vient surtout contrer l’offensive des pays égoïstes comme l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède. Ceux-ci ont présenté un contre-plan visant à mettre sous tutelle libérale l’Europe du Sud. C’est surtout contre cela que les syndicats français et allemands sortent du bois. Soit. Mais quitte à soutenir une initiative européenne, il y en avait d’autres. Ils auraient pu apporter un soutien à l’initiative du gouvernement espagnol qui propose l’émission de dette perpétuelle et la souveraineté des Parlements nationaux dans l’allocation des dépenses. Ils auraient pu soutenir le Parlement européen qui demandait dans une résolution un plan de relance de 2000 milliards d’euros et non 500 comme Macron et Merkel. Le Commissaire européen français Thierry Breton, défendait aussi cette position.
Tout le monde connaît les convergences de vues sur de nombreux sujets entre la France Insoumise et plusieurs syndicats ou fédérations syndicales dans tout l’arc syndical français. Dans notre conception, les syndicats jouent un rôle de premier plan dans le processus de construction du rapport de force social sans lequel le programme « L’Avenir en commun » est tout simplement impossible à envisager. Pour autant, nos relations avec les syndicats et le mouvement syndical sont placés sous les sceaux de l’indépendance. Ils sont indépendants des partis politiques, nous sommes indépendants des syndicats. Ils n’ont jamais manqué une occasion de s’exprimer quand notre action leur posait un problème comme ce fut le cas au moment de nos mobilisations contre la destruction du code du travail. Mais cela n’a jamais empêché l’action commune, comme on l’a vu au moment de la marée populaire du 5 mai 2018 ou de notre soutien à des initiatives comme « Plus jamais ça ». Les syndicats nous ont posé une règle simple dans le passé : quand il y a un désaccord on le dit et on l’argumente pour que le débat fraternel reste possible à l’intérieur de notre famille. Par exemple, je n’étais pas d’accord quand, en décembre 2018, en plein mouvement gilets jaunes, l’ensemble des confédérations avaient signé un texte commun pour « dénoncer toutes formes de violences dans l’expressions de revendications » car si le fond était parfaitement juste, dans le contexte cela revenait à faciliter les accusations gouvernementales au moment où le mouvement avait un besoin vital de l’appui des organisations du monde du travail. Je sais que sur ce sujet, certains comme la CGT ou FO ont largement changé de position depuis. J’espère aussi que sur l’Union européenne et la dette nous pourrons nous retrouver pour des combats communs. Je suis obligé de dire que cela ne sera pas pour soutenir de quelque façon que ce soit le plan de Macron et Merkel que nous jugeons insuffisant sur son montant et dangereux dans sa mise en œuvre.
Bien sûr, ce titre est destiné à vous tirer l’œil. Car je voudrais faire bien connaître l’interview d’Olivier Faure publiée par Libération. C’est vraiment un texte intéressant. En effet, il propose des choses tout à fait étonnantes. Pourtant aucun commentateur ni politologue n’a réagi. Dommage. Car il envisage sans problème qu’il n’y ait pas de candidat du PS à l’élection présidentielle. Et aussi qu’il recommande un congrès d’unification générale sur le mode de celui qui a fondé le PS en 1905.
La preuve dans le texte. Une candidature hors du PS ? Oui, dit Faure si c’est celle d’un bloc et d’un projet commun. « Libé : Ça veut dire que lors de la prochaine présidentielle, il n’est pas certain de voir un candidat PS ? « Il faut penser en termes de bloc et de projet. Si nous nous regardons comme des concurrents, comment un socialiste, un écologiste, un communiste ou un radical pourrait accepter un candidat qui n’a pas le même pedigree que lui ? Le bon candidat, c’est celui qui porte le projet commun, incarne une autre façon de gouverner et qui peut nous amener à la victoire. » Dissoudre le PS pour créer un nouveau parti commun ? Oui dit Faure, si c’est celui d’un projet et d’un bloc. Du coup la question suivante de Libé est moins sidérante qu’il y parait. « Olivier Faure : Quelle est l’histoire du mouvement ouvrier ? Divisé au XIXe siècle, il s’est unifié au début du XXe dans le bien nommé “congrès du Globe”. Jaurès, Guesde, Vaillant ont dépassé leurs fortes divergences pour créer la SFIO devenue ensuite le Parti socialiste. Sans ce geste initial, sans leur vision et leur sens des responsabilités, nous n’aurions pas construit le modèle social français et européen. A nous aujourd’hui de bâtir l’offre politique du XXIe siècle en créant un bloc social, écologique, féministe et démocratique ! Libération : Est-ce que vous êtes le dernier premier secrétaire du PS ? »
Un bloc, un bloc. Le « Blok et le projééé ». Voilà donc le bloc prôné par EELV adopté par Olivier Faure. Pour ce bloc et ce projet il va de soi qu’il y a une exclusive : les Insoumis non évoqués dans la liste des heureux bénéficiaires de la candidature commune du « bloc ». Et de même pour ce qui est du projet. Sur ce point, l’arrogance du PS n’a pas pris une ride. « Jusqu’à présent, Jean-Luc Mélenchon brandit son programme baptisé “L’Avenir en commun”, mais qui est commun à ses seuls amis. Je fais confiance à son sens politique pour percevoir vite où sont les dynamiques. » Elégant, non ? Clairement, notre contribution n’est pas la bienvenue. Pourquoi ne le dit-il pas ouvertement ? Pourquoi ne dit-il pas ce qui lui semble inacceptable dans notre programme ? Car tout de même, « L’Avenir en commun » et son candidat ont regroupé 7 millions « d’amis » électeurs qui ont voté pour lui en 2017. Est-ce raisonnable de les mépriser aussi ouvertement ? Mais Faure raye d’un trait de plume ce qui l’embarrasse. Qu’est- ce qui lui pose des problèmes dans « L’Avenir en commun » ? Juste qu’il convient à mes « amis » ? Il ne veut pas de leur voix ? On n’en parlera pas. À quoi bon ? Faure sait ce qui est bon, Faure a toutes les bonnes idées, même celles des autres. « J’ai proposé une université d’été commune de la gauche et des écologistes à Julien Bayou [le secrétaire national d’Europe Ecologie-les Verts, ndlr] pour entrer dans une première concrétisation. Il s’est saisi de l’idée et l’a fait fructifier avec talent. Il faut maintenant avancer. » Hue cocotte ! hue ! Ce n’est pas la première fois que ses bonnes idées nous sont infligées par d’autres. Ainsi est-ce lui qui a proposé dans une question d’actualité ces réunions traquenards autour du Premier ministre. Lequel l’en remercia dès la première réunion.
Puisqu’il a confiance en moi pour « voir où sont les dynamiques politiques », il devrait avoir confiance pour l’inverse. Je sais où la dynamique ne sera jamais plus. Personne ne veut plus du PS ayant à sa tête l’ancien président de groupe parlementaire du PS, olivier Faure, qui organisa la discipline pour faire voter les lois liberticides de Valls, le crédit impôt recherche, le CICE et la loi El Khomri, pour ne citer que cela. Et pendant que j’y suis, je demanderais volontiers quel est le programme du PS à présent ? Car un programme commun avec EELV existe aujourd’hui. C’est celui qui fut conclu entre Hamon et Jadot pour soutenir la candidature déjà commune de Hamon. En fait tous ces gens font le même calcul : tout le monde a tout oublié, aucun engagement passé n’a d’importance, aucun texte ne dure davantage que le temps de le signer sans le lire. Cette forme de mépris pour les idées atteint les sommets du cocasse. Ainsi quand Faure oublie – sapristi ! – que le programme de 2012 dont j’étais le candidat commun pour le PC et le PG s’intitulait « L’Humain d’abord ». Alors il peut pérorer : « Être lucide, c’est aujourd’hui être radical dans ses approches. Si l’humain n’est pas remis au cœur de nos sociétés, elles exploseront. » Radical, lucide, l’humain d’abord. Bref, Faure nous a fait perdre 8 ans car à l’époque il préférait faire croire aux mensonges délibérés de François Hollande à propos de son ennemi « la finance ». Je ne voudrai pas finir sur une note aussi négative et faire avancer le débat. Pour faire un effort, sans nostalgie pour ce passé profond auquel j’appartenais, je pourrai bien être d’accord pour que le PS s’autodissolve.