Je ne lâcherai pas le sujet. L’eau est le grand défi de l’Humanité pour le siècle à venir. Le dérèglement du climat est aussi un dérèglement du cycle de l’eau duquel dépendent toutes les activités des sociétés humaines. Pourtant, l’eau tient une place très secondaire dans le débat politique ordinaire. C’est pourquoi je m’efforce, dès que j’en ai l’occasion, d’en montrer les enjeux. Ces dernières semaines je suis allé voir le Doubs à sec, puis dans le marais poitevin participer à une manifestation contre un système d’irrigation irresponsable inventé par l’agriculture productiviste. Ces visites sont racontées dans deux « vlogs » disponibles sur ma chaîne YouTube. Je crois que les images, leur puissance évocatrice peuvent éveiller les consciences. J’ai donc continué la série des déplacements sur ce thème, vendredi 23 dans le Morvan.
Ici, je voudrais évoquer le sujet de la financiarisation de l’eau. En effet, l’eau devient rare dans plusieurs endroits du globe. Dès lors, le capitalisme financier et boursicoteur est alléché. Il y voit naturellement une source de profit et de spéculation. Nous avions déjà constaté cela en Australie lorsque des incendies avaient ravagé ce pays à l’automne 2019. L’eau manquait alors pour lutter contre leur propagation. La raison ? En Australie, n’importe quel acteur privé peut acquérir des quotas d’utilisation de l’eau douce disponible. Or, peu avant les incendies, une quantité importante d’eau disponible avait été acquise par un fonds de pension canadien. Il comptait l’utiliser pour irriguer des champs d’amandiers destinés à payer des retraites par capitalisation. Et pour cette raison, l’eau manquait en Australie.
La Californie aussi s’est dotée du même système de quotas depuis 2014. Et donc, elle a créé un marché de l’eau comme réponse aux pénuries de plus en plus répétées qu’elle subit. Évidemment, le propre d’un tel marché est la volatilité des prix. Quand l’eau vient à manquer, son prix augmente. Chacun se rend bien compte de la dangerosité d’une telle invention. Mais la Californie vient de passer un nouveau stade. Deux bourses américaines viennent d’autoriser des produits dérivés sur l’eau. C’est-à-dire la spéculation sur l’eau. Les boursicoteurs pouvant acheter plusieurs mois à l’avance de litres d’eau et les revendre plusieurs fois avant qu’une goutte de cette eau ne soit effectivement utilisée.
Ce type de financiarisation d’un bien commun naturel s’est déjà produit. L’agriculture dominante fonctionne sur ce modèle. Nous pouvons en voir les résultats. Le volume de produits dérivés échangés sur les marchés a été multiplié par 16 depuis 2000. Et seulement 2% des échanges sur les marchés financiers agricoles correspondent à des livraisons réelles de récoltes. La plupart sont achetées et revendues plusieurs fois avant même d’être semées. Cette configuration renforce les possibilités de flambée de prix. En 2007-2008, une bulle spéculative avait fait s’envoler le cours du blé de 164% en quelques semaines, provoquant des émeutes de la faim dans de nombreux pays.
Les deux tiers de la population mondiale vont subir des pénuries régulières d’eau potable dans la décennie à venir. La perturbation écologique du cycle de l’eau est certaine. Elle n’est pas évitable même si nous pouvons encore stopper des pratiques qui l’aggravent. Surtout, nous avons à décider collectivement comment nous allons gérer l’eau à l’avenir. Par les méthodes du capitalisme financier ou celle du collectif ? L’eau transformée en produit financier, ce n’est pas une dystopie lointaine. C’est en train de se produire en ce moment. La création de produits dérivés aux États-Unis en est un signe. L’OPA de Véolia sur Suez chez nous, un autre. Cette voie sera une catastrophe. Elle signifie que le fric serait le seul moyen de repartir l’eau douce entre les différents usages. Les insoumis proposent de reconnaître que l’eau est un bien commun. Elle ne doit pas pouvoir être appropriée. Puisque nous voulons décider collectivement de son usage, alors son régime doit être la propriété collective.