« La rentrée » est faite. Ce genre de franchissement de seuil ponctue le cours des événements de la vie en société et bien sûr il faut y être attentif. Souvent on voit à cette occasion se préciser soudain des traits dominants dans chacun des secteurs où l’on a son intérêt dans la vie. Pour ce qui concerne la campagne présidentielle de 2022 que nous avons ouvert il y a deux mois, il en va de même. Et c’est particulièrement vrai du côté de ce que l’on appelle « la gauche ». Mon entrée en scène semble bien avoir précipité les événements. Je le souhaitais.
J’en tire ici une note d’ambiance. Ce post est donc est consacré à la campagne présidentielle pour les élections de 2022. J’ai rassemblé sous forme d’articles distincts différentes analyses publiées en interne. Il y a aussi un bilan chiffré. Et j’ai toujours aimé introduire dans l’évaluation politique des éléments de cette nature. J’en connais les limites. Un thermomètre ne dit jamais la cause de la fièvre. Reste qu’il est indispensable de la mesurer d’une façon ou d’une autre. Mais bien sûr cela ne suffit pas. Le plus important pour moi est la façon dont se reconstruit le paysage politique en vue de l’élection, puisqu’il s’agit de le maîtriser. Cela me conduit donc à parler des divers intervenants politiques sur cette scène. Ici, pour ne pas surcharger la lecture, je ne parle que d’Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Arnaud Montebourg, d’un côté, et de l’autre de l’évolution du Rassemblement National.
Naturellement ces coups d’œil rapides ne prétendent pas être une analyse exhaustive. De plus le lecteur avisé devine qu’il vaut mieux parfois ne pas trop en dire ! Il n’empêche ! Une campagne comme la nôtre se construit au long cours. Dès lors la stratégie en est un condiments essentiels. Il ne s’agit pas pour nous seulement d’être là mais de peser sur la manière avec laquelle s’organise le débat. Ce n’est pas le plus simple.
Exposer mes analyses en direction des personnes qui me lisent, parfois depuis de nombreuses années, me permet de mettre en partage une manière de voir et de rendre compréhensible, depuis le point de vue qui est le nôtre, ce que nous entreprenons. Donc de l’inscrire dans l’expérience et la mémoire de chacun. Je dis « le nôtre » parce que bien sûr cette campagne c’est un collectif en action. Ma manière d’exercer mon rôle dans le collectif est appuyée sur une longue expérience de ce que cela implique et permet. J’ai présidé toutes sortes d’organismes de décisions politiques (bureau fédéral, de section, présidence de groupe d’élus etc.). Je pense maîtriser l’art de « faire l’éponge » ou de « lier en un seul cordon plusieurs ficelles de différentes couleurs »… Je n’ai pas toujours besoin de réunions pour le faire. Il y a 22 parlementaires intégrés dans la campagne, autant de cadres non élus venus du mouvement. Et peut-être serez-vous surpris d’apprendre que les commentaires de Facebook ou sur d’autres réseaux sociaux jouent également un rôle dans la manière dont, pour finir, je fabrique mes propositions.
La vérité est que j’aime être en campagne électorale. Parce que c’est à mes yeux une des formes suprêmes de l’action politique. C’est le moment où, progressivement, les esprits s’ouvrent aux débats les plus abstraits et où chacun finit par se sentir totalement impliqué dans l’intérêt général. Cette magie de la communion humaine, je sais aussi la reconnaître dans d’autres circonstances d’un tout autre ordre. C’est ce qui se passe notamment en musique quand des millions de gens s’identifient à une composition, un refrain, un chant. Et d’ailleurs ces diverses bulles d’union finissent parfois par fusionner. Je veux croire que cela est possible quand j’entends « Bella ciao », vieux chant d’abord repris par le mouvement communiste devenir le refrain d’un feuilleton aussi populaire que « La Casa de Papel », et qu’il revient aux fenêtres des balcons des confinés en Italie puis en France…
Une dure bataille s’ouvre pour la domination de cet espace que Jadot a délimité : « entre Mélenchon et Macron ». Pour de nombreux protagonistes, en effet, ce serait là que se jouerait la possibilité d’une victoire en 2022. Jadot, Hidalgo, Montebourg, chacun à leur manière et chacun dans leur direction essaient de construire un tel espace. Pour ma part, je ne crois pas à ce raisonnement. Cependant je crois comme Jadot et quelques autres que c’est bien par là en effet que Macron peut perdre quelques points de pourcentage qui le priverait de deuxième tour. Cela peut donc faciliter ma participation à celui-ci, ou celle de Xavier Bertrand. Ou des deux, si par ailleurs Le Pen se faisait de nouveau diaboliser au lieu de jouir de son actuelle totale et sidérale abscence de contradiction.
Dans l’excitation du feuilleton à écrire, parce qu’il leur faut bien raconter quelque chose et ne pas se limiter répétitivement à dire du mal des insoumis, des commentateurs, parfois convaincus de ce qu’ils disent, ont engagé un suspense plein d’envie autour d’Anne Hidalgo. Jadot et ses amis en sont les premières victimes puisque le partage de leur gâteau commun – « l’espace entre Mélenchon et Macron » – se fait alors en faveur de la Maire de Paris qui a amplement préempté le champ de l’écologie municipale grâce à eux. D’autant que celle-ci joue à fond sa partition pour se rendre attirante aux « déçus du macronisme » autrefois électeurs du PS. Pour elle, il est donc important d’en adopter les marqueurs. Ainsi des applaudissements communs avec le préfet Lallement en conseil de Paris ou du soutien à l’article 24 interdisant aux citoyens de filmer l’action des policiers. De même pour les diatribes contre les Verts et les Insoumis dans le style calomniateur usuel de la propagande macroniste. Rien de tout cela n’est autre chose qu’un calcul délibérément mis en œuvre.
De fait, la classe moyenne supérieure, typique de la population parisienne, a vraiment la gueule de bois en ce moment. Elle a voté Macron comme le meilleur des compromis entre sa bonne conscience et son égoïsme social. Mais elle a la nausée quand elle voit s’effacer les lignes de partage entre Macron et Le Pen. Et c’est trop souvent le cas désormais pour qu’elle puisse faire semblant de ne pas savoir. L’éloge de Pétain et Maurras a été une rude étape. Mais les diatribes haineusement anti-musulmanes d’une Aurore Berger et des autres énergumènes du macronisme parlementaire font tâche, durablement.
Ce n’est donc pas « la gauche » que vise Anne Hidalgo. C’est le retour au « social libéralisme » des milieux enchantés qui continuent d’être bien insérés dans le système actuel. Il y a là en effet une réalité. Elle veut en faire un point d’appui pour rallier ensuite tous les castors toujours prêts à limiter leur pensée a « faire barrages » plutôt qu’a se demander de quoi ils deviennent le lac de retenue. C’est ce qu’avait su faire François Hollande en son temps. Puis Macron. De barrage en barrage, un coup Sarkozy l’autre Macron on voit l’admirable résultat. J’ai été présent à chacune de ces occasions. Ils ont rabâché sur tous les tons qu’il ne fallait pas me suivre au premier tour parce que, eux seuls, étaient capables d’être « au deuxième tour pour pouvoir faire barrage ». Un coup Sarkozy, un coup Le Pen, de barrage en barrage on voit où nous sommes rendus.
De cette façon parmi d’autres, le tissu du « champ politique » se modifie depuis quelque temps sous l’action des choix de positionnement de ceux qui y entrent. Une certaine accélération de ce processus s’observe même. Il faut repérer ces changements et s’y adapter. Je précise donc aussitôt comment je me représente ce « champ politique » en général. Les programmes politiques ne sont rien sans le milieu « culturel » dont ils émanent. Jusqu’en 1981 dominait largement la culture de gauche, ses symboles ses valeurs et l’élan historique né dans la Résistance et la disqualification des partis de la collaboration. La Sécurité sociale et les services publics y étaient alors davantage que des formes d’organisations. Ils incarnaient une culture de la vie en société et une préfiguration d’un futur dans une société socialiste. Chaque bataille offensive ou défensive les renforçait comme références indépassables. La victoire du « programme commun de la gauche », en 1981, procède à la fois de cette ambiance et de la coloration insurrectionnelle donnée par le mouvement social de mai 1968.
Puis, progressivement et définitivement, ce fut la victoire des valeurs accrochées au néo-libéralisme. Là, libéraux et libertaires pouvaient se retrouver, même sans le vouloir, dans une même apologie et soif sans nuance de l’individualisation des rapports sociaux. Dans chacun des deux cas que j’ai évoqués, un maillage d’idées connexes, de structures et de personnages se forment. Ils fonctionnent comme un blindage de protection au service de la permanence du système économique et politique qui le contient. Chaque changement d’époque, quand il est définitivement avéré, ne fait que prendre acte d’un changement intervenu depuis longtemps dans les fondations du système qui s’effondre.
Nous vivons dans un moment intermédiaire. L’ancien monde libéral se dirige vers la relégation qu’a connu avant lui le monde de la guerre froide et de ses monuments. La scène du capitole aux USA est le pendant à mes yeux du putsch raté de Ianaïev à Moscou, dans la phase finale du régime communiste. Le début de la fin d’un modèle. On sait aujourd’hui que nous évoluons entre trois possibles : le libéralisme autoritaire, la décomposition permanente sous les coups du changement climatique, la société d’entraide. En France, décomposition et demande d’ordre se combinent dans un processus unique dont le contenu et le programme ne parviennent pas à se stabiliser. Le chaos du confinement et des déconfinements, la gestion caricaturale de l’équipe au pouvoir, tout cela forme un tout qui oblige beaucoup de gens à réfléchir sur de tout autre base aux événements et aux futurs.
Dans ce contexte, à mes yeux, l’important est la manière de constituer un espace culturel et politique cohérents à la suite de celui qui a explosé en 2017 et dont nous sommes cependant les héritiers. Face au glissement vers la droite extrême d’un nombre croissant de structures et de prescripteurs, il faut construire un solide espace alternatif. C’est impossible sans faire le choix de la clarté, de la rupture avec le « monde d’avant » la pandémie responsable de ce désastre. La compétition de la présidentielle peut sembler rendre impossible cette ambition. Si c’est l’enjeu, on devine la réplique du système pour rendre impossible ce choix ou du moins pour le marginaliser.
Pour l’instant, cela se concentre sous la forme d’une lourde pression médiatico-politique en faveur de « l’union ». Parler de la nécessité de l’union pour mieux étaler le spectacle de la division et démoraliser tout le monde est un grand classique. Engels lui-même a eu a argumenter sur le sujet. Comme si l’union dispenserait d’avoir à penser les divergences et leur importance. Imaginons une candidature unique qui n’aurait aucun programme commun concernant l’Europe, les institutions, l’ampleur de la bifurcation écologique à opérer, l’outil pour le faire, et qui resterait muette sur le rapport à la propriété des moyens de production et le pouvoir de la finance. Qui serait trompé par ces silences ? Personne, et un tel candidat passerait sa vie les fesses sur un sac d’oursins à chaque interview ! Alors, s’il est vrai que la dispersion peut décrédibiliser l’idée même d’alternative, la confusion la tuerait encore plus surement.
Le contexte des idées change. Depuis 2012 les compétitions de leadership dans chacune des deux grandes familles politique du pays ont beaucoup évolué. Le Front National a placé la droite et le centre dans une tenaille dont ils ne parviennent pas à desserrer l’étau. Il a conquis le leadership sur cet ensemble parce qu’il le domine. Croire que le RN serait aussi paralysé que ceux qu’il tient à la gorge du deuxième tour est une vue de l’esprit. La pente actuelle amène le pouvoir dans les mains de Le Pen sans qu’on voit ce qui pourrait le retenir à cette heure. Car en levant la digue, avec son apologie de Pétain et de Maurras, Macron a provoqué un renversement des pôles magnétiques de la planète politique. Et dans cette situation désastreuse qu’ils ont créée, le seul endiguement que les macronistes tiennent contre vents et marées, nuit et jour à tous propos, par tous les moyens c’est face aux Insoumis.
Dès lors les coalitions du futur se dessinent dans cette nouvelle latéralisation : à un bord l’extrême droite et à l’autre les insoumis, la ligne de partage se formant à cette heure sur des marqueurs tels que la haine des musulmans sous prétexte de laïcité, l’adhésion à une Europe mythique, et bien sûr la foi inébranlable dans le marché et la concurrence libre et non faussée. À l’intérieur de ce bloc, un nouveau marqueur est en train de s’effacer : il s’agit de l’Europe. Dans ce cas, c’est le RN et Le Pen qui se met en mouvement pour effacer le clivage. Et ce n’est pas tout. Le parti de Madame Le Pen a tourné sur deux questions fondamentales : l’Union européenne et l’organisation de la République.
Le tournant européiste du Rassemblement national est bien résumé par Jordan Bardella sur RTL. « Nous étions pour un referendum sur la sortie de l’Union européenne. Maintenant le contexte européen a significativement évolué. Et vous savez je crois qu’on ne fait pas de la politique dans son bureau, ni dans le rétroviseur. Il faut prendre en compte aussi ce que nous ont dit les Français dans le cadre de la dernière élection présidentielle et notamment sur la question monétaire.» L’eurodéputé déclarait en effet sur France 5 le 18 décembre « La question de l’euro en tout cas ne m’apparait pas principale aujourd’hui. Je pense qu’il faut conserver l’euro en l’état et améliorer ce qui ne fonctionne pas ». Ceux qui proposaient hier à leurs électeurs le Frexit défendent donc aujourd’hui l’euro tel qu’il est. L’Union européenne telle qu’elle fonctionne.
Mais le parti à la nouvelle flamme européiste va encore plus loin. Dans un communiqué daté du 4 janvier, il appelle « l’Union européenne (à) s’engager sans réserve » au Mali. Au ralliement à la monnaie européenne, à son marché et ses institutions, l’extrême droite ajoute la perspective d’une Europe prenant la main sur les enjeux militaires et géopolitiques. À ce rythme elle rejoindra bientôt le chœur des adeptes macroniens de la « souveraineté européenne ».
Hervé Juvin, un autre eurodéputé RN, appelle quant à lui à généraliser « le principe de subsidiarité », érigé au rang de principe fondamental de l’Union par le Traité de Lisbonne. Derrière ce nouveau signal d’un ralliement au dogme européiste c’est toute une conception de l’organisation administrative du pays qui est en cause. Juvin veut « laisser aux territoires des leviers d’expérimentation, quitte à assumer des écarts ».
On connaît la chanson. Cette rhétorique des territoires est devenue un lieu commun chez ceux qui ont décidé que la « terre ne ment pas » comme dirait Maurras. Le localisme comme adaptation à la mondialisation néo-libérale. Réglementations et droits différents d’une région ou d’un département à l’autre sont les préludes à la mise en concurrence de leurs habitants. Juvin veut faire régner entre Français le dumping social et fiscal qui prévaut déjà entre peuples européens. C’est une très lourde évolution. Elle vient après le renoncement de marine Le Pen à changer la Vème république comme l’annonçait autrefois le programme du FN. Revendiquant son rejet du « jacobinisme », appelant à la formation de « petites patries » l’eurodéputé RN s’attaque aux fondements de la République une et indivisible.
La République est une et indivisible parce que la loi est une et indivisible. Et c’est pourquoi la seule communauté reconnue en République est la communauté légale. En conséquence, la République garantie en principe à tous ses habitants l’égalité devant la loi. Nous avons toujours soutenu ce point de vue contre tous ceux qui veulent créer des droits communautaires. Juvin se revendique du « localisme ». Évidemment, un « droit local » cela fait moins barbare, moins obscur et moins sombre qu’un « droit communautaire ». Mais c’est la même chose : tout ce qui rompt l’unité de la loi ouvre sur un communautarisme. Et tous les communautarismes finissent inéluctablement dans la même ornière, celle de l’ethnicisme. Dans tous les cas une telle reconstruction de la France administrative et politique, c’est exactement le modèle européen des Landers allemands, et même, sous l’ancien régime, celui du Saint empire romain germanique.
Je suis interrogé régulièrement sur la candidature d’Arnaud Montebourg. Beaucoup voudraient que je la vive comme une concurrence négative. Ce n’est pas le cas. J’estime, à seize mois du vote, que sa présence dans le débat peut être très utile et même profitable pour nous. Je voudrai montrer ici l’importance mais aussi les limites de cette façon de voir la situation.
Partons du plus simple. J’ai lu le manifeste du mouvement lancé par les amis d’Arnaud Montebourg. Je note avec satisfaction que beaucoup de nos mots s’y retrouvent. La grammaire suit toujours les mots dans ce genre de situation. Ce n’est donc pas rien de voir évoquer les « gens » ou d’appeler à « l’entraide » ou encore de voir que le cœur du discours vise à reprendre « le contrôle sur nos vies » ce qui est le principe de base pointé par la théorie de la révolution citoyenne pour décrire la dynamique des évènements révolutionnaires. On y décrit aussi une « nouvelle France », terme et thème central du discours que j’ai prononcé à l’occasion des premières rencontres nationales des Quartiers populaires, organisées en novembre 2018 à Epinay-sur-Seine. Le plus satisfaisant encore, c’est de constater que rien dans ce texte ne cède à l’obsession antimusulmane tristement caractéristique du moment. On pouvait avoir les plus vives craintes sur ce sujet compte tenu de l’identité de certaines des personnes qui se rattachent à la convergence autour de Montebourg. Notamment la mouvance bleue-brun chassée de nos rangs. C’est donc le soulagement : les amis de M. Montebourg semblent fermement décidés à ne pas faire de la laïcité l’instrument d’un clivage politicien absurde comme s’y emploient hélas aujourd’hui Mme Hidalgo ou M. Faure.
Le vocabulaire des insoumis a donc bien essaimé. Et dans la bataille des idées, certaines des prises de positions d’Arnaud Montebourg sont un renfort bienvenu. Là est l’essentiel dans cette phase initiale de la campagne présidentielle de 2022. Il faut briser l’isolement de nos idées dans le cyclone actuel fasciné par le corpus idéologique de l’extrême droite « pétainiste et maurrassienne » touchée du pied par Macron. Chaque fois que Montebourg partage une des mesures que nous portons, il contribue à leur donner une audience supplémentaire. En cela, il nous aide à convaincre. Sur certain points la convergence est décisive.
Voyez la question délicate de l’annulation de la dette. Je défends cette idée depuis des années, malgré les gausseries de certains commentateurs. En avril dernier je décrivais dans mon blog le scénario d’une « petite annulation de la dette » détaillant ses objectifs et sa méthode. Pour effacer « toutes les dettes résultant de l’épisode coronavirus » je proposais de transformer les titres de dette acquis par la BCE « en titre “perpétuel”. À taux d’intérêt nul. »
Ce scénario est repris de façon quasi-identique par l’ancien ministre de l’Économie dans une interview au Point le 9 janvier. Arnaud Montebourg y identifie le même « paquet » de dette que celui que je vise dans ma « petite annulation », à savoir les « les 500 milliards d’euros de dette publique supplémentaire accumulées pendant la crise ». Il propose de « l’effacer dans le temps sans spolier les créanciers qui lui ont prêté » rejoignant une préoccupation que j’exprimais sur mon blog en indiquant qu’avec ma méthode « aucun “investisseur” privé n’est spolié ». Bien qu’Arnaud Montebourg ne se soit pas exprimé en faveur de la réforme des statuts de la BCE que je défends, je constate donc que nos analyses convergent sur cette question fondamentale de l’annulation de la dette Covid jusqu’à un niveau avancé de détail.
Ce point est essentiel. Car il est rare que ma position sur le sujet soit évoquée par les commentateurs qui aiment plutôt me prendre à partie sur un mot ou une attitude à portée de leur compréhension (certains des rubricards affectés à me suivre pour me nuire sont souvent incultes en matière économique entre autres). Un débat sérieux ne leur parait pas correspondre à leur besoin de dénigrement. Par contre dans la répartition des taches dans les rédactions, nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à mentionner la position « de Montebourg » sur le thème parce qu’ils comprennent . Autant de gagné pour alerter et montrer qu’il ne s’agit pas d’un point de vue « d’ultra gauche » comme disent d’aucuns à notre sujet.
Autre convergence de fond, la nécessaire confrontation avec le cadre européen actuel. Récemment interviewé par Aude Lancelin, Arnaud Montebourg appelle à une série d’actions unilatérales de la France face à l’Union européenne. « Vous avez 10 points inacceptables pour la France : la directive “travailleurs détachés”, les directives sur le système bancaire » précise-t-il en décrivant une stratégie de désobéissance correspondant au « Plan A » que je porte depuis ma campagne de 2017. Là aussi, cette prise de position constitue un point d’appui important face au chœur bêlant des eurolâtres.
Enfin avec Arnaud Montebourg, nous partageons surtout l’objectif d’une sixième République. Bien sûr je dois indiquer que nous divergeons sur la méthode. Je propose la convocation d’une Assemblée constituante. Arnaud Montebourg défend un processus différent, bien plus restreint. Pour lui le passage à la sixième République « doit être un mandat constituant donné au Président de la République qui sortira des urnes, qui engage immédiatement un processus de consultation du Parlement. Les parlementaires qui seraient élus à la suite de la victoire de ce Président sixiemiste auraient un mandat constituant. À partir de là on part au referendum tout de suite.» Si je partage la position selon laquelle le referendum doit clore la phase constituante, je considère pour ma part que c’est au peuple lui-même de refonder les institutions républicaines à travers l’élection d’une Assemblée constituante.
Nous avons avec Arnaud Montebourg d’autres différences et je ne crois pas que ce soit une difficulté de les énoncer. Je défends par exemple une géopolitique altermondialiste basée sur la coopération avec les puissances émergentes. Mais je ne suis pas prêt à faire des Turcs des alliés de la France comme l’a proposé Arnaud Montebourg dans l’interview accordée à Thinkerview en novembre dernier. Entre la France et la Turquie d’Erdogan, qui bombarde les positions de nos forces spéciales en Syrie et provoque notre marine en Méditerranée, l’alliance, selon moi, est impossible.
Je ne veux pas esquiver non plus une autre divergence plus profonde. Je suis en effet un partisan résolu de la sortie du nucléaire. Arnaud Montebourg la considère comme « absurde ». Sur ce point, notre différent est-il insurmontable ? Je veux espérer que non. J’ai noté que parmi les plus proches appuis d’Arnaud Montebourg figurait la sénatrice PS Laurence Rossignol qui s’est fait connaitre pour ses prises de positions en faveur de la sortie du nucléaire. Pourquoi ne parviendrait-elle pas à faire évoluer son ancien camarade de gouvernement ? Pourquoi ne pourrait-on pas se comprendre. Tout cela est gérable.
Cependant, il en va tout autrement à propos de l’ouverture à la droite politique que recommande Montebourg. Les compliments du numéro deux de LR et ceux de Xavier Bertrand attestent d’un dialogue qui ne nous convient pas. C’est un point essentiel de désaccord. Arnaud Montebourg défend en effet le projet d’une coalition entre « une droite républicaine et souverainiste qui est parfaitement d’accord avec une gauche républicaine et souverainiste ». Or, pour ma part, je ne crois pas que puisse exister une convergence réelle entre parti de droite et formations de gauche politique dès que nous venons sur le terrain fondamental de la question sociale. Ce projet est connu. C’est celui de l’union des « républicains des deux rives ». Déjà tenté, il ne s’est jamais concrétisé en raison des antagonismes profonds réactivés par l’enjeu crucial du combat pour l’égalité sociale dont je suis l’un des continuateurs. Car Montebourg parle bien d’accords et de formation clairement identifiées et non pas d’électeurs qui seraient invité à se rendre compte que les principes d’indépendance et de souveraineté sont mieux défendus par nous que par la droite traditionnelle qui les a déjà foulés aux pieds dans un passé récent. Il en fait une méthode générale et je n’y crois pas du tout. Je crie même « alerte » quand je l’entends dire : « On ne fera pas la réforme du capitalisme sans le patronat. On ne fera pas la reconstruction écologique de l’industrie et de l’agriculture sans la FNSEA et le MEDEF. »
La restauration de la souveraineté du peuple français est impérative car elle est la condition de la mise en œuvre de L’Avenir en commun. Mais la conquête de la souveraineté n’est pas une fin en soi. Elle est bien le moyen de servir une politique particulière. Dans cette entreprise, le Mouvement, outil de la révolution citoyenne, sert l’objectif politique. Il n ‘est pas le lieu où pourrait s’établir un compromis tiède aboutissant au final à la conservation des rapports sociaux actuels. Le Mouvement sert la révolution citoyenne en impliquant le peuple dans le processus politique conduisant à sa propre refondation. Je conclue sur ce point. Lorsque la sénatrice Laurence Rossignol se presse d’indiquer que l’adhésion à l’Engagement autorisera « la double, la triple appartenance » elle me parait dessiner les contours d’une structure propice à des rassemblements de circonstances, incohérente sur le plan idéologique, plutôt qu’un nouvel outil servant un projet clair et les intérêts du peuple.
Quoiqu’il en soit dans l’immédiat ce qui reste comme impression dans le public qui suit tout ça c’est que sur des points essentiels on « dit pareil ». La similitude des vocabulaires nous sert comme je viens de l’expliquer. À sa manière, y compris quand il valide Xavier Bertrand, Montebourg nous aide aussi parce qu’il le renforce au détriment du bloc macroniste dans lequel il ouvre une voie d’eau. Tout ce qui poupe Macron de ses picorées à droite est le moyen le plus sur de l’affaiblir et d’avoir une bonne chance de redéfinir ainsi le second tour.
J’ai lancé ma troisième proposition de candidature il y a tout juste deux mois. J’avais promis un bilan rapide de cette entrée dans l’eau. Je la juge très réussie alors qu’elle comportait sa part de risque, dans le contexte du reconfinement partiel et de la venue des vacances de Noël. D’ailleurs les sarcasmes n’ont pas manqué. « Ce n’est pas le bon moment » ont aussitôt répété en boucle les rageux et les jaloux. Bon ou mauvais moment ? La réponse est dans les faits c’est-à-dire dans les résultats acquis. Ils sont de deux nature. D’abord ce qui est quantifiable. Je commence par les chiffres pour permettre à ceux qui s’intéressent aux campagnes politiques de se faire une idée aussi concrète que possible. Puis bien sûr il faut venir sur ce qui est évaluable.
Donc d’abord un paysage de chiffres. Le départ fut bon. Le 20H de TF1 au cours duquel j’ai fait mon annonce de proposition de candidature avait rassemblé une audience de plus de 8 250 000 spectateurs. Le direct sur les réseaux sociaux ensuite (YouTube, Facebook, Twitter, Instagram, Twitch, Tiktok) a réuni 20 000 visionnages en direct. Il compte 800 000 vues aujourd’hui. Puis dans les jours qui suivirent une interview dans le Huffington post et deux passages télé se diffusèrent largement. L’émission « Face à BFM » réunit une audience de 400 000 personnes en continu et 4,7 millions de personnes en cumulé des rediffusions, ce qui est le record de l’émission. La vidéo YouTube de cette émission a, de son côté, été vue près de 800 000 fois. Le même tandem médiatique doublon la semaine suivante entre le journal « 20 minutes » et l’émission de France 3 « Dimanche en politique » et son audience d’un million de personnes élargit l’impact.
Nous pouvons donc dire que le moment de lancement a été assez largement capté. Le résultat de la collecte de parrainage l’a confirmé. J’avais conditionné ma décision de candidature au rassemblement de 150 000 parrainages. Les rageux se déchainèrent. Mais ils se contredirent. Les uns déclaraient que c’était trop peu, les autres que je devrais tricher pour y arriver. On a d’ailleurs vu un journaliste de Marianne essayer d’inscrire de fausses signatures pour prouver la fraude. Il n’y a pas eu besoin de cela même après qu’on ait supprimé les fausses signatures de journalistes. Le nombre visé de parrainage a tranquillement été réalisées en quelques jours. L’équipe fonctionnelle avait prévu qu’il faudrait deux mois en se référant à nos précédentes campagnes. Et encore avait-on compté court. Car en 2016 on avait mis 5 mois pour atteindre ce chiffre. Certes, un blocage de compteur et d’enregistrements a eu lieu. Mais il n’aura pas trop perturbé la visibilité du mouvement général. Autre indicateur non négligeable : les dons ! Car dans le même temps plus de six cent mille euros de dons ont été collectés. Ce qui est un record pour nous dans un délai aussi court…
Lancée « à froid » l’entrée en campagne a donc reçu un bon accueil et suivi une bonne cadence de réalisations alors que le COVID et les frasques de Trump saturaient l’actualité. Elle s’est maintenue aussi tranquillement que la séquence politique elle-même. Bien sûr elle a été interrompue du 17 décembre au 6 janvier dans l’hexagone puisque je me trouvais à La Réunion du 18 au 26 décembre. Ce fut d’ailleurs un « moment de terrain » bien réussi puisque l’île n’était pas confinée. Images et média audiovisuels locaux en ont donné de bons comptes-rendus. Avec, pour moi, le moment d’émotion complète à la cérémonie de Saint Paul à la mémoire de l’abolition de l’esclavage, aux côtés d’Huguette Bello, maire de la ville, faisant un discours poignant.
Le déploiement des outils de campagne s’est mené au rythme prévu. Sans anicroche. Le reste suivra d’ici au mois d’avril mois après mois. Pendant ce temps, la remise en mouvement des deux mille groupes d’action insoumis « certifiés » s’est organisée par grappe de contacts et les taux d’ouverture des mails dans le fichier général, un record dans le genre, ont confirmé la tendance. Cette première séquence avant mon départ pour La Réunion culmina en quelque sorte avec le meeting en « réalité augmentée » suivi par 25 000 personnes présentes en permanence et plus de 200 000 personnes passées un temps sur le direct. Au final, à cette heure, la vidéo a été vue 680 000 fois. L’expérience technique a donc été validée, même s’il reste beaucoup à faire pour maîtriser complétement les possibilités de l’outil. Au total, politiquement je parle d’un « carton plein » compte tenu des risques que la date de lancement comportait en effet. Les réseaux sociaux, baromètres de vitalité dans notre champ d’influence ont suivi. Sur Facebook ce sont 7 vidéos qui ont fait plus de cinq cent mille vues dans la période dont l’une à 1,2 million et une autre à 4,2 millions. Évidemment mes outils personnels ont décollés recueillant chacun plus de vingt mille abonnés supplémentaires dans la période des deux mois.
J’avais promis ce bilan chiffré. Il est donc fait sur ce blog (qui reçoit de nouveau dix mille personnes par jour). Toute cette description atteste d’une façon de mesurer le travail qui s’accomplit en politique selon des critères quantifiables. Certes, c’est moins lyrique qu’une description subjective de l’ambiance. Mais c’est aussi un aspect non négligeable de la réalité. Pourtant cela ne suffit certainement pas. L’efficacité de l’action ne résume pas une situation.
Il faut donc apprécier aussi ce qui résulte de ce qui a été fait politiquement. La première source de satisfaction est d’avoir pu faire vivre des thèmes de débats sur des contenus. Ce fut le cas aussi bien sur la question des libertés publiques et de la dérive autoritaire et violente du régime puisque mon meeting en réalité augmentée portait sur le sujet le jour même de la première marche dans la rue sur le thème, contre la loi sécurité globale. Puis ce fut la question de la Conscription qui a donné lieu pour la première fois à un débat sur un point de notre programme. Je sais que l’impact de la de la fin de l’esclavage n’a pas rayonné dans l’Hexagone depuis La Réunion. Mais il a permis dans nos cercles une prise de conscience de ce que ce thème porte en lui.
À côté de ces résultats d’efficacité politique, il faut considérer l’environnement. D’une manière ou d’une autre, ma déclaration de candidature a modifié « l’espace-temps » politique dans notre secteur d’opinion. La gauche traditionnelle a dû elle-même accélérer ses préparatifs séparés et les rendre public. Ce qui a clos la séquence de l’hypocrite danse du ventre « pour l’unité ». Tout le monde a pu constater que chacun se préparait en fait de son côté. Un tel tableau permet de dégager l’horizon plus rapidement. Au lieu de discuter sans fin d’un sujet sans contenu : l’unité comme un projet en soi, il va falloir venir dans le débat sur les programmes pour se distinguer. C’est l’objectif.
Aussitôt Jadot a eu le bon coup d’œil comprenant comment la scène se dessine désormais pour tout ce secteur de l’opinion : EELV et PS sont en compétition pour créer et dominer une « espace entre Macron et Mélenchon ». Les deux formations ont choisi de traiter désormais la mise au point de leur programme. Dans le passé le PS rédigeait un programme puis le candidat proposait le sien qui s’en inspirait plus ou moins. Ce fut encore le cas en 2017. À EELV, le candidat porte très directement le programme fixé par les adhérents. Les deux formules ont un inconvénient. Au PS, les candidats ont intérêt a bien délimiter leurs programmes pour se distinguer personnellement. À EELV, le programme commun interne étant respecté, les candidats doivent dès lors creuser leurs différences personnelles pour se démarquer. On verra. Il sera toujours temps d’aviser à mesure pour apprécier ce que cela impacte.
L’important est que l’on entre dans une phase programmatique. Je fais le pari que de chaque côté il y a aura beaucoup de copié collé de morceaux de notre programme « L’Avenir en commun ». C’est une bonne chose car cela augmente l’impact des propositions concernées et leur imprégnation. L’autre bon côté, c’est que le débat public pourra se concentrer sur les différences donc sur des contenus concrets et non des apparences ou de la psychologie de comptoir comme c’est encore le cas à cette heure. Et c’est là que se joue la dynamique de campagne sur laquelle nous comptons : la conviction par la comparaison. Et la réalité de ce que signifie nos programmes respectifs dans le rapport à la décennie cruciale qui s’avance.
Mais il ne faudra pas se tromper de mode ni de ton. La priorité n’est pas la polémique. La première urgence est que les exposés de chacun labourent bien des champs d’idées et de vocabulaire communs. Il y a urgence. Que cela fasse prospérer des idées qui signent une résistance morale et intellectuelle large. Car nous sommes à l’heure où, de l’extrême droite à Macron, un champ extrêmement large d’idées communes menacent de submerger la société. Élargir l’audience des mots et d’idées comme l’entraide, les biens communs, la planification écologique, la sixième République et ainsi de suite est l’enjeu. Peu importe qui vole nos mots ! Le plus important est qu’ils circulent, imprègnent, changent les tours d’esprit.