La campagne présidentielle s’installe à bas bruit. Ces dernières semaines auront été pour nous l’occasion de replacer la question du programme au centre de la discussion. Nous avons édité notre première revue sur le contenu du programme au chapitre démocratie et les libertés. Puis, nous avons animé une émission en « réalité augmentée » de 3 heures entièrement occupée de débats sur des propositions concrètes. Là, c’était sur la question des institutions mais aussi de la police et de la justice. Du coup, cela a obligé d’autres candidats à sortir du bois. Tant mieux. Parler des programmes nous évitera peut-être les discussions à n’en plus finir sur l’union sans contenu et l’affrontement sur des préjugés ou des formules creuses. Je l’ai dit depuis mon lancement de campagne : je ne suis pas un candidat, je suis un programme. Et pour nous insoumis, si la dispersion est un handicap, la confusion le serait davantage encore. La clarté des positions est l’essentiel. Sinon nous ne réglerons pas le problème qui nous est posé avant tout : vaincre l’abstention. Redisons-le : la mobilisation populaire est la clef du scrutin. Elle dépend du programme.
Pour cela, encore faut-il connaître les programmes. Yannick Jadot a publié le début du sien. C’est le seul candidat à la candidature qui a le courage de s’engager sur des idées concrètes et à s’exposer d’autant. Pour l’instant, il s’agit juste de 15 mesures. Cela n’a rien à voir avec le niveau de détail et la précision de « l’Avenir en Commun », de ses quarante livrets, et les propositions de loi qui vont avec. Mais au moins peut-on discuter. J’ai donc lu les premières propositions de Yannick Jadot. Elles confirment ce que nous avons déjà pu voir de son positionnement. Il joue la carte d’une gauche compatible avec le système. Il compte sur la réactivation d’un espace social-libéral, à la manière d’un nouveau François Hollande écolo, à la faveur de la déception des électeurs socialistes et verts hier ralliés à Macron et à présent dégoûtés par l’évolution ultra droitière du Président. Le raisonnement a du sens. Cet espace existe. Car l’apologie de Pétain et de Maurras, la chasse aux musulmans et la police des idées à l’université c’est trop pour beaucoup dans ces secteurs. Bien sûr, on ne doit pas sous-estimer l’adhésion de nombre de ces gens à l’idéologie libérale.
Mais on peut aussi constater qu’une partie résiste quand même à ce qui leur paraît un prix moral trop élevé. En ce sens, la candidature Jadot sert la reconfiguration du tableau dont nous avons besoin en affaiblissant la base électorale de la macronie. Naturellement cet effet ne peut suffire à construire le résultat dont nous avons besoin pour gagner : la remobilisation positive des milieux populaires. Mais c’est à nous de nous en charger. Jadot pour grignoter les files de la macronie, nous pour remplir celle de l’action populaire. Le résultat peut suivre. Mais si les deux démarches convergent quant au résultat, pour autant elles ne peuvent pas coïncider. En effet le programme de Yannick Jadot ne permet pas la mobilisation des classes laborieuses. Au contraire. Il fonctionne comme un repoussoir.
Je ne les commenterai pas toutes ses propositions. Le moment venu, cette analyse détaillée existera. Elle se trouvera dans « Nous Sommes Pour » où est logé notre « comparateur de programmes ». Cependant, je veux m’arrêter ici sur une de ses propositions. Elle mérite qu’on alerte. Yannick Jadot propose la création d’un « revenu citoyen ». Soit. C’est à la mode. Il précise son montant : 660 euros. Que veut dire ce chiffre ? C’est 100 euros de plus que le RSA actuel. Mais c’est encore 400 euros en dessous du seuil de pauvreté. Peut-être faut-il alors compter sur le reste des allocations sociales pour faire le complément. Non. Car Yannick Jadot précise ensuite dans sa phrase comment il compte s’y prendre : « par fusion et simplification des principaux minima sociaux ». Halte-là ! Il y a danger. Dans ces conditions que propose Yannick Jadot, un revenu minimum à 660 euros qui remplacerait les minima sociaux actuels est une idée qui pourrait coûter très cher… aux pauvres ! L’allocation aux adultes handicapés, considérée comme un minima social, est aujourd’hui fixée à 902 euros. Soit 242 euros de plus que « le revenu citoyen » de Yannick Jadot. De même pour le minimum vieillesse que touchent les retraités pauvres. Il est aujourd’hui à 906 euros. Le « revenu citoyen » de Yannick Jadot est donc une régression sociale pour ceux-là.
Peut-être y a-t-il eu une alerte dans le comité de campagne du leader de EELV. Celui-ci est donc revenu sur le sujet le 14 février. Le député européen était invité de BFMTV. La situation est alors devenue encore plus confuse. Sur le plateau, il semble perdu et bafouille. Il ne parle plus que des jeunes et des étudiants à propos de ce « revenu citoyen ». Il précise alors que les jeunes pourraient bénéficier de ce « revenu citoyen » s’ils respectent une condition qu’il n’avait jamais évoquée auparavant ni sur son site. La voici : « à condition évidemment qu’ils soient indépendants fiscalement ». Mais du reste de la population auparavant visée il n’est plus question dans cette intervention. Alors, le revenu citoyen ne concerne-t-il seulement que les jeunes ? Mystère. S’agit-il d’une maladresse ? D’un choix de mots malheureux ? Je ne le crois pas.
Yannick Jadot a lui-même expliqué être « très entouré » par toutes sortes d’experts dans tout ce qu’il fait. Le 7 février sur CNEWS il a même revendiqué « une centaine d’experts » derrière la plateforme sur laquelle on peut lire cette proposition. J’en déduis ceci : Yannick Jadot s’aligne en fait sur le projet des libéraux de tous poils : la fusion des minima sociaux et leur alignement sur un tarif unique moyen. Macron y avait pensé un temps sous le nom de « revenu universel d’activité ». Chez LR, Aurélien Pradié, jeune député a récemment proposé à son parti la création d’un tel revenu à un niveau un peu plus haut que celui de Jadot : 715 euros. La rumeur veut que l’entourage de Xavier Bertrand travaillerait aussi cette proposition. Dans le passé, elle a aussi été défendue par Manuel Valls, Nathalie Kosciuszko-Morizet ou Christine Boutin. On comprend en énumérant ces noms qu’il ne s’agit pas de partager les richesses, mais plutôt de baisser le niveau de la solidarité sociale.
Yannick Jadot ne peut pas l’ignorer. En mettant en avant cette proposition, il envoie un signal à un secteur du pays. Personnellement je ne le lui reproche pas. Les sociaux libéraux ont le droit d’avoir un candidat, et même deux. Mais je dois prévenir que je ne suis pas d’accord. Ma candidature plaide en sens inverse. Mon programme propose un « revenu de dignité ». Cela signifie hisser tout le monde au moins au niveau au-dessus du seuil de pauvreté. L’Avenir en commun l’assume : son ambition est l’éradication de la grande pauvreté dans notre pays. Bien sûr, pour faire celant il faudra partager, opérer une révolution fiscale, rétablir l’ISF, pourchasser les évadés fiscaux. Et donc assumer la rupture avec ce système. Voilà pourquoi quand Yannick Jadot affaiblit Macron en séduisant les milieux qui le soutenaient avec une forme de minima sociaux moins coûteuse il ne peut espérer mobiliser nos milieux populaires. Notre rôle est de le faire sur des propositions capables de les fédérer.