Voici de nouveau les heures sylphides d’un long voyage en avion. Casque sur la tête, je m’engloutis dans la musique classique. Le temps est suspendu. Il se remplit de bulles de pensées qui se chassent l’une l’autre comme sur des vagues. L’esprit fait ses rangements. Il le fallait. L’agitation des derniers jours a été extrême. Entre les interventions à l’Assemblée nationale sur trois textes et les divers travaux d’écriture, il a fallu encore glisser un meeting. Et même trois passages media, cadence dont j’avais perdu l’habitude depuis que je me suis mis en retrait d’eux. Et puis encore, par-dessus cela, le bouclage du troisième numéro de la Revue du programme. Un exercice particulièrement laborieux du fait du nombre des thèmes à traiter et des aléas des relectures à plusieurs. Enfin, pour finir, il y a eu la relecture des épreuves d’un petit livre à paraitre le 12 mai. Un travail achevé dans le vol Paris-Madrid en direction de Quito, avant le sprint dans les couloirs et tunnels ahurissants de cet aéroport de transit.
Quelle déprimante course à la valise à roulettes, d’escalators en petit train souterrain et autres parcours forcé entre les boutiques ! J’ai failli jurer de satisfaire aux acrimonies des macronistes et des lepénistes qui se sont agglutinés sur le hublot des réseaux sociaux pour m’injurier et me demander des comptes sur mon empreinte carbone : la prochaine fois j’essaierai sans doute d’y aller à la nage pour m’éviter l’aéroport de Madrid. D’autres ont ressorti le couplet « en pleine pandémie, comment ose-t-il ? ». Comme pour ma déclaration de candidature. Comme pour tout d’ailleurs. Inutile d’essayer de leur faire comprendre ce qu’est l’internationalisme. Ni pourquoi je suis invité du gouvernement bolivien pour la journée de la Terre, ni pourquoi je m’exprimerai devant l’Assemblée nationale bolivienne, ni pourquoi les délégations nationales du Parlement andin vont me recevoir en séance plénière à propos de la liberté de licence sur les vaccins.
Les macronistes, leur presse et leurs affidés n’admettent pas qu’il y ait une autre voix de la France. Je défends la licence libre sur les vaccins, Macron vote contre à l’Organisation mondiale du commerce. Le Drian va en Inde parler commerce et vente d’armes. Je vais en Bolivie pour la journée de la Terre. Chacun ses préférences.
J’avais d’abord reçu l’invitation des Boliviens depuis leur incroyable victoire électorale. On se souvient que le candidat de notre famille politique avait battu dès le premier tour tous les candidats des USA et ceux des putschistes. Ces derniers avaient pourtant persécuté avec cruauté les militants, procédé à des pogroms d’Indiens et combien d’horreurs encore, sous la houlette d’une putschiste qui avait exhibé une bible comme drapeau. On imagine ce qui se serait passé si cela avait été un Coran ! Mais toutes les bonnes consciences étaient aux abonnés absents. Le choix fut fait par nos amis boliviens de ne pas riposter sur le terrain des violences. Ils allèrent aux urnes dès que cela fut possible. Ce fut là une extraordinaire leçon de sang-froid politique. Et un enseignement précieux sur le maniement de la non-violence comme stratégie. Cela dans le pays où le Che est mort dans l’échec de la stratégie de la guerre de guérilla révolutionnaire.
Le jour de l’investiture du nouveau président, j’étais cloué à l’Assemblée. On décida d’y mandater la vice-présidente de notre groupe parlementaire, Mathilde Panot, pour afficher notre respect et notre soutien complet. Mathilde y fut reçue en grand. Mais sa surprise glacée fut de constater qu’aucun parti de la gauche traditionnelle française n’avait fait le déplacement ! Comme il est loin le temps du discours de Cancún du président Mitterrand ! Je n’en dis pas plus. L’invitation actuelle de la présidence bolivienne est pour la journée de la Terre. Le 22 avril. J’y reviendrai dans mon prochain post.
Pour l’heure je suis en Équateur. L’invitation m’a été faite par la Gouverneure de la Province de Pichincha, région capitale. Cette femme jeune gouverne avec un bracelet de surveillance électronique à la cheville. Tel est son sort depuis sa condamnation sous un de ces prétextes dont sont devenus si friands les libéraux autoritaires. Cette humiliation ne déshonore que ses persécuteurs. J’ai établi le contact avec elle de longue main dans le cadre de notre forum mondial contre le « lawfare ». Il regroupe les militants et les juristes qui se battent contre l’instrumentalisation politique de la justice dans divers pays du monde.
Car en Équateur aussi les persécutions judiciaires ont été à bon train contre les nôtres. Comme d’habitude, tous les pouvoirs trouvent toujours des magistrats pour habiller de verbeux motifs juridiques les plus absurdes accusations. On a vu comment au Brésil le juge Moro avait fait écrouer l’ex-président Lula pour l’empêcher d’être candidat à la présidentielle. Aucune preuve matérielle de quoi que ce soit. Seulement des « intuitions ». Et on se souvient que le parquet français avait envoyé le juge Perrault, celui qui a effectué la perquisition à mon domicile, en mission « d’échange de bonnes pratiques » auprès de ce juge brésilien voyou. On ne saura jamais quelles « bonnes pratiques » il aura recommandé a son retour. Depuis, les juges brésiliens ont refusé de continuer à faire la sale besogne. L’image donnée au plan l’international de la justice brésilienne par de tels procédés leur faisait honte. Lula a été relevé de toutes les accusations et le juge Moro désavoué. Peut-être sera-t-il à son tour jugé un jour pour sa forfaiture.
Mais avant que de tels retournements se produisent combien faut-il de patience et d’endurance. Nos camarades équatoriens n’en ont pas manqué. Car ils ont pris cher. 18 chefs d’inculpation ont été lancés contre Rafael Correa, l’ancien président, pour lui interdire de se présenter à cette élection présidentielle. Nombre de nos amis ont dû s’exiler en vitesse au Mexique. Des dizaines d’autres font l’objet de procédures coûteuses et obsédantes. Certains vivent sous la menace d’amendes colossales. Parfois la cruauté de la méthode est encore plus extravagante. Elle consiste a décréter que tel ou tel décideur n’a pas respecté telle ou telle mesure administrative. Il lui est alors demandé de rembourser les sommes engagées par l’État sous sa signature. Un exemple hallucinant dans ce domaine est la demande à 4 décideurs de rembourser les 5 milliards qu’est réputé avoir coûté l’accueil de Assange dans l’ambassade d’Équateur en Angleterre ! J’ai rencontré plusieurs des victimes de ces méthodes. Mais ma pensée se tourne surtout vers Rafael Correa. Contraint à l’exil, vivant chichement, écrasé de procédures iniques, il tient bon et il aura mené le combat sans faiblir depuis la Belgique.
Toutes les victimes de justice politique sur place sont aussi à la fois rudement éprouvées et absolument déterminées. D’autres ont été mises en prison sous les prétextes les plus vils. Puis les nôtres se virent refuser de pouvoir être candidats à l’élection. Si bien qu’il fallut qu’ils adhèrent à un parti du « centre démocratique » existant pour pouvoir continuer le combat. L’élection avait lieu ce mois-ci. Mais la candidature d’Andres Arrauz n’a été validée que le 25 décembre dernier. Je passe ici les incroyables aventures et rebondissements qu’il fallut surmonter pour parvenir jusqu’au point où nous voici.
Au fil du temps, j’ai ainsi beaucoup appris de mes amis équatoriens. Et aussi du sang froid d’Andres Arauz, impressionnant de détermination dans les moments les plus tendus. Son jeune âge, trente-cinq ans ne le rend que plus admirable alors qu’il affrontait autant d’imprévus de menaces et de pièges sournois ou violents. La préparation du second tour fut également une suite ininterrompue de rebondissements et de traquenards. Jusqu’au jour du vote où les « mauvaises rumeurs » ont continué ainsi qu’une campagne téléphonique incroyable orchestrée depuis les Philippines. La totalité des médias nationaux papier ou audiovisuels s’est prononcé contre lui. Les 5 autres candidats du premier tour ont pris parti pour le candidat de droite. Le Vert, lui, appela carrément à voter nul. Cette décision a fait la différence. La droite est passée. C’est donc un exploit que de finir à 48 %, seuls contre tous. Bien sûr j’y reviendrai. Mais peut-être dois-je attendre d’être sorti du territoire équatorien.
Ce matin mardi, surlendemain de défaite 25 perquisitions ont eu lieu, sur l’ordre de la responsable du parquet national. Le malaise ne se dissipe pas facilement. Andrés Arauz a reconnu son échec. Il a appelé comme l’ancien Président Rafael Correa à la fin des persécutions judiciaires contre les opposants. À l’heure à laquelle j’écris, la possibilité d’un compromis et d’un retour à la normale sur ce point semble encore possible avec le nouveau président. Mais il n’entre pas en fonction avant mai prochain.
Dans l’avion, je me suis repassé plusieurs fois en mémoire le film du meeting sur l’eau en clôture de cette première séquence « planification écologique » de la campagne. À l’heure où j’écris ces lignes s’achève la votation citoyenne organisée sous la houlette de 12 associations, partis et mouvements coordonnés par Mathilde Panot. À la clôture on approchait les 300 000 votants (à peine moins).
C’est un couronnement pour le travail de milliers de militants qui depuis des années rament pour faire vivre le thème et l‘imposer dans le débat public. Eux les premiers ont compris l’enjeu. Parmi mes proches, c’est évidemment Gabriel Amard qui a été le précurseur inépuisable. Il a créé, le premier d’entre nous, une régie publique de l’eau, du temps où il était président d’une agglo en Essonne. Puis il a parcouru le pays sans relâche avec ses compagnons associatifs pour former et informer de nouveaux agitateurs de terrain. Et c’est René Revol et sa régie publique de l’eau à Montpelier. Et Loïc Prudhomme et ses missions d’information à l’Assemblée nationale. Et Bastien Lachaud, rapporteur de la proposition de loi insoumise pour l’inscription du droit à l’eau dans la Constitution. Et encore ces jours c’est Mathilde Panot et sa Commission d’enquête parlementaire sur les interventions du secteur privé dans la gestion de l’eau. La votation aura permis la mise au point d’une assez prodigieuse machine à voter avec la liste électorale officielle. Nos petit(e)s Mozart de l’atelier numérique ont battu des records.
Au total, nous bouclons une séquence longue d’identification à une cause écologique qui touche à tous les domaines. L’eau est devenue notre totem. C’est un énorme travail de formation et d’information. Le pari est que nous réussissions à en faire un sujet du débat politique global en France. Et que ce soit le point de départ d’une nouvelle façon de penser la gestion des territoires et l’organisation des gens qui y vivent. Une première forme politico administrative concrète de « l’Harmonie des humains entre eux et avec la nature ».
Ce meeting en réalité augmenté a été un travail prodigieux des techniciens et graphistes de notre prestataire. Et nos équipes techniques et militantes aussi se sont jetées à fond. En amont, avec de la collecte d’images, en aval, le soir même en présence et animation sur les réseaux sociaux. Tous ceux qui ont suivi cet évènement ont eu conscience de la performance, si j’en juge par les commentaires reçus de tous côtés. C’est une première, une fois de plus. Le mixage des techniques du cinéma et du jeu vidéo, du virtuel et du réel n’avait jamais été fait pour un discours politique. C’est Coline Maigre qui avait eu l’idée de travailler à partir de ce type d’univers virtuel global. On a tâtonné, à deux reprises dans les derniers mois, non sans brio déjà. Et cette fois-ci a été la bonne.
Ce soir-là, mon travail personnel consistait à avoir préparé avec l’équipe « discours » le contenu de ce qu’il faudrait dire. Et à en synchroniser le prononcé avec le déroulé des images. Ce n’est pas simple, je vous prie de le croire. Le débouché du travail de tous les autres est à ce moment-là sur vos épaules. La tension physique et psychologique est donc forte au moment où on entre en scène. Elle l’est restée tout au long des minutes que j’ai vues s’égrener sur l’écran de contrôle. J’y voyais aussi les vingt visages de participants sélectionnés pour être là. Ils ont été choisis sur un critère simple : que je ne les connaisse pas. De cette façon je suis dans le rapport à un public dont je dois « accrocher » l’attention. Et ça change tout dans la façon de parler.
En amont il y a la discussion sur les tableaux (les ponts, la forêt, la mer), et donc sur les thèmes à développer. Il y a, bien sûr, la difficulté de maitriser absolument le sujet pour ne pas trébucher dans le déroulé. Mais il y a surtout aussi le choix à faire de ce qui ne sera pas évoqué ou pas mis en scène. Et ce n’est pas le plus facile entre des gens passionnés par ce sujet. Et comme c’est aussi une première pour moi un discours sur ce thème, cela entraine toutes sortes de problèmes à dominer au moment de dire les choses, chapitre après chapitre. Vous le deviniez, je suppose.
En tous cas ce fut un succès de participation. Dix mille personnes en permanence et plus de cent mille en passage plus ou moins long. On est dans les hautes jauges de campagne. Je pense que beaucoup étaient là non seulement pour découvrir le sujet, mais aussi pour participer à la démonstration de force dont nous savons qu’elle est notre signature collective entrainante. Et « ça le fait » bien sûr. Après l’évènement : casse-croûte collectif avec ceux des équipes qui sont restés sur place pour finir le boulot et les rangements. En dépit de l’organisation bizarre à cause des gestes barrières et des normes de sécurité sanitaires, impossible de rater ça. Pourtant ma valise n’est pas encore faite pour le lendemain 9 heures et le départ pour l’Équateur. Là-bas, l’équipe partie jeudi dernier, Sophia Chikirou et Christian Rodriguez a commencé le travail « journalistico-militant » pour le site internet « Le Monde en Commun ». Au milieu du reste, je suis ce qu’ils font. Et bien-sûr, ils font le lien avec les observateurs de notre mouvement, venus sur place, dont l’eurodéputée insoumise Leïla Chaibi. Et ils font aussi les repérages pour mes rendez-vous avec ceux dont on espérait qu’ils soient vainqueurs le dimanche.
Ainsi, du plus près au plus loin, c’est un univers de militants. Celui d’une grande organisation que nous avons construite à la force de l’énergie et de la volonté, présente sur tous ses fronts car, dans cette journée, il y avait aussi les sorties de campagne régionales les meetings de lutte. Je lâchais la pression, comme les autres, en bavardant et en lisant les messages de commentaires du meeting sur mon téléphone. Là-dessus arrive, imprévue, la publication du sondage du JDD. J’y apprends que 56 % des électeurs du PS ne choisiraient pas entre moi et Le Pen dans un deuxième tour de présidentielle. Douche froide. Je ne peux pas y croire. Mais j’ai peut-être tort. J’aimerais en avoir le cœur net.
Notre meeting sur l’eau ne pouvait tomber plus juste à propos des appétits financiers sur le traitement et la distribution de l’eau. Ce matin, après 8 mois d’intrigues, c’est la fin de partie. Veolia va donc racheter Suez. Ces guerres d’actionnaires sont d’autant plus indécentes dans la période. En effet, nous faisons face à une véritable crise de l’eau en France. Les conséquences du changement climatique font de l’accès à l’eau le défi numéro 1 de l’humanité. La situation catastrophique des outremers nous donne un aperçu du pire. Ainsi, la question de l’eau rend le problème écologique concret. Elle démontre l’incompatibilité de la course au profit et de la sauvegarde des ressources naturelles au profit du plus grand nombre. Les coupables savent que leur cause n’est pas populaire. Donc Veolia avait prévu un bon service après-vente. Pour elle, l’absorption de Suez a pour objectif de constituer un « champion mondial de la transformation écologique ». Pourtant une enquête de Mediapart affirme que toute l’opération a été orchestrée depuis l’Élysée. Merci qui ? Immédiatement, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire s’est réjoui d’un « accord à l’amiable ». On se croirait dans un conte de fées. Il n’en est rien. Les actionnaires ont été dans leur rôle et on ne pouvait rien en attendre d’autre : faire de l’argent. Ils n’ont trahi personne, le capital n’a ni patrie ni solidarité. La cupidité est un sentiment exclusif de tous les autres.
Pour bien suivre ce nouvel épisode de la vente de la France à la découpe il faut avant tout se souvenir que les heureux acquéreurs de Suez sont les proches amis de Macron. Le PDG de Véolia, Antoine Frérot, et le PDG d’un des fonds censés investir dans le nouveau Suez, Thierry Déau, ont tous deux soutenu et financé la campagne présidentielle de Macron en 2017. Pour ne dire que cela, car il est extrêmement dangereux de les affronter. Comment oublier le recours aux mercenaires de l’agence nommée Vae Solis (« malheur à qui va seul ») pour dénigrer secrètement notre camarade Gabriel Amard. Il avait commis le crime de créer une régie publique de l’eau pour l’agglomération des « lacs de l’Essonne ».
Récapitulons. En octobre dernier, Veolia a d’abord racheté les parts de Suez détenues par Engie. L’État actionnaire d’Engie a laissé faire. Pire, il aurait manœuvré en coulisses pour obtenir le feu vert du conseil d’administration d’Engie. Une fois le véto de l’État esquivé, Veolia avait le champ libre. Aujourd’hui, elle sort le carnet de chèque pour acheter le reste à la découpe. Certes, le rachat de Suez par Veolia n’est pas total. Mais le déséquilibre final n’échappe à personne : environ 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires contre 37 milliards de chiffre d’affaires pour Veolia. Le périmètre du nouveau Suez est réduit de moitié. On comprend comment Veolia est la seule à tirer son épingle du jeu dans cette affaire.
Les syndicats ont raison de parler de sentiment de trahison. Mais cela doit être pris par là où les choses se passent. La trahison c’est celle du pouvoir macroniste contre les Français. De fortes suspicions pèsent sur Macron et son entourage dans cette affaire. D’autant que ce n’est pas la première. En effet, en tant que ministre de l’Économie de Hollande, il a organisé la fusion d’Alstom avec General Electric. On connait le désastre : 3 000 emplois supprimés en 5 ans. Il a aussi organisé la vente de Technip à l’américain FMC, validé la fusion de Lafarge puis la vente d’Alcatel à Nokia.
La multinationale Veolia est déjà numéro 1 mondial dans le domaine de l’eau et des opérateurs privés de transport public. Elle est aussi le numéro 2 mondial dans le domaine des déchets. Suez arrive juste derrière. Il n’y avait donc aucune nécessité à leur fusion du point de vue de l’intérêt général. L’intérêt est ailleurs. En effet, l’objectif premier de Veolia n’est pas de faire fonctionner les réseaux vitaux de la distribution d’eau. Son souci est d’offrir une rente toujours plus importante à ses actionnaires. Elle a un rang à tenir : elle leur a versé dernièrement plus de 270 millions d’euros de dividendes. Pour y parvenir, elle s’apprête à signer un chèque de 13 milliards afin d’affaiblir son concurrent Suez. Nul doute que cette situation financière a été facilitée par le dispositif de chômage partiel payé sur fonds publics. Résumons la manœuvre : beaucoup d’argent pour les actionnaires, dans le dos des syndicats et des salariés, et sur le dos des usagers.
Je le redis, les Français n’ont aucun intérêt à la constitution de ce monopole privé géant. Il faut comprendre qu’ici cette activité ne leur apporte aucun service qu’ils ne puissent se procurer autrement. L’essentiel c’est le réseau de distribution. Les canalisations jusqu’à votre robinet. Et celui-là constitue un monopole de fait. C’est la seule obsession de l’accumulation permanente qui pousse le capitalisme à jeter son dévolu sur les monopoles de fait que sont les canalisations d’eau ou le système électrique. En s’accaparant la gestion de ces réseaux essentiels, les actionnaires s’assurent une rente sur la durée. En effet, trois jours sans eau et on meurt. Sans électricité presque rien n’est possible.
Les conséquences désastreuses de la cupidité capitaliste se mesurent déjà au quotidien. Et elles sont nombreuses : épuisement et pollution de la ressource en eau, affaiblissement industriel, suppression d’emplois, augmentation du prix de l’eau et de la collecte des ordures, coupures d’eau au quotidien. Résultat : deux millions de Français ont des difficultés à payer leurs factures tandis que le prix de l’eau a augmenté de 10% en 10 ans. Surtout, les réseaux sont pourris : 1 litre sur 5 se perd en fuites. C’est la moitié dans les outremers. Au rythme actuel, il faudrait 150 ans pour les réparer.
En réalité, il faut faire tout l’inverse. L’eau doit être considérée comme un bien commun. Nous les insoumis avons fait de cette bataille un symbole de notre aspiration générale. Je parle de l’idée d’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. C’est dans cet esprit que nous avons conduit à terme la votation citoyenne, chapeautée par Mathilde Panot et 12 organisations politiques associatives et syndicales, pour l’inscription du droit à l’eau dans la Constitution. Le message est clair : l’eau est à nous, pas aux multinationales.
Nous souhaitons sa collectivisation. Ce mot doit sans doute provoquer des plaques d’urticaire géantes aux mêmes individus choqués par le terme « planification ». Mais cela ira mieux en expliquant l’idée. Concrètement, cela implique de planifier sa gestion par les collectivités locales à l’échelle des bassins-versants. Ensuite, il s’agit de faire venir dans le système collectif les employés du privé. En effet, nous avons besoin de leurs qualifications pour faire la bifurcation écologique.
La tâche est d’ampleur. Les décennies de mainmise des intérêts privés sur l’eau ont conduit à un gâchis monumental. Le préambule de la Constitution de 1946 avait eu la bonne intuition : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Le moment venu, nous saurons remettre de l’ordre.
Les trompettes de la Renommée sont entonnées. Sans union, « la gauche » serait éliminée d’entrée de jeu comme alternative au macronisme ou à Le Pen. Comme tout le monde sait qu’il n’y aura pas d’union, tous ceux qui rabâchent cette ritournelle sont autant d’agents actifs de la démoralisation collective et de l’élimination annoncée. Certains de bonne foi. D’autres en pure détestation de Pierre, Paul ou Jacqueline leurs rivaux dans ce mauvais bac à sable. Comment croire un instant à la sincérité de bien des choristes de l’Union ? Car combien se préparent en même temps à déposer une candidature et n’annoncent pas du tout leur intention d’y renoncer ? Ce fait est connu depuis des mois. Il m’a convaincu de surmonter les questions que je me posais et proposer ma candidature en novembre dernier.
Pendant la belle chanson de l’union, les grandes manœuvres de la division se poursuivent. Et ce n’est même pas dans la coulisse. Ainsi dans les Hauts-de-France, les insoumis ont été les déclencheurs d’une union large. Horrifiés, les appareils de la gauche traditionnelle ont immédiatement reconstitué leur zone de confort. Ils se sont accordés pour les départementales en écartant toutes les candidatures des insoumis. EELV, PS, et PC se tiennent avec entrain par la barbichette pour cette action si typique de leur conception de l’Union.
Que cela serve de dernière leçon aux éventuels naïfs. EELV n’est pas un allié sérieux. Chaque étage est une pétaudière autonome où les intrigues les plus étranges se nouent. Il n’y a là aucun fil politique conducteur. Restent justes de dérisoires compétitions d’appétits de postes. Le PC de Fabien Roussel devient une machine à faire perdre le bloc politique marchant en tête que nous venions pourtant de construire patiemment avec les communistes depuis 2009. Seul le PS peut pavoiser. Il reçoit de ses braves amis de si longue date un brevet d’amnistie générale. Oublié le quinquennat de Hollande et les actuelles turpitudes du PS sur « l’islamo gauchisme » ! Quand Roussel et Faure s’abstiennent ensemble sur la loi séparatisme, ils valident un point de vue politique plus que discutable. Mais les communistes eux-mêmes en veulent-ils ? Ce n’est pas sur quand on voit quelle démission, et avec quels mots, cela a provoqué au PCF. Et plus encore quand on voit le groupe PC au Sénat voter contre cette même loi séparatisme. Nous prenons acte de tout cela avec tristesse.
L’opération Jadot nous intéresse. Pas comme d’aucuns le croient. Nous ne croyons pas un moment possible ni même attractive une candidature commune qui fermerait les yeux sur les questions essentielles pour lesquels les choix de EELV et PS ont conduit aux désastres électoraux bien connus de la « gauche » dans la période récente. Nous irons cependant à sa réunion. Ce sera avec un but bien précis. Nous irons pour y plaider la conclusion d’un pacte de non-agression et d’unité d’action pour la défense des libertés face à la dérive autoritaire du régime macroniste. Il est possible que nous y soyons entendus car nombreux sont ceux qui commencent à comprendre le danger de la dérive autoritaire. Nous irons aussi pour plaider un débat public sur les programmes. Nous croyons que cela permettrait à tout le monde de savoir une bonne fois à quoi s’en tenir sur ce qui est en jeu. Tout le monde en profiterait en renforçant ses convictions et en fortifiant la prise de conscience de ceux qui les suivent. Le public en général y gagnerait aussi en étant enfin informé. Enfin la politique serait de retour au lieu des sottises actuelles contre les supposées « guerres d’égo » qui seraient « la cause des divisions », ultime avatar de la dépolitisation de la politique.
Pour le reste, il s’agit de ne pas gêner sa tentative pour constituer un pôle de centre gauche (nous préférons cette façon de dire plutôt que celle naguère utilisée : « entre Macron et Mélenchon »). Nous en avons besoin pour affaiblir la macronie et comme allié de deuxième tour. Il peut y parvenir dans cet ensemble où la direction actuelle du PS se montre prête à lui confier le rôle plutôt que de le confier à Anne Hidalgo ou n’importe quel autre. De plus, son initiative pose un problème à la fois à EELV et au PS dont elle prend toutes les règles d’investiture à revers. Cela peut être un puissant accélérateur de débats politiques pour eux. Car ils ont trop souvent l’habitude de se réfugier dans la psychologie ou dans les arguties procédurales pour ne parler d’aucun contenu programmatique. Jadot dispose d’un bon appui médiatique, utile à sa notoriété. De plus, sa récente cotisation au discours atlantiste dans une tribune favorable à la conflictualité avec la Chine, la Russie et les autres compétiteurs des USA en font un client sérieux pour ce secteur que monopolisait Macron.
Évidemment cela suppose que nous restions capables de rester toujours en tête avec le pôle populaire que nous impulsions avec les insoumis et le PCF. Sur ce point, la décision de Fabien Roussel d’être candidat au nom du PCF affaiblit notre famille et facilite le travail du centre gauche PS/EELV. C’est d’ailleurs sa finalité : recréer pour les candidatures PCF les conditions d’un espace de collaboration avec le PS. Cela complique notre travail. J’admets donc qu’il s’agit d’un pari risqué de compter sur Jadot pour organiser le centre gauche. On vient de le voir en Équateur. Le candidat « Vert » n’a pas hésité à appeler à voter nul au deuxième tour contre notre candidat. Il a fait gagner la droite. Et j’ai bien noté qu’il était soutenu en France par une tribune commune dans Médiapart signée par un ample collège de signataires membre du PS et d’EELV. Tous ceux-là savent ce qu’ils font, soyons-en sûrs. Cet état d’esprit sectaire est actif aujourd’hui. Le sondage IFOP montre que 56% des électeurs du PS préféreraient s’abstenir plutôt que de voter pour moi face à Le Pen. J’ai du mal à y croire. Mais peut-être ai-je tort. Et quand je vois une figure de l’orchestre « unitaire » espérer publiquement que les « affaires judiciaires » me règlent mon sort, je vois que certains sont décidément prêts à tout.
Mais notre lutte n’a jamais été simple où que ce soit dans le monde ! Des fois, une difficulté « de plus » devient bien vite une difficulté « de moins ». Car le grand nombre observe, regarde, analyse en silence. La hargne contre moi ne m’a pas valu que des ennemis. Elle n’a rien fait gagner à ceux qui l’ont entretenue. Et l’autre aspect du tableau est que quand la coalition PCF-PS-EELV se constitue, leur candidat commun reste loin derrière moi. Et dans ce cas je progresse même en intentions de vote. Un message qu’il faut prendre en compte. Dans toute situation de transition, une chose se déconstruit et une autre se construit. Il faut savoir tirer de chacune de ces phases.