Des salariés de la fonderie MBF de Saint-Claude dans le Jura ont bloqué un site de Renault. Je suis solidaire de leur résistance à la liquidation de leurs emplois. Comme beaucoup d’autres actuellement, la fonderie MBF Aluminium de Saint-Claude était en péril. Placée en redressement judiciaire depuis novembre 2020, elle vient d’être liquidée par décision du tribunal de commerce. Les 284 salariés vivaient au rythme de la peur depuis le mois d’avril. Saluons leur détermination. Mesurons le parcours du combattant qu’impliquent les procédures. Il y a déjà eu 6 audiences au tribunal. Ces montagnes russes émotionnelles d’espoir et de crainte sont dévastatrices pour ceux qui les ont subies.
Le quotidien local « Le Progrès » avait révélé une drôle d’affaire à ce sujet. Il évoquait une somme de dix millions d’euros, piochée par le circuit financier interne avec la maison-mère anglaise dans la caisse de l’entreprise. Trois jours après la décision de liquidation, le parquet du Jura décidait d’ouvrir une enquête pour abus de bien sociaux dans le cadre de cette liquidation judiciaire ! Que vaut alors cette décision de liquidation ? Les salariés la refusent tout simplement, la décision de liquidation. D’ou l’action de blocage d’une filiale de Renault dans l’Eure. « Avec ce blocage, nous voulons faire pression sur Renault pour qu’il continue d’assurer un volume de commandes à l’entreprise MBF » déclare le syndicat CGT. En effet, les salariés font une offre de reprise. « Nous voulons pouvoir reprendre l’entreprise sous forme de société coopérative de production. Pour reprendre, on a besoin de clients, tels que Renault et PSA. Ils doivent s’engager sur des volumes de commandes. »
Si les salariés proposent de reprendre leur usine, c’est qu’ils ne sont pas dupes du discours officiel. Ils connaissent leur métier. Ils savent que les fonderies sont à la racine de la production dans des séries stratégiques. De fait, ils ont aussi un regard très précis du tableau économique et des causes du chaos. Le cas de MBF Aluminium est très parlant sur ce sujet. Car ses principaux clients sont PSA (devenu Stellantis) et Renault. À eux deux, ils représentaient 95% du chiffre d’affaires de la fonderie de Saint-Claude. Or, les salariés pointent à raison la responsabilité de ces deux groupes dans la fonte du carnet de commande de la fonderie. Pour se justifier, le groupe Renault invoque la pénurie actuelle de semi-conducteurs. Comme la production se serait bloquée du fait de l’épidémie de Covid, on a moins produit de voitures qui en dépendent. Donc il y aurait moins besoin de pièces. Résumons ce qu’il faut en penser : ce n’est pas convaincant. En tout état de cause Renault disait déjà vouloir se désengager totalement de l’usine à partir de 2023. De son côté, PSA n’a plus commandé de nouvelles pièces en production depuis 3 ans. La Covid n’a rien à voir avec tout ça !
Ce comportement des constructeurs automobiles est un dénominateur commun de la situation actuelle de nombreuses fonderies du pays. Je pense d’abord à GM&S à La Souterraine en Creuse. La moitié des salariés ont été licenciés en 2017. Renault et PSA s’étaient ensuite engagés sur des commandes pour aider l’usine à repartir. Mais en 2018, ils avaient commandé pour seulement 10 millions d’euros sur les 22 millions promis. Depuis, le chaos s’est propagé. Renault a annoncé mettre en vente la Fonderie de Bretagne et ses 350 salariés en mars 2021. Les Fonderies du Poitou (570 salariés) et Alvance Aluminium Wheels dans l’Indre sont également en grande difficulté car Renault préfère passer commande en Espagne. On sait où cela mène. La fonderie FVM (Meurthe-et-Moselle) et ses 127 salariés à déjà mis la clé sous la porte. Renault en a été longtemps client unique.
Après quoi il faut encore supporter les discours mensongers du gouvernement sur la souveraineté industrielle du pays. En réalité, il subventionne le dépeçage de tout le secteur. En effet, rien n’a été mis en œuvre pour contraindre les constructeurs automobiles à honorer leurs engagements et à investir. Dans le même temps, des milliards de subventions leurs ont été octroyés. Il y a déjà eu un plan de sauvegarde de l’automobile à destination de Renault et PSA de 6 milliards d’euros en 2009. En 2014, 1 milliard d’euros ont été investis par le biais d’une augmentation du capital de l’État dans le groupe PSA. Dans le cadre du plan de relance de mai 2020, 8 milliards d’euros ont été octroyés la filière automobile, dont 5 milliards pour Renault.
Pour quel résultat ? En 2004, la moitié des voitures individuelles Renault étaient produites en France. C’est seulement une sur sept aujourd’hui. Outre l’automobile, ce laisser-faire a participé du démantèlement de toute l’industrie du pays. Ainsi, une usine a été délocalisée par semaine en moyenne sous les mandats Sarkozy, Hollande et Macron. Concrètement, cela signifie 500 000 emplois industriels détruits. Les solutions sont pourtant sur la table pour empêcher l’hécatombe. Ainsi, en mai 2020, les députés insoumis ont déposé une proposition de loi rédigée par les salariés de GM&S pour obliger les donneurs d’ordres à assurer financièrement les conséquences de leur désengagement chez leurs sous-traitants. Elle n’a jamais été mise à l’ordre du jour par LREM. Et toutes nos demandes de contreparties aux aides versées aux entreprises sont elles aussi restées lettre morte.
La France est déjà un pays qui ne sait pas faire de masque en tissu, ni de médicament, ni mettre des professions de foi dans des enveloppes et les distribuer, ni produire d’appareil photo. Saurons-nous encore faire du pain bientôt ? À présent on va perdre le savoir-faire pour fabriquer des pièces d’un bloc. Il s’agit d’une invention faites à l’âge du bronze il y a 4000 ans avant l’ère commune. Pitoyable ! Comment pourrons nous tenir nos objectifs pour la bifurcation écologique de la production si nous n’avons plus la maîtrise technique des moyens de production nécessaires ?
Pour nous, l’État doit jouer son rôle planificateur en fixant les grands objectifs de cette planification. C’est comme cela qu’il pourra aider à structurer les filières stratégiques. Nous avons par exemple besoin d’un plan pour le rail. Il s’agit de remettre sur des wagons les 90% du trafic de marchandises qui passe par la route. J’ai déjà évoqué le sort de l’aciérie Ascoval et de France Rail Industry (rebaptisé Liberty Rail en 2020), principales fournisseuses de rail de la SNCF. Elles sont en vente pour la deuxième fois en moins d’un an. Évidemment, les fonderies sont aussi des composantes essentielles de ce plan.
Je veux parler ici de la branche spécialisée dans l’aluminium. Dans l’industrie, toute la chaîne se tient. En effet, deux fonderies françaises produisent l’aluminium primaire sous forme de lingots. L’une d’entre elles, située à Dunkerque est d’ailleurs la plus grande d’Europe. Au total, quatre fonderies, dont celle de Saint-Claude produisent ensuite des pièces en aluminium. À Saint-Claude, les salariés de MBF produisent des carters de moteurs, notamment hybrides, et des pièces de boîtes de vitesse. C’est un travail de force mais aussi de grande précision car elles sont usinées au micron ! L’aluminium, c’est l’avenir des voitures, mais aussi des trains, m’a-t-on dit. En effet, l’aluminium est un matériau plus léger. Il permettra donc de produire des véhicules et des wagons plus économes en énergie.
Il entre déjà dans la fabrication de la partie supérieure des trains. C’est-à-dire des parois latérales, du toit et du plancher. Mais on peut aussi le fondre et le remouler sous d’autres formes à l’infini. Ainsi, 60% de la production d’aluminium française est déjà issu du recyclage. Pour cela, il suffit de changer la forme des moules pour produire la pièce voulue. Comme me l’a soufflé un syndicaliste, les carters de moteurs pourraient se transformer en pièces d’attache entre le plancher et le siège des trains. La bifurcation écologique est à portée de main. Nous disposons des savoir-faire de milliers de salariés et d’une chaîne d’industries de pointe pour y parvenir.
L’industrie en France n’est en panne ni de besoins ni de savoir-faire. Elle est dépecée vive par des fond voyous et des intermédiaires parasitaires. Comme on le sait, ce sont les tribunaux de commerce qui décident de l’attribution ou non d’une affaire en liquidation à un candidat repreneur. Ce sont eux qui jugent de la solidité de l’entreprise mise en liquidation. Comment comprendre que celui-ci n’ait pas vu l’arnaque dans le le bilan que la presse locale a démontré et qui a motivé le parquet a engager des poursuites ?