Interview publiée dans Libération le 17 septembre 2021. Propos recueillis par Charlotte Belaïch et Rachid Laïreche.
Vous voulez faire de la sécurité alimentaire un thème majeur de votre campagne. Pourquoi ?
Le pays est en état d’insécurité alimentaire collective. La pandémie a rompu les chaînes d’approvisionnement et fait exploser les prix. Or 50 % des fruits et légumes par exemple sont importés. La souveraineté alimentaire doit redevenir un objectif national. Et puis il y a l’insécurité alimentaire des gens. Huit millions de personnes vont à l’aide alimentaire ! Parmi eux 30 % de gosses et 50 % de femmes. Un Français sur cinq se prive de repas dans la journée. Macron n’a même pas l’air de se rendre compte du problème ! Ça lui passe au-dessus de la tête.
L’insécurité alimentaire repose-t-elle aussi sur un critère de qualité ?
Oui ! La malbouffe fait des ravages. Le diabète et l’obésité sont maintenant un phénomène de masse en France. 14 % de la population obèse, soit 10 millions de Français. Depuis 2000, +46 % de diabétiques, trois millions de malades ! Ça coûte 8 milliards à la Sécu. Et la carte du diabète et de l’obésité coïncide avec celle de la pauvreté.
Le constat dressé, que proposez-vous ?
Un changement radical dans l’alimentation ! Marquons le terrain : à quoi bon un ministère de l’Agriculture ? Ce ministère correspond à une vision productiviste et mercantile. Il faut le supprimer. Ça ne dit pas pourquoi on produit, si on fait du maïs pour des vaches élevées à l’autre bout du monde ou des carottes pour la cantine à côté ! L’agriculture productiviste détruit la nature et les sols. Donc on arrête. Nous avons besoin d’un ministère de la Production alimentaire avec des objectifs quantitatifs et qualitatifs. Il faut taper fort ! Nous ferons une loi de sécurité alimentaire. Le glyphosate, stop, maintenant ! Et on interdit l’entrée en France de produits qui en contiennent. On l’a déjà fait pour les cerises qui contenaient du diméthoate [un insecticide neurotoxique, ndlr], on peut le faire sur le reste. On interdit les fermes-usines. Priorité aux cultures vivrières. L’idée, c’est de provoquer le débat. Et obliger la FNSEA à l’accepter.
Vous parliez tout à l’heure de souveraineté alimentaire. Peut-on conjuguer cette ambition avec celle de sortir du modèle productiviste ?
Oui. Faisons une réforme agraire : réservons des surfaces prises aux grandes exploitations pour y installer des jeunes agriculteurs qui feront de la production vivrière. Et gelons leurs dettes pour ceux qui passent au 100 % bio.
Et du côté des consommateurs, quelles sont vos propositions ?
Stop aux pubs pour dire qu’il faut manger des fruits et légumes sans se soucier de savoir si les gens peuvent se les payer. Je propose tout de suite cinq fruits et légumes à petits prix bloqués. Mettons aussi en place un coefficient multiplicateur pour l’alimentation. Cela veut dire un prix garanti aux paysans et qu’on ne puisse pas le multiplier au-delà d’un seuil. Ça éviterait que les grandes surfaces fassent 40% de marge sur les pâtes par exemple. Il nous faut aussi une garantie d’accès à la nourriture pour les jeunes : 100% de l’alimentation collective en cantine scolaire bio et objectif 100% végétarien. Tout ça c’est de la planification écologique à organiser. Le pays doit apprendre à manger des protéines sans la viande. Il n’y a pas d’issue pour l’humanité sans changer de régime alimentaire. Qui s’opposera à ce qu’il y ait des politiques de santé publique de prévention par l’alimentation ?
Fini le Nutella ?
Pourquoi pas ? Pourquoi continuerait-on ? Ce n’est pas bon pour les enfants, pas bon pour les forêts et les animaux qui y vivent. Pour ça on va aussi interdire la pub alimentaire pour les gamins ! Je ne suis pas le père Fouettard, je défends la santé des enfants et la nature. Ce n’est pas tout : rationnement de sucre et de sel dans l’alimentation et interdiction des additifs colorants et conservateurs, classés comme produits cancérigènes, dans la charcuterie.
On va dire que vous voulez tout interdire. C’est une bataille culturelle difficile à mener…
Nous la mènerons. Je ne connais pas un parent qui ne veut pas faire attention à ce que son enfant mange. Mais les gens ont ils le choix ? On mange mal parce que c’est moins cher. Pourquoi dire «vous voulez tout interdire» ? On veut juste sauver la santé de nos gosses. De toute façon, on ne va pas passer la campagne présidentielle à parler de sécurité et d’immigration ! Il faut mettre la vie quotidienne sur la table.
(Il lit sur la feuille devant lui.) Horreur ! Je lis que trois élèves par classe arrivent chaque jour le ventre vide à l’école, et cinq dans les écoles classées REP. Je me rappelle quand j’étais ministre de l’Enseignement professionnel, un directeur d’établissement m’avait dit ses indices pour repérer les enfants en détresse alimentaire : les filles et les garçons qui tombent dans les pommes. Ce pays a été capable de nourrir sa population. Pourquoi ce n’est plus le cas aujourd’hui ? On va changer tout ça.
Ne faut-il pas des alliés politiques pour ça ?
Les alliés il faut les trouver dans la population, c’est la logique de l’Union populaire. Mais les Verts peuvent donner un bon coup de main dans cette bataille.
Vous êtes attentif à la primaire des écologistes ?
Oui. Il y a un certain panache de leur part à faire voir l’arc de leurs positions. Au fond, ça rappelle un peu le Parti socialiste d’avant : ça allait de ma Gauche socialiste – qui était déjà pour la planification écologique et la VIe République – à l’autre bout qui était déjà macroniste. Aujourd’hui les Verts sont davantage un parti de centre gauche que de l’écologie pure. Car tous les partis sont devenus écologistes. La question n’est donc plus de savoir qui l’est mais comment ils le sont. C’est le niveau de rupture avec le système économique actuel qui fait la différence. La particularité du centre gauche actuel, c’est d’incarner les hésitations sur le sujet des catégories moyennes supérieures. Elles oscillent entre leurs aspirations simples, partagées par le pôle populaire, ou la fascination pour le modèle des consommations ostentatoires des classes dominantes. Dans les années 70, le Parti socialiste l’avait stabilisée. Il avait des mots d’ordre transversaux comme l’autogestion qui parlaient aux ouvriers comme au cadre supérieur. Aujourd’hui le centre gauche n’y parvient pas. Unir ces classes moyennes supérieures et populaires est l’objectif de notre programme et de la stratégie de l’Union populaire. Nous voulons surmonter le désastre écologique actuel par une ligne écologiste basée sur la justice sociale et l’égalité.
Mais au fond quelle est la différence entre votre écologie et celle des Verts ?
Déjà, il y a une première différence (sourire) : lors de la dernière présidentielle, nous avons fait près de 20% en mettant la planification écologique et la règle verte au cœur de la campagne. Mais je mets ça de côté. Aujourd’hui, ne tournons pas autour du pot : la racine du productivisme, c’est le capitalisme financier ! On rompt ou pas avec ses exigences ? Vous connaissez le slogan : «L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage.» Dans leurs débats, l’éventail des positions s’ordonne autour de la question : plus ou moins de rupture. La plus «rupturiste», Sandrine Rousseau, l’assume par opposition aux schémas culturels dominants. Par exemple avec l’éco-féminisme. La rupture la rapproche de nous. Mais notre prisme écologique est fondamentalement social.
La décroissance agite beaucoup les débats au sein de l’écologie politique, c’est une forme de rupture, non ?
Pour qui ? Qui va consommer moins ? Celui qui a porté l’idée, Paul Ariès, dit lui-même : c’est un mot «obus» pour faire réfléchir. Nous, nous ferons décroître certaines productions mais on en fera augmenter d’autres. Je préfère «la règle verte» : ne pas prendre à la nature plus qu’elle ne peut reconstituer.
Il y a bientôt les élections en Allemagne, où la social-démocratie se porte bien dans les sondages. Elle a aussi gagné dans les pays nordiques. Vous pensez que la social-démocratie peut faire son retour sur tout le continent ?
(Il coupe.) On rigole là ? De toute façon, ça ne sert à rien qu’elle soit de retour ou pas si c’est pour faire du social-libéralisme. Et pour l’écologie, c’est pareil. Le logiciel de la social-démocratie, c’est : on va corriger les inégalités en distribuant de manière inégalitaire les fruits de la croissance. La croissance sans fin, c’est possible écologiquement ? Et en Allemagne, encore une grande coalition droite et PS ? Toute l’Europe est en train de se réorganiser vers la droite. L’exception, elle est en France, elle est devant vous, mon programme et moi. Ça leur fait bien peur. Je me souviens du dessin de Plantu dans le Monde : «Comment ça, Mélenchon à 19% ?» Patience. Mais la question sera tranchée : qui mène l’alternative, le centre gauche ou le bloc populaire ?
A vous écouter, il y a deux candidatures au centre gauche, les écologistes et Anne Hidalgo…
Il faut qu’ils s’arrangent ou bien que l’un l’emporte sur l’autre. Et je tiens à souligner la belle entrée d’Anne Hidalgo en campagne, on était impressionnés. Le PS des années Hollande. En plus il y avait un côté amateur sympathique : elle était à contre-jour, et à la télé on ne comprenait rien. C’était frais. (Rires)
En attendant, le bloc populaire est divisé avec la candidature du communiste Fabien Roussel…
C’est mon chagrin.
Le dialogue est-il rompu ?
Ils ne sont pas demandeurs. Je leur ai écrit à deux reprises, deux très longues lettres pour leur dire qu’ils sont en train de casser le bloc populaire qu’on avait porté en tête. Je maintiens mon offre d’accord présidentielle-législatives en 2022. S’ils ne veulent pas, que voulez-vous que j’y fasse ? Evidemment, on serait mieux ensemble. Pour le moment on regarde, on attend. Mais quand la situation sera stabilisée, on fera avec.