D’énormes écarts entre deux sondages rendent perplexes nombre d’observateurs et d’électeurs. Beaucoup mettent en cause les entreprises qui les réalisent les soupçonnant de manipulation. C’est plus compliqué. Bien sûr, il est troublant de voir que les variations n’atteignent jamais le score attribué au Président de la République. Cette constance semblent même signifier que si tous sont d’accord sur ce point, alors l’affaire est entendue. Mais d’aucuns en déduisent que certains sondeurs comme IPSOS et IFOP n’auraient pas envie de mordre la main qui leur donne à manger car ce sont ces deux entreprises qui ramassent l’essentiel des contrats de sondages du gouvernement qui se chiffrent par millions d’euros. D’autres soupçonnent que les liens de parenté du directeur des études de IFOP avec le président de la République influent sur son jugement. Toutes ces critiques me semblent passer à côté du vrai problème posé.
Tout tient à la méthode de calcul et à la flemme des commentateurs qui ne lisent ni ne se soucient des notices techniques qui accompagnent ces sondages. Nuançons là encore. Souvent les notices ne sont publiées que deux ou trois jours après l’émotion des chiffres du moment. On a même constaté une fois quinze jours de retard. Sur ce point, comme nous l’avons pointé à plusieurs reprises, il est certain qu’il y a volonté de dissimulation. Mais pourquoi ?
Enquêtons. On se souvient peut-être de l’énorme plantage des sondages produits par ces mêmes « instituts » avant les régionales. Ce qui fut spécialement grave c’est qu’en faisant croire à des duels de second tour avec le RN partout, ils ont évidemment faussé les intentions de vote au premier tour. C’est-à-dire qu’ils ont provoqué un effet « vote utile » sur une base qui n’avait aucun fondement. À partir de là, un certain nombre des sondeurs sont tombés d’accord entre eux pour changer la méthode de calcul pour leurs évaluations. Un peu comme ils l’avaient fait dans le passé en supposant que les gens avaient peur de dire qu’ils voteraient FN. Donc ils réévaluaient continuellement le score brut du FN que trouvaient leurs enquêtes. À présent, cet exercice de rectification a lieu avec l’abstention. Plusieurs sondeurs la surévaluent. Pourquoi pas. Mais alors pourquoi le cacher ? Et pourquoi les commentateurs ne le disent-ils pas ? Car ce serait là une information majeure, non ? Dans les enquêtes IFOP et IPSOS par exemple le taux d’abstention pris en compte est de 50 %. Chiffre secret ? Pourquoi ? En tous cas ce qui est certain c’est que cela produit plutôt qu’une prudence une vraie manipulation du vote « utile » dans chacun des électorats, à droite, à gauche et à l’extrême droite. Nos mises en garde ne sont donc pas seulement destinées à nos propres électeurs. Il s’agit de l’ensemble des citoyens de toutes les opinions qui sont trompés. Qu’on ne dise pas que ce n’est pas vrai. Encore aujourd’hui on a vu Jean Marie Le Pen déclarer que si « Zemmour est le mieux placé, bien sûr il votera pour lui ». « Mieux placé » par qui ? Nous avons saisi la commission des sondages sur ces sujets. Elles nous a reçus. Cette procédure a donc déjà commencé avant les vacances d’été. Et nous attendons les conclusions depuis. Patience.
Mais ce n’est pas tout. Nous avons nous LFI des raisons supplémentaires d’être inquiets de cette méthode. Car elle nous frappe davantage que d’autres. Cela, les auteurs des sondages le savent aussi très bien car nous leur en avons parlé directement. Voyons nos raisons. À chaque fois, la méthode de ces sondeurs est la même : on demande aux personnes sondées d’indiquer, sur une note de 1 à 10, quelle est la certitude qu’ils aillent voter au premier tour de l’élection présidentielle. Puis on retire de l’échantillon toutes les personnes qui n’affirment par leur intention d’aller voter avec une certitude de 10/10. Les conséquences sont radicales.
Comme je l’ai dit, si seuls sont retenus les avis des personnes se disant certaines d’aller voter (10/10 sur cette échelle), alors on obtient une estimation du taux de participation incroyablement basse. Pour le sondage IFOP publié au mois de juillet, selon la notice, cette participation est estimée à 49,7%. Pour le sondage IPSOS de cette semaine, cette estimation est de 53%. Cela représente un taux de participation de 25 à 30 points inférieur au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. On comprend bien, dès lors, que l’information principale si l’on croit ces sondages devrait être le taux de participation estimée et non pas les intentions de vote qui y correspondent. Nous avons alerté toutes les rédactions. Sans aucun résultat. Elles continuent de publier sans un mot sur ce « détail » !
Le bizarre de cette affaire est que cette estimation de l’abstention ultra haute est en contradiction avec les informations des sondeurs eux-mêmes. En fouillant dans le détail les notices, nous avons fait une découverte troublante. Ainsi, dans le sondage IFOP publié en juillet, l’institut estime la participation à 49,7%. Mais dans la même enquête (la notice est consultable sur le site de la Commission des Sondages), il est indiqué que 95% des personnes interrogées indiquent qu’elles envisagent d’aller voter ! 70% d’entre elles disent d’ailleurs que « c’est tout à fait certain », 23% que « c’est pratiquement certain » et 5% « qu’il y a de grandes chances ». C’est-à-dire que même si on ne retient que les 70% des 95% qui se disent « tout à fait certains » d’aller voter, on aurait une participation estimée à 66,5%, bien au-delà des 49,7% utilisés pour le calcul des intentions de vote.
Enfin, et c’est le plus choquant, cette méthode introduit un « biais sociologique » évident et terrible. Ainsi, le calcul effectué sur le blog Médiapart de Eliot Thibault sur un précédent sondage IPSOS donne des chiffres édifiants à ce sujet. En ne retenant que les personnes certaines d’aller voter (10/10), on retient 67% des plus de 65 ans mais seulement 40% des personnes âgées de 25 à 34 ans. Par contre si l’on ajoute aussi les personnes quasi-certaines d’aller voter (8/10 et 9/10), alors on obtient 88% des plus de 65 ans et 70% des personnes âgées de 25 à 34 ans. Donc la méthode IFOP IPSOS élimine massivement les intentions de vote des jeunes. Et ce n’est pas tout. Cette méthode tape dur dans nos rangs. Pour IFOP et IPSOS 57% des « électeurs de Jean-Luc Mélenchon en 2017 » seulement se disent certains d’aller voter. Bizarrement ils sont 66% pour les électeurs de 2017 de Benoît Hamon. Par contre, si on retient également les « presque certains d’aller voter » (8/10 et 9/10), alors le chiffre monte à 85% chez les électeurs de Mélenchon et à 83% chez les électeurs de Benoît Hamon. Conclusion : avec cette méthode, on confie donc aux classes supérieures et aux personnes âgées le choix des candidats qui feront des bons sondages. On retrouve là un parfum de vote de classe. Ce n’est plus alors un sondage mais la mise en chiffre de la société dont rêvent les commanditaires. Sans doute est-ce pourquoi le résultat les faits rêver… à 100%
Pour finir notons comment cette méthode réduit de manière très importante et même grotesque la taille des échantillons. Ainsi, en ne retenant qu’une personne sur deux sur un échantillon de 925 personnes (celui de l’institut IPSOS du 3 septembre), on ne retient que 490 personnes pour calculer les intentions de vote !!!!! Qui le dit ? À cette bouffonnerie il faut encore en ajouter une autre. En effet il faut retirer de cet échantillon les personnes se disant certaines d’aller voter mais n’exprimant pas d’intention de vote (entre 11 et 16% selon les hypothèses). On se retrouve donc à publier un sondage pour l’élection présidentielle en France calculé sur un échantillon d’environ 430 personnes !!!! On peut rire, ça soulage ! Sur un tel échantillon, les marges d’erreur sont de quasiment 3 points pour un candidat dont le score est estimé à 10%. Bien sûr cela n’est pas précisé.
Bien évidemment, il existe de nombreux autres axes de critique des sondages. Les fondements mathématiques des enquêtes d’opinion, les échantillons utilisés, les méthodes de redressement opaques sont autant de biais dans le calcul des intentions de vote. Mais cette nouvelle méthode introduit une manipulation évidente qui ne peut être acceptée. Elle a une influence considérable sur les intentions de vote affichées. À l’heure où vont se cristalliser les différentes propositions politiques en présence, son impact falsificateur peut être énorme sur le déroulement de la campagne électorale à venir. C’est la raison pour laquelle nous avons déjà saisi la Commission des Sondages. Nous l’avons rencontrée et nous ne lui demandons qu’une chose : l’obligation pour les sondeurs et ceux qui les publient de faire connaître le taux d’abstention qu’ils prévoient en même temps qu’ils annoncent leurs prévision pour les candidats.