Vraiment, quel festival de bêtises anti-laïques ces temps-ci ! Le comique à présent vient du moment. Voir Castex en Premier ministre tout miel tout sucre dans les bras du pape après s’être acharné à frapper les musulmans d’indignité laïque avec la loi contre le prétendu séparatisme, quelle mauvaise blague ! Les macronistes achèvent ainsi eux-mêmes le cycle ridicule qui a suivi leur insupportable loi.
Ils avaient été copieusement servis avant cela par leurs alliés les plus virulents : les réactionnaires parmi les catholiques et les juifs. Car à peine avaient-ils fini de dénoncer le communautarisme musulman, le consistoire israélite le CRIF et le fonds social juif donnaient es qualité des consignes de vote pour les régionales en appelant à voter contre le Front national et Les Insoumis. Une consigne de vote venant d’une religion et d’associations publiquement communautaires, quel mélange plus venimeux de religion, d’identité et de politique ?
Après quoi on entendit le président des évêques de France déclarer que le secret de la confession était supérieur aux lois de la République, reprenant ainsi les mots utilisés deux mois avant pour accuser les musulmans qui ne les avaient jamais prononcés. Là encore la circonstance est aggravante puisqu’il était question de taire la connaissance de crimes commis contre des mineurs. Cette mauvaise sortie donnait un contenu singulier au secret de la confession, pièce en effet essentielle d’un des sacrements de l’Église catholique. Ce secret est reconnu en France comme un secret professionnel à l’égal de celui reconnu aux avocats et aux journalistes. Mais il n’est plus reconnu s’agissant de mineurs de moins de quinze ans. Quinze ans étant l’âge de la majorité sexuelle. De fait, c’était donner de la formule de la supériorité de la loi de Dieu sur celle des hommes la définition la plus inacceptable.
Car en effet on doit certes considérer que pour les croyants la loi de Dieu est toujours supérieure à celle des hommes. Mais cette certitude n’implique pas que l’on soit libéré d’obéir à ladite loi humaine du fait d’un commandement attribué à Dieu. D’ailleurs l’islam maléquiste et le christianisme des évangiles demandent de se soumettre à celle-ci. Cela est d’autant plus facile que la loi républicaine ne condamne jamais une opinion religieuse. Ni n’oblige à des comportements que la religion interdit. Le liberté du mariage des homosexuels n’oblige aucun gay croyant à se marier. Ni la liberté d’avorter n’est une obligation de le faire. Les lois républicaines sont des lois « ouvertes » chaque fois qu’elles s’approchent du domaine de l’intime conviction. Si les sectes sont sous surveillance dans notre pays c’est en raison de leur comportement fiscal ou de leur goût pour l’emprise sur les individus les plus faibles. Jamais pour leur message « spirituel ».
Ce qui est spécialement ridicule dans les propos du Premier ministre à Rome, c’est le recours aux légendes les plus éculées qui lui tiennent lieu d’histoire de France. Il nous a resservi du réchauffé. « Si la préhistoire de notre pays trouve son origine au fond d’une grotte à Lascaux, l’histoire de France, en tant que Nation, naît à Reims dans la cuve d’un baptistère. » C’est reparti pour un tour avec le prétendu baptême de Clovis et des Francs qui le suivaient en guerre de conquête. Les faits historiques sont pourtant établis de longue main. Clovis est un roi franc dont l’épouse était déjà chrétienne et qui conclut avec l’Église le premier accord du sabre et du goupillon. L’Église sacralisait sa royauté « de droit divin » en échange de quoi Clovis réglait leur compte aux hérétique « chrétiens ariens » du sud de ce qui est aujourd’hui notre pays. Il n’y avait pas de France à ce moment-là parmi les divers royaumes qui existaient sur le territoire de la France contemporaine. C’est bien pourquoi il est également tout aussi absurde de croire trouver un destin préhistorique à la France dans la grotte de Lascaux que d’imaginer Lucy comme ancêtre des Ethiopiens contemporains sous prétexte que son squelette a été découvert par Yves Coppens en Ethiopie ou que les Marocains soient les descendants des humains morts il y a trois cent mille ans nés sur leur territoire actuel ! Ni grotte ni baptistère pour faire la France. Juste une histoire humaine et une révolution fondamentale très récente.
Il n’y a ni destin ni nation consciente d’elle-même dans l’invasion franque de Clovis, Église ou pas le thème est juste absurde. Castex est risible en imaginant tout cela au 5ème siècle : « Le destin si particulier de la France, celui d’une nation consciente d’elle-même et de ses devoirs à l’égard du reste du monde depuis plus de 15 siècles, ne saurait se concevoir sans les vocations de son lien millénaire, au point d’être qualifié de filial avec l’Église catholique. » Dire alors que les papes ont voulu faire du peuple français un peuple élu au rôle messianique est tout simplement n’importe quoi et avoir du christianisme une vision d’image pieuse. Une telle conception est étrangère à l’universalisme chrétien originellement hostile au concept de peuple élu dont l’Église initiale s’arracha pour marquer sa distance avec le judaïsme dont elle était issue. Et c’est aussi faire beau jeu des luttes ouvertes ou larvées que bien des rois et des papes se sont menés comme par exemple entre Philippe le bel et le pape Boniface ! Et c’est ne rien savoir du « gallicanisme », spécificité de sa pratique par la bonne grande majorité des religieux de l’histoire de France.
Pourtant, Jean Castex n’hésite pas à reprendre ce poncif des traditionalistes les plus bornés : « Les Papes de Rome ont patiemment construit un discours politique et théologique qui assigne alors au peuple français et à ses souverains, un véritable rôle messianique en le désignant comme le nouveau peuple élu de la nouvelle alliance et le chargeant, à ce titre, d’accomplir la volonté de Dieu. Ce Gesta Dei per Francos visait à faire du peuple franc, le peuple hébreux du nouveau testament. » La gesta dei per francos dont il est question est une chronique à la gloire des rois de France écrit par le religieux à gage Grégoire de Tours. Elle n’a aucune valeur canonique ni religieuse dans le christianisme ni en France ni à Rome.
Restent les saillies les plus drôles comme celle concernant la canonisation de Jeanne d’Arc pourtant condamnée par un évêque. L’évêque Cauchon, c’est son nom, ne fut jamais récusé par son chef pour avoir brûlé une sainte. Alors toute la sortie de Castex sur Jeanne d’Arc est comique« La canonisation de Jeanne d’Arc en 1920 et sa proclamation comme patronne de la France le 2 mars 1921 étaient des signes de la nouvelle bienveillance du Saint-Siège à l’égard de notre pays. » Car si l’Église se reprit en 1920 après avoir reconnu du bout des lèvres la République, c’est qu’elle craignait l’usage qu’en faisait la République comme figure de résistance à l’occupant et martyrisé par l’Église. Et comment en faire ces tonnes de louanges en oubliant la dureté du combat implacable de la papauté d’alors contre la République? Comment oublier les appels à la désobéissance contre la loi de 1905 ? Et les injures contre le suffrage universel décrit comme une maladie dont il fallait délivrer la France ?
Je n’irais pas plus loin. Quel peut bien être le sens de la phrase racoleuse : « le christianisme est la religion de l’incarnation et donc d’un humanisme qui est en mesure de parler à toutes les consciences et donc à toutes les bonnes volontés. » Précisément non, ce n’est pas faire injure de dire que le christianisme n’est pas un humanisme au sens philosophique et historique de ce mot. Car l’humanisme né de la Renaissance instaure l’être humain comme auteur total de son histoire dont il ne doit des comptes qu’à sa conscience. Il n’est l’exécuteur ni l’agent d’aucun salut, d’aucune prédestination. Il n’est l’héritier d’aucun péché originel ni le sujet promis par un jugement divin à une éternité d’enfer ou de paradis en appréciation de ses actes. Enfin l’humanisme fait de l’être humain un dieu pour l’être humain. Et cela n’a rien a voir avec la foi en un dieu qui s’incarne dans l’humanité pour lui enseigner un destin surnaturel.
Je me demande quel peut bien être le but de Jean Castex avec ce discours bizarre. Quel intérêt à ressortir de telles sottises qui déclenchent à tous les coups l’obligation de démenti et de rappels douloureux. Croit-il que les chrétiens en France attachent leur foi à de telles sornettes ? C’est qu’il n’en fréquente pas beaucoup ou alors de bien particuliers. Et quel bien croit-il faire à l’Église en disant une énormité comme celle-ci : « L’émotion légitime de notre opinion publique après la publication des conclusions de la commission présidée par Monsieur Jean-Marc SAUVÉ, dit à elle seule combien les Français attendent de cette institution séculaire protection, bienveillance et exemplarité. » Non les Français, inclus les catholiques, attendent de l’Église que ceux qui s’en réclament agissent dans le respect de toutes les coutumes humaines les plus constantes de protection de l’enfance. Le reste est affaire de foi et ne concerne pas ce genre d’affaires révoltantes.
Une fois de plus, sachons tirer la leçon de l’électoralisme bigot de certains responsables politiques : l’histoire de France est celle de tous les Français et elle n’est pas l’héritage d’une religion, en France gallo-romaine, des Lumières et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen moins qu’ailleurs.