Interview publiée le 14 octobre 2021 dans L’union-L’Ardennais.
Jean-Luc Mélenchon, voilà cinq ans, votre dernière visite à Reims avait pour cadre les Assises du Made in France. Avez-vous changé depuis, politiquement parlant ?
Le temps qui passe renforce l’expérience. À l’époque, j’étais le seul à parler de protectionnisme négocié, de planification écologique. D’autres valorisaient le Made in France sans en tirer de conclusions concrètes pour protéger les productions françaises face à la concurrence mondiale. Aujourd’hui, ce concept est largement partagé, même par Anne Hidalgo, c’est dire ! Mais les dégâts n’ont pas cessé depuis cinq ans.
La France a changé durant ce quinquennat d’Emmanuel Macron ?
Je la trouve plus détruite encore. De fermeture en fermeture d’école, les distances que doivent couvrir les enfants pour se rendre en primaire sont de plus en plus grandes. Même chose pour les lits d’hôpitaux. Les suppressions de postes et de lits s’enchaînent, mettant tous les services publics en crise. Et cette crise se reproduit dans tous les domaines où autrefois nous étions les plus performants au monde. La France a été pillée par la finance. Nous sommes devenus dépendants. Il faut réparer, reconstruire tout en changeant de cap pour faire face au changement climatique.
Vous vous proclamez le candidat de la rupture. Quelle est la différence avec la cassure ?
La rupture, quand elle est décidée, vous la maîtrisez. Sinon elle s’impose sans préparation. Ce sera le cas avec les conséquences des changements climatiques et du capitalisme, de ses méthodes productives avec l’intelligence artificielle, et de la division internationale du travail. Dans tous les pays, on discute de relocalisation des activités. Nous arrivons à un changement fondamental dans l’histoire de la civilisation humaine. Il faut y faire face et passer à d’autres façons de vivre, de produire, de se nourrir. La rupture, c’est aussi d’unifier le peuple en rompant avec un modèle de société fondé sur l’inégalité ! Le patrimoine des plus riches s’est accru d’une manière incroyable et la pauvreté des autres tout autant. À présent, les gens arrivent au point de rupture avec l’explosion des prix des carburants qui les ruine.
Vous annoncez quatre urgences (sociale, démocratique, écologique et sanitaire). Samedi dernier, Édouard Philippe a listé quatre vertiges (démographique, écologique, géopolitique et technologique), vous vous rapprochez de lui ?
À moins que ce ne soit l’inverse ! Tout le début de sa conférence commence comme la mienne, « L’ère du peuple ». Soyons sérieux. Peut-être que Monsieur Édouard Philippe apporte à la droite ce qu’elle n’avait plus depuis longtemps, une pensée cohérente sur le moment de l’histoire dans le monde. Il n’est pas choquant alors d’observer des convergences sur le diagnostic. Mais nous en tirons des conclusions radicalement opposées. Lui veut faire des économies, réduire l’État, augmenter la durée du travail. Autant de choses que nous considérons comme des aberrations.
Sur quoi va se jouer cette présidentielle ?
Le pays est dans un état de très grande volatilité politique, émotionnelle… Si vous regardez uniquement les tourbillons qui agitent la surface de l’actualité vous ne pouvez pas dire de quel côté les choses vont aller. Mais on sait que la vie imposera ses questions. Elles sont sociales : durée du travail, salaire, alimentation, les choses basiques de notre quotidien. Je fais ce pari que l’élection va se jouer sur ces questions. La tentative zemmourienne, sa diversion raciste, ne marchera pas. Quels que soient leurs sentiments, les Français ne se détermineront pas là-dessus au moment d’aller voter.
Vous évoquez Éric Zemmour. Votre débat avec lui tenait à démontrer quoi ?
C’était pour mettre fin à un sentiment d’abandon qui n’est pas perçu par les élites parisiennes. Notre pays compte 6 millions de musulmans, dont 5,5 millions sont Français, qui souffraient de l’impression que la haine des musulmans était devenue la règle dans toute la sphère politique. Il fallait rompre avec cela, donner un signal de courage, de confiance et de ralliement à ces millions de gens qui n’aspirent qu’à mener une vie tranquille et souffrent de cette hostilité. C’est pour cela que je suis allé débattre avec lui. Je ne crois pas avoir fait changer d’avis les personnes déjà convaincues par Monsieur Zemmour. Mais je suis absolument certain d’avoir redonné du courage à des millions de gens qui se sentaient perdus, isolés, et sans porte-parole.
C’est votre troisième candidature à l’Élysée (après 2012 et 2017), c’est la bonne ?
J’ai perdu, mais j’ai gagné aussi, étant élu sept fois parlementaire. En 2017, j’estimais que la finale se jouerait entre 19 et 20 % des suffrages. Ce qui s’est passé. Cette fois-ci, l’onde de choc de l’explosion du champ politique français de 2017 n’est pas terminée. Comme rien n’est réglé, sans doute aurons-nous pas mal de candidatures, comme en 2002 (16 candidats). À l’époque, le second au 1er tour n’avait pas fait 17 % (Jean-Marie le Pen, 16,86 %). Cela change les données de l’élection… C’est pourquoi je dis que cette fois-ci je peux gagner.
Sauf que, comme en 2002, vous serez sept ou huit candidats de gauche à vous présenter…
Cela n’a pas été l’obstacle à la victoire en 1981. Nous ne serions pas crédibles si nous étions tous déguisés derrière une étiquette commune car tout le monde verrait que nous cachons sous le tapis tout ce qui nous oppose sur les grandes questions. Répéter que l’union des partis est la clé de la victoire, c’est donner des verges pour se faire battre ! Notre stratégie c’est l’Union Populaire : les gens se regroupent sur les mesures dont ils ont besoin. Voilà la clé de la victoire. Et ces mesures, ce sont celles de mon programme « L’avenir en Commun » Nous avons sondé 42 de ces mesures : elles n’ont jamais recueilli moins de 60 % d’adhésion. Le pays est disponible pour des réponses exigeantes écologiquement et socialement !