Le vert fini toujours par passer au rouge. C’est sans doute valable aussi pour Yannick Jadot. Il faut reconnaître ses progrès considérables ! En visite dans une usine textile, il parle de changer nos moyens de production. Pour cela, il propose de planifier la réindustrialisation du pays. Je me félicite d’être rejoint sur ce point. Le nombre de ceux qui s’habituent à ce vocabulaire augmente et nombre de militants électeurs d’EELV apprennent ainsi à l’accepter. Il est temps.
Cela presse en effet. Sous le régime du trio infernal Sarkozy – Hollande – Macron, une usine a été délocalisée chaque semaine. En 10 ans, 500 000 emplois industriels ont été détruits. À raison, Jadot défend donc la nécessité du « protectionnisme ». Car à l’inverse, la logique du marché ouvert du moins-disant social et environnemental qui y règne ne poursuit qu’un objectif : celui de l’accumulation des profits. Encore une fois, il faut saluer ce pas de Jadot dans le sens d’une écologie de rupture avec le capitalisme financier. Le mot « protectionnisme » présent dans notre vocabulaire depuis 2016 nous a coûté assez de remarques désagréables de tous côtés (y compris EELV) pour qu’on apprécie le changement. L’adoption du mot par un homme qui s’en tenais à distance est donc une bonne affaire pour la reconstruction globale du paysage des mots qui formatent les consciences.
Yannick Jadot veut aussi favoriser le « made in France ». Il insiste sur le rôle de l’État et de la commande publique pour y parvenir. Évidemment, le premier souci des entreprises, c’est de remplir leur carnet de commande ! Seul l’État peut leur offrir de la visibilité. Pour cela, il doit fixer des objectifs à partir des besoins. Toute la chaîne de production se met ensuite en action pour y répondre. À l’inverse, le libre-marché sème la pagaille et le désastre. Le textile n’y a pas échappé. Entre 1996 et 2015, l’industrie textile française a supprimé les deux-tiers de ses effectifs et la production a chuté de moitié.
Aujourd’hui, 75% des vêtements et chaussures consommés en France sont importés. Évidemment, cela à un coût social, mais aussi écologique. Ainsi, Un jean parcourt en moyenne 65 000 km avant d’être acheté par un Français. Il passe en moyenne par 12 pays différents. Bonjour les émissions de gaz à effet de serre. D’autres impacts sont moins connus et tout aussi dévastateurs. Ainsi, la culture du coton consomme le quart des pesticides produits dans le monde. La production d’un jean nécessite l’équivalent de 7 ans de la consommation d’eau d’un être humain. Heureusement certains résistent. J’ai souvent pris l’exemple de l’usine 1083 dans la Drôme et de ses jeans 100% français.
Pour y remédier, Yannick Jadot défend donc à son tour le « made in France ». Nous en avons effectivement les moyens. La France est par exemple le premier producteur mondial de lin. C’est une culture d’avenir : elle utilise moins d’eau, d’engrais et de pesticides que celle du coton. Mais presque toute la production part pour être filée en dehors du territoire national.
Mais Yannick Jadot défend aussi le « made in Europe ». À minima dit-il. Son raisonnement atteint ici ses limites. A-t-il oublié le cataclysme provoqué en France par la suppression des quotas de l’Union Européenne sur les importations de textiles chinois en 2008 ? D’autant que la concurrence n’est pas seulement chinoise. Elle est aussi européenne. Ainsi, en 2015, un tiers des importations françaises viennent de pays européens à bas coût social.
En fait, on touche sur ce point la limite du raisonnement et de la crédibilité des affirmations de Jadot. Il affirme incarner une candidature « proeuropéenne ». Or, les traités européens interdisent tout changement en profondeur de nos façons de produire et d’échanger. D’abord, sa proposition de modulation de TVA pour aider à relocaliser est une usine à gaz en vérité impraticable. Mais surtout, il n’est nullement garanti que les gardiens de traités européens le permettent. En effet, toute valorisation des produits français dans les marchés publics face à d’autres est condamnée par avance. En effet, la discrimination entre différents produits circulant dans le marché intérieur européen en fonction de leur provenance est considérée comme une entrave à la concurrence. Yannick Jadot le sait parfaitement. On peut donc penser qu’il va progressivement avancer dans notre direction aussi pour réclamer la fin de ces traités.
Et ce n’est pas le seul hic. Pour réindustrialiser le pays, il faudrait un plan d’investissement massif au service de la bifurcation écologique. Mais cela est incompatible avec les règles budgétaires européennes. Cerise sur le gâteau, les traités européens consacrent le libre-échange pour l’intérieur de l’Union comme pour ses relations avec les pays tiers. À l’opposé du protectionnisme donc.
L’évolution de Yannick Jadot est une nouvelle convergence bienvenue avec la vision de l’économie portée par le programme insoumis « L’Avenir en Commun ». En effet, l’économie ne doit pas être une fin en soi. Au contraire, elle doit être mise au service du progrès écologique et social. L’harmonie entre les êtres humains et avec la nature se trouve au bout du chemin. Mais je le redis : il y a une cohérence logique entre la réindustrialisation du pays et la remise en cause des traités européens. Autrement, toute volonté de bifurcation écologique et de protectionnisme sonne creux. Yannick Jadot doit aller au bout de ce qu’il amorce. C’est à dire qu’il doit aller au bout de la cohérence des idées qu’il adopte. C’est le prix à payer pour être une alternative gouvernementale.