Interview de Jean-Luc Mélenchon publiée le 12 novembre dans Le Figaro.
Alors que l’épidémie regagne du terrain, comment jugez-vous la stratégie sanitaire d’Emmanuel Macron ?
Ma position sur la vaccination reste celle de l’OMS : convaincre plutôt que contraindre. Donc je suis opposé au Pass sanitaire. Quand la conviction ne fonctionne pas, il ne faut pas s’en prendre aux pas convaincus mais aux pas convaincants. En Outre-mer, le refus massif de la vaccination est le fruit d’une forte méfiance à l’égard de l’Etat dont la parole est discréditée. Emmanuel Macron nourrit ce discrédit. Il aura mis plus d’un an et demi à admettre cette évidence : l’épidémie continuera tant que tous les peuples du monde n’auront pas le moyens de s’en protéger. Mais que propose-t-il ? La charité. Donner ici et là des doses de vaccins. Il faut une licence libre pour que chaque pays puisse produire le vaccin et le diffuser.
Vous réclamez la levée des brevets. Quels moyens de pression avez-vous ?
Aucune grande Nation n’a porté ce message. Portant la France aurait eu un grand écho dans le monde francophone car tous les Etats africains votent pour la levée des brevets à l’OMC. Au lieu de cela, Macron s’est aligné les appétits cupides du Big Pharma. Des profits indécents sont faits sur la pandémie. Il faudra des mesures de récupération. Si je suis élu et que Lula revient au pouvoir au Brésil l’automne suivant, nous pèserons lourd avec le Mexique dans la balance pour la levée des brevets. Ne l’oubliez pas : nous sommes co-initiateurs d’un appel international à ce sujet.
La Chine et la Russie ne sont pas venu au Forum de Paris pour la paix. Vous le regrettez ?
S’ils ne sont pas là, c’est qu’ils ne sont pas invités. Ce Forum est une expression de la vision puérile du président Macron. Il pense qu’avec la magie de l’esprit copain anglo saxon et en contournant les Etats, il va imposer ses idées dans le monde… Mais le principe des relations internationale, c’est encore et pour longtemps le lien entre les nations. Cultiver une telle tension à l’égard de ces deux puissances est absurde. Les Français n’ont aucun intérêt à être dans les fourgons de l’armée américaine même s’ils représentent 50% des dépenses militaires du monde et la Chine seulement 10%. La puissance montante, c’est la Chine et l’Asie. Jouons une autre partition, plus intelligente pour notre futur.
La Chine ne représente-t-elle pour vous aucun danger, au moins dans la zone indopacifique ? Son attitude face aux enquêtes sur les origines de la pandémie ne vous interroge pas, comme a minima sa façon d’absorber les technologies occidentales ?
Vous voulez leur faire la guerre ? Les nord-américains espionnent jusqu’à nos Présidents ! Ils pillent notre patrimoine industriel. Ils nous mentent et nous trahissent comme dans l’affaire des sous-marins. Mais nous devrions nous méfier d’abord des Chinois ? C’est le vieux mythe du péril jaune. Je refuse de voir la France entrainée dans la nouvelle guerre froide avec la Chine. Notre intérêt, c’est : pas de guerre. Je ne veux aucun maître. Ma ligne, c’est l’indépendance de la France. Quand les États-Unis dominent, je les mets à distance. Je suis un gaulois, un peuple indépendant, rebelle, qui n’obéit à personne. Cette attitude est un préalable pour défendre des causes commune de l’humanité : un nouveau traité de démilitarisation de l’espace, un traité des grands fonds marins…
Emmanuel Macron, qui va prendre la présidence de l’Union en janvier, veut avancer sur le dossier de la défense européenne. Vous soutenez sa démarche ?
Au bal des hypocrites, tout le monde se mettra au balcon pour applaudir, sauf moi. Car je sais que tout ça n’existe pas. Il n’y a pas plus de défense européenne que de père Noël. Trop d’Etats européens n’en veulent pas. À l’est de l’Europe, ils ne veulent entendre parler que de l’OTAN. Ils sont obsédés par leur relation à la Russie et l’enveniment sans arrêt. Moi, au contraire, je veux quitter l’OTAN au profit d’une coalition non alignée.
Alors que vous souhaitez, vous, d’autres relations avec la Russie…
Les sanctions contre la Russie n’ont aucun sens. Elles ne sont pas appliquées par les Américains eux-mêmes et n’ont servi qu’à rendre la Russie souveraine sur ce qu’elle importait. Cette politique n’obligera la Russie à rien du tout ; elle est aussi dérisoire que la présence française militaire en Estonie… Je ne crois pas à une attitude agressive de la Russie ni de la Chine. Je connais ces pays, je connais leur stratégie internationale et leur manière de se poser les problèmes. Seules le monde Anglo saxon a une vision des relations internationales fondée sur l’agression. Les autres peuples ne raisonnent pas tous comme ça.
Ce qui se passe avec les réfugiés à la frontière de la Pologne, n’est-ce pas condamnable ?
Si c’est vrai, ce n’est pas acceptable. Si c’est vrai… On ne peut pas se servir de cette façon de pauvres gens pour déstabiliser les états. J’ai condamné les Américains qui ont fait la même chose au Mexique. Ce sont des méthodes détestables mais on n’a pas fini de les voir mises en œuvre car le changement climatique provoque déjà des mouvements terribles de population.
Sur les migrations justement, Arnaud Montebourg a proposé – avant de rétropédaler – de bloquer les transferts de fonds privés vers les pays qui ne veulent pas reprendre leurs clandestins. Quelle est votre solution face aux états récalcitrants ?
Cette proposition d’Arnaud Montebourg vient de l’extrême-droite. Elle est absurde. Les transferts de fonds privés représentent la première aide et la plus efficace apportée dans les pays car elle ne tombe pas dans les mains de la corruption. Alors après, comment faire face aux états récalcitrants? Je vous rappelle l’existence d’une activité nommée la diplomatie. On discute avec les gouvernements. Et nous verrons ensuite qui peut réellement nous tenir tête en refusant de respecter les traités qu’ils ont signé.
Yannick Jadot est aujourd’hui votre concurrent direct à gauche ?
Non. Je suis très satisfait de lui parce qu’il a élargi le champ de nos idées, sur la planification écologique, sur le protectionnisme… Il avance bien. Il ne lui reste plus qu’à se rendre compte que sa politique pas compatible avec les traités européens.
Quel regard portez-vous sur la recomposition de la droite ?
Je sens bien sa tendance à vouloir se réduire à une seule de ses composantes, le néo libéralisme qui a pourtant toujours été minoritaire en France. On l’a vu lors du débat de lundi entre les cinq prétendants de LR. Regardez le débat sur les retraites : pourquoi augmenter l’âge du départ? C’est stupide. Avant, la droite, c’était aussi le patronat chrétien-démocrate, c’était aussi les gaullistes. Maintenant face à Zemmour et Le Pen, tous se cachent sous terre.
Vous espérez qu’un des candidats relève une droite plus républicaine ?
Dans l’intérêt du pays, il faudrait le retour d’une droite républicaine qui défend à sa façon les principes que nous avons en commun depuis la libération. Aujourd’hui, la droite est dans un état lamentablement pitoyable mêlant libéralisme économique et xénophobie. Je dis donc aux gaullistes et démocrates-chrétiens : c’est le moment de montrer une autre voie ! C’est risqué électoralement ? Je ne crois pas. Et c’est l’honneur de la politique de combattre pour ses idées.