Jeudi 2 décembre, le groupe communiste à l’Assemblée nationale a présenté une proposition de résolution pour encourager l’inégibilité des personnes condamnées pour provocation à la haine raciste. Leur proposition a fonctionné comme une alerte contre le racisme. Je m’y suis joint au nom de notre groupe parlementaire. Car nous pouvions tous déjà observé des débordements de haine de toutes sortes, particulièrement de haine raciale. Nous sommes désormais témoins de tentatives de passage à l’acte qui nous alarment. Jamais nous n’aurions imaginé que des gens qui disaient déjà tant de sottises seraient capables d’en arriver à s’entraîner à tirer sur des caricatures de l’un, l’une ou l’autre d’entre nous, à menacer d’assassiner des gens, à former des commandos. Indubitablement, nous sommes confrontés à un franchissement de seuil.
Le racisme n’est pas seulement une offense à l’idée qui préside dans l’esprit public français depuis l’Humanisme et les Lumières. Celle-ci postule que l’universalisme est l’horizon indépassable de la représentation que les êtres humains peuvent se faire les uns des autres : constatant qu’ils sont tous semblables par leurs besoins, on déduit qu’ils sont tous égaux en droits pour les satisfaire. Cela semblait devenu une évidence. La conclusion du contraire a été démontré de manière aussi sanglante et absurde, cruelle et démente par le régime nazi. Mais de nouveau ces évidences sont remises en cause.
Le racisme n’est pas seulement une offense à l’intelligence ; il est une éducation à l’indifférence à la souffrance des « racisés » et à la singularité des individus. Pour le raciste, l’individu n’existe pas. Chacun est intégré à une catégorie à laquelle on attribue des caractéristiques, de sorte qu’on devient insensible à ce qu’il advient à chaque personne. De ce point de vue, le racisme est une ambiance qui prépare à la violence, au meurtre. Il habitue à l’idée que certains puissent être maltraités jusqu’à la mort. Puisque c’est comme si l’autre semblable n’existait pas.
Dans le passé récent, les Insoumis avaient déjà proposé un amendement au projet de loi pour la confiance dans la vie politique, qui visait le même résultat que la proposition de résolution des communistes. Cependant, le groupe LREM avait audacieusement étendu le champ d’application des condamnations proposées en y incluant tous les délits définis par la loi de 1881, jusqu’à l’injure. Or c’est sur ce point que le Conseil constitutionnel s’est prononcé et a censuré. Il n’a pas voulu dire que le racisme était une opinion comme une autre, qui à ce titre aurait le droit d’être proférée. Il a estimé que « pour condamnables que soient les abus dans la liberté d’expression visés par ces dispositions, en prévoyant l’inéligibilité obligatoire de leur auteur, le législateur a porté à la liberté d’expression une atteinte disproportionnée ». À cause de l’inclusion de l’injure comme motif d’inéligibilité.
Or la résolution des communiste ne reproduit pas cette erreur. Elle invite le garde des sceaux à donner au procureur des consignes relatives aux peines à requérir des peines complémentaires pour un des actes visés. La loi prévoit en effet que ces peines sont possibles, mais non automatiques. La peine d’inéligibilité a d’ailleurs été appliquée à un élu du RN condamné pour avoir proposé que les Roms paient avec leurs dents en or les dégâts qu’ils auraient causés. On ne peut être représentant du peuple français si l’on ne comprend pas que les propos qu’on tient ne peuvent exclure de la représentation une partie de ce même peuple. On ne peut prétendre être le représentant de ce que l’on a soi-même divisé.
La proposition de résolution ne menace donc nullement l’indépendance de la justice : c’est le rôle du Garde des Sceaux de donner des consignes de politique judiciaire générale. Le texte vise à ce qu’il le fasse en appelant l’attention du juge du siège sur le fait que la peine d’inéligibilité est prévue dans certains cas, dont celui qui nous occupe. La présente proposition de résolution n’est donc nullement attentatoire à la séparation des pouvoirs.
Au demeurant, « L’Avenir en Commun » remplace les circulaires de cette nature émanant du Garde des Sceaux par des lois de politique judiciaire, votées par le Parlement. Il me semble que nos camarades du groupe GDR conçoivent la chose comme nous. Il est normal que le procureur soit l’avocat de la société. On ne peut imaginer une indépendance autre qu’administrative. Son indépendance ne peut consister à renoncer au rôle d’avocat de la société. Et seule la nation et ses députés peuvent s’en faire les interprètes. Sinon qui ? La caste de ceux qui se succèdent dans les fonctions ? La méthode a déjà été appliquée. Mme Belloubet, alors garde des sceaux, est intervenue par une circulaire pour exiger une rigueur particulière dans la répression des gilets jaunes. Ici il s’agirait de charger le Parlement d’édicter les règles de la politique pénale dont les procureurs seraient les agents. Les insoumis ont donc voté avec les communistes cette motion. Et LREM l’a fait battre.