Une campagne comme une course de haies
Semaine de campagne intense. Un meeting et deux émissions de télé pour moi. Quinze réunions de campagne pour mes camarades des groupes parlementaires et régionaux et un total de mille « évènements » (caravanes populaires, tractages, collages, réunions d’appartement…) recensés sur l’application « Action populaire ». Sans oublier 2000 parrainages citoyens de plus, la barre franchie des 650 000 abonnés à ma chaine YouTube (+4000 en 24h suite à «Face à Baba») après le million atteint sur TikTok. De bons signes partout.
De la plus modeste convocation à la plus grande rencontre, la mobilisation a été forte. À Bordeaux la salle était trop petite encore. J’ai dû commencer mon discours dehors, ébahi par le spectacle de cette rue entière remplie de monde de tous âges et de toutes les allures. L’émission de télé numéro un pour moi ce fut « Face à Baba ». Très déçu par le changement de dernière minute opéré par ledit « Baba » que je n’imaginais pas dans ce rôle. Comme quoi je suis moins méfiant que cela ne se dit à l’envie. Mais en pleine campagne, la leçon doit porter. Ne plus faire confiance. On ne prendra plus ce genre de risque d’irrespect.
Ici ce fut un comble ! J’étais l’invité face à dix personnes. Mais sans crier gare, Zemmour fut autant l’invité que moi. De 20 minutes qui lui avait été déjà accordées par une faveur imprévue au lieu de 10, puis de 20 comme annoncés, ce fut une heure dix ! Et cela alors même qu’il avait déjà passé une émission entière à cette place quelques temps auparavant. Un Zemmour en petite forme, parlant sans arrêt et souvent bafouillant. Hanouna fut à ce moment quasi absent du rôle de « modérateur » qui était en principe le sien. Je polémiquais donc en m’attendant à la fin de la séquence à tout moment sans que cela se produise. Le genre de situation où vous dites « au revoir » à quelqu’un qui n’arrive pas à partir du pas de votre porte alors que votre gigot est au four. Telle était ma posture mentale de cet instant.
Qu’en penser ? Qu’Hanouna au mieux, ne maîtrise pas encore l’exercice. Au pire qu’il m’a trompé ainsi que toutes les autres personnes qui ont attendu leur tour jusqu’à presque une heure du matin dans une émission prévue pour deux heures maximum. Et pour finir, cette émission dura quatre heures. Un format et une épreuve sans précédent dans l’histoire de l’audio-visuel politique en France. Cela plaide pour tous ceux qui ne croient pas à l’utilité de tels transferts de genre, comme entre le Hanouna de demi-divertissement chaque soir et un débat de présidentielle. Inutile d’en dire davantage.
Je ne me plains pourtant pas. M’épuiser aura été impossible. Et tout autant m’impressionner comme l’ont tenté les regards et postures du policier avant notre face à face. Pendant les deux heures où il était assis en face de moi dans le public. J’ai atteint les buts que je m’étais donnés et touché le public auquel je voulais parler dans la forme qui convenait à l’échange et aux personnalités qui me faisaient face. Le niveau record des écoutes sur les vidéos que nous en avons tiré le prouve et l’amplifie. Je regrette que les conditions de l’émission aient sans doute dégoûté bien des spectateurs d’y revenir. Et je regrette surtout d’avoir été enrôlé dans une séquence qui n’a pas du tout aidé à installer un émission qui soit un nouvel espace d’expression politique. Je l’espérais pourtant pour le bien du débat déjà si difficile à installer dans cette campagne. Il est frappant de voir comment les divers milieux sociaux et politiques ont reagi dans leurs commentaires. Je n’y entre pas ici. Mais l’incroyable restera d’avoir vu les Verts me frapper moi sans un mot de critique ou de mise à distance de Zemmour et le PS concentrer sa critique lui aussi sur moi et ma façon de réagir sans un mot pour ce qui fut dit et fait en face. Ce sont de très mauvais signaux. Cette absence de solidarité face à l’extrême droite et au policier factieux en dit long sur « l’évaporation » politique intellectuelle de ces deux groupes de « dirigeants ». Décidément, leur participation à la manif des policiers contre la justice n’était peut-être pas qu’une faute occasionnelle.
Ma semaine commence dimanche soir sur France 5, « C dans l’air ». De la politique internationale. En vue un moment noble, même s’il sera sans concession. Plaisir du calme, du respect et des sujets que je ne peux que rarement aborder ailleurs.
Cette semaine est la dernière avant la fin des suspens dans les annonces de candidatures. La surprise Macron n’existe pas. On aura donc une vue d’ensemble. Mais seulement à 10 semaines du vote. Enfin ! Cela après des mois de matraquage sur la « division de la gauche » comme sujet central. Puis avec les annonces à répétition d’une bouleversante candidature de « la maire de Paris ». Puis celle en hoquet de Christiane Taubira. Sans oublier le feuilleton Zemmour. Ni l’opaque prétendue « primaire populaire ». Que du vain, que du vide. Pour finir, il y aura davantage de candidats de droite que de gauche, la grande candidate de Paris est dans les choux, Le Pen parvient à maintenir son avantage sur Zemmour et une confuse opération informatique taillée dans un flou de loup. Une question demeure à propos de la dynamique de la répartition des forces : le centre-gauche parviendra-t-il à enlever la poignée de voix dont nous avons besoin pour voir Macron commencer à dévisser ? Et une autre : Roussel parviendra-t-il à m’empêcher d’avoir 500 signatures ?
L’ampleur du son des Tam Tam de campagne macroniste donne à penser ! Le chômage de masse est fini, si l’on en croit la médiasphère macroniste. Les chiffres du nombre d’inscrits à Pôle emploi au 4ème trimestre 2021 affichent une baisse sur 3 mois et sur 1 an. Et cela concernerait toutes les catégories : catégorie A (chômeurs sans aucun emploi et disponibles immédiatement), catégories A, B et C (les précédents + les travailleurs précaires, à temps partiel qui veulent travailler plus) ou catégories A,B,C,D et E (le groupe précédent + les chômeurs en formation + chômeurs en arrêts maladie). Évidemment, les paillettes de la propagande brillent sous un premier regard distrait. Et davantage encore sous la plume de ceux qui recopient sans rien vérifier. Viendra aussitôt la deuxième couche, micro tendu « le chômage baisse comme jamais ! Qu’en pensez-vous ? » L’évidence répétée d’abord, la question après. La propagande est un art d’exécution.
Voilà ce que j’en pense. Le chiffre le plus mis en avant est la baisse de 12% sur un an des chômeurs en catégorie A. C’est la catégorie la plus étroite puisqu’il faut non seulement ne pas avoir travaillé une heure mais en plus être immédiatement disponible pour n’importe quelle offre… Mais si on considère ensemble les catégories A,B et C, qui forment un total plus proche de la réalité vécue, la baisse sur un an est 4 fois moindre : -4% seulement. Ce qui est peu en periode de reprise post-Covid 19. Et pour finir, si on regarde l’évolution sur 2 ans, le nombre d’inscrits à Pôle emploi reste le même. Plus de 6 millions de personnes sont inscrites à Pôle emploi. Cela reste un niveau historiquement haut. Il n’est dépassé que depuis 2015. Et c’est justement la date à laquelle Macron a commencé à s’occuper de l’économie française sous la direction de Hollande et de Valls.
À présent, il faut interroger la production des chiffres autant que les chiffres eux-mêmes. Car on assiste à une hausse record absolu des radiations. En effet au dernier trimestre de 2021, il y a eu 50 000 radiations de Pôle emploi. Jamais un tel chiffre n’avait été atteint ! Même observation pour ce qui est de la précarité des postes créés. En 2021, 600 000 auto-entreprises ont été créées, un record absolu encore une fois. Mais les auto-entrepreneurs perçoivent un revenu mensuel de 590 euros en moyenne…Même situation pour les emplois officiellement précaires. Au dernier trimestre de 2021, 80% des embauches ont été en CDD et même 60% en CDD de… moins d’un mois !
Évidemment les autres bons vieux tours de magie sont encore là. Exemple. Traditionnellement, ouvrir des places en formation est un moyen de faire baisser artificiellement les chiffres du chômage. Surtout l’année précédent l’élection présidentielle ! Or, l’année 2021 est une année record pour la signature de contrats d’apprentissage. On a compté 650 000 contrats d’apprentissage signés soit une hausse de 25% en un an ! Et tout cela mis bout a bout fait une formidable annonce rabâchée sans vergogne du matin au soir sur tous les canaux, et bien sûr à la télé et les radios du gouvernement.
Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision sur la loi « responsabilité pénale et sécurité intérieure » le 20 janvier 2022. Il valide l’utilisation de drones policiers. Pourtant ceux-là avaient été interdits plusieurs fois depuis 2020. Par exemple ils l’ont été deux fois par le Conseil d’État parce qu’il n’y avait pas de cadre légal pour leur usage. Et une fois par le Conseil constitutionnel quand il a censuré l’article sur ce type de drones dans la loi « sécurité globale ». C’est d’ailleurs à la censure de ces drones dans la proposition de loi sécurité globale que le Gouvernement a revu sa copie. La loi « responsabilité pénale et sécurité intérieure » a donc donné « des garanties » avec une « nouvelle rédaction ». Et le Conseil l’a validée… En effet, il n’a pratiquement rien touché sur les drones dans cette décision du 20 janvier. Il n’a censuré que la procédure d’urgence qui aurait permis d’utiliser des drones pendant plusieurs heures sans autorisation à titre dérogatoire. Et aussi la possibilité pour les policiers municipaux d’utiliser des drones. Peu de chose comparé à la gravité des libertés désormais diminuées par cette loi. Mais le Conseil constitutionnel a quand même validé dans la loi « responsabilité pénale et sécurité intérieure » les caméras embarquées sur les véhicules de police (hélicoptères, voitures…). Et aussi la vidéosurveillance des cellules de garde-à-vue. Il avait pourtant censuré ces possibilités dans la loi « sécurité globale ».
À côté de cela, le Conseil ne prend même pas la peine d’examiner les nombreuses autres dispositions de cette loi qui réduisent d’autres libertés fondamentales : amendes forfaitaires, prise d’empreintes forcée, modification du régime d’irresponsabilité pénale suite à l’affaire Sarah Halimi.
À noter que la saisine au Conseil constitutionnel était réduite a peu de sujets à cause des socialistes qui n’ont pas voulu saisir sur tous les articles comme nous le proposions. Nous voulions saisir en plus sur les articles relatifs à l’irresponsabilité pénale. Pour nous ils contreviennent au principe selon lequel on ne juge pas les fous. Puis, l’article réprimant certaines violences contre plusieurs catégories d’agents publics. Il s’agit là de dispositions dont le but est d’aggraver les peines pour les personnes qui commettent des infractions contre les policiers et les gendarmes. Et enfin sur l’article 16 relatif au relevé signalétique sans consentement et par la contrainte. Finalement, la saisine portait donc uniquement sur les drones, seuls articles que le PS acceptait de contester.
Alors où en est-on à présent ? La police et la gendarmerie nationale peuvent utiliser les drones tant pour des fins administratives (article 8 de la loi) que pour les enquêtes judiciaires (article 8 bis). Par exemple, des drones pourront être déployés au cours de manifestations et rassemblements jugés comme « susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ». Et ce déploiement aura lieux aux abords de lieux ou bâtiments « particulièrement exposés à des risques de commission de certaines infractions ». Mais aussi dans les transports ou aux frontières. Le Conseil constitutionnel n’a rien dit sur la disproportion et l’imprécision de ces larges finalités avec des expressions aussi floues que par exemple « La prévention d’actes de terrorisme ». De même, il valide le fait que ces nouvelles mesures soient simplement autorisées par un préfet et non un juge. C’est donc le préfet qui estimera seul si ces technologies de surveillance sont nécessaires et proportionnées. Autrement dit la police autorise la police. Certes il a émis des réserves sur la possibilité pour la police d’utiliser ces nouvelles caméras à des fins de reconnaissance faciale. C’est la une limitation dérisoire par rapport à l’utilisation déjà massivement illégale que la police en fait aujourd’hui. Ainsi, à coup de loi une dernière l’autre d’année en année de prétendue menace en émotion préfabriquée ; la liberté recule et une société de contrôle s’instaure.
J’aimais les défis que me lançait le fait d’être leur professeur de français. Ils avaient entre 16 et 19 ans. Ils étaient de très haut niveau technique dans leur domaine. Mais la plupart considérait tout ce qui touchait à la langue française et à la littérature comme hors de leur portée et vouait donc à son apprentissage un mépris à peine caché. C’était à leurs yeux une perte de temps et un barrage inutile compte tenu de tout ce qu’ils devaient déjà assimiler. Car il s’agissait pour eux de parvenir en un an du niveau où ils se trouvaient à celui de la classe de seconde dans tous les domaines de leurs futurs métiers, dans l’industrie du bois. Bons en maths, très bons dans le domaine concret du maniement des machines complexes, d’aucuns pour autant n’écrivaient pas sur les lignes, peu maniaient le point en fin de phrase écrite, aucun la virgule.
Je partis de l’idée que le défi était pour moi et non pour eux. J’inventai des dizaines d’exercices pratiques simples qui permettent de saisir la portée concrète de la maitrise de la langue. Je ne les raconte pas ici. Ce serait trop hors sujet, même si de l’évoquer me donne déjà le goût d’en dire davantage. On finit l’année scolaire comme dans une classe de lettres. Quand j’annonçais « pas plus de deux copies » après le sujet de la dissertation une protestation montait aussitôt de tous les bancs : « on n’aura rien le temps de dire ! ». La maîtrise du medium n’était plus leur problème. Toute leur attention était dans le message. Ils avaient atteint le but de mon enseignement. La forme et sa maîtrise se rapporte à son usage.
C’est la grande leçon selon moi de la communication. Il n’entre aucun mépris pour quelque public que ce soit dans cette affirmation. Sinon quand même un peu pour les pédants qui surévaluent la forme jusqu’à leur faire oublier l’intention du message. Le génie est réservé à ceux qui savent parler pour tous selon leurs propres normes personnelles d’auteur et sans les changer d’après leurs destinataires. Pour les autres qui n’ont pas cet objectif, on écrit et on parle selon les besoins et donc selon la relation qui unit le locuteur à son interlocuteur. Tout est relationnel dans la pensée matérialiste. Un de mes exercices pour enseigner la critique du style s’ancrait d’ailleurs dans la vie quotidienne. Il s’agissait de demander quelque chose par écrit. Un service. Sous la forme d’une lettre personnelle. La lettre devait s’adresser à son patron, puis à son amour (c’était une classe de garçons), enfin à sa mère, puis à son père. Je n’en dis pas davantage. Tout le monde comprend, je pense, que le style, la forme, de chaque lettre était déterminé par l’identité (dans la relation) de son destinataire. Pas question d’adresser à son patron la lettre pour sa mère, fusse pour demander la même chose.
Si rudimentaire que soit cet exercice, parmi ses vertus, l’une ne doit pas être sous-estimée : il décomplexe. La performance d’un message est définie par l’adéquation à l’écoute de son destinataire dans le rôle qu’il pense devoir occuper aux yeux de celui qui s’adresse à lui. Ici le patron qui a lui-même une mère ne supporterait sans doute pas que son employé s’adresse à lui autrement que comme à son patron, selon les codes relationnels que cette situation impose. De même la petite amie n’apprécierait pas un message écrit comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre. Il ne s’agit donc pas d’adapter le style à la personne mais à la nature de la relation que l’on veut construire, entretenir ou à l’intérieur de laquelle on déploie le message.
À notre époque, dans la communication publique de masse, plus qu’à aucune autre, les styles se construisent dans des bulles d’auditeurs typés par un goût ou une attente commune. On parle à ce sujet de tribus. L’archipelisation des goûts et des attentes est au moins aussi fort que celui des catégories sociales et des habitats. Dans une campagne présidentielle on butte, comme dans la vie, sur l’exigence de placer le message dans son aire relationnelle. Pour nombre de communiquants, l’émetteur est le sujet essentiel de l’action. L’interlocuteur doit pouvoir s’identifier a lui. Ces communiquants vont donc privilégier les pistes narcissiques qui vont contenter l’interlocuteur. D’où la production d’archétypes comportementaux cent fois répétés et tendanciellement allant au même insipide. Leur intention n’est pas sans fondement. L’interlocuteur aime se reconnaître dans la personne à qui il s’agit de déléguer sa confiance. Mais cette opération a un coût : la portée du message. Car le moment arrive toujours où le message peut être un obstacle pour l’acceptabilité de celui qui l’exprime. Je me souviens d’un ami politique (très radical dans son engagement) me disant « je suis obligé de dire des choses horribles sur le ton d’un notaire pour ne pas être expulsé dès les première dix secondes de paroles ». Il en était ainsi du fait de la relation sociale que son métier lui imposait avec son public. Il était médecin légiste et tout le monde le savait. Jusqu’à son rire était interprété comme une opinion sur la vie en général quel que soit le sujet.
Voici ma leçon du jour : la portée d’un message s’évalue dans sa capacité de diffusion et celle-ci dépend de la nature de la relation en arrière-plan de la communication. Dans la scierie on n’entend pas réciter du Baudelaire. Sans doute d’abord parce qu’on ne s’y attend pas. Sans doute parce que ce n’est pas le sujet du lieu. Pourtant, quand il rentre chez, lui le scieur de bois écoute parfois des concertos de Mozart pour clarinette.
Ma fonction à cette heure est celle d’un porte-parole. L’Agora est ample ? Ce n’est pas le sujet. À quel sujet est-ce que je m’exprime ? Fredonner à propos de meurtres ? Au nom de qui ? Le bourreau, la victime, un observateur « impartial ? Pour quoi faire ? Je n’ai jamais d’autres questions à trancher dans la relation qui m’englobe dans chacun de ces instants nécessairement particuliers.