Il y a une dette dont on ne parle jamais. C’est la dette étudiante. C’est-à-dire la dette contractée par les étudiants pour financer leurs études. Mon camarade François Delapierre avait pointé cette « bombe de la dette étudiante » dans un livre publié en France aux Editions Bruno Leprince, il y a trois ans. Son livre vient d’être traduit en espagnol et publié de l’autre côté des Pyrénées aux éditions Icaria. Il a été complété pour l’occasion par deux articles d’universitaires portant sur la dette étudiante dans ce pays. J’y reviens non seulement parce que je suis heureux de retrouver François Delapierre, décédé en juin dernier, mais parce que je veux que l’on mesure quelle explosion menace aussi la bulle financière globale du fait des bulles particulières qu’elle contient…
La dette étudiante est un concentré du fonctionnement du système financier. Comme toutes les dettes, c’est d’abord un féroce moyen d’appropriation du temps des autres par la finance et les banques. C’est aussi un terrible outil de dressage social pour la jeune génération des classes moyennes : commencer sa vie active avec une dette de plusieurs milliers d’euros n’incite pas à la révolte et encore moins à la grève. Evidemment, le dressage vaut aussi pour les parents, voire pour les grands parents parfois mis à contribution ou caution de l’emprunt. Mais si la dette étudiante est une « bombe », c’est parce qu’elle a pris une telle ampleur qu’elle menace l’équilibre global du système financier.
La dette étudiante sera peut-être le cœur de la prochaine crise. Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer ce phénomène à celui des subprimes, ces emprunts immobiliers hypothécaires à l’origine de la crise financière de 2008. Voyez les chiffres aux Etats-Unis. La dette contractée par des étudiants atteint 1 200 milliards de dollars. Le total des emprunts subprimes était de 1 300 milliards d’euros lors du déclenchement de la crise de 2008. L’ordre de grandeur est exactement le même.
Aujourd’hui aux Etats-Unis, 12 millions d’étudiants sont endettés pour financer leurs études, soit plus d’un étudiant sur deux. Et le nombre d’étudiants ne pouvant plus rembourser augmente très vite. Le taux de défaut est passé de 5% en 2008 à 11% en 2014. Sans compter les anciens étudiants qui doivent continuer à rembourser leur dette pendant des années après la fin de leurs études. Dans les primaires pour choisir le candidat démocrate pour la prochaine élection présidentielle aux Etats-Unis, le candidat Bernie Sanders a décidé d’en faire un sujet politique. Il propose ainsi de rendre gratuits les frais d’inscriptions dans les universités publiques et de restructurer les prêts étudiants déjà contractés pour réduire les taux d’intérêts.
En France, 12,5% des étudiants se sont endettés pour financer leurs études. Et le chiffre va encore augmenter sous l’effet des réformes libérales de l’enseignement supérieur de Nicolas Sarkozy et François Hollande. Sous les coups de l’austérité et de la concurrence entre universités, et entre écoles, les frais d’inscriptions augmentent. Sans compter les frais de logements. Dans le même temps, l’Union européenne a engagé une profonde modification de son système d’aide financière aux étudiants en échange dans le cadre du programme Erasmus. Jusqu’ici, l’aide financière reposait essentiellement sur un système de bourse. Dorénavant, le programme Erasmus+ repose sur un « mécanisme de garantie de prêt aux étudiants » et non plus de bourses. La « bombe » se construit chaque jour. Jusqu’à l’explosion prochaine. Merci « l’Europe qui nous protège ».