Manuel Valls ne prend pas assez en compte l’utilité du travail des enfants pour relever le défi de la compétitivité, de la flexibilité et de la modernité. De même, il laisse les femmes traîner à la maison avant et après leur accouchement, même si elles sont chassées de plus en plus vite de la maternité, au nom de fumeux avantages acquis au siècle précédent sous le nom de « congés maternité ». Il semble aussi que le travail forcé et gratuit des gens sans emploi pourrait être une forme très moderne d’abaissement des charges sociales. De nombreuses pistes de cette sorte peuvent être explorées évidemment dans le dialogue social du renard libre dans le poulailler libre étant entendu que, faute de conclusions, ce serait au gouvernement de prendre ses responsabilités. (Note pour journaliste pressé : ceci est une figure littéraire humoristique nommée humour noir. Cela ne veut donc pas dire que c’est ce que souhaite l’auteur. Au contraire, celui-ci prône l’inverse.)
En tous cas, grâce à la loi El Khomri, nous sommes rassurés et nous savons qu’aucune ignominie ne peut faire reculer une équipe capable d’inventer la suppression de la durée légale du congé pour décès d’un conjoint ou d’un parent. Beaucoup de gens ont désormais compris le recul social et la destruction de leur vie quotidienne que constitue ce projet de loi sur le code du travail. Déjà, de nombreux textes et décryptages circulent venant de toutes origines. Une pétition a rassemblé 700 000 signatures hostiles au texte, ce qui atteste d’un haut niveau de prise de conscience. La riposte se construit petit à petit. Mais la volonté de lutte se répand comme une trainée de poudre, cristallisant toutes les haines que ce gouvernement suscite. Une première réunion intersyndicale et la promesse de se revoir le 3 mars sont intervenues. Pour ma part, je souhaite qu’une marée citoyenne soit organisée par ceux qui en ont le pouvoir : syndicats, partis, associations et groupes etc. La date du 9 mars comme premier rendez-vous circule de toute part. Celle du 31 semble devoir aussi réunir les syndicats. Je plaide pour qu’un rassemblement soit imaginé un jour de fin de semaine pour que le plus grand nombre puisse s’y associer. Je crois que la société toute entière étant agressée, c’est elle toute entière qui doit pouvoir répondre ensemble. Il s’agit ici de construire un mouvement d’action citoyen, populaire autour de ce que les syndicats vont faire.
En fait, avec ce texte, la vie quotidienne des salariés sera mise en miettes. L’abolition des onze heures de repos consécutifs entre deux journées de travail, la suppression de la durée légale du congé familial en cas de décès d’un proche parent, la journée de 12 heures de travail, le forfait jour, tout cela, c’est beaucoup de violence introduite à grandes rasades dans la vie quotidienne de millions de gens. Et au bout du compte, toute cette souffrance sociale et personnelle ne servira à rien. En tous cas à rien de ce à quoi cela prétend servir. Mais bien sûr, quand le muscle est mis à suer l’actionnaire y trouve bien vite son compte.
De fait, la prétendue « Loi Travail » de Mme El Khomri ne créera pas un seul emploi ! C’est plutôt une loi qui va aggraver le chômage. Elle est économiquement totalement absurde et même contre-productive. C’est à se demander si le gouvernement sait quelque chose de la réalité économique du pays. Ce projet de loi vise selon le gouvernement à permettre aux entreprises de faire face plus facilement à des pics d’activité. Mais nous sommes en pleine période d’inactivité ! Les carnets de commandes sont vides, les capacités de production sont très loin de tourner à plein régime. Les travailleurs sont jetés ou maintenus au chômage par millions, les prévisions de croissance mondiale sont revues à la baisse ! Dans ce contexte, forcer l’augmentation du temps de travail de ceux qui ont un emploi alors qu’on compte 6 millions d’inscrits à Pôle Emploi est absurde. C’est empêcher des chômeurs de trouver quelques heures de travail dans les rares secteurs où l’activité est un peu soutenue. .
Il est même plutôt évident que la loi El Khomri va aggraver la crise. L’activité économique ne tient ici ou là que grâce à la consommation populaire. C’est justement celle-ci que le gouvernement attaque avec son projet de loi. Payer moins les heures supplémentaires, baisser les salaires pendant cinq ans comme cela sera possible, faciliter les licenciements… tout cela réduit le pouvoir d’achat et par conséquence ne peut que réduire la consommation populaire aujourd’hui et demain. Pour se justifier, le gouvernement répète les mantras du MEDEF sur la prétendue « peur d’embaucher » des patrons. Mais il va surtout renforcer la peur du lendemain pour des millions de salariés. Or, toute une série de dépenses de la vie quotidienne sont repoussées quand on craint pour son emploi, son salaire etc. Les petits patrons, les artisans, les commerçants le savent bien. Ils comprennent que cette précarisation des salariés va encore réduire leur activité et donc renforcer leur crainte pour leur carnet de commandes au lieu de la combattre. Manuel Valls n’a toujours pas compris que c’est le progrès social qui permet l’activité économique utile et durable. Ce projet est le fruit des mêmes recettes archaïques du MEDEF. Il est condamné au même échec social et économique que les autres macronades comme le travail du dimanche ou les 41 milliards d’euros donnés sans contreparties au MEDEF chaque année.
Comment peut-on croire qu’on lutte contre le chômage en facilitant les licenciements ? C’est pourtant exactement ce que prévoit l’avant-projet de loi. Je veux ici pointer en particulier deux dispositifs. Le premier, c’est le plafonnement des indemnités versées aux salariés par l’employeur en cas de licenciement abusif. Commençons par rappeler que « licenciement abusif » est un euphémisme pour dire « licenciement illégal », c’est-à-dire pratiqué par un employeur délinquant. Le plafonnement des indemnités ignore totalement la réalité du préjudice pour le salarié : ce n’est pas la même chose d’être licencié à 50 ans quand votre épouse est déjà au chômage et vos enfants en études qu’à 6 mois de la retraite. D’autant que le plafonnement est particulièrement bas puisque l’indemnité maximale que pourra toucher un salarié est égale à 15 mois de salaire pour 20 ans d’ancienneté ou plus : même pas un mois de salaire par année d’ancienneté ! C’est environ la moitié de ce qui est actuellement accordé aux salariés par les conseils de prud’hommes. Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement a aussi prévu de supprimer l’indemnité minimale à verser dès qu’un licenciement est reconnu comme « abusif ». Tout cela revient à dire qu’un licenciement illégal est possible si vous pouvez payer. Le patron voyou connaîtra exactement la somme maximale qu’il risque de devoir verser, il pourra prévoir précisément cette somme et ainsi « acheter » la possibilité de contourner la loi et de licencier plus facilement. Tous les syndicats réclament unanimement le retrait de cet article inique.
L’autre facilitation des licenciements concerne les licenciements pour motif économique. C’est l’article 30 bis de l’avant-projet de loi. Il a été ajouté à la dernière minute, manifestement sous la dictée du MEDEF. Que dit cet article ? Il précise et élargit les situations dans lesquelles est possible le recours à une procédure de « licenciement économique ». Le but ? Empêcher qu’un juge conteste ensuite la réalité du motif économique du licenciement et condamne l’entreprise soit à réintégrer les salariés soit à les dédommager. On sait que, souvent, la décision finale du juge arrive une fois l’entreprise fermée comme dans le cas de l’usine Conti de Clairoix dont les propriétaires ont été condamnés trop tard.
Le projet de loi prévoit d’étendre la possibilité de recourir au licenciement économique à toute entreprise qui connaîtrait des difficultés économiques caractérisées « soit par une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant quatre trimestres consécutifs en comparaison avec la même période de l’année précédente, soit par des pertes d’exploitation pendant six mois, soit par une importante dégradation de la trésorerie, soit par tout élément de nature à justifier de ces difficultés». Aucun seuil d’ampleur de cette baisse n’est prévu alors que les artifices comptables sont faciles pour faire croire à des baisses de commandes par exemple. Il suffira d’une baisse de 0,1% des commandes pour pouvoir licencier pour motif économique ! Ces dispositions visent à permettre à une entreprise de licencier dès la moindre difficulté, sans chercher à savoir si les difficultés sont passagères ou durables, conjoncturelles ou structurelles ni à préserver l’emploi, par exemple en ayant recours au chômage partiel dans les cas les plus graves. Avec de telles dispositions, l’hémorragie d’emplois aurait été encore plus grande au moment de la crise de 2008-2009.
Ce n’est pas tout. Le gouvernement protège uniquement les grands groupes. Sa prétendue défense du petit patronat qui aurait « peur d’embaucher » ne tient pas. Car une autre disposition du même article 30 bis sert uniquement les intérêts des multinationales et des groupes, pas des PME. En effet, l’article prévoit la possibilité de licencier les salariés pour motif économique même si les autres filiales du groupe, en France ou à l’étranger, réalisent des bénéfices. La situation économique de l’entreprise ne sera plus établie en fonction de la santé économique globale du groupe mais uniquement des filiales en France. Il suffira donc à un grand groupe d’organiser la dégradation de la trésorerie d’une filiale A en France au profit d’une autre filiale B dans un autre pays pour pouvoir licencier les salariés de la filiale A en toute légalité. Avec ce projet de loi, les plans de licenciements vont se multiplier.