Quand j’ai demandé que l’on publie la liste intégrale des fraudeurs, où sont passés les éternels justiciers médiatiques de la 25ème heure ? Trop peur d’y retrouver leurs patrons ou des entremetteurs embarrassants ? Bref, leur premier souci a plutôt été de voir comment salir et jeter du venin contre ceux qui ont dénoncé tout ce système de longue main. Car si les engagements permanents de nombreuses personnes contre ce système caractéristique du capitalisme financiarisé risquaient d’être confirmés, la cécité volontaire des autres pourrait trop se voir. Et peut-être même que des gens comme moi pourraient y gagner du respect. Les chiens de garde veillent donc. J’ai donc dû subir avec surprise ma part de boue encore sur ce sujet.
Pour le Figaro comme pour les deux précédentes officines, « l’angle » à mon sujet c’est que je « minimise » les découvertes ( ?) de « l’enquête des journalistes ». Et pourquoi ? Parce que comme une demi-douzaine de responsables politiques, dont plusieurs députés de droite d’ailleurs, je m’étonnais qu’il n’y ait dans cette liste mondiale aucun Nord-Américain ni aucun responsable politique de pays politiquement corrects. Nous étions assez nombreux à le remarquer pour que le journaliste du Monde Maxime Vaudano ait dû s’en expliquer et révéler sur « Canal plus » qu’en fait « il y a beaucoup d’Américains » dans les « Panama Papers ». Ce n’est pourtant pas ce que disait la une de son journal annonçant l’affaire. Mais le journaliste précise que ce sont « beaucoup d’anonymes ». Ah bon ? En est-il si sûr ? Est-il sûr que ce ne sont pas des amis d’enfance de puissants oligarques américains ? N’ont-ils pas été invités une fois par je ne sais quel dictateur fasciste latino soutenu par les États-Unis ? Ne sont-ils pas les généreux donateurs de quelques campagnes pour les primaires en cours aux USA? J’ai le pressentiment que ce silence n’est pas neutre et que ces anonymes ne le sont pas pour tout le monde.
En tous cas, « Le Monde » a répondu à la question que nous posions. Le quotidien prouve ainsi qu’elle se posait bien. Mais j’aurais pu étendre mon interrogation au Moyen-Orient où la liste des fraudeurs est politiquement conforme à ce que la morale et les journaux « occidentaux » préfèrent. Par exemple, il n’y a aucun fraudeur iranien, bien sûr, puisque ce pays est redevenu une dictature théocratique recommandable depuis peu et que même nos hôtesses de l’air sont priées de se mettre en conformité avec les lois humiliantes pour elles de ce pays. Et ainsi de suite.
Reste que tout cela m’a quand même valu un seau d’eau sale de façon totalement artificielle de la part du « Figaro », le beau journal de l’un des neufs milliardaires qui possèdent 90 % des médias français. C’est un papier titré « Les politiques français pro-Kremlin critiquent l’enquête “Panama Papers” », photo de Le Pen et de moi à l’appui, évidemment, car une infamie n’arrive jamais seule. Waouh ! Ce n’est pas beau cette nouvelle catégorie : « les pro-Kremlin » ? Donc les « journalistes pro-CIA du Figaro » trouvent tout cela normal. Ils ont raison. Et j’ai tort. Je devrais faire attention à mes intuitions.
En effet, pourquoi un nord-américain, un luxembourgeois ou un Suisse ou l’un quelconque des voyous de certains pays bien connus, absents de cette liste au bout d’« un an d’enquête de 107 journalistes », iraient-ils chercher à Panama ce qu’ils ont à domicile ? Évident ! Un mauvais point pour moi : je ne suis pas aussi malin que j’en ai l’air. Pour autant, en quoi cela fait-il de moi un « pro-russe » à propos de cette liste ? Pourquoi pas plutôt un pro-marocain (compte tenu de mon lieu de naissance), un pro-chinois (compte tenu de ma sympathie de longue date pour ce peuple), un pro-islandais (n’ai-je pas soutenu la révolution citoyenne dans ce pays ?) ou un pro-brésilien (compte tenu de mes liens autrefois avec Lula).
Suis-je naïf ! Le Russe : voilà l’ennemi pour les amis de nos amis américains… Palme d’or à l’AFP (je me demande ce qui se passe dans cette chefferie de rédaction qui a déjà fabriqué de toute pièce une fausse position de moi sur le terrorisme). La dépêche fait un bon résumé de mon communiqué sur «le Panama papers ». Puis tout d’un coup elle dérape, comme si une autre main avait rajouté quelque chose, juste au début d’une phrase: « Alors que Vladimir Poutine est notamment mis en cause( !), le député européen a estimé qu' »une vérité en cache souvent une autre dans le monde actuel« ». Et pour les blaireaux de collègues qui n’auraient pas bien compris de quel côté amener l’angle en ce qui me concerne voici comment la Russie est ramenée dans le centre du collimateur: « L’opération « Panama papers », l’enquête d’un consortium d’investigation révélant un vaste scandale d’évasion fiscale impliquant de hauts responsables politiques, des sportifs ou des milliardaires, a suscité lundi une onde de choc mondiale et une très vive réaction de la Russie ». Ici le thème de ma mise en cause fonctionne comme un lapsus pour ceux qui s’y livrent. On voit les fils de l’utilisateur final tirer sur la plume de la marionnette.
L’utilisation de cette affaire pour régler des comptes, fabriquer des « groupes d’infamie » tout en protégeant les amis n’est pas réservé à ma modeste personne. Car pourquoi Le Monde ne met-il pas à sa une le roi d’Arabie Saoudite ou l’ancien émir du Qatar aux côtés de Poutine, Assad, le président algérien, le roi du Maroc et le Premier ministre islandais ? Eux aussi sont pourtant concernés, non ? La critique des « alliés » et acheteurs d’Arabie et du Qatar n’est pas opportune ? Pourtant, ne font-ils pas eux aussi la guerre en Syrie comme Bachar El Assad ou Vladimir Poutine ? Mais alors, il faudrait reconnaître que ceux qui se battent là-bas planqueraient leur argent au même endroit ? Comment est-ce possible ? Ainsi donc les « gentils » seraient donc parfois des « méchants », et vice-versa ? Qu’en pense Plantu d’habitude si prompt à repeindre tout musulman en terroriste ? Va-t-il dessiner un arabe allant au Panama pour insulter tout le monde ? Qui sait, les dix mille euros qu’il a touché du Qatar en guise de « prix pour la liberté de la presse » a peut-être transité un jour ou l’autre par un compte au Panama. Qui sait.
Il y a un autre absent de marque à la une du Monde sur « l’argent des chefs d’État » : le nouveau président argentin en exercice Mauricio Macri ! Le Monde s’intéresse pourtant d’ordinaire de très près aux soupçons de scandale financier en Amérique Latine non ? Et l’ex « guérillero » urbain repenti, désormais chef de rubrique au Monde, Paolo Paranagua, n’a-t-il pas dénoncé sans trêve la prétendue corruption de l’équipe de gauche précédente à Buenos Aires? N’a-t-il pas publié récemment plusieurs articles contre la présidente brésilienne Dilma Rousseff ? Mais dans ce cas, on sent un fléchissement dans l’intransigeance ! C’est sans doute pourquoi Le Monde n’évoque qu’au détour d’une liste, et sans donner son nom, le compte bancaire panaméen du nouveau président argentin de droite ! Y aurait-il deux poids, deux mesures dans le traitement médiatique des affaires financières en Amérique du Sud ? Non ! Il y a la confirmation d’un engagement ferme aligné au millimètre du côté de la droite la plus réactionnaire, putschiste et corrompue. Lien nauséabond qui s’établit par les médias avec lesquels toute la presse européenne « de référence » coopère directement quand elle ne recopie pas purement et simplement sa propagande. Bref, le « Panama Papers » est aussi une continuation de la bataille politique par d’autres moyens.