Tribune d’Alexis Corbière publiée dans le numéro 991 de Marianne.
En ces temps sombres, nous avons besoin de moments de bonheur et il faut être reconnaissant envers les auteurs des Visiteurs qui nous ont tant fait rire. Bonne nouvelle, ils reviennent ! Cette fois-ci, dans les Visiteurs 3, la toile de fond est la Révolution française.
Il faut s’en réjouir, car il est heureux que la Révolution, moment fondateur de nos principes républicains, soit le décor d’un film populaire. Assez rare pour être souligné. Il est toujours surprenant que, malgré son immense portée émancipatrice, la filmographie soit bien maigre et surtout bien peu républicaine, voire défavorable, à la Révolution. Hormis le pétillant les Mariés de l’an II, de Jean-Paul Rappeneau, en 1971, et la gauloiserie Liberté, égalité, choucroute, de Jean Yanne, en 1985, il est quasi impossible de trouver un grand film présentant cette période et, plus difficile encore, ne la traitant pas sous une face sombre comme le fit, avec un talent toutefois indiscutable, le Danton, de Wajda, en 1983.
La Révolution réduite à un bain de sang
Place, donc, à la Révolution ! Mais qu’est-ce qui nous est réellement présenté dans cette comédie ? Pour nos deux héros, le premier contact avec elle est une populace mise en délire par le spectacle d’un pauvre curé que l’on décapite publiquement. Puis ils sont jetés dans une cellule au milieu de nobles innocents qui vont être prochainement exécutés. Sans explication, un tribunal expéditif les condamnera à mort. Et ainsi de suite. Vous avez compris, les Visiteurs 3 s’inscrivent donc encore dans cette lignée qui présente la Révolution française sous un visage glaçant. Dommage.
Sans passer pour un rabat-joie, un film qui sera vu par des millions de gens et marquera, plus ou moins, leur imaginaire mérite qu’on en débatte un peu, ne serait-ce que par respect pour les auteurs qui revendiquent un soin à l’écriture et à la recherche historique. La Révolution française ne serait donc qu’un moment absurde de violence et de barbarie ? Pas d’accord. C’est pourtant ce que le film semble nous dire.
Méli-mélo calendaire
On a également du mal à se situer chronologiquement. Si l’on croit deviner que l’action se déroule au lendemain du 21 janvier 1793, puisque la mort de Louis XVI est évoquée, on se retrouve, par la suite, au milieu d’un souper réunissant les principales figures du Grand Comité de salut public, Maxilimien Robespierre, Saint-Just, Couthon, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois. Cette instance ne se réunira pourtant qu’à partir du 27 juillet 1793, soit six mois plus tard. Le détail, a priori minime dans une farce, n’est pas sans importance puisqu’on nous donne à penser que c’est cette équipe-là, et elle seule, qui serait responsable de toutes les exécutions et actes de violence commis durant la Révolution. De plus, ce groupe semble sous l’emprise totale de «l’Incorruptible», qui n’a qu’à lancer une consigne pour qu’elle soit approuvée séance tenante et sans discussion. Tout cela n’est pas exact. Alors, certes, on pourra apprécier de voir ce même Robespierre tenir des propos admirables inspirés de ses authentiques discours – «Nous sommes des gens de raison et de vertu», «Je hais la démagogie», «La femme est l’égale de l’homme et doit participer à la vie de la cité», etc. -mais, in fine, il n’est qu’un personnage lugubre particulièrement soucieux des détails des arrestations et exécutions dans le pays.
Une insolence à sens unique
Ce grand spectacle populaire écrira donc une petite page de la vieille légende noire de l’antirobespierrisme et, au final, risque de faire douter le spectateur de l’utilité de la Révolution, alors qu’il serait si utile de la faire aimer encore et toujours. Bien sûr, les aristocrates y sont moqués abondamment, mais le pli idéologique est visible.
Bonne séance à tous ceux qui iront voir ces Visiteurs 3, rions de bon cœur, mais regrettons que ce film ne soit finalement qu’une œuvre de son temps, une sorte d’humour thermidorien, où une vision contre-révolutionnaire convenue assimilant la Révolution à la Terreur sert de fil conducteur. Si le rire est une insolence, on aurait aimé que les auteurs l’aient aussi par rapport au discours idéologique dominant.