J’ai d’abord attendu de savoir qui revendiquait les meurtres d’Orlando. J’étais préoccupé de l’attribution à Daech, après que le père de l’assassin a démenti l’initiative religieuse, tant j’ai d’angoisse que recommence une vague de haine des musulmans. Puis rentrant en moi, je m’aperçus du contre-sens que je faisais. Ce n’est pas l’assassin qui donne son sens au crime, ce sont les victimes. Ils ont été tués parce qu’ils étaient homosexuels. Peu importe alors que les meurtres de masse soient courants aux États-Unis et qu’il y ait eu davantage de morts de cette façon que dans toutes les guerres réunies au point que Obama en soit à son 18ème discours de condoléances à ce propos. Ils étaient homosexuels ou bien en compagnie d’homosexuels dans un lieu de fête qui ne dérangeait d’ailleurs personne.
D’aucuns montrent souvent du doigt le communautarisme homosexuel. Il me semble que dans ce cas, l’assassin atteste plutôt d’une forme particulièrement aveuglée de communautarisme. Elle doit faire réfléchir tous les hétérosexuels. L’assassin croit qu’il n’y a qu’une façon d’être humain. Tout autre que la sienne lui parait être une telle aberration qu’il en est mis hors de lui, au sens littéral. Il tue. On se demande jusqu’à quel point il ne tue pas surtout une part de lui qu’il ne supporte pas. Le désir mimétique est une pulsion extrêmement violente comme en témoigne la moindre bagarre dans un bac à sable pour une pelle ou un seau. Ce meurtrier religieux a tout d’un pécheur empêché. La haine des autres est souvent une forme de guerre avec soi.
Donc les homosexuels assassinés le sont ici comme par un paroxysme d’une pulsion haineuse qui est largement répandue, comme nous le savons tous par expérience. Et c’est elle qui doit nous faire réfléchir sur nous-mêmes et sur le regard qui va être porté sur cet abominable meurtre de masse. On examinera les silences, les euphémisations, les contournements des verbes et des adjectifs. Combien de ceux-ci vont nier la nature du meurtre et son extrême connivence avec d’amples plaques de préjugés qui sous-tendent bien des continents de bonnes manières. Ne les voyons-nous pas si souvent jaillir en irruption de machisme et d’homophobie ordinaire ?
Décidément, peu m’importe le meurtrier. Je vois les victimes pantelantes et les regards qui se détournent du motif du carnage. Je vois la douleur des proches augmentée du motif du crime dans les précautions de langage de la compassion. Si l’on doit devenir meilleur dans les épreuves, que celle-ci nous fasse aide à admettre l’altérité.