Le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne est d’ores et déjà un point de non-retour en Europe. Quel que soit le résultat, rien ne sera plus comme avant. Ce référendum est un puissant révélateur. Révélateur de l’impasse totale qu’est devenue l’Union européenne. Révélateur de l’effacement de la France du débat européen confisqué par Merkel, Cameron et les nationalistes. Évidemment, c’est aussi une nouvelle preuve de la peur qu’ont les dirigeants européens pour les peuples mais on ne peut parler de révélation à ce sujet tant l’Union européenne s’est construite contre les peuples, en particulier depuis le référendum de 2005 en France et aux Pays-Bas. Cet épisode est aussi une grande leçon qui doit être bien comprise.
La première leçon est historique : l’impasse européenne est désormais clairement établie. L’Union européenne est entrée en dislocation sous le coup de ses propres règles d’austérité et dumping social et fiscal. La sortie de ces traités européens est désormais une exigence de bon sens ! Rien ne sera plus comme avant. Le Royaume-Uni a fait des pieds et des mains pour adhérer à la Communauté européenne dans les années 1960 et jusqu’à son adhésion en 1973. Il s’agissait de participer au grand marché unique sans aucune barrière douanière, pour profiter à plein de la libre-circulation des capitaux, écraser l’URSS et renforcer sans cesse le « partenariat transatlantique » entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique. Les Britanniques ont toujours soutenu le libéralisme en Europe, qu’il s’agisse d’encourager le système de détachement de travailleurs ou de freiner les minimes tentatives de régulation de la finance.
Mais aujourd’hui, certains États disent stop. D’autres ont failli le faire. Pourquoi ? Parce qu’au point où est aujourd’hui l’UE, ils se disent qu’ils ont plus à perdre dedans que dehors. Non pas que l’UE ait cessé une seule seconde son libéralisme économique. Certes, l’UE prend une tournure de plus en plus autoritaire, elle méprise les États et leurs parlements, et surtout elle impose des réformes aux uns et aux autres sous l’autorité du gouvernement allemand et de la Commission européenne. Or une bonne partie des libéraux du Royaume-Uni ne veulent pas d’une Europe à la sauce Merkel. Ils veulent pire. Puisqu’il n’est plus possible de faire le passager clandestin dans l’Europe allemande, certains libéraux anglais préfère imposer leur libéralisme eux-mêmes que d’être dirigés demain par Wolfgang Schaüble.
C’est le cas d’une large part du parti conservateur au pouvoir à Londres. Environ un tiers des députés qui soutiennent le Premier ministre libéral sont pour le Brexit. C’est aussi le cas de l’ancien maire de Londres Boris Johnson, lui-aussi fervent libéral. C’est évidemment aussi la position des libéraux nationalistes que sont les amis de Madame Le Pen, l’UKIP (parti de l’indépendance du Royaume-Uni). Tous veulent « sortir » de l’UE pour être encore plus durs avec les étrangers, encore plus libéraux en économie, etc. À cela s’ajoute un jeu politicien pour savoir qui du Premier ministre Cameron et de l’ex-maire de Londres Johnson récupérera le pouvoir dans le parti conservateur au lendemain du référendum.
La deuxième leçon est que le référendum anglais agit comme un « révélateur des intérêts sur lesquels repose l’Europe actuelle » comme l’écrit Laurent Maffeïs dans l’édito du bulletin « L’heure du peuple ». « Les deux principales forces ouvertement opposées au Brexit se situent en dehors d’un paysage politique pulvérisé. Il s’agit des USA et des marchés financiers. Bien qu’ils ne votent pas, Obama comme la City ont officiellement appelé à voter pour le maintien dans l’UE. Cela révèle crument les intérêts profonds que sert aujourd’hui la construction européenne. Les États-Unis ont toujours utilisé les Britanniques comme cheval de Troie dans l’UE et ils y perdraient un précieux allié dans la négociation du traité TAFTA. Le maintien britannique dans l’UE avec des dérogations facilitant le dumping social, écologique et financier pourrait au contraire servir de laboratoire au futur marché transatlantique. Quant à la City, elle a conforté depuis l’avènement de l’euro son rang de première place financière mondiale et contrôle désormais près de la moitié des transactions mondiales effectuées en euro. Cela révèle au passage que la monnaie unique a échappé à la zone euro et à sa banque centrale ».
La troisième leçon est profondément politique. Idéologique même. Pour David Cameron, tout était négociable. En revanche pour Alexis Tsipras, rien n’était négociable ! Merkel a accepté de discuter du référendum anglais, mais pas du référendum français de 2005 ni du référendum grec de 2015. La naïveté est donc interdite à qui prétend gouverner pour transformer la société. C’est à un combat qu’il faut se préparer.
Quatrième leçon : le rapport de force national est fondamental pour être respecté dans l’Union européenne. On ne parle pas de la même manière au Royaume-Uni qu’à la Grèce. Et à ce sujet, je note que la menace d’une sortie de l’UE a renforcé la position de David Cameron dans la négociation plus qu’elle ne l’a affaibli. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi des dirigeants de caractère qui osent mettre les pieds dans le plat et en appeler au peuple.
C’est la cinquième leçon : l’éjection de la France du débat européen. Après l’épisode grec, la négociation sur le Brexit a réduit le débat européen à Angela Merkel ou David Cameron. L’ordolibéralisme autoritaire de la droite allemande ou l’ultralibéralisme xénophobe de la droite anglaise ! Un choix entre la peste et le choléra en somme. Disons tout net qu’il ne peut être question pour nous d’accepter ce cadre de « débat » qui expulse les questions sociales, démocratiques et écologiques.
Et la France ? Et François Hollande ? A-t-il un avis sur la question ? Pourquoi n’a-t-il rien dit dans la négociation ? N’était-ce pas le moment de dire ce que la France proposait ou exigeait pour l’Europe ? Est-il seulement au courant que les Britanniques votent le 23 juin ? Sait-il seulement ce qu’est une négociation européenne ? Cherche-t-il déjà comment contourner le résultat du référendum anglais comme lui et Sarkozy ont contourné le référendum français de 2005 ? Du point de vue de la méthode, on voit la différence entre Cameron et Hollande. L’un a déposé ses exigences et promis un référendum. Il a obtenu l’essentiel de ce qu’il voulait. L’autre s’est caché sous la table dès la première réunion avec Mme Merkel et a avalé tout cru le traité budgétaire qu’il devait renégocier, sans le soumettre à référendum.
Voilà pour les principales leçons à tirer. Nous n’attendons rien de David Cameron ni d’aucun libéral. Nous savons qu’une partie de la gauche anglaise refuse d’appeler à rester dans cette Union européenne. Certains partis ou groupes appellent à voter pour sortir.
Le référendum sur le Brexit confirme que notre méthode de gouvernement est crédible : appliquer notre programme, présenter aux autres membres de l’UE l’exigence française de sortie des traités européens, puis faire valider le fruit de la négociation par les citoyens français par référendum. Et en cas de refus de négocier ou d’un résultat non satisfaisant, nous avons un plan B : laisser les eurocrates mourir sur pied avec leur machine européenne, en sortir et proposer à tous ceux qui n’en veulent plus de travailler avec nous à d’autres cadres de coopérations. Ou pour résumer : l’UE, on la change ou on la quitte ! C’est d’autant plus praticable que l’année 2017 sera une année charnière en Europe avec la conclusion de l’accord TAFTA et la mise en chantier d’un nouveau traité budgétaire européen. Brexit ou pas, l’heure de vérité est venue. Le début de la fin de l’Union européenne est commencé.