Matthias Fekl, secrétaire d’État au Commerce extérieur, annonce que le gouvernement français demande « l’arrêt définitif des négociations » sur le TAFTA (grand marché transatlantique). Wooo ! C’était deux jours après la déclaration dans le même sens du ministre de l’Économie allemande Sigmar Gabriel, le social-démocrate de poche de madame Merkel. « Si c’est vrai, c’est une grande victoire » ai-je dit quand Jean-Jacques Bourdin m’a interrogé sur le sujet à BFM. De cette façon je ne faisais pas la grise mine des coupeurs de cheveux en quatre qui ne sont jamais contents de rien et surtout pas de bonnes nouvelles. J’en ai tellement connu en politique ! Mais aussi dans la vie.
Je me souviens d’une voisine de ce type dans le Jura ; quand il faisait grand beau temps elle gémissait « on va le payer ! ». Et quand il pleuvait : « c’est tout le temps pareil, faut qu’on misère ! ». Et c’est comme ça que de l’ère Mitterrand ne serait venu rien de bon, ni de celle de Jospin, et que je suis juste un traître en puissance pour cette gauche aigrie qui m’accable de ses commentaires démoralisant et de ses imprécations fielleuses. D’après moi la fin officielle du TAFTA doit être célébrée avec d’autant plus de bruit qu’elle n’est pas sûre du tout. Je vais dire pourquoi. Mais si les importants changent d’avis, il leur en cuira d’autant plus que les gens chercheront à savoir et à comprendre pourquoi on leur a d’abord dit le contraire de ce qui se passera alors.
Autant commencer tout de suite à éclairer ceux qui veulent déjà savoir. Je mène ce travail d’information depuis le début de l’affaire en 1996, quand tout le monde m’accusait d’anti-américanisme primaire et que votaient pour cet accord, jusqu’à Cohn-Bendit et Benoit Hamon. J’ai persisté en 2009 étant le seul à introduire dans ma profession de foi pour les élections européennes. Et ainsi de suite. Je ne le dis pas pour me rengorger (être satisfait de son travail est très mal vu) mais pour signaler qu’on ne me dupera pas facilement sur le sujet. Mais j’ai bel et bien modéré mes cris de victoire d’un « si c’est vrai » chez Bourdin. En effet je préparais le moment où, revenu à mon clavier, je pourrai informer correctement et aussi complètement que possible mes lecteurs ce qui n’est pas possible dans un format court de télévision.
Voyons où nous en sommes d’abord. Cet été se tenait à Bruxelles la quatorzième session de négociations du TAFTA, tout aussi secrète que les 13 précédentes. L’enlisement était évident. Aucun des 27 chapitres prévus n’a été finalisé. Et les points de blocage se multiplient plutôt : sur les tribunaux d’arbitrage, sur la reconnaissance et la protection des produits dont l’origine géographique doit être affichée et protégée (IGP), sur normes environnementales, ou encore les ouvertures des marchés publics… Ce dernier point ne doit pas être interprété comme un souci de protection de ces derniers par l’Europe. C’est le contraire. Les Européens sont prêts à ouvrir si les USA en font autant. Mais précisément ceux-ci ne peuvent ni ne veulent s’engager pour leurs États fédérés.
Ce point m’a été spécialement pointé par mes interlocuteurs du Parti Québécois quand je suis allé à Montréal pour faire un tour d’information. Ils me disaient : « jamais les USA ne signeront de garanties avec vous sur ce sujet car ils nous les ont déjà refusées à nous ». À noter au passage et pour s’en souvenir : il existe un lien étroit entre le TAFTA et le traité de libre-échange prêt à être signé avec le Canada. Car si nous signons avec le Canada, ce pays deviendra le point de passage des sociétés nord-américaines pour peu qu’elles aient une boîte aux lettres chez les Canadiens. C’est d’ailleurs bien ce sur quoi m’ont dit compter les indépendantistes de droite au Québec pour désenclaver l’économie québécoise de l’ensemble canadien. J’ajoute, bien sûr, que les indépendantistes de gauche pensent le contraire disant qu’il ne s’agirait pas de passer de la domination anglo-saxonne canadienne à celle du capital nord-américain ou mondialisé réduisant à néant la souveraineté populaire québécoise par le truchement des fameux tribunaux d’arbitrage qui contournent les législations d’origine parlementaire.
Je reviens au point de situation de la négociation. Quel que soit l’enlisement des discussions secrètes, et alors même qu’un certain nombre de gouvernements plus ou moins francs du collier prenaient leur distance, la Commission européenne a voulu prendre chacun à son piège. Elle a demandé solennellement, en juin dernier, un renouvellement du mandat de négociation qui lui avait été confié en 2013. Ce qu’elle a obtenu de tous les gouvernements, inclus le gouvernement français où l’on n’en est plus à une hypocrisie près. Total : ce mandat a été renouvelé à l’unanimité il y a donc à peine trois mois ! Juncker paradait aussitôt dans le style « pied dans le plat » qu’il affectionne : « À propos du TAFTA, j’ai demandé à tous les chefs de gouvernement si, oui ou non, la Commission devait poursuivre les négociations avec les États-Unis. Personne n’a dit que la Commission devait arrêter. Donc nous continuons les négociations ». Inutile de dire qu’il n’est pas prêt à lâcher le morceau. D’ailleurs, après les déclarations françaises et allemandes, chacun a été rappelé au bon souvenir de ses propres votes. C’est ainsi que le porte-parole de la Commission européenne, Margarita Schinas n’a pas mâché ses mots : « Nous avons un mandat de négociation qui a été accepté unanimement » lors du dernier sommet européen cet été.
Et maintenant la suite. Elle gagne à être connue par tous ceux qui font du bruit avec leur bouche, soit qu’ils veuillent embrouiller tout le monde, soit qu’ils n’y connaissent rien et ne se renseignent pas avant de parler (devinez qui). Il faut commencer par savoir le minimum. Qui négocie et qui décide à la fin dans les merveilleux traités européens ? Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précise très clairement la procédure de négociation des traités commerciaux. Cela se passe à l’article 207 : « La Commission présente des recommandations au Conseil, qui l’autorise à ouvrir les négociations nécessaires. Il appartient au Conseil et à la Commission de veiller à ce que les accords négociés soient compatibles avec les politiques et règles internes de l’Union. Ces négociations sont conduites par la Commission en consultation avec un comité spécial désigné par le Conseil pour l’assister dans cette tâche et dans le cadre des directives que le Conseil peut lui adresser. La Commission fait régulièrement rapport au comité spécial, ainsi qu’au Parlement européen, sur l’état d’avancement des négociations. Pour la négociation et la conclusion des accords le Conseil statue à la majorité qualifiée. »
Pour ce qui nous concerne à cet instant, ce jargon signifie que la Commission est en charge de la négociation et elle seule. La procédure est la suivante : le Conseil des gouvernements donne mandat à la Commission, celle-ci négocie. Puis le Parlement européen se prononce. Enfin, le Conseil des gouvernements ratifie à la majorité qualifiée (et non à l’unanimité) selon l’article 207 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne. Ce dernier point reste en débat car les services juridiques divergent et on comprend que ce n’est pas une mince question que d’imposer à un pays qui n’en voudrait pas un accord de cette nature. De tout cela il résulte sans l’ombre d’un doute qu’aucun État seul ne peut plus s’opposer à la poursuite des négociations ni même à leur conclusion. Le ministre français et le ministre allemand parlent pour ne rien dire. Ou sinon pour enfumer tout le monde selon la bonne tradition des PS européens.
Or, Fekl et le gouvernement français prétendent demander l’arrêt des négociations lors de la réunion informelle des 27 ministres des affaires étrangères prévue à Bratislava ce 23 septembre. On va voir s’il y est majoritaire, ce qui n’est pas acquis. Mais le même gros malin a lu l’article 207 que je viens de vous redonner à lire. Il sait ce qui s’y trouve. C’est pourquoi, comme moi, il introduit une nuance à demi voix. Mes lecteurs désormais avertis ne s’y laisseront pas prendre. Évidemment, personne ne relève puisque le buzz c’est « le TAFTA est fini » et peu importe la vérité pourvu que le spectacle soit animé. Alors donc le ministre français prétend « arrêter » la négociation ! Rien de moins ! Il surligne même : « arrêter veut dire que c’est fini ». Quel matamore. Tape à l’œil pur et simple. Une phrase plus loin, il revient au réel et précise : « la Commission européenne a toujours la possibilité de négocier ce traité et personne ne peut juridiquement s’y opposer ». C’est strictement vrai. Mais c’est évidemment le contraire de ce qu’il a proclamé un instant plus tôt. Pas vu pas pris, personne ne relève. Notez : la négociation sur TAFTA n’est pas interrompue et elle ne le sera pas avant que la Commission européenne l’ait décidé.
Il ne manque plus qu’une précision à connaître : qui décidera à la fin des négociations si le traité est signé ou pas ? On peut déjà répondre qui ne le fera pas : le peuple. Et même pas ses assemblées parlementaires nationales. Pour que les parlements votent il faudrait que soit déclaré « mixte » le contenu du traité, c’est-à-dire de compétence nationale autant que « communautaire ». C’est la Commission qui décide si c’est mixte ou non. Si ça l’est, le traité doit être validé indépendamment par chacun des 28 États membres de l’UE sous la forme d’un vote au Parlement ou par referendum. Et il faut que tous les États sans exception l’adoptent. Bref : dans ce cas, l’unanimité est requise. C’est trop beau pour être vrai ! Il vous reste à savoir le plus saugrenu et intolérable : l’accord peut rentrer en vigueur avant que les parlements se soient prononcés ! Mais oui. Et c’est exactement ce qui va se faire pour le traité avec le Canada. Vous avez bien lu : le CETA, il sera soumis aux parlements nationaux après l’entrée en vigueur.
Alors mixte ou pas ? Inutile de dire que c’est un sujet âpre. Je l’ai dit : il y a un précédent. Le traité avec le Canada a été déclaré mixte. Ce dernier viendra donc nécessairement en débat et vote à l’Assemblée et au Sénat français. Pas avant la présidentielle. Donc forcément sous l’autorité de la nouvelle majorité qui aura été constituée lors des élections présidentielle et législatives. C’est pourquoi cette question des traités est un enjeu de ces élections. Elles devraient donner un mandat aux candidats élus. Mais encore faut-il qu’ils acceptent d’en parler ! Car tous vivent cette affaire comme un poids mort. Non seulement en France mais aussi aux États-Unis. Là-bas, le traité est considéré comme un argument en faveur de Trump ! Et nul doute que nos oiseaux locaux, Hollande et Sarkozy, n’ont aucune envie de donner « aux extrêmes », comme ils disent, l’argument contre eux d’un tel traité.
C’est d’ailleurs cette ambiance électorale qui a conduit les équipes de Bernie Sanders à crier alerte quand la nouvelle s’est répandue aux États-Unis que le gouvernement nord-américain voulait interrompre la négociation. Car c’est des États-Unis qu’est partie la manœuvre. Cela arrange d’abord les négociateurs démocrates de l’équipe Obama qui se donnent un moyen de pression en faisant mine de se retirer. Et ensuite cela comble Hillary Clinton qui a besoin de mettre à distance une question ou Trump était spécialement en pointe puisqu’il s’était bien tôt déclaré hostile au traité. Dans ce contexte, on voit que sur le versant européen ce sont les sociaux-démocrates qui ont immédiatement embrayé pour eux aussi exiger l’arrêt de la négociation avec le feu vert de leurs amis démocrates nord-américains. Au final tout le monde reprendrait ses billes et la négociation une fois débarrassé des élections et de la vigilance populaire. Mais bien sûr, tout le monde sait qu’une telle duperie n’est pas possible, ni de la part des démocrates nord-américains ni des PS européens. Mais mieux vaut y penser avant, quand même.
D’autant que j’avais à peine fini d’écrire ces lignes que deux informations leur ont donné une confirmation brutale. D’abord la déclaration de Pierre Moscovici, Commissaire européen nommé par Hollande, regrettant les demandes française et allemande d’interruption des négociations. Puis le coup de grâce donné par ce pauvre Jean-Marc Ayrault, démentant le ministre Felk et avouant sans faux-semblant la tactique du cheval de Troie qu’est l’accord CETA avec le Canada. : « La négociation va se poursuivre, a rectifié Ayrault ! La France n’est pas contre les accords de libre-échange. Prenons exemple sur l’accord avec le Canada qui est un bon accord ». Fin de la séquence gesticulation, début de la séquence couac sur couac. Car bien sûr, ce n’est pas la ligne des USA. Et la ligne des USA, c’est celle de Hollande, quelle qu’elle soit.