Dans ce post je parle d’une passion : l’enseignement professionnel, d’Alstom et du droit à l’avortement en Pologne et en France.
J’étais à Strasbourg cette semaine pour la session du Parlement européen. J’ai su que monsieur Macron-le-magnifique s’y trouvait aussi. L’homme qui a rompu ce qu’il restait de la synthèse entre les deux gauches au PS a fait forte impression, évidemment. Il ne fait que cela, notamment à la une de tous les journaux, chaque jour. On voit quel genre de « gauche » il incarne quand il félicite Juppé pour sa réforme de novembre-décembre 1995, prône le recul de l’État dans la société et ainsi de suite en faisant le tour des poncifs de la droite. « Droite modérée », cela va de soi… En tous cas, France 2, la voix de son maître, a pris le tournant : le service politique, qui chantait ses louanges avant, lui a bien démoli le portrait le lendemain même. Et voici le beau Macron mis au régime des vilenies de France 2 comme moi-même. Je le rassure : ça n’a pas d’impact. De moins en moins de personnes regardent, sauf les soirs où un socialiste passe sur la première chaîne.
Dans l’hémicycle de Strasbourg, les nouvelles affreuses du bombardement d’Alep ont permis un nouveau déchainement en faveur de la guerre avec la Russie. « Choisir son camp », comme ils disent dans leurs transes d’indignation à géométrie variable. Précisément, c’est ce qu’il faudrait faire. Mais en faisant passer la ligne des « camps » entre Daech, les différentes factions de l’islamisme guerrier, sans trier, et une coalition universelle. Et certainement pas entre les Russes et les Américains. L’invasion turque, la rupture de la trêve par les États-Unis d’Amérique ont enclenché en riposte une reprise des opérations de guerre des Russes.
À présent les positionnements de chacune des puissances engagées sont une lourde perte de temps et de vies humaines. Les USA refusent de reprendre la discussion sur le cessez le feu. Ruse de propagande pour se donner des airs d’innocents. Des innocents, dans ce conflit, il n’y en a que sous les bombes. C’est le propre de la guerre, car de guerre propre, il n’y en a jamais. Les populations de Mossoul en général et les Kurdes en particulier après la population d’Alep vont à présent elles aussi nourrir les charniers. À mes yeux, il faut raison garder et ne pas céder au « campisme » est-ouest qui empêche de penser et de proposer des solutions viables. La marche à l’abîme se propage, des frontières de l’Europe à celles de l’extrême orient. Garder raison, c’est s’interdire les alignements et le service extérieur de la propagande des belligérants.
Où sont passés les hypocrites du burkini ? Cet été, ils prétendaient défendre les droits des femmes avec l’enthousiasme des nouveaux convertis. Leur conviction féministe a disparu aussi vite qu’elle était apparue. On ne les entend pas protester contre le recul du droit des femmes qui s’annonçait en Pologne. Pourtant, c’est l’interdiction de l’avortement qui a été en débat là-bas. Mais les « radicalisés religieux » ne sont pas musulmans ! Juste des catholiques brutaux et archaïques. Le droit des femmes à disposer de leur corps n’intéressait donc pas ces féministes de la 25e heure.
Avec le burkini, leur but était de faire un lien entre le massacre de Nice le 14 juillet et la religion musulmane. Sans doute parce que beaucoup de ceux qui étaient en première ligne sur place savaient déjà combien ce lien n’était guère évident. Le journal « Le Monde » vient de le révéler dans une enquête fouillée sur la personnalité du criminel. À présent, les voilà bouche cousue. Meurent les femmes plutôt que l’obscurantisme à leur sujet. En Pologne, le meurtre de masse était en bon chemin. Car refuser l’avortement légal c’est toujours augmenter le nombre des avortements clandestins et des mortes qui vont avec. Là-bas, une régression historique est en cours. L’intégrisme catholique attaque les droits des femmes sur tous les plans. Cela prouve combien le problème en la matière n’est pas telle ou telle religion. Le problème, c’est l’usage politique qui est fait de n’importe quelle religion pour contraindre les êtres humains en général à des comportements absurdes, et toujours les femmes en particulier à un sort misérable.
En Pologne, la droite catholique au pouvoir veut supprimer ce qui reste du droit à l’avortement hérité de la période soviétique. La majorité parlementaire a été saisie de deux projets de loi d’initiative citoyenne sur le sujet. L’un proposait d’élargir le droit à l’avortement : il a été rejeté. L’autre propose au contraire de revenir sur les cas d’avortement aujourd’hui autorisé et d’interdire presque totalement le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Ce projet de loi a été accepté par les parlementaires pour être examiné plus en détail. Il prévoit de limiter l’avortement légal aux seuls cas extrêmes de danger imminent pour la vie de la mère. Il a fini par être repoussé. On verra vite que les intégristes ne s’y résigneront pas.
Le droit à l’avortement a déjà été attaqué en Pologne après la chute du régime communiste. Pourtant, les Polonaises ont conquis le droit à l’avortement de haute lutte dans l’histoire. D’abord en 1930 en cas de viol ou d’inceste et pour les mineures de moins de 15 ans. Puis surtout en 1956, sous le régime communiste, une loi a autorisé l’avortement posant comme seule exigence l’existence de « conditions de vie difficiles » pour la femme enceinte. Mais après la chute du mur de Berlin, en 1993, l’Église catholique et l’État ont passé un accord pour restreindre ce droit. L’avortement est depuis autorisé seulement pour les femmes victimes de viol et d’inceste, celles dont la grossesse présente un risque pour leur santé ou leur vie et celles dont l’embryon présente une pathologie grave. Une misère !
Mais pour les fous de dieu polonais c’est encore trop ! Ils voulaient donc réduire cette maigre autorisation aux seuls cas où la vie de la femme serait en danger imminent. Une terrible régression menaçait. Le risque évident, c’est la souffrance des femmes et le développement des avortements clandestins, dans des conditions de dignité, de sécurité et d’hygiène effroyables. Le projet de loi polonais prévoyait même de punir de 5 ans de prison les médecins qui pratiqueraient un avortement illégal contre 2 ans aujourd’hui. Et, ignominie ultime, il prévoyait aussi la possibilité de condamner à 5 ans de prison les femmes qui avorteraient ! Même les évêques polonais ont dit qu’ils ne souhaitaient pas la condamnation des femmes… tout en rappelant qu’ils sont absolument partisans de l’interdiction de l’avortement. Des bigots Tartuffes ordinaires.
La résistance des féministes polonaises a été magnifique. Lundi 3 octobre, elles ont organisé une journée de grève. Oui, une grève. Parce que le droit à l’avortement, c’est le droit pour les femmes de disposer librement de leur corps. Leur corps, le même que celui utilisé pour produire des richesses et occuper des emplois souvent plus précaires et moins payés que les hommes. Féministes et progressistes polonais ont manifesté par milliers dans les rues et sur les places du pays. Parmi les slogans : « On veut des médecins, pas des flics » ou « il nous faut des soins médicaux, pas les souhaits du Vatican ».
Je note au passage le rôle des réseaux sociaux dans l’organisation et la diffusion du mot d’ordre de « Manifestation noire » (« CzarnyProtest »). Les sondages disent que seul 11% de la population polonaise soutenait ce projet de loi ! La moitié ne voulait pas de changement de la législation même si elle était déjà très éloignée des conquêtes antérieures. Au contraire, près de 40% veulent élargir le droit à l’avortement. La veille de la journée de « grève des femmes », dimanche 2 octobre, des rassemblements de soutien avaient eu lieu un peu partout et notamment à Paris devant l’ambassade de Pologne. Ma camarade, la conseillère de Paris et co-coordinatrice du Parti de Gauche, Danielle Simonnet, nous y représentait.
Une nouvelle fois, « l’Europe qui protège » n’a servi à rien alors qu’elle passe son temps à faire voter des résolutions et autres rapports sur les droits des femmes ! Le Parlement européen a débattu une fois de plus du sujet. Sans voter aucune résolution qui n’aurait eu de toute façon aucune valeur contraignante ni aucun effet. Quant à la Commission européenne et aux chefs d’État, ils sont capables d’extorquer l’accord de pays d’Afrique, des Caraïbes ou du Pacifique pour des accords commerciaux inégaux. Ils sont capables de broyer un gouvernement progressiste en Grèce, de piétiner des référendums populaires et de punir un état-membre pour un taux de déficit budgétaire excessif. Mais ils sont incapables de protéger les femmes contre un recul terrible du droit fondamental à disposer de leur propre corps. On voit combien les propositions aussi timides qu’une « clause de non régression des droits » en Europe sont totalement absentes et illusoires face aux conservateurs et réactionnaires de l’Union européenne. Il en va de même de l’initiative portée par le programme L’Humain d’abord de 2012 pour une « clause de l’européenne la plus favorisée » pour aligner les droits des femmes sur le meilleur niveau reconnu dans l’Union européenne. Les féministes polonaises ne pouvaient donc compter que sur elles-mêmes. Et bien sûr notre soutien total.
Comme vous le savez, j’appartiens à une génération qui a connu l’avant et l’après droit à l’avortement en France, l’avant et l’après droit à la contraception sans autorisation parentale pour les mineures. Avant 1974 et Giscard D’Estaing, la majorité c’était 21 ans, et l’avortement était criminalisé quel que soit l’âge de la femme et du médecin. Je voudrais témoigner que dans ces questions, si la femme portait l’essentiel de la charge, le garçon qui l’aimait, aussi. Cette histoire-là, c’est le plus souvent une affaire qui concerne les deux partenaires. Je n’ai rien oublié de cette époque. Pour les filles et les garçons de famille de riches, pour celles et ceux qui « savaient » où, quand et comment avorter clandestinement, tout était beaucoup plus simple. Pour les plus chanceuses des autres, heureusement qu’il y avait le MlAC et ses bus vers la Hollande. Et sinon, c’était la tricoteuse et la mort qui rôdait.
J’ai tout cela à l’esprit. Je sais bien ce que je dois lire derrière les visages et la rage de la réaction qui monte partout en Europe. La puissance de la « Manif pour tous », l’intensité de la haine contre les musulmans et les juifs dans notre pays, tout cela doit nous mettre en garde contre ce qui pourrait nous arriver aussi cette fois-ci ou une autre. Car ce sont les mêmes enragés qui cuisent dans ces divers potages de haine. Quand je découvre que Laurent Wauquiez revient à la charge contre la ministre Vallaud-Belkacem qu’il accuse d’être un suppôt de « la théorie du genre », je sais que les couteaux sont tirés contre le camp de la philosophie des lumières.
En effet, il n’y a pas de « théorie du genre » ni au singulier ni comme un tout. Il y a des méthodes d’analyses qui déconstruisent l’idée selon laquelle les « caractéristiques masculines et féminines » seraient autre chose que des constructions sociales et culturelles qui varient notamment au fil du temps, des lieux et des cultures. Pourquoi un homme instruit comme monsieur Wauquiez fait-il semblant de ne pas le savoir ? Parce qu’il lui importe de revenir aussi fermement que possible aux assignations de rôles « complémentaires » comme ils disent, de l’homme et de la femme. Lesquels rôles finissent toujours par être distribués autour de la procréation et des liens sociaux qu’elle fonde. Ceux-là sont contre la « théorie du genre » pour mieux priver, à la fin, les femmes de la propriété exclusive et personnelle de leur corps. Je le sais et je crois de mon rôle de le répéter pour éviter les naïvetés !
Le corps des femmes a toujours été la frontière de tous les communautarismes. Et toutes les religions engendrent leurs fondamentalistes et leurs communautaristes comme en a convenu le pape lui-même dont la charité chrétienne est pourtant prise en défaut sur ce thème, puisqu’il mène une guerre impitoyable aux femmes sur le sujet dans l’univers entier. Je voudrais dire que si les croyants ont le droit, selon la règle de leur croyance, de considérer l’avortement comme un crime et le choix de n’y point recourir, ils ne doivent pas avoir le pouvoir d’imposer aux autres leur vue sur le sujet. Imposer par la loi la punition de l’avortement, c’est de même nature que l’obligation de se voiler imposée en Iran par la police des mœurs. Et j’en profite pour rappeler que militer pour le droit à l’avortement ce n’est pas militer pour l’avortement mais renvoyer chaque personne à sa propre et libre appréciation personnelle dans les circonstances qui conduisent à se poser la question.
Ayant tout cela à l’esprit, je veux rappeler que si je suis élu, je proposerai que le droit à l’avortement soit inscrit dans la Constitution, de même que le droit de mourir dans la dignité. Les deux droits ont une racine commune : disposer de soi en seul(e) propriétaire de soi.
Alerte pour l’enseignement professionnel. Trente ans après la création du bac professionnel, l’enseignement professionnel public est en voie de destruction totale. Deux quinquennats se sont acharnés sur lui dans un cocktail dévastateur qui mêle coupes budgétaires et mépris crasse pour les qualifications. Depuis 10 ans, sous Hollande et Sarkozy, 176 lycées professionnels publics ont été fermés. Au total, 3 500 classes ont disparu dans cette voie éducative des métiers. Pendant ce temps, pourtant, la hausse du nombre des jeunes scolarisés continuait. Ainsi, l’enseignement pro accueillait 57 000 lycéens en moins en 2015 par rapport à 2005, alors que l’ensemble second degré absorbait 76 000 élèves supplémentaires sur la même période. Du coup, ceux qui voulaient choisir cette voie ne le peuvent souvent plus. Et ceux qui ne peuvent pas être accueillis dans les filières pro sont donc orientés par défaut dans l’enseignement général comme dans une impasse.
Inutile de préciser que, dans ces conditions, le taux d’échec augmente et, avec lui, les sorties du système scolaire sans qualification. Dans certaines académies (les « régions » de gestion de l’Éducation nationale) qui s’étendent sur plusieurs départements souvent enclavés, comme Limoges, Clermont-Ferrand ou Besançon, il y a désormais moins de 20 lycées professionnels pour toute la région. Cette pénurie est une dissuasion efficace on s’en doute.
Cette anémie est criminelle pour l’avenir professionnel de millions de jeunes et la vie productive du pays. Elle ne tombe pas du ciel. Elle est voulue et planifiée. Pour le ministère des Finances qui relaie les injonctions de la Commission européenne, les critères comptables dominent tout. Jusqu’à l’organisation des cursus. L’invention du passage de la durée de préparation du bac pro de 4 ans à 3 ans en est un exemple frappant. C’est un choix aberrant sur le plan pédagogique et éducatif. La hache passe partout et tape fort. De plus, sous le doux nom de « rationalisation des structures », tous les établissements, quels qu’ils soient, comportant moins d’un certain nombre d’élèves par classe sont amputés de sections et de classes. Mais l’enseignement professionnel comporte par nécessité pédagogique un nombre beaucoup moins élevés de lycéens par classe. Ils sont autour de 20 en moyenne contre 30 dans l’enseignement général. C’est donc à lui qu’on a fait supporter l’essentiel des suppressions de moyens.
Loin d’être aveugles, les coupes budgétaires des 10 dernières années ont donc frappé en priorité la voie professionnelle. Déjà sous Sarkozy, elle supportait les 2/3 des suppressions de postes du 2nd degré. Pourtant, elle ne scolarisait alors que le tiers des lycéens. Cet acharnement s’est poursuivi sous Hollande. Les annonces de postes créés sans réalité se concentrent dans l’enseignement professionnel. Les concours de recrutement sont en effet très loin de pourvoir les créations de postes promises par les annonces présidentielles. Ils restent donc vacants. Soit parce que les concours sont volontairement sous-calibrés (pas assez de postes ouverts), pour afficher des créations d’emplois dans le budget mais ne jamais les créer en réalité. Soit parce qu’ils ne sont plus attractifs : commencer à 1 400 euros dans un métier difficile et méprisé avec un niveau master a tari les viviers d’enseignants dans beaucoup de secteurs.
C’est encore plus absurde dans l’enseignement professionnel où les enseignants des disciplines techniques sont souvent des professionnels reconnus dans leur métier dont on exige désormais qu’ils aient un niveau master pour devenir enseignant ! Et je ne dis rien de l’énorme perte de salaire que cela peut représenter pour un professionnel expérimenté. Résultat : depuis 2012, l’enseignement professionnel a perdu 3 340 équivalents temps plein d’enseignants devant les élèves. Loin d’atténuer ce carnage décidé sous Sarkozy, Hollande a donc poursuivi la destruction de l’enseignement professionnel public. Même les crédits pédagogiques sont en baisse de 30 % par rapport à 2012, ce qui a souvent reporté sur les élèves des frais supplémentaires d’équipement et de fournitures (matériaux, outillages etc).
Avec ça, les destructeurs se gargarisent de discours promotionnels de promotion idéologique de l’apprentissage. Pour ces gens-là qui ne savent rien des métiers, l’apprentissage tient lieu de politique des qualifications. Alors, depuis 10 ans, les gouvernements de Sarkozy et Hollande ont multiplié les aides pour l’embauche d’apprentis, sans que jamais l’objectif, fixé par Sarkozy et repris par Hollande, de 500 000 apprentis ne soit atteint. L’apprentissage stagne au contraire autour de 400 000 contrats en dépit de toutes les tentatives de relance. Il a même baissé depuis 2013 où l’on comptait 430 000 contrats. On manque d’offres des employeurs pour recevoir des apprentis ! Bien sûr. Car même pour prendre des appentis subventionnés, encore faut-il avoir un niveau d’activité suffisant pour les payer !
Et la voie de l’apprentissage reste précaire ! Elle n’est pas adaptée à tous les jeunes : un apprenti sur 4 ne va pas au bout de son contrat. Dans les métiers les plus durs (comme la boulangerie), ce taux d’abandon approche les 50 %. S’y ajoute une grande précarité salariale avec des payes souvent inférieures au SMIC pour un travail à temps complet. La stagnation du SMIC (référence de calcul de la rémunération des apprentis) n’arrange rien. Quant à la revalorisation des minimas salariaux des apprentis de 16-20 ans annoncée par le gouvernement, elle ne sera finalement appliquée qu’en 2017. À défaut d’avoir amélioré significativement la condition des apprentis, les gouvernements de droite et du PS ont multiplié les aides inefficaces pour les employeurs. Valls a ainsi instauré une prime de 1 000 euros par embauche d’apprenti depuis 2014. Cela a créé un effet d’aubaine pour des contrats qui auraient de toute façon été signés. En effet entre fin 2014 et fin 2015, le nombre d’apprentis n’a progressé que de 2 000 !
La loi El Khomri a ajouté à cela d’autres mesures spécialement dangereuses, selon moi. Elles traduisent bien la profonde méconnaissance des enjeux actuels de la qualification. Il a ainsi été décidé d’ouvrir l’apprentissage pour préparer des certificats de branches (CQP). Aujourd’hui, l’apprentissage n’est possible que pour préparer des diplômes nationaux. Cette évolution va faire reculer les préparations de diplômes nationaux qui sont autant de qualifications larges et durables. À la place de quoi sont prévus des « certificats de branche » avalisant des compétences plus étroites et périssables. La précarité des futurs salariés en sera accrue. Et ils seront condamnés à vie au renouvellement de ces « certificats » à mesure que le cycle des machines raccourcira et la compétence de leurs servants se rétrécira. Dans le même état d’esprit sera aussi désormais délivrée une attestation de compétences « partielles » aux apprentis rompant leur cursus, pour faciliter la reconnaissance future d’acquis. Bref tout le système des qualifications part en morceaux et l’asservissement des salariés sera augmenté d’autant. Cette formule calamiteuse des « certificats de compétence » a été tentée dans plusieurs pays avec partout le même résultat : l’abaissement du niveau de qualification, la faible adaptation des salariés à tout changement dans les process de production, la nécessité pour eux de revenir sans cesse se requalifier au fil des années.
C’est l’inverse de tout cela qu’il faut faire. Commençons par abroger ce flot de mesures absurdes. Il faut prononcer un moratoire immédiat sur les fermetures de classes et d’établissements de l’enseignement professionnel public. Puis on passera aux tâches pour reconstruire le système éducatif de la voie des métiers afin qu’il offre à nouveau un maillage fin et des formes de cursus adaptés aux besoins des jeunes. Un réseau national cohérent de lycées polytechniques incluant tous les niveaux du CAP au BTS sera un des outils de cette reconstruction. On devra y intégrer des centres de validation des acquis. Et pour permettre cette relance du service public de la qualification, le recrutement des enseignants devra être adapté pour attirer à nouveau des professionnels reconnus dans leur branche. Cela passe par exemple par la réouverture de cycles rémunérés de préparation aux concours d’enseignants, permettant à ces professionnels de compenser la perte de salaire liée à cette reconversion professionnelle.
L’élévation du niveau de qualification passe par le fait que l’on puisse circuler plus facilement entre les paliers de formations du CAP au bac pro puis ensuite aux BTS / DUT et même à la licence professionnelle. Les grands discours du gouvernement à ce sujet sont en contradiction avec ce qu’il fait vraiment en réalité. Ainsi la loi sur l’enseignement supérieur de 2013 a-t-elle bruyamment réservé des places pour les jeunes qui ont un bac pro dans les sections de BTS, où ils ne représentent que 29 % des inscrits. Baratin. Car compte tenu du maillage très insuffisant des lycées professionnels comportant une section de technicien supérieur (STS) cet accès est en réalité un parcours du combattant.
A la rentrée 2015, 65 % des bacheliers se retrouvant sans aucune affectation dans le supérieur après en avoir fait la demande étaient des bacs pros ! Faute de places accessibles en STS (section de techniciens supérieurs), certains arrivent par défaut à l’université. Cruelle illusion. Car seulement 5 % arrivent jusqu’à la licence. Quant à ceux qui ont réussi à intégrer une STS, leur taux de réussite n’est aujourd’hui que de 50 %. Pourtant il est de 80 % pour l’ensemble des étudiants passant le brevet de technicien supérieur (BTS). Là encore, c’est parce que le contenu de l’enseignement professionnel a été fragilisé ! En particulier par la réduction du bac pro à trois ans d’étude qui a conduit à raboter sur les contenus généraux des différentes disciplines, décisifs pour les poursuites d’études.
Les bases de la politique que j’avais posée quand j’étais ministre de l’Enseignement professionnel de 2000 à 2002, ont été détruites par les politiques de droite des sarkozystes et des PS qui ont suivi. Pour moi, cette question ne peut se dissocier des objectifs du plan de transition écologique. Des centaines de milliers de nouveaux travailleurs femmes et hommes doivent être mis en capacité professionnelle de faire face au défi. C’est le cas par exemple pour l’économie de la mer. Il nous faut trois cent mille professionnels supplémentaires. Entre autres choses, je voudrais qu’il y ait au moins un lycée professionnel maritime par département côtier. Je voudrai mieux, mais ce chiffre est déjà un petit défi. Car apprenez que par exemple pour toute la région Picardie, Nord-Pas-de-Calais où je me trouvais en visite quand je fus à Boulogne, il n’y en a plus qu’un seul ! Il n’y en a pas non plus en (ex) PACA… et ainsi de suite. Ampleur du désastre !
Par leur lutte, les salariés d’Alstom ont gagné un sursis. L’usine de Belfort ne fermera pas à court terme. C’est un encouragement pour tous les salariés du pays : la campagne électorale est l’occasion d’arracher quelques victoires, et la lutte est la seule manière de mettre la question sociale au cœur de l’élection. Mais le bricolage inventé par François Hollande dans le cas d’Alstom vise surtout à effacer son propre bilan. Aucun problème de fond n’est réglé et aucun plan de développement de la filière ferroviaire n’est sur la table.
Les annonces du gouvernement sur l’avenir du site d’Alstom Belfort n’ont qu’un but : éviter cyniquement l’annonce de la fermeture de l’usine avant l’élection présidentielle. François Hollande n’a rien eu à faire du ferroviaire ni d’Alstom pendant tout son mandat. Il a même fait tout ce qu’il pouvait pour détruire l’un et l’autre. Son changement de pied ne doit rien à une conviction et tout à ce qu’il croit être son intérêt électoraliste. Bien sûr, en disant cela, je n’enlève rien à la belle victoire remportée par les salariés d’Alstom Belfort et je partage leur soulagement de voir leur usine continuer à vivre et à produire.
Mais le bricolage industriel est à l’ordre du jour. Après avoir abandonné le ferroviaire et laminé l’investissement public pendant cinq ans, François Hollande découvre que sa politique d’austérité est une cause centrale des malheurs d’Alstom ! Et il se résout donc à ce que l’État commande des trains ! La recette montre l’absence de stratégie : 6 TGV dont 12 locomotives par-ci pour le Paris-Turin-Milan, 20 locomotives diesel par-là pour dépanner des trains en panne et donc, le comble, l’achat de 15 rames de TGV, donc 30 locomotives, pour les trains « intercités ».
Le rafistolage frôle le ridicule : à quoi cela rime-t-il d’acheter 15 rames TGV pour les faire circuler sur des lignes intercités et non sur des lignes à grande vitesse ? François Hollande sait-il que le TGV peut circuler à la vitesse de 320 km par heure mais qu’il ne pourra rouler qu’à 200 km par heure, dans le meilleur des cas, sur les lignes intercités ? Du coup, sait-il que l’organisation des rames et leur confort ne seront pas ceux d’un train intercité actuel ? Sait-il que les lignes Bordeaux-Toulouse et Marseille-Perpignan ne seront pas transformées en lignes LGV avant plus de dix ans si tant est qu’elles le soient un jour ? Et qu’il est donc possible d’y faire circuler des trains moins coûteux à l’achat et à l’exploitation que des TGV ? Quelle est la logique de dépenser l’argent public pour équiper inutilement deux lignes intercités en TGV quand le gouvernement prétend ne pas avoir d’argent pour une vingtaine d’autres lignes intercités qu’il veut fermer ou abandonner aux régions ? Et cette commande ne va-t-elle pas pénaliser un autre site d’Alstom, celui de Reichshoffen, qui produit justement des trains prévus pour les lignes intercités ? Y-a-t-il encore un pilote dans la locomotive gouvernementale ?
Ce plan ne tiendra peut-être pas au-delà de la présidentielle. Pourquoi ? Parce qu’il a l’air fragile du point de vue du respect des règles de la « concurrence libre et non faussée » de l’Union européenne que François Hollande n’a pas l’intention d’enfreindre. C’est notamment le cas pour ce qui concerne la commande des 15 rames de TGV. En effet, un tel marché doit faire l’objet d’un appel d’offre européen en vertu des règles européennes. Pour l’éviter, le gouvernement s’est appuyé sur un accord-cadre existant entre l’État, la SNCF et Alstom qui prévoit des commandes supplémentaires en option. Mais rien ne dit que la dogmatique Commission européenne ne demandera pas des précisions voire n’imposera pas une remise en cause des commandes ou une amende. Hollande s’en moque, cela va prendre des mois et n’interviendra pas avant la présidentielle. Après lui, le déluge, doit-il se dire. Mais le déluge est peut-être dans un détail. Celui par lequel on a appris que les rames seraient peut-être revendues ensuite. À qui ? N’est-ce pas là comme une contribution à la mise en circulation concurrente de compagnies de train ?
Aucune des causes profondes n’est traitée par ce rafistolage. Alstom Belfort ne vivra pas sans nationalisation d’Alstom, sans plan d’investissement public massif, sans politique ferroviaire ambitieuse, sans sortie des traités européens et du dogme de la concurrence libre et non faussée par un protectionnisme solidaire comme je l’ai écrit dans ma tribune publiée dans le journal Le Monde du 16 septembre.
Et Alstom est un parfait symbole de l’échec économique du gouvernement et de son idéologie. Alstom transport a été fragilisé par l’abandon successif des autres activités du groupe et notamment par la vente de la branche énergie en 2014 à General Electric, vente actée par Hollande lui-même avec l’appui de ses ministres de l’Economie de l’époque, Arnaud Montebourg d’abord puis Emmanuel Macron ensuite. Loin de la politique de l’offre, Alstom Belfort souffre du manque de commandes de trains dû à la politique d’austérité. S’il y avait besoin de 21 rames TGV, pourquoi avoir attendu la menace de fermeture de l’usine de Belfort pour passer commande ? Personne n’avait pensé à les acheter avant ? Ou, plutôt, qui a refusé de débloquer l’argent pour les acheter ?
L’absence de commandes vient aussi de l’abandon de toute ambition pour le ferroviaire dans notre pays. Le réseau ferré est dans un état lamentable comme l’a dénoncé l’émission « envoyé spécial » de France 2 jeudi 27 septembre. Et le gouvernement a tout fait pour saboter le rail : refus de faire reprendre la dette de la SNCF par l’État pour relancer les investissements, acceptation et mise en œuvre anticipée du 4e paquet ferroviaire pour ouvrir à la concurrence les trains régionaux TER et les trains Intercités, soutien au développement du transport par autocar avec la loi Macron au détriment du ferroviaire, etc.
L’absence totale de planification écologique se voit aussi dans le fret : abandon de tout principe d’écotaxe poids lourds au motif que celle prévue était mal ficelée, autorisation des poids lourds de 44 tonnes sur les routes, plan de relance autoroutier mais abandon du projet d’autoroute ferroviaire entre Calais et le pays Basque etc. Pourtant, Alstom Belfort ne produit pas que des TGV. Alstom Belfort produit aussi des locomotives de fret. Un plan national de développement du fret ferroviaire aurait permis de donner du travail à Belfort en s’épargnant le ridicule de voir des TGV exploités aux deux-tiers de leur capacité sur des lignes classiques.
Enfin, la question de la concurrence déloyale reste posée. Cet été, la filiale commune de la SNCF et de son équivalent allemand a décidé de commander 44 locomotives au constructeur allemand Vossloh, concurrent d’Alstom. Mais ce n’est pas parce que les locomotives allemandes seraient meilleures. C’est parce qu’elles sont soi-disant « moins chères ». Et pourquoi sont-elles « moins chères » ? Parce qu’elles sont en grande partie fabriquées en Pologne, dans des conditions salariales et sociales moins favorables aux salariés. Le dumping social et la concurrence déloyale tuent l’industrie française aussi sûrement qu’ils tuent les droits sociaux des travailleurs ici et là-bas. Et l’argent de la SNCF sert à financer ce système au lieu de soutenir l’activité en France.
Bref, la lutte des salariés d’Alstom a permis d’éviter la fermeture immédiate. Mais leur chance d’un avenir meilleur passe, comme pour tous les Français par l’élection de 2017. Ce sera l’occasion d’imposer d’autres choix pour la France et son industrie. Il en va de l’intérêt général et de notre capacité à mener la transition écologique.
125 commentaires
Marie
Je trouve le programme très bien, les gens vont à nouveau vivre et pas seulement survivre. Je me pose des questions sur la 6ème république l’assemblée constituante, c’est tellement nouveau que ce serai bien je pense de rassurer les gens sur comment ça va se passer exactement, une vidéo explicative sur ce sujet uniquement avec un petit reportage sur comment ça se passe dans les pays où c’est déjà pratiqué avec des gens du pays que l’on interroge pour avoir leurs avis. De nouveaux élus ? Députés, sénateurs ? Les citoyens participent par le vote ? Un exemple serait bien. Les politiques actuels seront remplacés tout de suite ou progressivement ? Lesquels exactement ? Quel sera le poids d’un vote du peuple par rapport aux politiques ? Es qu’il y aura des économistes ? Je vous remercie.
semons la concorde
Toute la question est là : attendre après les élections pour ouvrir une constituante c’est prendre le risque que la main soit reprise par les vieux briscards de la politique et les pratiques anciennes perdureront. Le peuple doit être impliqué maintenant dans la réflexion et la préparation de l’après-élection. Ne refaisons pas les mêmes erreurs que les grecs et les tunisiens. Les partis politiques trahissent régulièrement leurs promesses. Même s’il faudra toujours des porte-paroles, il faut que le peuple dans son ensemble puisse réfléchir et décider de son avenir. Nos enfants et petits enfants passent leur temps sur leurs tablettes et sur leurs téléphones portables : c’est le media incontournable.
JeanLouis
Deux remarques sur le commentaire de @Marie et la réponse de @semons la concorde. Comment voulez vous organiser une vraie constituante, officielle, avant l’élection, c’est impossible ? Ensuite au delà des questions de @Marie à qui je voudrai faire remarquer qu’il y a déjà eu en France des assemblées constituantes, un certain nombre depuis 1789, pourquoi diable vouloir des « économistes » à tout prix là dedans ?
gerlub
Bonsoir,
J’ai vu Jean-Luc Mélenchon ce matin chez Bourdin. Il faut aller dans les différents media malgré la chaine jlm2017. Cependant il l’a fait parler sur Hollande et son livre, et sur les « gens de gauche » qui voteraient Juppé aux primaires de droite ! Sujets dont nous n’avons que faire, et n’a abordé notre programme que dans les 2 ou 3 dernières minutes. J’aurais préféré l’inverse.
Si je peux me permettre une petite remarque ? Lorsque Jean-Luc Mélenchon est interviewé sur une chaîne autre que jlm2017 et bien il faut faire comme si c’était notre chaîne et parler aux téléspectateurs directement en regardant la caméra et non le journaliste. Déjà le ton sera forcément plus apaisé et face à une question « un peu tordue » du journaliste ironiser ou adopter une attitude plus détachée du journaliste à qui on ne s’adresse pas, et surtout répondre aux questions qui ne sont pas posées, Comme sur notre programme par exemple, en ayant en tête cet objectif que ceux qui sont à convaincre ne sont pas les journalistes stipendiés, « les chiens de garde » mais ceux qui regardent le poste !
Franck
Petite info réjouissante (même s’il faut rester prudent), des sections locales PC (en PACA) commencent à bouger et votent en interne pour leur participation à la France insoumise, et c’est tant mieux ! ça m’aurais fait mal au cœur que des militants avec qui nous avons fait une belle campagne en 2012 ne soient pas chez eux parmi nous et comme l’a dit Jean-Luc : « qu’ils viennent donc prendre leur part de bonheur ! ». Voilà, je tenais à le signifier car ce dialogue de sourds entre nous sur le terrain à chaque manifestation était surréaliste. Peut-on dire que cela commence à sentir bon !
Rodolphe13
4e et 5e arrondissement de Marseille : les camarades du PC ont effectivement voté. Ils se divisent en 3 tiers. 1/3 pour le soutien à la France insoumise et son candidat, 1 tiers pour une candidature PC, 1/3 qui ne sait pas trop et attend le 5 novembre.
remier
les gouvernantes que certains d’entre nous s’autorisent à être pour M. Mélenchon sont certes touchants tout comme les conseils de postures et autres. N’ayez crainte, ses analyses sont complètes et approfondies et peut-être un peu lourd pour lui.