Par leur lutte, les salariés d’Alstom ont gagné un sursis. L’usine de Belfort ne fermera pas à court terme. C’est un encouragement pour tous les salariés du pays : la campagne électorale est l’occasion d’arracher quelques victoires, et la lutte est la seule manière de mettre la question sociale au cœur de l’élection. Mais le bricolage inventé par François Hollande dans le cas d’Alstom vise surtout à effacer son propre bilan. Aucun problème de fond n’est réglé et aucun plan de développement de la filière ferroviaire n’est sur la table.
Les annonces du gouvernement sur l’avenir du site d’Alstom Belfort n’ont qu’un but : éviter cyniquement l’annonce de la fermeture de l’usine avant l’élection présidentielle. François Hollande n’a rien eu à faire du ferroviaire ni d’Alstom pendant tout son mandat. Il a même fait tout ce qu’il pouvait pour détruire l’un et l’autre. Son changement de pied ne doit rien à une conviction et tout à ce qu’il croit être son intérêt électoraliste. Bien sûr, en disant cela, je n’enlève rien à la belle victoire remportée par les salariés d’Alstom Belfort et je partage leur soulagement de voir leur usine continuer à vivre et à produire.
Mais le bricolage industriel est à l’ordre du jour. Après avoir abandonné le ferroviaire et laminé l’investissement public pendant cinq ans, François Hollande découvre que sa politique d’austérité est une cause centrale des malheurs d’Alstom ! Et il se résout donc à ce que l’État commande des trains ! La recette montre l’absence de stratégie : 6 TGV dont 12 locomotives par-ci pour le Paris-Turin-Milan, 20 locomotives diesel par-là pour dépanner des trains en panne et donc, le comble, l’achat de 15 rames de TGV, donc 30 locomotives, pour les trains « intercités ».
Le rafistolage frôle le ridicule : à quoi cela rime-t-il d’acheter 15 rames TGV pour les faire circuler sur des lignes intercités et non sur des lignes à grande vitesse ? François Hollande sait-il que le TGV peut circuler à la vitesse de 320 km par heure mais qu’il ne pourra rouler qu’à 200 km par heure, dans le meilleur des cas, sur les lignes intercités ? Du coup, sait-il que l’organisation des rames et leur confort ne seront pas ceux d’un train intercité actuel ? Sait-il que les lignes Bordeaux-Toulouse et Marseille-Perpignan ne seront pas transformées en lignes LGV avant plus de dix ans si tant est qu’elles le soient un jour ? Et qu’il est donc possible d’y faire circuler des trains moins coûteux à l’achat et à l’exploitation que des TGV ? Quelle est la logique de dépenser l’argent public pour équiper inutilement deux lignes intercités en TGV quand le gouvernement prétend ne pas avoir d’argent pour une vingtaine d’autres lignes intercités qu’il veut fermer ou abandonner aux régions ? Et cette commande ne va-t-elle pas pénaliser un autre site d’Alstom, celui de Reichshoffen, qui produit justement des trains prévus pour les lignes intercités ? Y-a-t-il encore un pilote dans la locomotive gouvernementale ?
Ce plan ne tiendra peut-être pas au-delà de la présidentielle. Pourquoi ? Parce qu’il a l’air fragile du point de vue du respect des règles de la « concurrence libre et non faussée » de l’Union européenne que François Hollande n’a pas l’intention d’enfreindre. C’est notamment le cas pour ce qui concerne la commande des 15 rames de TGV. En effet, un tel marché doit faire l’objet d’un appel d’offre européen en vertu des règles européennes. Pour l’éviter, le gouvernement s’est appuyé sur un accord-cadre existant entre l’État, la SNCF et Alstom qui prévoit des commandes supplémentaires en option. Mais rien ne dit que la dogmatique Commission européenne ne demandera pas des précisions voire n’imposera pas une remise en cause des commandes ou une amende. Hollande s’en moque, cela va prendre des mois et n’interviendra pas avant la présidentielle. Après lui, le déluge, doit-il se dire. Mais le déluge est peut-être dans un détail. Celui par lequel on a appris que les rames seraient peut-être revendues ensuite. À qui ? N’est-ce pas là comme une contribution à la mise en circulation concurrente de compagnies de train ?
Aucune des causes profondes n’est traitée par ce rafistolage. Alstom Belfort ne vivra pas sans nationalisation d’Alstom, sans plan d’investissement public massif, sans politique ferroviaire ambitieuse, sans sortie des traités européens et du dogme de la concurrence libre et non faussée par un protectionnisme solidaire comme je l’ai écrit dans ma tribune publiée dans le journal Le Monde du 16 septembre.
Et Alstom est un parfait symbole de l’échec économique du gouvernement et de son idéologie. Alstom transport a été fragilisé par l’abandon successif des autres activités du groupe et notamment par la vente de la branche énergie en 2014 à General Electric, vente actée par Hollande lui-même avec l’appui de ses ministres de l’Economie de l’époque, Arnaud Montebourg d’abord puis Emmanuel Macron ensuite. Loin de la politique de l’offre, Alstom Belfort souffre du manque de commandes de trains dû à la politique d’austérité. S’il y avait besoin de 21 rames TGV, pourquoi avoir attendu la menace de fermeture de l’usine de Belfort pour passer commande ? Personne n’avait pensé à les acheter avant ? Ou, plutôt, qui a refusé de débloquer l’argent pour les acheter ?
L’absence de commandes vient aussi de l’abandon de toute ambition pour le ferroviaire dans notre pays. Le réseau ferré est dans un état lamentable comme l’a dénoncé l’émission « envoyé spécial » de France 2 jeudi 27 septembre. Et le gouvernement a tout fait pour saboter le rail : refus de faire reprendre la dette de la SNCF par l’État pour relancer les investissements, acceptation et mise en œuvre anticipée du 4e paquet ferroviaire pour ouvrir à la concurrence les trains régionaux TER et les trains Intercités, soutien au développement du transport par autocar avec la loi Macron au détriment du ferroviaire, etc.
L’absence totale de planification écologique se voit aussi dans le fret : abandon de tout principe d’écotaxe poids lourds au motif que celle prévue était mal ficelée, autorisation des poids lourds de 44 tonnes sur les routes, plan de relance autoroutier mais abandon du projet d’autoroute ferroviaire entre Calais et le pays Basque etc. Pourtant, Alstom Belfort ne produit pas que des TGV. Alstom Belfort produit aussi des locomotives de fret. Un plan national de développement du fret ferroviaire aurait permis de donner du travail à Belfort en s’épargnant le ridicule de voir des TGV exploités aux deux-tiers de leur capacité sur des lignes classiques.
Enfin, la question de la concurrence déloyale reste posée. Cet été, la filiale commune de la SNCF et de son équivalent allemand a décidé de commander 44 locomotives au constructeur allemand Vossloh, concurrent d’Alstom. Mais ce n’est pas parce que les locomotives allemandes seraient meilleures. C’est parce qu’elles sont soi-disant « moins chères ». Et pourquoi sont-elles « moins chères » ? Parce qu’elles sont en grande partie fabriquées en Pologne, dans des conditions salariales et sociales moins favorables aux salariés. Le dumping social et la concurrence déloyale tuent l’industrie française aussi sûrement qu’ils tuent les droits sociaux des travailleurs ici et là-bas. Et l’argent de la SNCF sert à financer ce système au lieu de soutenir l’activité en France.
Bref, la lutte des salariés d’Alstom a permis d’éviter la fermeture immédiate. Mais leur chance d’un avenir meilleur passe, comme pour tous les Français par l’élection de 2017. Ce sera l’occasion d’imposer d’autres choix pour la France et son industrie. Il en va de l’intérêt général et de notre capacité à mener la transition écologique.