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Le mardi 4 juillet 2017, Jean-Luc Mélenchon répondait au discours de politique générale du Premier ministre Edouard Philippe. Il a annoncé que le groupe « La France insoumise » voterait contre la confiance au gouvernement puis a dénoncé les coups de force d’Emmanuel Macron qui veut détruire le code du travail par ordonnances, faire entrer les dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun et menace les parlementaires d’un plébiscite sur la réduction du nombre de députés. Jean-Luc Mélenchon a donné ses propositions pour «moraliser la vie politique» : châtier les corrupteurs, chasser les fraudeurs du fisc, limiter les salaires indécents des champions du CAC40, interdire les pantouflages, introduire le droit de révoquer les élus. Il a enfin dénoncé l’absence de mesures écologiques chez le Premier ministre et a proposé la sortie du nucléaire et le passage à 100% d’énergies renouvelables avant d’évoquer le «martyr des animaux».
Voici la retranscription de cette intervention :
Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Mesdames, Messieurs,
Jusqu’où et jusqu’à quand notre patience sera-t-elle encore abusée ? Je m’explique. La France Insoumise attendait avec intérêt et concentration votre discours.
C’est le seul qui compte, car c’est lui qui va être suivi d’un vote solennel sans lequel vous ne pourriez pas gouverner. Nous avons eu deux longs post-scriptum du discours du président de la République, durant deux heures. Pourquoi pas. Moi, je n’ai que dix minutes. Que reste-il de l’apparence même d’un débat parlementaire dans de telles conditions ? Je vais vous le dire pour vous rendre hommage : votre discours mérite mieux que dix minutes de commentaire. Mais je n’ai pas non plus de temps pour vous faire des compliments.
J’avais prévu de chercher à convaincre. J’en reporte le projet. Je dois me contenter de vous informer et de vous dénoncer.
Nous ne voterons pas le soutien au gouvernement, vous le saviez. Nous serons le seul groupe dont aucun des membres ne votera ce soutien, je veux le souligner. Mais nous ne voulons pas être seulement votre opposition. Nous nous présentons comme l’alternative au monde que vous représentez.
Il faut qu’il y en ait une. Car le sol se dérobera bientôt sous vos pieds. Dans un pays de longue tradition démocratique, une nation si politique qu’est la France, quand 55 % de son peuple fait la grève du vote pour les législatives – et ceci nous concerne nous aussi – alors, je vous le dis : agir comme vous le faites, c’est tirer un feu d’artifice dans une poudrière ! Car vous croyez dominer la situation en cherchant à passer en force sur des sujets essentiels qui touchent au cœur même de la nation et de son existence. Vous entrez dans le régime du coup de force permanent. Et cela non pour changer d’urgence les recettes libérales qui nous ont conduits au désastre actuel mais pour au contraire en élargir sans limite les domaines d’application.
Cette ligne moyenne européenne que vous ne cessez d’évoquer, c’est la ligne de flottaison en dessous de laquelle sont tirées les munitions qui coulent la Nation, détruisent son État et ses services publics, étranglent la Grèce, condamnent au sous-développement tout le Vieux Continent. Nous n’avons pas élu Mme Merkel. Nous n’avons que faire d’une politique de l’offre et de la contraction de la demande. Le pays est d’abord riche de ses demandes.
Vous vous donnez huit jours devant cette Assemblée pour disposer, par le moyen des ordonnances, du droit de renverser tout l’ordre public social de notre pays et sa hiérarchie des normes.
Huit jours pour abolir les résultats de cent ans de luttes sociales et de compromis sociaux. De Mai 1936 à mai 1968, en passant par le CNR, vous voulez tout disloquer en deux votes. Nous appelons cela un coup d’état social. Et nous, parlementaires, n’aurions pas le droit de toucher ni à une ligne, ni à une virgule de ces textes qui pour nous sont tant de choses.
Qui vous a demandé de le faire, sinon le MEDEF ?
Une organisation sans représentativité contrôlée, accaparant la parole de tous les patronats pourtant aussi divers que les entreprises !
Le peuple des métiers, celui qui créé seul toute la richesse de la patrie, aspire à autre chose : de la visibilité dans la vie professionnelle, de la sécurité, des bonnes payes, des retraites décentes. Il demande la fin du scandale des 9 millions de travailleurs réduits à la pauvreté dans la 5ème puissance du monde, la fin du scandale des 565 morts par an sur le poste de travail, des 1 200 personnes qui décèdent de maladies professionnelles chaque année, des 31 000 enfants sans domicile fixe, des 2 000 morts de la rue, des 2 millions et demi d’illettrés. Dans la grande et splendide France, comment cela est-il possible ? N’est-ce pas l’urgence des urgences ?
Coup de force encore, cette fois ci contre l’ordre démocratique du pays : vous pensez bouleverser tout le régime des libertés individuelles en moins d’un mois. En effet vous avez décidé de transposer dans le droit ordinaire les dispositions de l’état d’urgence. Le président de la République lui-même a dit qu’il fallait libérer le pays des contraintes de cet état d’urgence. Mais alors pourquoi le faire entrer dans la loi ordinaire ? On nous promet que cela sera réservé aux terroristes, mais vos prédécesseurs disaient de même ! 80 % des mesures effectives de privation de liberté prises dans ce cadre l’ont été contre des syndicalistes et des militants écologistes. Pourquoi croire qu’il puisse en aller autrement dorénavant ? Nous vous le redisons : l’état d’urgence permanent mis dans la loi ordinaire, c’est la victoire de notre ennemi à la fois parce qu’il prend toute la société en otage de sa violence et parce qu’il lui injecte ce recul de liberté qui est le cœur de son projet et le contraire du notre à nous tous, sur tous les bancs.
Coup de force en vue encore quand le Président menace les assemblés d’un plébiscite si elles refusent de voter la réduction du nombre des parlementaires qu’il souhaite, sans nous expliquer pourquoi moins de députés ce serait plus de démocratie. Ah bon ? Quoi ? C’est trop de deux sièges en Ariège ? Il y en avait cinq sous l’ancien régime ! Je vous mets en garde contre la démagogie antiparlementaire et l’instillation d’une méfiance généralisée contre les élus. Si vous voulez moraliser la vie politique du pays, alors châtiez les corrupteurs, chassez les fraudeurs du fisc, limitez les salaires indécents des champions du CAC 40, interdisez les pantouflages, interdisez que l’on puisse être au conseil d’une grande société et représentant de la nation. Bref, limitez de toutes les façons possibles le pouvoir de l’argent, donnez au peuple lui-même le pouvoir de révoquer ses élus quand il le juge nécessaire. Le référendum révocatoire, voilà le moyen terrible et simple d’installer en tout point la démocratie sous le contrôle du peuple.
Coup de force, enfin, quand vous n’évoquez l’urgence écologique que pour mieux vous taire sur les urgences qui pourtant imposent des décisions immédiates. Je vous le dis avec toute la solennité qui ne vous vise pas seulement vous, monsieur le Premier ministre, mais qui appelle à faire réfléchir les collègues sur tous les bancs : le nucléaire est dangereux. Nos centrales qui ont fonctionné magnifiquement – et nous remercions ceux qui les ont fait vivre jusqu’à présent, et nous saluons leur travail – ces centrales arrivent en fin de vie, elles vont devenir dangereuses. Statistiquement, elles le deviennent. Dès lors, monsieur le Premier ministre, c’est maintenant qu’il faut décider la fermeture des dix-neuf réacteurs qui arrivent en fin de vie sous votre mandat. Il le faut parce que dans le même délai, il faut passer aux énergies renouvelables qui nous permettront – la France en a les moyens techniques et intellectuels – de passer à autre chose qu’au nucléaire, sans rupture.
Enfin, je suis bien marri de savoir que vous avez cessé le combat à l’Europe, sur les définitions que donne la Commission des perturbateurs endocriniens. La France s’honorait en résistant.
C’est le moment pour moi de vous demander : comptez-vous en finir avec les OGM et les pesticides qui menacent et insécurisent non seulement l’alimentation et les êtres humains, mais leur génération même, et vous le savez ? Voilà les mesures qu’il faut prendre et qu’il faudrait annoncer dès maintenant.Et enfin, une qui n’a jamais droit de cité à une tribune parlementaire : quand, comme mesure de civilisation, dirons-nous que nous sommes disposés à punir avec force le martyr des animaux dans une nation aussi développée et civilisée que la nôtre ?
Je n’ai que 10 minutes et j’ai l’intention de m’y tenir. Vous êtes venus ici, on finirait par le croire, nous lire les notes de bas de page du président de la République.
Puisqu’il a cité contre nous les mânes de Sieyès et de Mirabeau, que de nouveau vous avez cité, je vais rappeler que les deux n’ont été réunis que devant le roi. Ce n’est pas notre cas. Et ça ne le sera pas avant longtemps, croyez-moi. Et il y aurait bien du monde pour s’y opposer s’il le fallait.
Mais au premier, nous souvenant que Capet, le 14 juillet 1789, avait écrit comme commentaire sur son journal privé : « Rien. ». Méfiez-vous de rien. Méfiez-vous surtout des petits riens.
À Sieyès, nous prendrons la volonté de faire que le Tiers-État soit toute l’Assemblée nationale. Nous en sommes, d’une façon ou d’une autre, l’avant poste.
De Mirabeau, l’idée qu’étant ici par la volonté du peuple, les gens qui ne sont rien et se croisent dans les gares, ont une réplique pour vous, que je voudrais bien, monsieur le Premier ministre, que vous acceptiez de faire connaître à monsieur le président de la République. Les « riens » lui disent : « Nous ne sommes peut-être rien à vos yeux, mais demain nous serons tout ».