Combien de médiacrates ont dénoncé sans scrupules la « violence ouvrière » à Air France. Mais combien ont parlé de la violence patronale contre les travailleurs. Il a fallu le courage et la dignité de Xavier Mathieu sur Canal+ pour entendre une parole de vérité venue du terrain plutôt que les récitations outragées des lecteurs de prompteurs médiatique. Puis il a fallu le courage de ce salarié des chantiers navals de Saint-Nazaire refusant de serrer la main de François Hollande pour que la situation sociale commence à faire parler dans les salles de rédaction. En tous cas, la réaction de ce syndicaliste de Saint-Nazaire prouve que chacun sait parfaitement à quoi s’en tenir. En refusant de serrer la main au président de la République, il agit comme j’ai proposé qu’on le fasse fait le matin même à la radio en disant aux salariés de « recommencer ». Ce syndicaliste et moi, chacun dans notre rôle et avec nos méthodes, encourageons ceux qui nous écoutent à relever la tête, à ne plus avoir peur, à ne pas se laisser faire, à résister. Tout le monde doit comprendre que « jouer le jeu », « la réforme » et « le dialogue social » tels que les pratiquent les donneurs de leçons des médias, du patronat et du PS c’est accepter d’être trompés, volés, et pour finir humiliés. C’est se faire détruire avec le sourire. Partout où on le peut, il faut poser des actes symboliques qui détraquent les belles machines à faire des images conformes, du politiquement digestible, de l’image pour madame Le Pen et les frères siamois du PS et de l’UMP.
L’épisode « Air France » est un révélateur. Il dessine crument un paysage en noir et blanc. Chacun voit la brutalité des partis officiels pour les salariés menacés de licenciement. Du coup, chacun constate le décalage avec la complaisance dont bénéficient en revanche les autres membres de la caste. Le Premier ministre a usé des mots les plus durs qui lui venaient à l’esprit à l’égard des salariés d’Air France. Véritable garde chiourme de la direction d’Air France groupée autour de lui pour l’image, il a aboyé à pleins poumons. Comment a–t-il pu croire que cela marcherait ? Que personne ne s’indignerait de le voir dans ce rôle ? Car chacun sait qu’on ne l’a jamais entendu dire que M. Cahuzac était un « voyou ». C’était son collègue de gouvernement. Pourtant c’était un « voyou » ! Il mentait et volait le fisc alors même qu’il était responsable de l’administration des Finances de notre pays. Mais il replantait des cheveux sur la tête des déplumés fortunés. Hum, qui par exemple ? En tous cas c’était son métier. Et cet argent, il le sortait sur des comptes à l’étranger ? Mais qui le lui donnait ? Les cheveux implantés… c’était de l’argent déclaré, ou bien c’était « au noir » ? Vous ne le saurez pas. Pas de garde à vue à six heures du matin, pas de prolongation de la garde à vue « pour poursuivre les investigations » ! Et plus d’un mois pour être mis à pied de son job de ministre, et encore bien des semaines avant d’être obligé de démissionner de celui de député !
L’affaire Air France c’est aussi un révélateur de l’attitude de Marine Le Pen. Quand le cirque médiatique s’est mis en mouvement contre les travailleurs en lutte pour leur droit à la survie, Marine Le Pen a joint sa voix à la meute des aboyeurs. Elle a été le bon caniche des licencieurs. Dès le jour de l’interruption du comité central d’entreprise d’Air France, le Front national dénonçait « l’agression ce jour de membres de la direction d’Air France » parlant d’un « acte aussi inadmissible que condamnable ». Le jour de l’arrestation des salariés soupçonnés, le vice-président du FN Florian Philippot se félicitait de l’arrestation à 6 heures du matin. Il ne trouvait pas du tout insupportable l’humiliation infligée aux salariés. On comprend la gêne de madame Le Pen. Les salariés d’Air-France ont permis qu’on parle de la question sociale en France. Tant de jours et d’heures sans entendre les refrains sur les musulmans et les migrants et le reste du menu quotidien imposé dans les médias lepénisés ! Pendant une semaine, impossible de trouver un angle pour la remettre en selle : les médiacrates se tordaient les mains de frustration ! Pourtant, le Journal du dimanche avait fait fort avec ces « 30% de Français » (pas 30% des « sondés) prêts à voter pour le yéti de la politique française, là où cela fait 70 % de gens qui ne veulent pas d’elle ! Mais le titre choc et les ventes ont fait « pschitt ». D’abord parce que quatre ou cinq journaux ont déjà fait leur une avec cette « révélation ». Ensuite parce que le retour de la question sociale a purifié l’atmosphère médiatique pourrie qui règne dans notre pays depuis des mois.
Bref, nous avons vécu un grand moment d’éducation politique pour beaucoup de gens.Spontanément, ils n’aiment pas plus la violence que nous. Mais ils comprennent la réaction des salariés d’Air France et refusent de les condamner. Les honnêtes gens savent bien que les voyous ne sont pas ceux que désigne Manuel Valls. Les voyous ce sont les gouvernements, les actionnaires et les patrons responsables du record historique de chômage dans notre pays avec 6 millions de personnes inscrites à Pôle Emploi, dont près de 4 millions sans aucune activité. Les voyous, ce sont les responsables des 621 000 accidents du travail ayant entraîné un arrêt de travail en 2014. Les voyous ce sont les médiacrates qui poussent des cris d’horreur devant deux chemises arrachées mais se taisent avec ferveur face aux 530 accidents du travail mortels. Pourtant, c’est plus d’un mort par jour ; ça laisse de la marge pour réagir, s’indigner, faire jouer « le droit à l’information » et tous les autres Bla Bla de la caste, non ? Les voyous, ce sont les dirigeants de TEFAL qui, avec l’aide d’un procureur complaisant, poursuivent un salarié et une inspectrice du travail pour avoir révélé une alerte de la médecine du travail que le patron voulait cacher aux salariés concernés.
Dans ce genre de situations, il faut avoir les nerfs solides et ne pas avoir peur. La colère est la meilleure conseillère. Chaque fois que vous êtes confrontés à une prétendue violence ouvrière, souvenez-vous des Conti. Souvenez-vous du lynchage médiatique de l’ouvrier Xavier Mathieu au 20 heures de France 2. À l’époque David Pujadas lui demandait de condamner le renversement de quelques ordinateurs. Il exigeait des regrets, demandait si « la fin justifie les moyens ». Mais dans cette affaire, les voyous, ce n’étaient pas les salariés de Conti. C’était les patrons de Conti ! La justice a annulé cinq fois les licenciements, jugeant qu’ils n’étaient pas justifiés au regard de la situation de l’entreprise. Mais l’entreprise a fermé, 1200 personnes ont été licenciées et la victoire judiciaire ne leur rendra pas leur emploi. Elle ne leur rendra pas non plus leurs 5 camarades qui se sont suicidés. Elle ne reconstituera pas les 400 couples explosés par la dureté de la lutte puis du chômage. Dans cette affaire, la violence était totalement du côté des patrons voyous. Seront-ils sommés de s’expliquer au 20 heures ? David Pujadas leur demandera-t-il si « la fin justifie les moyens », c’est-à-dire si le taux de profit pour l’actionnaire justifiait d’avoir détruit 1200 vies et ravagés une région entière ? Tous ces arrogants exprimeront-ils ces « regrets », ces « condamnations » qu’ils ont l’insolence de nous demander ?
Et à Air France, interrogera-t-on le PDG sur ses propos indignes et si extrêmement violents ?Une petite vidéo circule sur internet. On y voit Alexandre de Juniac, PDG d’Air France s’exprimer en toute liberté dans une assemblée de patrons en décembre 2014. Il critique l’interdiction du travail des enfants. Il dénonce les 35h et le principe même de temps de travail s’interrogeant faussement : « la durée du temps de travail, qu’est-ce que cela veut dire pour un ingénieur qui a une tablette et un smartphone et qui travaille chez lui ? ». Il veut supprimer le principe d’un âge légal permettant de partir à la retraite. Et il se fait applaudir par les patrons en citant son homologue de Qatar Airways racontant qu’au Qatar, les grévistes seraient « envoyés en prison ». Les autres bouffis présents dans la salle se marrent comme des hyènes ! Qui dénoncera cette violence en gants blancs, prononcés à mots feutrés dans les colloques patronaux de l’Abbaye de Royaumont ?
La mise en scène de l’arrestation des salariés d’Air France n’est pas due au hasard. Elle s’intègre dans un scenario bien précis. Décrédibiliser ceux qui résistent et faire peur pour décourager ceux qui voudraient les imiter. L’offensive anti-syndicale n’est pas nouvelle. Mais elle s’exprime à visage découvert ces jours-ci. Au point qu’une petite organisation patronale essaye d’en profiter pour faire parler d’elle en annonçant son intention de porter plainte contre moi. Evidemment cette plainte n’a aucune réalité. Elle n’existe pas juridiquement. Les bavards qui m’interrogent à son sujet ne se donnent même pas la peine de vérifier si l’association concernée existe. Mais tout cela permet à des médiacrates de me demander avec une mine grave « les patrons ont-ils peur ?»
Et dans l’ambiance du moment j’ai noté ce supplément économie du Figaro du mardi 13 octobre. Il s’agit d’un billet à propos du 120e anniversaire de la création de la CGT ces jours-ci. Le syndicat organise deux jours de rencontres et débats à Limoges, dans la ville où il a été fondé. L’éditorialiste Marc Landré commence son billet par les mots suivants : « retour sur les lieux du crime ». Oui, vous avez bien lu : le « crime ». La création d’une confédération des syndicats ouvriers en 1895 étaient « un crime » ! Les mots ont-ils un sens pour les médiacrates ? Imaginez qu’on commence un papier à propos d’une assemblée du MEDEF en parlant d’une réunion de « suceurs de sang ». On devine les glapissements de la caste ! Lutter contre le travail des enfants à partir de 12 ans, vouloir des journées de travail de moins de 10 heures, exiger que tous les salariés puissent avoir un jour commun de repos, voilà ce qui était à l’origine du « crime » que raille l’éditorialiste du Figaro ! Car c’est toutes ces choses que la CGT demandait à sa création et c’est toujours avec le même esprit qu’elle agit, comme le font les autres syndicats de salariés issues du mouvement ouvrier.
Dans cette séquence, on aura retrouvé les figures désormais classiques de la surenchère anti sociale dont le PS est désormais le déclencheur. Car quand Manuel Valls traite les salariés de voyous, quel espace laisse-t-il à la droite ? Que pouvait-elle dire pour récupérer son rôle sur la scène ? Il faut pourtant bien qu’elle se distingue ! Et pour cela, elle doit en rajouter. Ainsi le PS solférinien libère la parole des plus réactionnaires. Voyez Laurent Wauquiez, secrétaire-général du parti de Nicolas Sarkozy. Il a déclaré « Il y a trop de syndicats en France qui font du blocage, des syndicats qui ne représentent plus qu’eux-mêmes et qui sont hostiles à toute forme de changement. (…) Et cela ça paralyse notre pays ». Personne ne réplique. C’est pourtant facile à faire. Car « not’bon maître » doit encore apprendre que les syndicats représentent bien plus de monde que son petit parti de carriéristes haineux. Les syndicats français regroupent deux millions de syndiqués. La seule CGT compte environ 650 000 adhérents. C’est quatre fois plus que le parti Sarkozyste « les Républicains » qui n’en compte que 180 000. Il y a dix ans, M. Wauquiez aurait été écrasé sous les lazzis. Grâce aux préparations de l’artillerie solférinienne la droite peut se déboutonner sans risque.