Le bilan de la marée populaire du 26 mai est fécond. Dans près de 200 villes, des cortèges de toutes sortes se sont constitués. Dans de nombreux cas, ils ont surpris par leur nombre et leur détermination, comme dans l’Est du pays. Ces succès renforcent la détermination et relancent les dynamiques de l’engagement militant. De plus, ils sont souvent venus après des réunions de préparation unitaires entre partis, associations et syndicats. Elles feront école. Car c’est une première depuis des décennies dans bien des coins du pays. Au total, le mouvement politico-social que génère la lutte des cheminots s’est enraciné. Il a élargi et enrichi son expression. Le goût de ce type de rassemblement politico-social s’est découvert, il ne se perdra pas de sitôt. Nous allons y travailler partout. Dès les prochains jours, de nouvelles initiatives se préparent. On attend en particulier la suite de l’appel à journée de grève interprofessionnelle unitaire lancé par FO. Un nouveau paysage est de toute façon en cours de construction.
Notre conviction à « La France insoumise » est qu’il n’existe pas de chemin plus efficace pour passer de l’étiage électoral actuel à un niveau majoritaire. Il n’existe pas d’autre parcours jouable que la construction patiente de cette nouvelle majorité populaire par la formation d’une nouvelle conscience collective. Ce travail a un objectif. J’ai parlé de Front Populaire. Je l’ai dit à Libération : « Je n’ai pas l’illusion de croire que des syndicats vont participer à je ne sais quel programme commun politique. D’ailleurs, je ne le souhaite pas car je suis en faveur de l’indépendance des syndicats vis-à-vis de tout gouvernement. » Et j’ai précisé la stratégie : « Vouloir un front populaire c’est une autre manière de parler de l’unité du peuple. C’est un projet, une pratique et une stratégie. »
C’est là une mise en mots que je crois suffisante à l’étape que nous sommes en train de franchir. J’ai lu des gloses sur l’indépendance syndicale que ce projet pourrait bousculer. Comme si cette indépendance n’avait pas pris les formes les plus diverses selon les époques et les contextes ! Comme si elle était figée dans une formule définitive qui se serait appliquée de tous temps ! Comment oublier l’époque où la CFDT avait pour objectif et doctrine le « socialisme autogestionnaire ». Et celle où la CGT soutenait le Programme Commun de Gouvernement PS/PCF. Rien n’interdit donc que l’Histoire concrète invente des formes nouvelles, des accointances différentes de celle de la période récente qui a été tout de même celle d’une série d’échecs terribles et de reculs sur les droits sociaux. Je ne sais pas à cette heure ce que la nécessité peut faire surgir dans l’Histoire. Travaillons le terrain et les consciences. Agissons sans pause ni trêve. Le reste nous sera donné bientôt par surcroît.
Le traitement médiatique du 26 mai a été une utile contribution aux progrès de la conscience de ceux qui se sont mobilisés ce jour-là. Car, mieux que d’habitude, ce fut une honte sur le plan intellectuel. Les « journalistes » comparaient sans vergogne le chiffre des seuls manifestants parisiens à ceux de la marche nationale du 5 mai. Comme si les près de deux cent autres manifestations n’existaient pas. Évidemment, les chiffres pris pour argent comptant sont ceux de l’agence macroniste de comptage désormais bien connue. Laquelle n’a pas hésité à rectifier en cours de route son pointage parisien sans que cela n’émeuve les robots en plateau qui psalmodiaient le mot convenu : « échec ». Des milliers de gens qui croyaient avoir été nombreux dans la rue et joyeux dans la marche ont appris ou bien qu’ils n’existaient pas ou bien qu’ils avaient passé leur temps à se disputer entre organisations.
J’ai déjà connu des séquences honteuses comme celle-ci. À vrai dire, le scénario est toujours le même. D’abord une lourde attaque personnelle (cette fois-ci une histoire cornecul vieille de cinq ans avec un journaliste du Monde. Puis l’invention et la mise en scène d’affrontements personnels (d’abord Ruffin versus Mélenchon puis Martinez versus Mélenchon). Enfin le dénigrement de l’évènement lui-même (bagarre, casses surévaluées, nombre de manifestants sous-évalué).
L’essentiel pour le parti médiatique est d’avoir de quoi effacer le sujet du jour. Une petite phrase, un évènement de diversion, une dispute. La matière manquait cette fois-ci. BFM aura donc battu tous ses records, filmant des moments de vide de la marche, excitant les porte-paroles les uns contre les autres. C’est presque trop lourd pour être vraiment crédible, souvent, mais ce n’est pas sans efficacité admettons-le. Ce que nous en faisons du point de vue de la réputation de tels procédés ne l’est pas non plus. De tels excès servent notre discours sur les médias et ceux qui les font vivre, il faut le reconnaître. En ce sens, des gens comme Nathalie Saint-Cricq, à France 2, par exemple, par leurs outrances et grossières manipulations sont aussi de bons recruteurs de consciences écœurées par ce système.
Car dans ce contexte médiatique, des dizaines de milliers de gens honnêtes découvrent alors quel genre de manipulateurs sont ceux à qui ils accordaient leur confiance. Sur le moment, cette désinformation rend malade de rage bien du monde. C’est-à-dire tous ceux qui ont la naïveté de croire que les médias sont autre chose que ce qu’ils sont. Certes, les nervis de l’information de propagande parviennent par ce genre de procédé à abasourdir et à confirmer dans leur passivité les cerveaux déjà les plus résignés. Ils peuvent aussi parvenir à décourager aussi ceux qui attendent une reconnaissance de leur action et de leur mobilisation. On ne peut pas sous-estimer cela. Ils ne sont pas si largement payés pour rien.
Mais d’un autre côté, la rage qu’ils mettent au cœur de ceux qui prennent conscience de la duperie est un vaccin de longue portée contre la confiance dans la parole médiatique. Dans la durée, nous sommes donc gagnants. Les consciences désormais éduquées au mépris des médias et des autorités qui les dirigent sont alors plus fermement ancrées dans la compréhension du caractère global de ce que nous affrontons. Eux ont compris : Macron n’existe et ne tient que grâce à l’appareil médiatique qui le porte en bourrant les crânes.
Au soir de cette journée du 26 mai, épuisé mais dynamisé, je pense à toutes ces personnes qui ont donné une fois de plus tant d’eux-mêmes pour cette réussite. Je pense à ces milliers de gens de tous âges qui sont entrés dans nos rangs pour la première fois. Je sais que nous avons pris honnêtement notre part du travail qui revient à chacune des générations de personnes qui ne se laissent pas faire dans la vie face au pouvoir de leur temps. Macron peut croire ce que dit la télé et ceux qui le servent. Mais la vie et sa vérité sont déjà ailleurs. Là où régnait la sidération il y a peine un an au point qu’il fit passer la réforme du code du travail, règne désormais la rage et le dégoût. Et une claire conscience de ce qui est en cause : non tel ou tel mauvais coup, mais un système. Le dégagisme est la vraie marée populaire de ce moment.